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"Territoire, Environnement et Aménagement"

Par Philippe VIDAL


Introduction
Bilan et Perspectives
Bibliographie

Le texte en version intégrale sous format RTF

TABLE DES MATIERES


Remerciements
Sommaire
Introduction
Problématique et méthodologie

PREMIERE PARTIE : Critique générale de la société de l'information 1.1. Critique historique
1.1.1. Héritage : la mise en place de bases théoriques
1.1.2. Actualité : "la société de l'information", un projet éminemment politique
1.1.3. Prospective : une vision du futur qui évolue entre euphorie et alarmisme 1.2. Critique sémantique
1.2.1. La dimension technique de la S.I
1.2.2. Les autoroutes de l'information, piliers de la S.I
1.2.3. L'ère des néologismes, des concepts hybrides et de la cyberculture 1.3. Critique socio-politique autour du thème de la démocratie
1.3.1. L'État-nation fragilisé par les nouvelles technologies
1.3.2. Un nouvel espace d'expression démocratique
1.3.3. Le service universel, condition nécessaire au maintien de la démocratie 1.4. Critique économique
1.4.1. La révolution informationnelle et le retour des PMI/PME
1.4.2. L'information comme valeur ajoutée et l'information produit final
1.4.3. Les pouvoirs publics et la mondialisation DEUXIEME PARTIE : Société de l'information et territoire 2.1. " La géographie troublée par la communication " 2.2. Les réseaux de communication électronique et le territoire
2.2.1. La notion d'espace modifiée par celle du "temps réel"
2.2.2. La question de la commutation 2.3. La société de l'information. : société d'archipel ? 2.4. Du territoire physique à un espace virtuel 2.5. Les pouvoirs publics et les TIC : une "double reconquête du territoire"? 2.5.1. Territoires-mosaïques versus territoires-réseaux
2.5.2. Rappel historique de la télématique municipale
2.5.3. Les serveurs Internet et les collectivités locales TROISIEME PARTIE : L'analyse du discours sur la société de l'information 3.1. La société de l'information à travers la logique étasunienne 3.2. Construction et gestion du territoire dans le discours politiqueeuropéen sur la "société de l'information"
3.2.1. La notion européenne de la territorialité
3.2.2. Récapitulatif de l'émergence et de l'évolution de la thématique
"société de l'information" dans l'Union européenne
3.2.3. Pour un développement européen de la société de l'information
3.2.3.1. Le rapport Bangemann
3.2.3.2. Vers la société de l'information en Europe : un plan d'action
3.2.3.3. Vers un industrie européenne de contenu multimédia
3.2.3.4. Construire la société européenne de l'information pour tous
3.2.4. L'Europe et la société de l'information planétaire 3.3. Construction et gestion du territoire dans le discours politique français sur la "société de l'information"
3.3.1. La notion française de la territorialité
3.3.2. Récapitulatif de l'émergence et de l'évolution de la thématique
"société de l'information" en France
3.3.3. Le discours français sur les "autoroutes de l'information"
3.3.3.1. L'État et le modèle du Colbertisme High Tech
3.3.3.2. Quand l'État rejoint le point de vue européen
3.3.3.3. Pour être plus présent sur le territorie national Bilan et Perspectives Bibliographie

Introduction générale

La " société de l'information " est un thème émergeant dans les préoccupations nouvelles de la communauté scientifique. Elle occupe notamment une place importante en géographie, soulevant de nombreuses questions d'ordre social, économique, sémantique, territorial... Avec ce thème, s'opère un changement de perspective. La géographie des réseaux, qui s'est longtemps intéressée aux problèmes des télécommunications grâce à des auteurs comme H.Bakis, focalise maintenant son attention sur la critique de la " société de l'information " dans une perspective plus globale, ouvrant des questionnements qu'elle ne percevait pas avec les télécommunications. L'information ajoute une plus-value aux problématiques ayant trait aux rôles des télécommunications dans l'espace et en suscite de nouvelles.

Sur la question de l'espace et du territoire, elle fait réémerger avec plus de vigueur toute une série de mythes. Celui de " déterritorialisation " est parfois opposé à celui de " retérritorialisation ". Pour certains, la mondialisation opérée par le multimédia et les inforoutes efface les repères spatiaux, et ils vont jusqu'à imaginer une société sans territoire (J.P.Balligand et D.Maquart). Pour d'autres, elle renforce les processus de métropolisation et d'ancrage sur celui-ci (P.Veltz et F.Asher). D'autres encore préfèrent évoquer le changement de territoire, non pas en tant que remplacement du territoire géographique par celui des réseaux " immatériels ", mais en tant qu'interaction entre le réel et le virtuel. Le territoire demeure, mais est partiellement redéfini par les réseaux (P.Lévy).

L'histoire des télécommunications se retrouve également enrichie. En plus des classiques questions de déréglementation ou de normalisation, la " société de l'information " élargit son angle d'approche sur l'origine de la communication. Des auteurs comme N.Wiener, ou J.Habermas qui développent une réelle " conscience philosophique " deviennent des références pour aborder la thématique de la cybernétique ou de la sphère publique. Cette " nouvelle société " ouvre également un large espace d'expression à des futurologues (J.De Rosnay, A.Toffler), mais aussi à des politiciens qui élaborent grâce à elle un nouveau programme de société (A.Gore 1994). Celle-ci possède sa propre (cyber)culture, son propre vocabulaire fait de néologismes et de concepts hybrides. L'interactivité relationnelle (en fait deux personnes au moins qui communiquent...) devient un concept à la mode, avec lui réemergent ceux de citoyenneté informationnelle ou participante, de renforcement du lien social...

La mondialisation devient globalisation, le flou sémantique qui entoure les deux notions ne mobilise pas l'attention des auteurs. Les attributs de la mondialisation par contre le font beaucoup plus. Le thème de l'apparition d'un " temps mondial " (P.Virilio) est repris par la communauté scientifique, ceux des firmes multinationales puis globales, de la convergence ou des alliances stratégiques font de l'économie un partenaire privilégié de la géographie dans l'analyse de la société de l'information et de son rapport au territoire. Avec la globalisation, et son intégration sur tous les échelons du territoire, apparaît un nouvel espace né de la rencontre avec le local : le " glocal ". Cette hybridation profonde des concepts - global/local donne " glocal ", public/privé donne " priblic ", compétition/coopération donne "coopétition "...- " évoque un monde à plusieurs dimensions qui affirme son unité profonde au travers d'une figure de la discontinuité ". (J.Viard, 1994 ).

Les échelles de raisonnement se télescopent : le présent, le passé et le futur, proche ou plus lointain, le " temps réel " et le " temps fractal ", la " réalité virtuelle ", les villes virtuelles... C'est cette complexité, globale et évolutive qu'il faut analyser.

Le mémoire s'organise en trois grandes parties.

La première partie se consacre à la définition de la société de l'information dans une acception la plus générale possible. S'articulant autour de quatre grands points (critique historique, sémantique, économique et sociopolitique), cette partie s'appuie sur un éventail d'auteurs issus de disciplines très différentes.

La deuxième partie tente de saisir les effets territoriaux de la communication immatérielle ou plutôt de la société de l'information. Il s'agit ici de positionner le plus clairement possible une ou plusieurs échelles pertinentes de raisonnement afin de préciser la territorialité de la société de l'information.

L'étude des discours et rapports officiels du gouvernement français ainsi que ceux de l'Union européenne, constitue le cœur de la troisième partie. Elle s'organise en trois chapitres. Le premier évoque la stratégie globale du gouvernement américain concernant la mise en place de la " société de l'information ", le second étudie les rapports et discours européens, tandis que le troisième s'intéresse au cas français.

Problématique et méthodologie

Cette étude s'élabore à partir d'un questionnement simple, s'appliquant à problématiser les fondements d'une notion très médiatisée, mais finalement relativement floue et difficilement conceptualisable, celle de "société de l'information". L'approche de la "société de l'information" revêt, tout au long du mémoire, un caractère global qui conduit à souligner les différents croisements induits par les diverses dimensions du monde contemporain. L'étude de cette "société" conjugue donc à la fois une approche pluridisciplinaire, multiscalaire, et multiacteur.

Le risque d'un tel exercice est de se "perdre" dans la multiplicité des acteurs, des échelles, et des disciplines rencontrés. L'implication géographique de ce mémoire conduit naturellement à aborder la notion de société de l'information à partir de sa dimension territoriale, d'autant plus que nous partons du postulat selon lequel il ne peut exister de société sans territoire(s).

Une autre variable s'intègre dans nos préoccupations, comme élément constitutif de la problématique, celle du pouvoir. Sur les territoires, s'exerce toujours un pouvoir, qui repose de plus en plus sur la maîtrise de l'information. Le choix de privilégier l'acteur public comme acteur de référence de l'exercice de ce pouvoir se justifie par le rôle central qu'il joue dans la gestion des territoires et dans sa fonction d'administrateur du corps social.

De là, se décline une problématique consistant à mettre en relation les pouvoirs publics, la "société de l'information" et le rapport qu'ils entretiennent avec le territoire. Une question découle de cette mise en relation :

En quoi les pouvoirs publics et notamment les États se servent-ils de la mise en place de la "société de l'information" pour justifier l'élaboration de politiques publiques et donc une intervention sur un territoire ?

Autour de cette question centrale, s'articule un certain nombre de points qui sont autant de questionnements sous-jacents.

Celui de la perte de souveraineté de l'État-nation nous amène à parler des effets de la construction européenne, de la globalisation, de la glocalisation, de la déréglementation ou encore de la normalisation. Ces points prennent toute leur mesure si l'on part de l'hypothèse selon laquelle ce serait en partie à cause de cette perte de souveraineté que les États développent autant d'intérêt et d'espoirs sur la mise en place de cette "nouvelle société", comme représentant une opportunité de se replacer en tant qu'acteur principal et souverain sur son territoire. Le territoire de référence est ici le territoire national, avec des renvois systématiques vers le territoire local et supranational.

Les thèmes de démocratie électronique et d'une nouvelle citoyenneté placent les citoyens au coeur des enjeux sur la "société de l'information". Ils proposent des axes de réflexion sur les notions d'espaces publics, d'opinion publique ou de sphère publique, et sur le rôle des nouvelles technologies comme moyen sinon d'élargir, en tout cas de modifier leur perception.

Ceux de la cyberculture, du virtuel et de l'immatériel nous permettent de considérer le territoire comme étant en évolution permanente. Il résulte de cette approche toute une série de questions fondées sur la dialectique spatiale qui s'installe entre l'idée de territoire national et celui de territoire virtuel. Cela revient à étudier les fondements du territoire national et d'établir une comparaison, un parallèle avec la notion de territoire virtuel.

L'identification de nombreux concepts a été nécessaire car ils se présentent comme des acquis incontournables pour aborder la notion de la "société de l'information " dans son acception la plus générale. Tous ces concepts représentent donc des outils auxquels il est régulièrement fait mention, et que nous proposons de traiter sans plus tarder, afin de mieux éclairer le lecteur sur l'objectif de l'étude : essayer de dresser un panorama relativement complet de la complexité des enjeux relatifs à la notion de société de l'information, en prenant pour point d'ancrage le débat territorial, et comme acteur de référence, l'État.

C'est cette double approche du sujet, d'une part territoriale, d'autre part au niveau de l'acteur public que nous proposons de présenter.

Du territoire

Le territoire constitue donc le support de cette étude. Afin d'éviter toute confusion, il peut être utile d'en préciser le sens, et d'établir les différences existant entre les notions de lieu, d'espace, et de territoire. Mis en relation avec la notion de "société de l'information", ce préambule doit permettre d'énoncer un certain nombre de questions que l'on retrouvera par ailleurs, tout au long du mémoire. Une fois ces précisions établies, nous essaierons de justifier cette approche multiscalaire, et ce choix de se concentrer sur l'échelon national.

Le lieu est l'enveloppe d'un corps sans lequel il ne saurait exister. Le lieu situe, qualifie, et spécifie ce qu'il enveloppe. Le lieu peut être une ville ou bien un territoire dont les limites sont distinctes et ses traits spécifiés .

L'espace est l'ennemi du lieu. C'est une matière non limitée, non formée. Son absence de frontière et sa croissance exponentielle induite par les réseaux de télécommunications produisent selon Anne Cauquelin "une désobjectivation " où "les positions et les directions sont indifférentes... Les réseaux -ou plutôt un méta-réseau comme Internet - font donc flotter les directions : ni haut ni bas, ni latéralité. Ouvertures tous azimuts, polydirectionnalité, frontières abolies. ".

Le territoire est muni d'une métrique, celle des distances géographiques. C'est cette métrique qui permet de maîtriser le territoire, de le représenter dans l'espace euclidien. Selon Roger Brunet, le territoire est une " œuvre humaine, il est un espace approprié ". Il est à la base géographique de l'existence sociale. Toute société repose sur un ou plusieurs territoires. "En fait, elle a en général plusieurs territoires, voire une multitude : pour habiter, pour travailler, pour se recréer et même pour rêver ; des espaces vécus et des espaces subis ; des cellules locales et des réseaux ramifiés " . Selon R.Brunet, un territoire est fait de lieux qui sont liés. Il est de l'ordre du réel et a une réalité complexe. Il existe ainsi plusieurs sortes de territoires et plusieurs échelles (territoire de l'Europe, national, régional...).

De ces trois définitions peut naître une première réflexion. Selon R.Brunet, "le territoire renvoie en fait à l'existence de l'État, dont la légitimité se mesure en grande partie à sa capacité à garantir l'intégrité territoriale. C'est aussi l'État qui doit assurer une autorité territoriale sur un espace reconnu, à l'intérieur par toute la population, à l'extérieur par les autres États, et borné par des limites bien définies..." Or, comment l'État perçoit-il l'arrivée de cet espace virtuel qui ne connaît pas de frontière ? Ne conçoit-il pas ce territoire virtuel comme une opportunité de réaffirmer son influence sur le territoire au sens géographique du terme ? A quoi correspond son action ? Essaie-t-il de l'apprivoiser par exemple par l'occupation de sites Internet ?, et plus encore par la mise en place d'un maillage électronique sur son territoire devant constituer les piliers de la société de l'information ? Est-ce que cet espace virtuel peut permettre un déplacement du lien social, qui est un des facteurs essentiels de la territorialité ? Cette dernière question implique d'étudier plus en profondeur ce concept de territorialité.

La territorialité est selon Claude Raffestin " un système de relations à l'altérité " . Est territorialité tout rapport avec autrui, toute relation sociale sur un territoire. E.Soja définit la territorialité comme " un phénomène de comportement associé à l'organisation de l'espace en sphères d'influence ou en territoires clairement délimités, qui prennent des caractères distinctifs et peuvent être considérés au moins partiellement comme exclusifs par leurs occupants ou ceux qui les définissent...l'homme est un animal territorial et la territorialité affecte le comportement humain à toutes les échelles de l'activité sociale ".

Marcel Roncayolo s'attarde sur les fonctions de la territorialité. Elles ont pour point d'ancrage une origine sociale. L'identité est la première des fonctions observées. Elle renvoie à un sentiment d'appartenance géographique à un pays ou à une culture. Il note également la relation entre intimité (privacy) et sociabilité. Cette notion oppose " l'intérieur et l'extérieur, le domaine de la famille et celui des relations de voisinage ou de connaissance, le " coin " de l'individu et le lieu de rencontre entre membres de la famille ". Enfin, la troisième fonction de la territorialité se retrouve dans la lisibilité et l'imagibilité, c'est la notion de perception de l'espace, de sa représentation. Roncayolo ajoute à la théorie de Kevyn Lynch , la référence culturelle qui fournit de meilleurs repères et une appropriation plus profonde que ne le fait l'architecture urbaine.

Peut-on considérer que le cyberespace ou l'espace virtuel possède les attributs de la territorialité ? Existe-t-il pour les utilisateurs du cyberespace un sentiment identitaire important, vis à vis notamment de cette cyberculture ? Ou bien cette cyberculture ne correspond-elle qu'à un phénomène de mode ? Et d'ailleurs, à quoi correspondent les notions de virtuel et d'immatériel ? L'approche de ces deux notions peut faciliter la perception de leur rôle dans l'évolution des territoires.

L'immatériel est une notion largement répandue qui entoure les débats sur la "société de l'information". Selon Charles Goldfinger, " l'immatériel est synonyme d'insaisissable, de ce que l'on a du mal à capter et à visualiser. Le caractère protéiforme des immatériels fait de leur classement un exercice menacé à tout moment de précarité... Les services en particulier souffrent de la malédiction de leur nom : ils sont perçus comme des épiphénomènes résiduels et précaires " .

L'immatériel est constitué par l'information sous forme de loisir (jeux vidéos), de l'audiovisuel, de transactions des marchés financiers internationaux... Dans le monde de l'immatériel, les frontières sont mouvantes et le chevauchement entre les activités est fréquent. " Il s'agit d'un monde où règne l'ambiguïté, la logique " floue ", un monde ni noir ni blanc, ni tout à fait rationnel, ni complètement irrationnel, en partie économique, en partie spirituel ... Les immatériels sont à la fois éphémères et durables, frivoles et graves, immobiles et mobiles, enrichissants et réducteurs, uniques et reproductibles à l'infini. Ils favorisent la globalisation, en même temps qu'ils forment le refuge des particularismes." explique l'auteur dans son ouvrage " L'utile et le futile ". Il évoque une logique de la dématérialisation qui va bien au delà de l'économie. Elle altère les liens traditionnels d'appartenance et de solidarités sociales. Il parle ainsi d'un environnement déroutant, marqué non pas par la disparition des repères géographiques et temporels mais plutôt par leur prolifération, générant la création de nouvelles communautés réactives et électives. Ainsi, à la dualité traditionnelle monde naturel/monde artificiel, se substitue une triade qui serait composée par monde naturel/monde artificiel/ monde virtuel, soulevant des questions fondamentales sur la nature de la réalité.

Les discussions sur le virtuel sont très anciennes. Dans la philosophie scolastique, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. La notion de " virtuel " a été particulièrement bien étudiée dans l'ouvrage de Pierre Lévy " Qu'est-ce que le virtuel ? " . L'idée de base est qu'il ne faut absolument pas opposer le virtuel -qui serait " le monde du faux "- au réel qui représenterait " le monde du vrai ". Selon l'auteur, le virtuel ne s'oppose pas au réel mais à l'actuel. Pierre Lévy prend l'exemple d'une graine, qui, si elle est nécessaire à l'arbre, ne formera pas forcément l'arbre, et ne " connaît " pas non plus exactement la forme de l'arbre " qui épanouira son feuillage au-dessus d'elle ".

Dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, le virtuel se réfère à deux concepts distincts : " celui des potentialités, du latent, du virtuellement acquis, et celui de l'image, de l'apparence, de la reconstitution d'un monde artificiel bien réel " explique Michel Feneyrol, Directeur du CNET, dans son ouvrage " Télécommunication :réalités et virtualités, un avenir pour le XXI° siècle " .

Souvent, l'idée du virtuel s'oppose au territorial, à l'inscrit. La référence à l'espace se fait surtout dans le cadre de la déterritorialisation. Ainsi, Pierre Lévy rapproche le concept de " virtualisation " à celui de " déterritorialisation ". Pour approcher cette notion de déterritorialisation, il est nécessaire d'étudier celle du réseau et des mythes qui l'entourent.

Le réseau est un véritable terme " valise ". C'est un concept nomade et mal identifié. La géographie développe deux acceptions du réseau, la première topographique fondée sur le principe de la contiguïté (réseau hydrographique), la seconde topologique, fondée sur la distance et la mise en connexion de multiples relations spatiales.

Les réseaux de télécommunication s'inscrivent dans l'espace géographique, ils maillent le territoire. Avec eux, émergent les mythes simplificateurs sur l'organisation et l'aménagement du territoire Parmi lesquels ceux de la transparence et de l'homogénéité spatiale . Contrairement aux autres réseaux, les réseaux de télécommunications ne " marquent " pas le paysage ce qui contribue à créer le mythe de la neutralité spatiale. Par analogie, découle le mythe de la déterritorialisation des échanges, né de l'instantanéité des relations dans des espaces sans distance. Pierre Lévy parle ainsi d'une économie de la déterritorialisation ou de la virtualisation caractéristique du cas de la finance . De la déterritorialisation naît un autre mythe simplificateur : celui de la reterritorialisation ou la restructuration spatiale par les technologies de l'information.

Toutes les notions qui viennent d'être précisées alimentent donc le débat territorial. On peut entendre par "débat territorial", les questions relatives à l'évolution des territoires sous l'action des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Essayons maintenant de présenter le rôle de l'acteur public sur ces territoires et de voir quelle est sa position vis à vis de la notion de "société de l'information".

De l'acteur public

L'acteur public occupe une place centrale dans l'édification de la "société de l'information ". Son intervention s'effectue à tous les échelons du territoire, à savoir le local, le national et le supranational. Nous entendons par acteur public, celui qui met en place et exécute les politiques publiques. C'est par exemple la commission européenne, le gouvernement français, l'équipe municipale... L'évocation de la " société de l'information " donne la possibilité de développer des programmes de politiques publiques, notamment par la publication de rapports officiels qui justifient leurs futures interventions sur le territoire. Avant d'aller plus en avant dans le débat, il semble nécessaire de préciser le concept de politiques publiques. Il tire son origine du paradigme anglo-saxon de policy analysis, qui " donne d'emblée à l'analyse des politiques publiques un aspect pragmatique." explique Emmanuel Négrier qui admet comme définition :

" l'ensemble des opérations et activités par lesquelles les détenteurs du pouvoir gouvernemental -et ceux qui les assistent- :

1) conçoivent des projets destinés soit à modifier la situation existante soit à infléchir les évolutions prévisibles,

2) prennent les décisions destinées à traduire ces projets dans les faits. "

Pierre Muller développe une approche des politiques publiques fondée sur la différence entre les sociétés territoriales (où chaque territoire fonctionne de manière autonome) et les sociétés sectorielles. Pour lui, les sociétés sectorielles sont composées d'individus qui ont une identité définie par rapport à un groupe social et professionnel et non plus par le territoire. Une des questions que soulève P.Muller concerne la représentation des usagers par rapport à l'incertitude des territoires (qui s'organisent toujours plus sur le mode de territoires-réseaux) qu'ils habitent . Cette incertitude ne risque-t-elle pas d'être de plus en plus profonde dans la mesure où semble s'établir une communication-monde dont la logique est de fonctionner sur le mode " universel " ? Et dans ce cas de quels moyens dispose l'État pour manifester son contrôle et son autorité sur sa population ? Pour lui signifier que le territoire national reste le lieu de la construction de la citoyenneté et du contrat social ?

Les politiques publiques s'organisent sous la forme " d'un ensemble de pratiques ou de normes émanant d'un ou de plusieurs acteurs publics " . P.Mény et J.C.Thoenig ont identifié cinq caractéristiques qualifiant les politiques publiques :

A un niveau d'autorité publique, correspond généralement un échelon territorial.

Le niveau supranational est compris dans le mémoire comme correspondant à des regroupements de pays au sein d'un même continent, on pense par exemple à l'Union Européenne, dont l'instance de régulation est la commission européenne. L'analyse de la " société de l'information " au niveau supranational ouvre un certain nombre de questions :

Comment l'Union européenne, qui a du mal à se trouver un territoire et des valeurs communes du fait de sa pluralité culturelle et linguistique, utilise-t-elle la thématique " société de l'information " comme argument de la construction d'une territorialité ? Comment organise-t-elle son action ? Comment gère-t-elle le processus de déréglementation des télécommunications dans la mesure où coexistent plusieurs styles de capitalismes en Europe ?

Le niveau national témoigne d'autres enjeux. Son intérêt face à la mise en place de la "société de l'information" coïncide avec une période de crainte de voir sa souveraineté menacée de l'intérieur par la décentralisation, et de l'extérieur par la construction européenne (on parlera des effets de la mondialisation et de la globalisation un peu plus tard). La crise de l'État-nation évoquée par de nombreux auteurs a semble-t-il provoqué la mise en place de "politiques publiques défensives ".

Comment les gouvernements gèrent-ils cette situation de crise ? La mise en place de la "société de l'information" ne représente-t-elle pas pour la France une opportunité de se rapprocher de ses citoyens, en développant notamment une nouvelle idée de citoyenneté -plus (inter)active- et de démocratie ? De même, Internet (en attendant les autoroutes de l'information) n'apparaît-il pas comme un moyen de défendre la francophonie dans le monde (Sommet de Cotounou) ? Enfin, quelle position la France adopte-t-elle face à une mise en place communautaire de la " société de l'information " (dans la logique de la construction européenne) ? Renonce-t-elle à sa tradition " colbertiste " afin de ne pas gêner le processus européen de cohésion économique, politique, sociale et culturel si difficile à instaurer ? Ou au contraire, fait-elle valoir son expérience dans le domaine de la télématique et plus généralement dans la construction de grands projets, pour revendiquer un mode de développement à la française et ainsi réaffirmer une souveraineté menacée ?

Le niveau local est le lieu des expérimentations, c'est au niveau local que les projets se construisent, se renforcent ou disparaissent, là où pour la première fois, le discours rencontre le territoire. Le local engendre une relecture des politiques publiques qui s'adaptent en fonction du terrain d'expérimentation, et les NTIC ouvrent très souvent un nouveau champ d'intervention aux collectivités, et donc de nouvelles responsabilités avec la recherche de financement des projets. Il est un terrain d'expérimentation de nouveaux fonctionnements sociaux, le lieu d'action de la DATAR et de l'aménagement du territoire, et permet également de tester la viabilité de nouveaux marchés.

Comment les pouvoirs publics locaux réagissent-ils par rapport à la mise en place de la " société de l'information " ? En quoi le cyberespace offre-t-il un nouveau champ de mise en lisibilité du pouvoir local ? Quelles sont les collectivités les plus actives dans l'occupation de ce cyberespace ? Dans quelle mesure favorise-t-il une interpénétration des politiques publiques à différents niveaux de compétence (Europe, État, Région, Département...) ?

L'acteur public participe donc activement aux débats sur l'édification de la " société de l'information ". Que ce soit au niveau supranational (l'Europe), de l'État, ou des collectivités territoriales, son action politique est très sensible à l'émergence de l'information comme variable essentielle de la société contemporaine. Si nous privilégions dans ce mémoire, le niveau de l'État comme autorité de référence, c'est parce que la mise en place de la "société de l'information" passe obligatoirement par la volonté de l'État, et cela, même si les célèbres autoroutes de l'information seront vraisemblablement construites par l'acteur privé. Une définition résume bien son rôle dans la société : "Une communauté d'hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d'où résulte pour le groupe, envisagé dans ses rapports avec ses membres, une puissance suprême d'action, de commandement et de coercition" .

Malgré tout, cette "puissance suprême d'action" tend à diminuer. Nous avons évoquer plus haut les possibles conséquences de la décentralisation, et celles de la construction européenne, il peut être utile d'aborder maintenant, les concepts de mondialisation, de globalisation et de glocalisation, afin de mieux saisir leurs impacts sur le territoire et leurs conséquences sur la souveraineté de l'État.

L'analyse de la mondialisation se décline en premier lieu sur le plan économique. Fernand Braudel a défini et approfondi la notion d'économie-monde. Il rappelle la permanence de cette économie-monde : " Il y a eu des économies-monde depuis toujours, du moins depuis très longtemps. De même qu'il y a eu des sociétés, des civilisations, des États, et même des empires " . Cette économie-monde s'est toujours appuyée sur d'importants et puissants réseaux de communication, et, à partir du XVI° siècle, trois règles générales de fonctionnement s'imposent à elle : lenteur des transformations due à la distance, existence systématique d'un centre, d'une ville dominante, hiérarchisation des espaces entre centre et périphérie. La mondialisation est avant tout identifiée comme étant un phénomène économique issu de l'internationalisation des échanges. " La mondialisation, c'est d'abord un processus de transactions, né des échanges qui s'établissent entre les différentes parties du globe. " explique Olivier Dollfus dans " Les espaces de la mondialisation " , qui ajoute aussitôt " Mais la mondialisation c'est également le concept qui traduit les changements de toutes sortes (créations, destructions, mélanges...) apportés par cet échange généralisé à l'ensemble de l'humanité ".

Philippe Engelhard dans son ouvrage " L'homme mondial " appréhende la notion de mondialisation dans sa globalité. Il établit le lien entre le mondial et le global, et évoque la mondialisation en tant que basculement de civilisation. Selon lui, c'est la combinaison de trois dynamiques convergentes en cette fin de siècle : la mondialisation de l'économie, la remise en cause de l'État-providence et plus globalement de l'État, et enfin la destruction généralisée des cultures, au Nord comme au Sud, " par le rouleau compresseur de la communication, de la mercantilisation et de la technologie. "

Il semble donc que les technologies de l'information et de la communication soient en grande partie responsables de la montée en puissance de la mondialisation, qui peu à peu, tend à être remplacée par le phénomène de globalisation.

Olivier Dollfus estime que la globalisation " apparaît comme le dernier avatar de la mondialisation " . D'après lui, les principales caractéristiques de la globalisation sont l'instantanéité de la circulation de l'information, l'autonomie de la sphère financière, le rôle grandissant des firmes mondiales, le néolibéralisme nouvelle idéologie dominante, le marché comme l'instance de régulation générale. " Les forces à l'œuvre s'appuient sur des réseaux, et leur maîtrise l'emporte sur celle des territoires qui marquaient le temps des empires et de la mondialisation par les États. " estime-t-il.

La notion de " réseau " dans le processus de " globalisation " est omniprésente. Les réseaux de la mondialisation avaient pour application la fluidité économique des échanges. Aujourd'hui, si les phénomènes associés à la globalisation mettent en évidence l'importance économique des réseaux, permettant l'accélération des échanges de biens et services et des flux financiers, bref l'extension du capitalisme mondial, ceux-ci gagnent une dimension sociétale et culturelle qui permet de toucher une plus large population. Internet en est le plus bel exemple. Non seulement il permet à une multitude d'entreprises de fonctionner chaque jour, mais il favorise aussi la communication interpersonnelle, des espaces de discussion, la consultation de sites consacrés à des thèmes les plus divers... La globalisation se traduit également par la convergence des modes de vie et l'universalité des valeurs. La dimension culturelle liée à la globalisation occupe une place de choix où les États-Unis sont un acteur central. Le concept " global " de la société de l'information concerne tout autant l'économie, la culture, les pratiques sociales, les institutions et les lois .

Un autre concept découle de la " globalisation ", celui de " glocalisation ". Né de la contraction entre les notions de " global " et de " local ", la glocalisation a été popularisée par A. Morita, le patron de Sony pour désigner un mode de gestion à la fois global et local de l'entreprise-réseau dans le cadre de l'économie mondialisée.

En géographie, la notion de " glocalisation " est une manière de souligner la persistance d'une inscription spatiale de phénomènes économiques, c'est la localisation des sites de production d'une multinationale dans des territoires. C'est donc l'articulation accrue des territoires locaux à l'économie mondiale .

Si la glocalisation est une notion intimement liée à la discipline économique, certains n'hésitent pas à s'en approprier l'idée générale pour d'autres domaines d'étude, notamment celui des technologies de l'information. C'est le cas de Blaise Galland, qui évoque la " glocalisation " pour qualifier un nouveau processus d'appropriation de l'espace par les nouvelles technologies. Il donne ainsi une conception nouvelle et personnelle de la " glocalisation " comme étant " le processus double par lequel la ville se décharge de sa fonction de production, d'échange et de traitement de l'information en la déplaçant dans le cyberespace, tout en développant, conséquemment, de nouvelles formes d'organisations socio-spatiales au niveau local. " Le "glocal" semble ainsi être une échelle de raisonnement particulièrement bien adaptée aux réseaux immatériels. Henri Bakis dit à ce sujet : " Les réseaux de la communication instantanée jettent dorénavant un pont immatériel entre les divers niveaux de l'espace géographique. Les réseaux immatériels se situent entre le local et le global, permettant une articulation inédite entre ces deux échelles, comme d'ailleurs entre bien d'autres niveaux scalaires (continent, états, régions, villes...). "

Cette dernière citation résume relativement bien la complexité des enjeux que soulèvent la mise en place d'une infrastructure électronique, et plus globalement de la "société de l'information". Les phénomènes de globalisation et de " glocalisation " mettent en évidence une situation difficile à gérer pour l'État français dans la mesure où en France " toute intrusion du monde extérieur est souvent considérée comme un assaut contre l'identité française " . Or, la mise en place de cette " société de l'information " semble devoir s'effectuer au niveau mondial. On peut se douter que plusieurs États bénéficient ou vont bénéficier de cette ouverture des économies (États-Unis, Japon). La France elle, semble devoir s'adapter à ces transferts de pouvoir de l'État vers le marché mondial et ainsi, abandonner d'une certaine façon sa tradition de contrôle et de réglementation. Mais l'État, indépendamment de l'économie, conserve des fonctions importantes, dont celle de créer autour de lui une certaine identité nationale. Si la " société de l'information " risque d'être par définition une société globale (c'est en tout cas le souhait des États-Unis), l'État français a sans doute un rôle important à jouer au niveau économique en tant que régulateur, et un défi à relever au niveau politique, celui de maîtriser de nouveaux outils (les technologies de l'information et de communication) afin de réduire le décalage qui s'est créé entre l'action politique et la société civile.


Société de l'information, politiques publiques et enjeux territoriaux
Septembre 1997 - Sous la direction d'Emmanuel Eveno

Université de Toulouse Le Mirail (UFR de géographie)

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Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon-local/