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Attentes citoyennes

Par Roland Cayrol


Les citoyens souhaitent être plus et mieux informés des décisions publiques. N'est-ce pas le reflet d'un changement de culture qui, peu à peu, s'installe dans notre société ?

Aujourd'hui, la balle est plutôt dans le camp des politiques...

Le sondeur peut en témoigner : la réclamation par les citoyens d'un approfondissement de la démocratie locale constitue une demande fondamentale de l'opinion. Il ne s'agit pas simplement d'un vague air du temps - dans tous les secteurs de la vie sociale, tout le monde veut aujourd'hui être mieux tenu au courant - mais bien d'une revendication structurante.

Dans toutes les enquêtes, à tous les niveaux - quartier, commune, département, région - les habitants, à de fortes majorités, disent souhaiter être plus et mieux informés et affirment ne pas l'être assez. Même dans les cas où ils apprécient les efforts d'information déjà accomplis par la collectivité locale concernée, ils souhaitent une amélioration et la multiplication des moyens et des canaux d'information. A cette demande récurrente se joint, tout aussi majoritai-rement, celle d'être "mis dans le coup" des décisions les concernant. Je sais bien que cette soif de participation est parfois mise en doute par les décideurs. Tel maire me disait encore récemment : "c'est bien joli, votre demande citoyenne, mais quand j'essaie d'organiser des réunions publiques, il ne vient presque personne. "

C'est vrai : on ne s'habitue pas si vite à la réalité d'une vie démocratique participative et il est plus facile de protester que de s'engager ; c'est un véritable changement des habitudes culturelles dont il s'agit, qui prendra du temps. Et les élus ne pourront s'estimer quittes parce qu'ils auront organisé quelques réunions.

La balle dans le camp des politiques

Surtout, il ne faut pas, je crois, se méprendre sur les contours de la demande de participation citoyenne. Nous vivons, en politique aussi, une période où la consommation s'est faite reine. Comme citoyens aussi, nous souhaitons pouvoir être des consommateurs de participation, c'est-à-dire des gens à qui l'on offre la possibilité de participer, libre à nous de nous en servir ou pas. Souvent, nous ne nous en servirons pas, mais nous souhaitons être mis dans la condition de pouvoir le faire... Cette demande est du coup parfois difficile à accepter par les politiques.

Disons-le pourtant : ce sont les errements passés des élus qui expliquent en grande partie la force de la demande citoyenne. Si, dans la hiérarchie des mandats politiques, les Français sont restés plus attachés à leurs élus locaux qu'à leurs représentants nationaux, ils reprochent à l'ensemble des mandataires leur pratique du cumul des mandats, leur éloignement des préoccupations quotidiennes des habitants et leur capacité à manier une langue de bois de spécialistes. Dans le souhait de voir supprimer le cumul des mandats, entre d'ailleurs, chez l'électeur, la volonté de mieux avoir son élu "sous la main", mieux à sa disposition et sous son contrôle. Dans le dossier de la démocratie locale, la balle est donc, d'abord, dans le camp des politiques. Il y a du temps perdu à rattraper.

Qu'on me permette ici, dans ce texte tout à fait personnel, d'aller un peu plus loin. Reconnaissons une part de facilité du côté des citoyens qui donnent l'impression de vouloir le beurre et l'argent du beurre. Il est évidemment simple de réclamer plus de participation et d'aller de moins en moins voter. Il est aisé de revendiquer plus d'intérêt pour la chose publique et de passer de plus en plus de temps devant la télé... L'auteur de ces lignes ne croit guère pour autant à la vertu de cette nouvelle "gauche scrogneugneu", à la Régis Debray ou à la Jacques Julliard, qui dirait aux citoyens ce qu'ils doivent penser et comment ils doivent se comporter. Il faut se méfier d'un discours prétendument républicain, dont l'effet immédiat semble d'exalter les thèmes les plus conservateurs et répressifs de la tradition républicaine de ce pays.

Le local oui, mais ouvert au global

Nous sommes tous un peu responsables de l'apathie citoyenne et du décalage entre la montée de l'abstention et la revendication participative. Dans une société par ailleurs prête à se mettre en mouvement sur bien des terrains, je veux dire à négocier son avenir avec elle-même, il me semble plutôt que la tâche des intellectuels, des militants, du mouvement associatif, devrait être, pour reprendre un joli mot québécois, celle de "facilitateurs" à l'égard des initiatives citoyennes.

On peut en effet évoquer ici le risque d'une division du travail entre la société politique et la société civile (aux politiques les institutions, aux citoyens et à leurs mouvements associatifs les préoccupations de la vie quotidienne). C'est au contraire la dialectique du civil et du politique, leur interaction, qu'il faut promouvoir. La réflexion à engager doit, me semble-t-il, à partir du local, englober l'Etat et le citoyen. Car à trop séparer civil et politique, à trop cantonner la demande citoyenne au seul niveau local, on court le risque d'une dérive à l'américaine, vers une société de démocratie locale participative réelle (ce qui, au demeurant, serait ici un beau progrès) mais cohabitant avec une vie nationale et internationale où le discours sur la liberté et les droits de l'homme recouvre en fait l'injection quotidienne de processus de réduction de la démocratie...

La recherche de démocratie locale est cruciale ; ne l'isolons pas du combat pour la démocratie tout court !

Roland Cayrol

Directeur de l'institut de sondages CSA

Source : Territoires n° 393 - décembre 1998 "1998 : l'année de la démocratie locale"


Sol & Civilisation - La lettre, numéro 11, mars 1999

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Horizon Local 1996-99
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