La Gazette des confiné·es #14 - Censure du web, éducation numérique et manifs empêchées

, par WhilelM

Resterons-nous libres de vous informer encore longtemps ? Cette quatorzième Gazette s’ouvre par la fin. La fin du parcours législatif de la loi Avia, promesse de censure et d’arbitraire. On s’interroge. Est-il permis d’évoquer les sabotages d’antennes et de câbles attribués à l’« ultragauche » par les renseignements ? D’afficher les startuppers pour qui l’école numérique est une promesse d’argent ? [...]

Après le confinement, le bâillon : la loi Avia censure la haine en ligne et plus si affinités

Quelle sera la première loi adoptée sans lien avec le Coronavirus ? Le suspense n’a pas duré longtemps. Dans un hémicycle toujours réduit et en procédure accélérée, c’est la proposition portée par la députée LREM Laetitia Avia « contre la haine sur internet » qui coiffe tous les autres textes au poteau. Avec cette dernière lecture mercredi 13 mai, l’exécutif redouble d’efforts pour contrôler l’info.

Plus d’un an après son dépôt à l’Assemblée et deux lectures dans chaque chambre, la loi Avia boucle sa navette parlementaire substantiellement amendée. Plusieurs articles peuvent toutefois chatouiller le Conseil constitutionnel voire Bruxelles.

Dans une première version, la loi devait permettre à la police et au public de demander la censure des contenus signalés comme haineux aux plateformes recevant entre deux et cinq millions de visiteurs uniques par mois. C’est-à-dire Wikipédia, Youtube ou bien sûr Facebook. Les sites auraient dû répondre et motiver leur décisions sous 24 heures. La vérification de la validité des décisions et de la suppression des contenus « manifestement illicites » aurait été faite a posteriori par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), investi de nouveaux pouvoirs répressifs.

Parmi les organisations non gouvernementales et les autorités administratives indépendantes épouvantées par la loi, La Quadrature du net s’est de nouveau distinguée par ses analyses. Elle a identifié les principaux dangers de cette première mouture pour les libertés publiques : une censure probablement automatisée pour respecter le délai de 24 heures, réalisée par les géants du web sans aucune intervention d’un juge, ouvrant la voie à des abus contre les contenus politiques comme cela s’est déjà vu). Dit autrement, sa rédaction permettait les excès de toutes sortes, grâce au contrôle extravagant accordé à la police sur internet.

Facebook n’a pas attendu cette loi pour censurer les contenus qui ne lui plaisent pas. Ainsi, en août 2019, de nombreuses pages de la gauche radicale ont vu leur audience chuter, à l’image de Cerveaux non disponibles.

La majorité entend-elle les alertes provenant de toutes parts ? Non, bien sûr. Le 21 janvier 2020, un amendement rajouté tardivement et de manière peu démocratique alourdit encore le volet coercitif de la loi. Il accorde directement à l’administration le pouvoir d’obtenir de n’importe quel site la censure de tout contenu considéré comme terroriste sous une heure chrono. En dépit d’une telle célérité, la police peut réclamer le blocage dudit site aux fournisseurs d’accès à internet pour toute la France.

La Quadrature du net revient à la charge contre ce délai d’une heure insensé qui s’applique indifféremment le mercredi midi ou le dimanche en pleine nuit. Comment les sites tenus par des bénévoles, comme ceux du réseau Mutu, peuvent-ils le respecter ?

Mais s’il s’agit de lutter contre la pédophilie, les discriminations ou le terrorisme, quel est le problème ? Et bien précisément de laisser à l’État, ses préfets, sa police, la libre interprétation d’une notion aussi floue que celle de « terroriste ». Il y a peu, des militant·es écologistes faisaient l’objet d’une telle accusation de la part du patronat agroalimentaire breton, comme nous vous le racontions dans notre douzième Gazette. La Quadrature du net envisage aussi que la police ose utiliser cette loi pour des appels à manifester sur les Champs-Élysées ou des vidéos d’altercations entre manifestant·es et CRS.

On imagine que les pandores seront capables de ratisser suffisamment large pour inclure dans le périmètre des interdictions des brochures subversives comme celles d’Infokiosques.net sur le thème des insurrections ou des émeutes.

D’autre part, la Quadrature du net affirme que :

Si la police était mal intentionnée, il lui suffirait de publier anonymement et au milieu de la nuit des messages « terroristes » sur les plateformes de son choix pour les faire censurer (car presque aucune plateforme ne peut avoir des modérateurs réveillés toute la nuit pour répondre dans l’heure à la police). Rien dans la loi n’empêche de tels abus.

Pour analyser les dérives potentielles de cette loi, regardons sur le long terme : de nombreuses dispositions initialement antiterroristes sont passées dans le droit commun au moment de la fin de l’état d’urgence et l’arsenal antiterroriste ne cesse de grandir en France depuis 1986 comme l’analysait en 2015 Le Monde diplomatique.

Cet article de Lundi matin émet l’hypothèse que l’antiterrorisme n’est pas une forme de répression judiciaire mais un mode de gouvernement, le but étant d’utiliser la peur pour faire une guerre psychologique à l’ensemble de la population. Amnesty international rappelle aussi que les réfugié·es sont souvent visé·es par les lois antiterroristes.

La crainte d’être considéré comme une menace pour la sécurité ou comme un « extrémiste » a eu un effet dissuasif, réduisant l’espace laissé à la liberté d’expression.

En 2015, l’état d’urgence avait été utilisé pour interdire les manifestations écologistes pendant la COP21. Des militant·es écologistes s’étaient retrouvé·es assigné·es à résidence comme le montre cette vidéo.

Le procès en terrorisme est souvent utilisée par les gouvernements contre les opposant·es politiques. Ce fut le cas en Espagne, lors d’une opération de barrages routiers en 2018, en Italie contre des opposants à la ligne TGV devant relier Lyon à Turin, sans oublier l’Afrique du Sud où Nelson Mandela a croupi en prison désigné leader d’une organisation terroriste pendant plus de 20 ans, jusqu’à la fin de l’apartheid.

De nombreux sabotages pendant le confinement : les services de renseignements accusent l’« ultragauche »

Voilà probablement un site internet qui serait interdit rapidement si la loi « Haine » dont l’on vous parlait précédemment était promulguée. Le site Sans attendre demain répertorie de nombreux sabotages ayant lieu en Europe et félicite les auteur·ices de ces derniers.

Récemment c’est un sabotage coordonné contre le réseau à fibre optique dans le Val-de-Marne (à Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine) qui a défrayé la chronique : 20.000 logements et entreprises auraient été privés d’Internet pendant plusieurs jours selon un plan « méthodique et organisé ».

D’après Le Parisien, destinataire d’une note des renseignements assurément très « confidentielle », les enquêteur·ices s’étonnent de l’absence de traces et de l’efficacité de nombreux sabotages du réseau internet ou des antennes relais ayant eu lieu ces derniers temps (plus d’une trentaine) et accusent l’« ultragauche ». D’ailleurs, le parquet antiterroriste n’est pas saisi, mais pas loin !

Ce n’est pas la première fois que la presse agite le spectre de cette « mouvance radicale, qui englobe notamment ultrajaunes et black blocs ». Faire frissonner le bourgeois ne fait apparemment pas de mal aux ventes. En tout cas pas à celles du Point, qui a encore cet hiver consacré à cette menace un long dossier, ridiculisé par le chercheur en sciences politiques Nicolas Sigoillot sur son blog.

C’est une publication de Lille insurgée sur Facebook appelant à renouer avec l’action directe qui aurait inquiété les services de renseignement d’après Le Parisien (payant).

Il est vrai que de nombreux·ses militant·es anarchistes prônent l’action directe et le sabotage depuis bien longtemps et on peut trouver des manuels de destruction des antennes-relais sur des sites du réseau Mutu. Est-ce suffisant ? On peut se demander si de nombreux sabotages ne sont pas plutôt liés à une forte contestation des antennes 5G en train d’être déployées dans toute l’Europe. C’est la piste privilégiée en Angleterre où des critiques construites de la fuite en avant technologique rencontrent des théories du complot sur le lien entre les ondes et la propagation du Coronavirus.

Tentons d’autres conjectures. Si les coupes sont dignes de professionnels, ne pourraient-elles pas être l’œuvre de prestataires en mal de contrats ? Après tout, les habitué·es des chroniques judiciaires savent que certaines revendications peuvent être opportunistes. Tout autant qu’elles peuvent nourrir le récit policier, au moment d’imposer des mesures chaque jour plus liberticides.

Ce qui est certain, c’est que les services s’intéressent à toute action à caractère anticapitaliste. De gros moyens sont dépensés pour protéger les intérêts prétendument stratégiques du pays, comme le montre le traitement des antinucléaires à Bure, nous parlions dans la Gazette des confiné·es #12. On ne peut pas en dire autant quand des militantes kurdes se font assassinées en plein Paris. Un article de Paris-Luttes info affirme que 43 assassinats politiques ayant eu lieu en France sont restés impunis. Un sujet qui ne fait pas non plus les gros titres.

La suite de l’article sur Paris-luttes.info

P.-S.

La Gazette des confiné·es est un collectif ouvert d’ami·es basé·es entre autres à Nantes, Tours et Paris qui souhaitent mutualiser la prise d’informations portant sur la crise du Covid-19 sur internet afin de ne pas rester chacun·e de son côté isolé·e face aux écrans et de nous libérer du temps pour faire et penser à autre chose. La Gazette paraît deux fois par semaines sur La Déviation et le réseau Mutu.