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Approches intégrées de développement urbain

Par Quartier en Crise


Introduction

  1. Quartiers en crise, les approches intégrées de développement urbain
    1. Les quartiers en crise : quelle réalité ?
    2. Rappel de quelques notions à propos des approches intégrées de développement urbain
    3. Troisième programme "Quartiers en crise"
  2. Résultat
    1. Développement économique, emploi et revitalisation des quartiers en crise
    2. Valorisation des ressources humaines et culturelles dans les quartiers en crise
    3. Restauration de l'habitat et projets urbains dans les quartiers en crise
  3. Conclusions et recommandations
    1. Les approches intégrées de développement urbain.- La synergie entre des politiques
    2. Propositions et recommandations concernant le réseau Quartiers en Crise

Préambule

Le programme de l'Association Européenne pour la Revitalisation des Quartiers en Crise a été réalisé avec le soutien de la Commission de l'Union Européenne (Direction Générale V, programme Horizon) et des villes membres du réseau. Un soutien financier a également été fourni par des Etats-membre et par des autorités régionales et locales.

Les villes membres du réseau se sont organisées en 5 groupes pour réaliser les séminaires d'échanges. Chaque groupe était coordonné par une ville leader et animé par un chercheur.

Le secrétariat général a été assuré par Henk Cornelissen (Pays-Bas) et Nicole Purnôde (Belgique). Fred Stafleu a assuré la compta-bilité, Thérèse Claeys Bouuaert la gestion administrative et Géraldine Tierney la coordi-nation du programme.

La recherche et la rédaction du rapport ont été prises en charge par Jon Dawson (European Institute for Urban Affairs, Université John Moore - Liverpool), Rolf Froessler (Urbano, Dortmund), Claude Jacquier et Jaime A. Perez (Centre de recherche sur les mutations territoriales et les politiques des villes - CIVIL, Université Pierre Mendès France, Grenoble).

Une partie de la recherche a été financée par le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie (Allemagne), le gouvernement des Pays-Bas, la ville de Belfast, le Scottish Office, la Délégation Interministérielle à la Ville-DIV et le Centre National de la Recherche Scientifique - CNRS (France).

Le contenu de ce rapport n'engage que la responsabilité de leurs auteurs.

Pour toute information complémentaire con-cernant le programme, veuillez contacter Quartiers en Crise

Introduction

Le maintien de la cohésion sociale des territoires urbains est le défi majeur qu'auront à affronter les pays et les villes dans les prochaines années. L'ouverture crois-sante des économies sur les grands mar-chés mondiaux, la concurrence que se livrent les entreprises, la course aux gains de productivité, toutes ces tendances con-duisent à accélérer les mouvements centri-fuges au sein de nos sociétés européennes et la mise en question des anciens équi-libres sociaux au sein des villes. Désormais, les phénomènes de ségréga-tion spatiale et de "relégation" des popu-lations démunies sur certains territoires des villes sont inscrits en bonne place dans les préoccupations des responsables publics des Etats et des collectivités locales de l'Union Européenne.

Parallèlement, et corrélativement, on assiste à un affaiblissement de l'efficacité des systè-mes de régulation et de gourvernement des pays occidentaux. Le constat d'une crise de l'Etat-providence est établi dans des termes a peu près semblables dans tous les pays. Cette crise est particulièrement visible dans les villes qui ont a faire face, en quelque sorte en première ligne, à ces phénomènes de ruptures des liens sociaux et qui ont à imaginer des politiques novatrices capables d'aider à la reconstruction des réseaux de solidarité.

Ce rapport de synthèse est plus particuliè-rement consacré à ce volet des initiatives lancées dans les pays-membre et les villes de l'Union Européenne. L'accent a donc été mis sur les politiques et les approches intégrées de développement urbain initiées par les responsables locaux dans trois domaines particuliers : le développement économique et l'emploi, la valorisation des ressources humaines et culturelles, la restauration de l'habitat et les projets urbains. L'objectif de cette présentation synthétique est principalement de souligner quels ont été les principes d'actions mis en oeuvre par les villes. La présentation détaillée de certains de ces programmes et projets figure dans les rapports particuliers consacrés aux groupes de villes.

L'accent mis sur la présentation de ces initiatives ne signifie pas que la question du diagnostic de la situation des territoires urbains ait été négligée. Pour notre part, nous y avons consacré une partie impor-tante de nos rapports précédents. Ces situations urbaines sont par ailleurs décrites dans les rapports des groupes de villes qui sont joints à ce rapport de synthèse. L'étude des caractéristiques de la réalité urbaine, des manifestations de la ségré-gation spatiale et de l'organisation politique et administrative des villes est cependant loin d'être parfaitement établie et devrait, à l'avenir, faire l'objet de recherches plus systématiques.

La première partie de ce rapport de syn-thèse est consacré à la présentation des objectifs du programmes et des méthodes de travail retenues. La seconde partie relate les résultats des travaux des groupes de villes selon les trois volets retenus (développement économique et emploi, valorisation des ressources humaines et culturelles, restauration de l'habitat et projets urbains). La dernière partie est con-sacrée à des propositions et à des recom-mandations adressées au réseau des villes, aux Etats-membre et à l'Union Européenne.

QUARTIERS EN CRISE : LES APPROCHES INTEGREES DE DEVELOPPEMENT URBAIN.

Les quartiers en crise : quelle réalité ?

Quelle que soit leur position sur l'échelle de la prospérité, toutes les villes européennes secrètent en leur sein des territoires qui sont le lieu d'accueil privilégié des populations en situation difficile, territoires que l'on qualifie un peu brutalement de "quartiers en crise".

Ce constat n'est pas nouveau. De tout temps les villes ont connu ces quartiers fortement stigmatisés, ces lieux-refuge de populations rejetées par le reste de la ville. A l'évidence le fait nouveau n'est pas là. Il réside plutôt dans l'approfondissement du fossé qui s'est instauré entre la ville qui gagne, branchée qu'elle est sur l'économie internationale, et cette ville-là qui, jour après jour, semble de moins en moins bénéficier des retombées de cette richesse économique.

La question essentielle est donc moins celle de l'existence d'une ségrégation territoriale que celle du blocage progressif des méca-nismes de redistribution des richesses au sein des villes générant ce que l'on appelle la ville à plusieurs vitesses à tous les points de vue (économique, social, politique et institu-tionnel,...) avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer pour la stabilité de nos sociétés devenues de plus en plus urbaines.

Cette situation interroge des principes bien établis et les référentiels de l'action des responsables publics au sein de l'Union Européenne.

Tout d'abord, les territoires en difficulté ne sont pas uniquement ceux qui sont identifiés et retenus par la géographie prioritaire des aides publiques étatiques et communautaires. Dans un système économique qui pousse à la concentration des richesses dans les zones urbaines, ces territoires sont en effet de plus en plus localisés dans les métropoles. Plus précisément, ce sont les régions connaissant les plus forts taux de croissance qui ont eu tendance à attirer ces populations en difficulté et à favoriser leur concentration sur certains territoires des villes.

Par ailleurs, ces territoires urbains ne sont pas déterminés une fois pour toute, ni ne pré-sentent les mêmes caractéristiques d'un pays à l'autre ou au sein d'un même pays. Comme nous avons eu l'occasion de le souligner dans nos rapports précédents, les quartiers en crise rassemblent l'éventail de toutes les formes architecturales et urbaines possibles (quartiers anciens centraux, anciens faubourgs, cités ouvrières, grands ensembles, zones pavil-lonnaires). Ce ne sont pas forcément des lieux de concentration de populations étran-gères y compris dans les pays qui ont connu d'importants flux d'immigration dans le passé. Ce ne sont pas non plus forcément des quartiers monofonc-tionnels sans activités économiques. Par delà leur diversité et la litanie des maux qui peuvent y être identifiés (chômage, échec scolaire, délinquance, toxi-comanie, etc.), ces territoires présentent souvent la caractéristique d'être fortement stigmatisé et mis à distance du reste de la ville (stigmate historique, coupure dûe à une voierie importante ou à une zone d'activité, proximité d'installations polluantes, etc.).

En fait, il n'y a pas de raison pathologique particulière, ni de déterminisme unique per-mettant d'expliquer de telles situations urbai-nes, mais un ensemble de mécanismes qui prennent leur source à différents niveaux de la structure urbaine. Dès lors, les politiques et les programmes à mettre en oeuvre pour maîtriser et transformer ces situations ne peuvent plus se limiter à des réponses spécialisées et sectorielles qui sont elles-mêmes considérées comme accentuant les maux (cf. les logiques de l'assistance). Il faut faire avec la ville telle qu'elle existe ce qui suppose la simultanéité des actions et la nécessité d'articuler autrement les champs et les instruments de l'intervention publique. C'est ce que proposent les approches intégrées de développement urbain.

Rappel de quelques notions à propos des approches intégrées de développement urbain :

Les approches intégrées de développe-ment urbain qui constituent le thème central sur lequel porte les échanges au sein du réseau Quartiers en Crise font appel à certaines notions essentielles qu'il est bon de rappeler en préambule d'un exposé des résultats des travaux.

Ce sont des approches globales qui doivent prendre en compte la diversité et la complexité des processus de transforma-tion en cours dans les sociétés urbaines. Tous les programmes imaginés dans le cadre de ces approches (revitalisation économique, amélioration de l'habitat, valo-risation des ressources humaines et cultu-relles) doivent être mis en synergie pour produire plus d'effets que celle qui résul-terait de leur mise en oeuvre isolément.

Ce sont des approches transversales et interpartenariales. La mise en synergie de ces actions suppose que l'on puissent faire travailler ensemble et en même temps des acteurs spécialisés dans leur propre domai-ne de compétence. Les approches intégrées ont pour objectif de faire travailler ensemble des acteurs qui jusqu'à présent s'ignoraient, de modifier leurs manières de penser et d'agir, voire de promouvoir une rénovation des systèmes de gestion plus adaptés à la complexité des problèmes rencontrés. Ce partenariat doit être construit avec les habi-tants, les partenaires les plus concernés par les programmes mis en oeuvre car ce sont eux qui rendront durables les actions entre-prises et qui contraindront les systèmes de gestion à adapter les services rendus.

La territorialisation de ces approches est une des conditions de la réussite de l'action. Promouvoir une synergie entre partenaires suppose d'agir dans un cadre territorial bien défini (par exemple le quartier) afin de jouer des effets de proximité et de complémentarité. Cela ne signifie pas que toutes les solutions doivent être trouvées dans ce cadre territorial, mais que ce territoire est le lieu approprié pour porter un diagnostic pertinent sur les diffi-cultés que connaissent les populations et pour mobiliser tous les réseaux familiaux, communautaires et institutionnels capables de saisir les opportunités qui se présentent. Ceci dit, les approches intégrées de revitalisation doivent être articulées à des politiques plus globales au niveau des agglomérations afin que les initiatives prises à cette échelle de gestion n'aient pas d'effets contradictoires avec les stratégies conduites dans les quartiers.

L'élaboration de projets concrets est la seconde condition de la réussite des appro-ches intégrées. Le partenariat, c'est-à-dire la concertation entre les acteurs et l'implica-tion des habitants, ne peut se construire dans l'abstrait. L'élaboration de projets en commun par les différents partenaires, dont les habitants, permet une mobilisation con-structive capable de favoriser le dynamis-me d'un quartier. Elle suppose d'accorder beaucoup d'attention à la durée et aux rythmes de mise en oeuvre des projets, tant il est vrai que le rythme de l'intervention n'est pas le même pour les élus et les techniciens que pour les habitants Elle permet en outre de dépasser la logique de la spirale des revendications disparates se traduisant bien souvent en un gaspillage de subven-tions (logique du clientélisme) et de lutter contre la logique de l'assistance en formant les habitants aux questions de la prise en charge de leurs problèmes et de la gestion de leur quartier. La pratique du projet est une propédeutique de la citoyenneté.

Enfin les approches intégrées doivent faire l'objet d'une contractualisation avec les différentes autorités et les divers organismes de financement. Le contrat est la manifes-tation que les partenaires s'engagent sur des objectifs précis et selon un échéancier de réalisation qui crédibilisent le programme envisagé. La procédure contractuelle permet en outre de définir clairement le système de gestion de la politique de revitalisation en confiant à un comité de pilotage partenarial la maîtrise du processus engagé et à une équipe opérationnelle son exécution techni-que. Ce comité de pilotage et cette équipe opérationnelle constituent en quelque sorte un laboratoire de la rénovation des systèmes de gestion politico-administratifs de la ville, qui nous l'avons souligné, ont souvent eu un rôle amplificateur de la crise des quartiers.

Troisième programme : Quartiers en Crise

La formulation et la mise en oeuvre de cette stratégie ne vont pas de soi. Elles résultent de tâtonnements et d'un patient travail de praticiens de terrain relayé par des élus particulièrement conscients des nouveaux enjeux qu'ont à affronter les quartiers et leurs populations. Les approches intégrées de développement ne se décrètent pas. Elles se construisent au jour le jour à travers des échecs et des réussites.

La confrontation des pratiques au sein de chaque pays mais aussi et surtout à l'échelle européenne est une des manières de contribuer à leur élaboration.

Les deux programmes d'échange et de coopération successifs conduits par le réseau Quartiers en Crise entre 1989 et 1993 tout d'abord avec 10, puis avec 25 villes appartenant aux divers Etats-membre de l'Union Européenne ont permis de construire un savoir commun en ce domaine qui a donné lieu à la publication de des rapports signalés plus haut.

Les orientations

Compte tenu des résultats obtenus au fil des précédents programmes et des demandes formulées par les villes, en 1994, le troisième programme a défini plusieurs orientations de travail.

La première orientation a consisté à élargir le champ des préoccupations en passant d'un simple échange de savoir-faire à des activités d'assistance technique, de formation et de recherche-évaluation.

La seconde orientation a consisté à cibler le questionnement sur des thèmes mieux circon-scrits afin de réaliser l'effort d'approfondisse-ment que les villes attendaient. Trois thèmes sont apparus comme devant faire l'objet d'une réflexion particulière dans le cadre des appro-ches intégrées de développement urbain :

1 - le développement économique et l'emploi

2 - les projets de valorisation des ressources humaines et culturelles

3 - la restauration de l'habitat et les projets urbains

Le premier de ces thèmes est apparu comme une préoccupation majeure des villes engagées dans le programme Quartiers en Crise. Pour beaucoup d'entre elles, cette question fondamentale condi-tionne largement les processus de revitali-sation des quartiers en difficulté et impose que l'on y consacre l'essentiel des moyens.

Cela dit les deux autres thèmes n'en ont pas été pour autant négligés.

La prise en compte des ressources humai-nes et culturelles existantes au sein de ces quartiers est en soi une approche innovante qui conditionne largement tout processus de revitalisation des quartiers. En mettant cette dimension au coeur de la réflexion et en insis-tant sur la nécessité de valoriser ce qui est généralement considéré comme un handicap de ces quartiers (cf. leurs difficultés sociales), les villes sont conduites à porter un autre regard sur leur réalité.

Quant à la restauration de l'habitat, il s'agit d'un thème qui fait traditionnellement l'objet de la priorité des politiques de revitalisation des quartiers, souvent peut-être trop exclusive-ment. Dans la formulation retenue par le troisième programme, ce thème prend en compte la dimension "projets urbains" ce qui signifie que la revitalisation des quartiers ne se limite pas à des opérations cosmétiques mais qu'elle doit s'intégrer dans une réflexion prenant en compte l'échelle de la ville tout entière.

Enfin, il va de soi que chacun de ces deux derniers thèmes ne sont pas coupés des préoccupations ayant trait à l'économie et à l'emploi. A travers la restauration physique des quartiers et la mise en oeuvre de projets urbains se sont des opportunités d'activités et d'emplois qui peuvent être ainsi créées pour les habitants de ces quartiers. De même à travers la question de la valorisation des ressources humaines et culturelles des habitants de ces quar-tiers est soulignée leur capacité de jouer un rôle dans la société et dans l'appareil économique.

Organisation des groupes de ville

Compte tenu du nombre de villes-adhérentes au réseau "Quartiers en Crise" (30), il n'était plus possible comme dans le passé de mettre en oeuvre des échanges entre toutes les villes. Les thèmes retenus ont donc été à la base du rassemblement des villes au sein de groupes de travail.

Ce regroupement a essayé de tenir compte tout d'abord des souhaits exprimés par les villes (intérêts pour un thèmes, souhaits de coopération, affinités,...). Chaque ville a ainsi été amenée à formuler ses souhaits en matière de coopération.

D'autres critères ont été ensuite introduits pour permettre de répondre à certains objectifs politiques poursuivis par le réseau. S'agissant d'un programme européen, le premier principe a été d'éviter que les villes d'un même pays se concentrent sur un même thème de travail et dans un même groupe. Le second principe a été de regrouper de manière équilibrée les villes du nord, les villes "latines" et les villes nouvelles adhérentes afin que ces dernières puissent bénéficier de l'expé-rience des programmes précédents.

Le troisième principe a été d'associer des villes qui n'en sont pas au même stade de la mise en oeuvre de l'approche intégrée ou qui ne l'aborde ni dans les mêmes termes, ni avec les mêmes traditions afin d'utiliser au mieux les effets de complémentarité.

Dans la mesure du possible, ce regroupe-ment a tenu compte des caractéristiques des villes (taille démographique, type de quartier, similitude des problèmes rencon-trés) et des programmes et projets qui ont été lancés dans les quartiers (cf. le rapport intermédiaire et le rapport final du pro-gramme précédent). Il a aussi tenu compte des relations de coopération que certaines villes entretiennent déjà entre elles.

Finalement, il a été possible de constituer 5 goupes rassemblant de 5 à 7 villes chacun, ce qui est une bonne taille pour avoir des échanges fructueux, suffisamment diversifiés.

Trois groupes (G1, G2, G4) ont été constitués pour travailler sur le thème du développement économique et de l'emploi compte tenu de la forte demande en ce domaine. Un autre groupe(G3) a travaillé sur le thème de la valorisation des ressources humaines et culturelles. Enfin, un groupe (G5) s'est consa-cré plus particulièrement à la restauration de l'habitat et aux projets urbains.

Cette affichage des groupes de villes sur un thème ne signifie pas qu'ils ont privilégié uniquement cette dimension de leur inter-vention. Le travail sur ce thème a été envisagé dans le cadre d'une "approche intégrée de développement urbain". Cela signifie que les villes membres de chaque groupe se soucient aussi des autres dimensions affichées dans les autres groupes et des dimensions "stratégiques" de ces approches.

Chaque groupe a été placé sous la responsabilité d'une "ville chef de file". Le représentant de cette ville siège au comité de pilotage et a la responsabilité d'organiser le programme du groupe en étroite relation avec le chercheur qui en assure le suivi.

Méthode de travail

Chaque groupe de ville était libre d'organi-ser ses échanges comme bon lui semblait dans les limites du budget imparti.

Des recommandations générales ont cepen-dant été formulées afin d'assurer le respect de certains objectifs du programme et la cohé-rence d'ensemble de la réflexion.

Tout d'abord les échanges devaient être ouverts à tous les acteurs présents dans les projets au niveau des quartiers qu'il s'agisse des élus, des praticiens ou des habitants. Les visites et les travaux de groupe devaient donc être organisés en conséquence.

Pour chacun des thèmes sélectionnés, quatre questions générales nous ont sem-blé devoir être privilégiées afin d'explorer les caractéristiques des programmes mis en oeuvre :

1- Quels sont les référentiels et les problématiques des approches intégrées dans chaque ville ?

2 - Quelle est l'organisation du partenariat et des projets; quels dispositifs de pilo-tage ont été retenus ?

3 - Quelle est la place faite à l'implication des habitants dans ces projets et quelles en sont les modalités ?

4 - Quelles compétences professionnelles faut-il mobiliser pour mener à bien de tels programmes ?

Sur un plan plus méthodologique et scienti-fique, les groupes ont aussi pu utliser la grille de lecture que le réseau Quartiers en Crise a mis au point au cours de ses activités passées. Huit thèmes nous avaient semblé devoir être abordés :

1 - La revitalisation des quartiers : de quoi est-il question ?

2 - Quelles méthodes de diagnostic de la situation des quartiers ?

3 - Comment sont formulés les program-mes de revitalisation et par qui ?

4 - Quels sont les dispositifs mis en place pour coordonner ces programmes et construire un partenariat ?

5 - Comment sont-ils mis en oeuvre ? Quel est leur cheminement ?

6 - Quel est le profil des professionnels qui travaillent dans ces programmes ?

7 - Quel est l'engagement des habitants et quelles sont les méthodes utilisées pour favoriser cette implication ?

8 - Comment évalue-t-on les program-mes de revitalisation des quartiers ?

La recherche et l'évaluation

Comme dans les programmes précédents, les échanges et les travaux des groupes de villes ont bénéficié de l'assistance et d'un suivi de la part d'un chercheur. Une grande partie des résultats publiés repose donc sur le travail des chercheurs. Il est souhaitable qu'il en soit tenu compte dès le démarrage des programmes et que des moyens sub-stantiels leur soient attribués.

En effet, de telles recherches et évaluations consacrées à un probléme aussi complexe que celle de la cohésion sociale au sein des villes et des formes spatiales de l'exclusion ainsi qu'à l'analyse des politiques et des programmes mis en oeuvre pour y faire face supposent une bonne connaissance des réalités locales et des spécificités de chaque pays et de chaque ville.

Dans la proposition initiale, l'équipe de recherche avait souhaité que chaque pays puisse dégager des moyens pour financer un chercheur (financement local par les villes, financement par les régions ou les Etats-membre, financement dans le cadre de programmes de recherche nationaux). La présence d'un chercheur de chaque pays est en effet la garantie d'un travail de qualité en profondeur. Au minimum il fau-drait disposer de six chercheurs ayant de bons relais scientifiques dans chaque ville du programme. Compte tenu des moyens financiers disponibles, il n'a pas pu en être ainsi et l'équipe de quatre chercheurs présente au cours du deuxième program-me a été reconduite à l'identique sur cette nouvelle mission.

Chaque chercheur a donc eu les responsabilité suivantes :

- le suivi d'au moins un groupe de villes et donc de la thématique particulière à ce groupe,

- l'animation des visites et des réunions de travail des groupes,

- la rédaction du rapport final d'évaluation de chaque groupe,

- la participation à l'organisation et à l'animation de séminaires et de confé-rences,

- la participation à des réunions de coordination de l'équipe scientifique et du comité de pilotage du programme.

RESULTATS

Chaque groupe de villes a travaillé pendant environ 6 à 7 mois (automne 94-hiver 95). Ce travail a mêlé des visites de villes et des réunions entre les responsables des projets. Compte tenu des moyens financiers dispo-nibles, toutes les villes n'ont pas pu faire l'objet d'une visite d'échange pendant ce laps de temps. En revanche des représentants de toutes les villes ont participé aux travaux des groupes.

Les résultats présentés ci-dessous sont tirés à la fois des documents mis à notre disposition par les villes, des réflexions qui ont été conduites par les représentants des villes au cours des visites, des rapports écrits qu'ils ont pu transmettre et des analyses réalisées par le chercheur. Les échanges réalisés au sein de chaque groupe de ville ont donné lieu à la rédaction d'un rapport.

Dans ce rapport de synthèse nous nous limiterons à une récapitulation des princi-paux résultats recueillis au cours de ces échanges en les regroupant selon les trois thèmes retenus au départ. Nous invitons donc les lecteurs intéressés à se reporter aux rapports particuliers rédigés pour chacun des groupes de travail.

Développement économique, emploi et revitalisation des quartiers en crise

Le développement économique et l'emploi sont une priorité pour l'Europe et pour les pays-membre. Ils le sont aussi pour les villes du réseau "Quartiers en Crise". Trois groupes de villes sur cinq ont choisi de travailler sur ce thème et on peut penser que pour les autres cette question est tout aussi préoccupante.

La question de l'emploi et plus particulière-ment celle du chômage est au coeur du débat politique depuis de longues années dans de nombreux pays. Face à cette situation, les politiques économiques générales mises en oeuvre n'ont pas apporté de réponse satisfaisante et, avec près de 50 millions de demandeurs d'emploi, l'Union Européenne n'a jamais eu à relever un tel défi.

Ce défi qu'ont a affronter les pays et les villes est redoublé dans les quartiers en crise par une situation de relégation urbaine qui rend encore plus difficile toute recher-che de solution. Dans ces quartiers, en effet, l'exclusion économique est redoublée par une exclusion sociale et territoriale.

Les échanges d'expériences organisés au cours des deux précédents programmes ont montré que l'action en ce domaine se heurte à de nombreuses difficultés et que l'accent doit être mis avec plus d'insistance sur cette dimension des approches inté-grées de revitalisation des quartiers.

Diagnostic des difficultés rencontrées

Les difficultés rencontrées dans ces quartiers tiennent à de multiples facteurs. Elles tiennent tout d'abord au contexte global de l'économie (ralentissement de l'activité économique, restructuration des processus de production rejetant certains salariés,...). Elles tiennent ensuite aux handicaps propres à ces quartiers (concentration de la main d'oeuvre faiblement qualifiée ou dont la qualification est inadaptée, pourcentage important de chômeurs de longue durée, faible soutien du milieu local et familial dans le processus d'insertion,...).

Ces territoires urbains en crise rassemblent en effet une grande partie de ceux que la société a rejeté à un moment ou à un autre. Ils présentent en effet la particularité d'offrir souvent à ces populations des conditions d'hébergement et des conditions de survie qui font défaut en d'autres lieux de la ville. Il existe ainsi dans ces quartiers une "sédimen-tation" de populations connaissant des difficultés diverses : anciens travailleurs qua-lifiés rejetés par les restructurations des entreprises, des jeunes qui bien qu'ayant souvent une qualification n'ont jamais pu accéder au monde du travail, des person-nes sans qualification qui ne peuvent prétendre lutter à armes égales sur le marché du travail, des personnes connais-sant des handicaps de différente nature (physiques, sanitaires, psychologiques) qui ont pu d'ailleurs être amplifiés par la situation de chômage, des personnes victimes de discriminations (étrangers, femmes).

Si le diagnostic factuel des difficultés rencon-trées au sein de ces quartiers par leurs habitants est généralement bien connu, le doute, voir le silence est de mise lorsqu'il s'agit d'envisager leurs potentialités de développe-ment. En général, les diagnostics soulignent surtout les handicaps et les difficultés qui assaillent ces populations mais beaucoup plus rarement leurs caractéristiques positives, leurs potentialités et leurs atouts.

C'est ce qui a conduit à ce qu'un groupe de villes se consacre d'ailleurs à cette question particulière des richesses et des poten-tialités des habitants des quartiers car c'est seulement en prenant en compte cette dimension positive qu'il est possible de construire une stratégie de développement (voir les travaux du groupe 3 sur la valorisation des richesses humaines et culturelles dans les quartiers en crise chapitre 2.2). Il en est d'ailleurs de même en ce qui concerne les caractéristiques spatiales et écologiques de ces quartiers a tel point que toute proposition visant à mettre l'accent sur la valorisation de leurs caractéristiques physiques se heurte à beaucoup de scepticisme (voir en parti-culier les travaux du groupe 5 sur la restauration de l'habitat )

Les quartiers considérés présentent pourtant des richesses voir des potentialités certaines.

Si 30 à 40% de leur population active est au chômage, il n'en reste pas moins que la grande majorité de cette poupaltion a une activité, rémunérée ou non. Ces quartiers ne sont donc pas complètement "débran-chés" de l'ensemble de l'économie urbaine.

Des flux monétaires et financiers (revenus du travail, revenus sociaux, fiscalité et budgets publics, dépôts bancaires, ressources "invisi-bles") circulent à l'intérieur de ces quartiers, entre ces quartiers, le reste de la ville et des espaces plus lointains ; il n'est pas certain qu'on ait une connaissance suffisante de ces flux pour pouvoir les réorienter vers des projets de développement.

La situation géographique de ces quartiers, leur patrimoine foncier et immobilier consti-tuent des opportunités à valoriser à l'heure où les villes doivent veiller à économiser leurs ressources non reproductibles dans une pers-pective de développement durable (terrains viabilisés et bien localisés par rapport à des réseaux de transport, bâtiments disponibles, réserves foncières et immobilières peu coûteuses).

Tous ces éléments doivent faire l'objet d'un audit précis si on souhaite les réinscrire dans des processus de développement économique prenant naissance à l'intérieur ou à l'extérieur de ces quartiers.

L'ambiguité des réponses économiques générales

Aux difficultés que nous venons de recenser en matière de diagnostic s'ajou-tent celles qui tiennent à nos manières de penser les questions du chômage et du développement économique.

Pour certains observateurs, il y aurait dans le chômage une certaine fatalité, le prix à payer à la croissance qui se manifesterait par la relégation d'une partie de la population désor-mais inadaptée aux nouvelles exigences de la production. Par ailleurs, certains concoivent les situations de chômage comme la résul-tante de pathologies qui affectent les individus (une incapacité des personnes à effectuer certaines tâches compte tenu de handicaps de diverse nature).

De manière générale, les solutions aux ques-tions du chômage sont escomptées d'une reprise de la croissance économique. celle-ci devant avoir des effets mécaniques sur la résorption du chômage et particulièrement sur celui des populations de ces quartiers.

Cette dernière approche classique est partiellement satisfaisante car elle repose sur des hypothèses contestables. Dans cette approche on considère que la crise que connaissent nos systèmes économiques est passagère et qu'il suffirait de refermer cette parenthèse pour retrouver le sentier du plein emploi. Cette hypothèse du plein emploi dans le passé est d'ailleurs rarement questionnée alors que l'apareil économique y compris dans les période de forte croissance et de faible taux de chômage n'a jamais réussi à mettre au travail plus de 70% de la population en âge de travailler. L'espoir d'un effet mécanique de la croissance sur l'emploi des personnes les moins qualifiées est lui aussi une illusion car le retour de la croissance conduirait à une pro-fonde transformation des structures d'emploi sans forcément un déversement vers les secteurs les moins productifs. L'effet de "trickle down" qui est souvent postulé dans ces approches est loin d'être assuré. On peut même dire que tous les bilans tirés par les villes en la matière montrent que ces perspectives sont en fait des impasses.

Ces critiques formulées à l'encontre des approches générales du développement économique ne doivent pas conduire à une erreur d'appréciation. Le dynamisme éco-nomique de la région urbaine est la condi-tion nécessaire d'une création d'emploi ou d'une création d'activités pour les popula-tions les moins qualifiées d'une ville. L'exemple de la région urbaine de Rotterdam, région très diversifiée et intégrée économiquement, en est la preuve manifeste et les responsables du dévelop-pement du district de Charlois savent bien quelles sont les opportunités qui sont ainsi offertes aux populations de ce quartier pour-tant en difficulté. Une confrontation avec d'autres villes de mono-industries aujourd'hui en récession (Charleroi) ou qui connaissent des difficultés (Manchester, Turin) est suffi-samment explicite pour ceux qui ont eu à traiter de tels problèmes.

Cela dit, il ne suffit pas d'en appeler au développement économique de la région urbaine pour espérer des réponses au problème du chômage. Cette condition nécessaire n'est pas suffisante.

La croissance économique ne peut avoir des effets positifs sur l'emploi des populations en difficulté qu'à la condition de s'intégrer dans une stratégie qui articule étroitement l'écono-mique et le social (thèmes abordés par les plans stratégiques de Barcelone et de Charleroi). Tel n'est généralement pas le cas de la plupart des plans de développement économique stratégique lancés par les villes au cours des dernières années car ceux-ci comptaient trop exclusivement sur la délo-calisation d'entreprises (subventions et défiscalisation) et non pas sur une logique d'intégration de ces entreprises au tissu économique et social local.

Les stratégies les plus performantes en la matière sont en fait celles qui cherchent à favoriser les conditions de développement des milieux économiques locaux à savoir :

- d'une part, renforcer les relations entre des secteurs branchés sur l'économie internationale et le reste de la ville ;

- d'autre part, miser sur le potentiel des quartiers en difficulté et en particulier sur leur potentiel économique.

Mieux articuler économie régionale et territoires urbains en crise

Une offre d'emplois adaptés.

Les stratégies de localisation d'entreprises doivent cibler les secteurs d'activités qui présentent une certaine proximité avec les qualifications et les potentialités de la force de travail locale, la sous-traitance et la création d'emplois indirects dans tous les secteurs entraînés par ces nouvelles activités (secteurs de l'aménagement, secteur du bâtiment et des travaux publics, secteur des services aux entreprises, secteurs des services aux ménages, secteur de l'environnement).

C'est la voie suivie par des villes comme Eindhoven avec son programme Stimulus destiné à favoriser la création de 2000 à 3000 emplois dans le secteur des petites et moyennes entreprises, par Thessalonique avec son Support Centre for SMEs ou encore par Brême avec son Agence de Partenariat Régional. De nombreuses villes ont aussi mis en place des pépinières d'entreprises visant à susciter des créations d'entreprises dans ces secteurs (Barcelona Activa, 3E à Charleroi, 3CI à Lyon, etc.).

Certaines pays et certaines villes ont aussi incité les entreprises à maintenir ou à créer des emplois pour les populations en situation difficile comme contrepartie de leur accès aux marchés et aux crédits publics. C'est par exemple la clause du "mieux-disant social" introduite dans les marchés publics en France ou en Ecosse (Local Labour Agreements).

D'autres tentatives ont été conduites pour faire en sorte que les entreprises et notamment les grands groupes prennent mieux en compte cette question dans leur gestion (cf. en France la notion d'entreprise-citoyenne). Pour ce faire, certaines villes (par exemple Cork, Paisley, Galway) ont créé des sociétés de dévelop-pement dans lesquels siègent des chefs d'entreprises avec pour mission d'assurer cette mise en relation des quartiers et du monde économique. Dans la tradition du Business in the Community, les villes britan-niques ont créé des Business Support Group qui ont pour mission de soutenir le dévelop-pement d'activités économiques dans les quartiers.

La localisation de certaines unités de produc-tion dans la proximité spatiale des quartiers en difficulté est un autre facteur non négligeable pour favoriser l'accès à l'emploi de certaines populations. Pour beaucoup d'habitants dépourvus de moyens de déplacement ou à l'écart des réseaux de transport en commun, ce handicap insurmontable a bien souvent été renforcé avec la délocalisation des entreprises dans la lointaine périphérie des villes et la dispa-rition des services de ramassage de la main d'oeuvre.

Cette préoccupation est aussi une manière de redécouvrir les vertus d'un ancien modèle urbain qui préconisait le rapprochement des lieux d'habitat et de travail. Elle conduit à repenser un modèle fondé sur la généra-lisation de l'usage de la voiture individuelle. Cette question est aussi posée par les phénomènes d'encombrement des voieries par les automobiles, les pertes de temps et de productivité qu'ils occasionnent et la pollution qu'ils générent.

D'autres voies sont aussi possibles. On peut favoriser ce que l'on qualifie aux Etats-Unis de "link development" à savoir l'aide apportée par les grandes entreprises et les compagnies financières aux nouvelles entreprises qui embauchent des personnes au chômage. D'autre part, il est possible pour les inves-tisseurs et pour les grandes entreprises de prendre en compte les nouvelles habitudes de consommation ou d'adapter leurs services aux besoins et aux ressour-ces de ces popu-lations pour favoriser la création d'entreprises susceptibles d'offrir des emplois.

Stimuler et former les demandeurs d'emploi

Pour qu'une telle stratégie d'offre d'emploi soit vraiment efficace, un effort doit être fait pour ouvrir ces territoires aux opportunités externes et pour stimuler les demandeurs d'emploi.

La tendance au repli de ces quartiers sur eux-mêmes est très forte. Pour beaucoup de leurs habitants, et notamment pour les jeunes, la ville est un au-delà menaçant autant que tentant.

L'ouverture de ces territoires sur le reste de la ville est un impératif. Elle passe par des aménagements architecturaux et urbains, par une meilleure accessibilité aux autres espaces de la ville ou encore par la localisation dans ces territoires d'équipements attractifs pour les autres habitants de la ville.

Ces améliorations physiques ne peuvent cependant suffire à lever les obstacles. Ouvrir ces territoires sur le reste de la ville, c'est principalement redonner aux habitants la possibilité de reprendre confiance en eux et cette confiance ne peut se reconstruire que par l'accès à une place et à un rôle dans la société. Bref, l'entrée dans un processus de formation ne peut être vécue positivement si elle ne constitue pas un viatique socialement monnayable.

C'est la perspective dans laquelle se situent désormais de nombreux organismes de for-mation. C'est le cas de la Mission Régionale pour l'Insertion et l'Emploi à Charleroi (Mirec), au Ferguslie Park Partner-ship à Paisley, à Lyon, à Cork et dans bien d'autres exemples. Dans ce type d'approche, l'accent est mis sur les processus de rupture dans lesquels doit s'engager le chômeur et sur les risques que cela représente pour lui. La vie d'un chômeur repose en effet sur un fragile équilibre de survie qu'il ne souhaite pas forcément rompre. Accéder à un travail suppose de remettre en cause cet équilibre bien maîtrisé. C'est la condition sine qua non pour pouvoir espérer réintégrer le monde économique normal fait de liens sociaux multiples, de pouvoir d'achat renforcé, de sécurité d'emploi et de reconnais-sance sociale. Ce passage de la précarité à la stabilité demande beaucoup d'énergie que le chômeur ne peut pas fournir spontanément.

C'est une préoccupation similaire qui anime les responsables de formation à Rillieux la Pape (Lyon) qui mettent aussi l'accent sur la nécessité de briser le cercle vicieux de l'exclu-sion. S'il y a des exclus dans une société, c'est que le système économique n'a plus besoin d'un certain type de main d'oeuvre. Inversement, tout un système d'assistance entretient ces situations d'exclusion. D'une certaine façon, ces dispositifs se protègent eux-mêmes en secrétant des assistés qui justifient leur raison d'être. Un des objectifs est de "déstabiliser les travailleurs sociaux" et de modifier leurs pratiques. Parallèlement, il faut aussi déstabiliser les habitants par rapport aux mauvaises habitudes prises dans le système de l'assistance, rompre avec leur passivité et les remettre en mouvement. Le programme mis en oeuvre vise à faire passer les populations d'une situation d'assisté à une situation d'acteur.

L'ouverture de ces quartiers passe princi-palement par l'accès à l'emploi dans le reste de la ville. Or, cet accès à l'emploi est très difficile pour des populations connaissant de multiples handicaps et qui sont stigmatisés par la discrimination au "code postal".

Paradoxe : la recherche d'un emploi est "un vrai travail" qui nécessite de grandes compé-tences. L'emploi ne se présente plus comme une offre banale et sa détection passe par des outils de prospection performants. Il n'est plus guère possible de répondre à ce défi individuellement si tant est que cela a été le cas jadis. Pour pouvoir accéder à un emploi, un diplôme ne suffit plus, ni d'ailleurs une expérience professionnelle. Il faut pouvoir s'appuyer sur un milieu social porteur (le milieu familial ou le réseau relationnel dans certaines classes sociales) ou sur un milieu social et relationnel de substitution lorsque le milieu d'appartenance est fragile.

C'est sur ce problème qu'ont achoppé les agences de l'emploi traditionnelles qui ont privilégié une approche trop administrative du chômage et qui n'ont cherché qu'à rapprocher offre et demande d'emplois. C'est contre cette routine bureaucratique qu'ont réagi de nom-breux organismes. Par exemple à Rotterdam, huit "working centers" (arbeids voorziening) ont été créés avec pour objectif de faire accéder 300 personnes par an à un emploi salarié à partir d'un parcours de formation personnalisé très balisé et relativement long.

L'initiative d'habitants d'Eindhoven (quartier de Kruidenbuurt) doit être soulignée. Organisés sous forme de conseil de quartier, ils ont demandé une étude sur les offres d'emplois dans le marché local (1000 entreprises ont été contactées, 84 emplois ont été décelés pouvant être occupés par les habitants).

Parfois, l'emploi n'est pas donné comme tel dans l'entreprise ou dans le bassin écono-mique local. Il faut donc être en mesure de susciter l'opportunité de postes de travail. Le projet "Aan de Slag" de Rotterdam illustre cette approche. Dans le district de Charlois de nombreuses entreprises sont installées (Mac Donald, centre commercial, etc.). Ces entre-prises ont besoin de créer des emplois (3 000 emplois possibles sur Rotterdam) mais elles ne le font pas en raison du manque de flexibilité du marché du travail et du manque de formation des personnels. Le projet a consisté à repérer quelles étaient les possibilités d'emploi inexploitées dans les entreprises et à jouer sur le différentiel de salaires. Par exemple au centre commercial de Zuidplein, le projet "de roote loper" (le tapis rouge) vise à améliorer l'attractivité du centre commercial en offrant des services et plus de sécurité aux consommateurs. Il s'agit de créer une fonction intermédiaire entre le service à la clientèle et le service de sécurité (police). Des jeunes sont ensuite formés pour assurer une présence dans le centre com-mercial, pour apporter une information et une aide aux consommateurs et pour signaler aux agents de sécurité les différents problèmes rencontrés (utlisation du talkie walkie). C'est une fonction d'hôte. Douze emplois ont pu ainsi être dégagés.

Le projet repose sur un dispositif de mise au travail "MKB Pool", un groupement qui a une fonction d'interface entre les entreprises et les demandeurs d'emploi. Il est l'employeur principal. Grâce à sa capacité de mobiliser les aides publiques et de recevoir les allocations des demandeurs d'emploi, le groupement transforme en vrais emplois (32 heures par semaine) des offres partielles, spécifiques, éclatées et disséminées dans diverses entreprises.

Dans le même esprit, le projet SEND (Social-Economic Network Development) de Groningen se veut un projet global s'appuyant sur la prospection d'emplois, la formation des chômeurs et la création de réseaux socio-économiques de soutien.

Développer le potentiel économique des quartiers en difficulté

Les quartiers, échelle pertinente du développement économique ?

Le quartier est-il un territoire pertinent pour construire une approche du développement économique ? Ne débouche-t-on pas sur une conception autarcique ou introvertie de l'économie ? Ne renforce-t-on pas ainsi une logique du "ghetto ? Inversement, ne doit-on pas considérer ces quartiers comme des territoires trop extrovertis, incapables de retenir des flux de richesses qui ne font que les traverser ? Ne doit-on pas considérer que leurs difficultés sont liées à leur inca-pacité d'attirer et de capter ces flux de richesses qui ne profitent qu'au reste de la ville ?

Contrairement à ce qui est dit habituelle-ment, ces territoires urbains ne sont pas des ghettos. Il n'en ont pas l'homogénéité sociale, culturelle, ethnique ou religieuse. En fait, ces territoires sont fréquemment caractérisés par une grande hétérogénéité de leur habitants qui n'ont en commun que le fait d'être rejetés par le reste de la ville. Ce sont moins des communautés locales autarciques que des milieux émiettés et fragilisés.

Dans un monde de généralisation des échan-ges marchands, si certains habitants des villes peuvent tirer leur épingle du jeu, d'autres en sont bien incapables. La prise en compte des milieux urbains dans les approches écono-miques n'est donc pas un retour à un mythe des communautés de base traditionnelles, mais une manière de favoriser l'accès de ces populations au monde économique.

C'est dans cette perspective qu'une appro-che économique territorialisée peut trouver sa pertinence. Chaque projet mis en oeuvre doit alors maîtriser quatre dimensions majeures des mécanismes économiques.

Attirer des flux de ressources sur un territoire (revenus, capitaux, fonds publics),

Retenir ces ressources le plus longtemps possible au sein de ce territoire, afin d'assu-rer la base d'une économie monétaire,

Faire circuler le plus rapidement possible ces ressources entre les agents économiques de ce territoire (ménages, entreprises, commer-ces et services),

Echanger de manière équilibrée avec le reste de la ville.

La plupart des initiatives présentées dans les villes participant au programme, illustrent à leur manière ces différents principes.

Attirer les ressources dans les quartiers

Les territoires urbains les plus fragilisés ne sont pas dépourvus de ressources. Ces quartiers ne sont donc pas complètement "débranchés" de l'ensemble de l'écono-mie urbaine.

Diverses ressources ont été mobilisées par les programmes examinés.

La première ressource est constituée par les salaires ce qui passe par une amélio-ration des possibilités d'accès à l'emploi des habitants des quartiers dans les secteurs moteurs de l'économie. C'est ce que nous avons vu précédemment.

La deuxième ressource possible concerne les revenus de transferts (allocations et aides diverses à la personne ou aux famil-les). Beaucoup de personnes en difficulté ne connaissent pas forcément les aides dont elles peuvent bénéficier. Le travail d'infor-mation et d'accompagnement des familles est ici essentiel.

La troisième ressource repose sur la mobilisation des fonds publics destinés au lancement des projets et à leur soutien. Dans les différents pays, une multiplicité de finance-ments empilés et enchevêtrés ont vu le jour ce qui n'a pas peu complexifier la situation. La connaissance de ces mesures, et leurs possibilités d'utilisation suppose des compé-tences nouvelles de l'ordre de l'ingéniérie financière. Certaines équipes de projet dans les villes visitées ont acquis une très bonne maîtrise en ce domaine (par exemple à Rotterdam).

Certaines villes ayant connu une forte émigration vers l'étranger peuvent aussi bénéficier de cet argent de "la diaspora" qui revient vers le pays d'origine. Des efforts sont certainement à faire pour mieux canaliser ces flux (modèle des fondations irlandaises, système de la tontine) car peu de projets de cette nature ont pu être identifié dans les villes visitées.

Le cinquième flux de ressources provient des activités capables de capter une partie des consommations d'agglomération (activités commerciales, de services, activités cultu-relles diverses, etc.). De manière générale, dans les quartiers, ces activités dans les quartiers se cantonnent à une clientèle de proximité. Certaines cependant se sont spécialisées sur des créneaux et ont réussi à élargir leur zone de chalandise en offrant des produits rares, inhabituels et de qualité ou en jouant sur une certaine flexibilité dans leurs horaires d'ouverture et dans les services apportés (portage à domicile).

Enfin, et à plus long terme, à partir de politiques d'aménagement judicieuses et de construction de logements diversifiés, il est possible d'attirer aussi dans ces quartiers des populations qui disposent d'un certain revenu. C'est la politique suivie dans de nombreux quartiers. Dans certains cas, le risque est grand d'inciter ainsi un processus de "gentrification" pouvant créer des diffi-cultés pour les résidents actuels (élévation des prix, concurrence sur le marché du logement, phénomènes spéculatifs).

Retenir les ressources dans les quartiers

De manière générale, ces flux de ressources ne font que traverser ces quartiers. La plus grande partie des dépenses de consom-mation s'effectuent à l'extérieur des quartiers, dans le reste de la ville et dans les grandes surfaces commerciales de la périphérie. Les dépenses pour le logement sont générale-ment drainées par des gestionnaires externes. La collecte de l'épargne par les organismes financiers obéit elle aussi aux mêmes principes. Il en est de même des mécanismes de prélèvements fiscaux.

Sur tous ces points, il conviendrait d'établir un vrai bilan de la situation afin de pouvoir conduire des projets plus adaptés. S'il est vrai que la marée montante de la croissance économique remet à flots tous les bateaux, encore faut-il que ces bateaux n'aient pas leur coque percée.

Il faut tout d'abord assurer un meilleur équilibre entre les dépenses publiques affec-tées à ces territoires et les prélèvements fiscaux et mettre réellement en place une discrimination positive en ce domaine. C'est de la responsabilité essentielle des autorités locales. Ce rééquilibrage passe aussi par la mise en place d'une comptabilité analytique territoriale à l'échelle des quartiers d'une ville permettant d'identifier réellement ces flux d'argent public.

Il serait possible que les instances de gestion locales puissent se voir affecter une partie des prélèvements fiscaux en mettant en place des circuits courts de finan-cement. Ces circuits courts auraient l'avan-tage de favoriser l'identification par les habitants des efforts réalisés, de mieux cibler l'usage des fonds et d'inciter à un plus grand respect des projets mis en oeuvre (apprentissage de la citoyenneté et de la responsabilité).

De tels circuits courts pourraient aussi voir le jour dans la collecte et l'utilisation de l'épargne des habitants des quartiers. Cette épargne plus ou moins forcée (obligation d'ouvrir un compte bancaire pour pouvoir recevoir un salaire et les alloca-tions) fait l'objet d'un drainage par les institutions financières sans que l'ont puisse connaître précisément son usage. Très souvent les banques pratiquent par ailleurs ce que les Américains appellent "red lining", c'est-à-dire le refus de faire des prêts aux habitants des quartiers dits à risques. Elles en arrivent aussi, et pour les mêmes raisons, à fermer leurs services de collecte au sein de ces quartiers. Dans certaines villes des coopérations ont pu être établies entre des banques et des quartiers (par exemple en Italie, à Cosenza, mais aussi en France).

Retenir les flux de ressources, c'est aussi contribuer au soutien des activités présentes dans ces quartiers et favoriser la création d'activités nouvelles notamment dans le domaine du commerce et des services. Ce type de soutien public à apporter aux activités est fortement critiqué par les tenants de l'économie libérale selon le principe qu'il ne faut pas financer des secteurs économiques non rentables. Mais cette critique n'est-elle pas applicable aux secteurs économiques dits rentables (hautes technologies, bâtiment et travaux publics, industries pharmaceuti-ques,...) largement financés par les fonds publics ?

L'expérience de Ferguslie Park Community Holdings Ltd une société caritative visant à améliorer les structures économiques locales à travers la création d'opportunités de formation et d'emploi à long terme pour les habitants les plus défavorisés semble relever de cette démarche. C'est semble-t-il dans la même perspective que travaille l'Integrated Neighborhood Management d'Eindhoven.

La principale critique que l'on peut faire aux projets mis en place concerne souvent leur manque d'ambition qui ne tient pas à la faiblesse des moyens financiers disponibles, mais à l'absence de projet d'ensemble capable de valoriser l'appareil commercial et de services à l'intérieur des quartiers et vis-à-vis de l'extérieur. Consciente de ce problème, la communauté urbaine de Lyon a ainsi mis sur pied un programme de redéveloppement des centres commer-ciaux dans les quartiers les plus défavo-risés de l'agglomération. C'est ce projet qui a été proposé dans le cadre du PIC Urban.

Par ailleurs, le volet "ethnic business" (jouer sur les activités en relation avec la forte présence d'habitants issus de l'im-migration), un volet riche de potentialités, n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Bien développé dans le milieu d'origine asiatique, il voit plus difficilement le jour dans d'autres commu-nautés ethniques en raison surtout de l'origine socio-culturelle des immigrants (souvent d'anciens ruraux).

Le dernier volet qu'il faut souligner pour retenir les flux de ressources dans les quartiers repose sur une meilleure utili-sation des opportunités offertes par les caractéristiques des quartiers et les programmes qui les concernent.

Il est possible par exemple de faire en sorte que les flux de fonds publics mobilisés pour financer les travaux d'aménagement et d'entretien puissent être captés directement par les habitants.

C'est l'expérience qui s'est généralisée en France et notamment à Lyon sous le label des "Régies de quartier". Les régies de quartier sont des associations loi 1901, qui prennent la forme d'entreprises d'insertion. Elles éxécutent des travaux ou proposent des services dans le cadre des projets d'aména-gement des quartiers. Elles permettent ainsi d'employer des habitants des quartiers dans le cadre de ces projets et de faire en sorte qu'ils soient directement bénéficiaires des flux de ressources ainsi générés.

Il est possible aussi de saisir des oppor-tunités dans des domaines qui échappent aux préoccupations des autorités locales et des entreprises privées. C'est par exemple le cas du projet de sécurisation d'un tunnel à Rotterdam. Le projet a consisté en diverses mesures : le renforcement des mesures de sécurité, la fourniture de services aux person-nes à mobilité réduite (handicapés, personnes âgées, mères de famille). Ce projet a permis le déve-loppement d'un service créateur d'emplois. Il fallait assurer ce service 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Soixante-quatorze chômeurs de longue durée habitant le quartier ont été embauchées travaillent en équipe de 8 personnes sous la responsabilité d'un policier. L'investissement de départ a été de 820 000 Fl dont une partie apportée par le FSE.

Le projet de Trinijove à Barcelone s'inscrit sur le créneau des nuisances écologiques dans le quartier. Cette association met l'accent sur la nécessité d'intervenir globalement auprès des jeunes (information, conseil, formation, promo-tion par l'emploi) et de valoriser la dimension territoriale de l'action. Parmi les nombreux pro-grammes mis en place, l'un d'eux concerne la question de la maintenance des espaces publics (notamment le ramassage et le traite-ment des détritus urbains) et du traitement des espaces verts (jardinage et maintenance des espaces verts). Ce projet part d'un double constat : la possibilité de se saisir d'un secteur relativement délaissé (les problèmes d'envi-ronnement) qui nécessite guère de qualifi-cation au départ, la possibilité de mobiliser les jeunes et de les faire accéder à une responsabilité par rapport à l'entretien de leur quartier. Cinq cents jeunes sont mobilisés chaque mois dans les différents projets encadrés par une structure permanente de 11 personnes et par 20 formateurs. Les actions conduites par Trinijove sont financées par le programme Horizon, la région de Catalogne et la ville de Barcelone.

Tous ces projets sont à cheval entre l'entreprise et le secteur à but non lucratif. Pour de nombreux habitants de ces quartiers, le retour à l'emploi traditionnel sera en effet très difficile, voire impossible, sans passer par le développement d'un secteur à but non lucratif dans ce que l'on appelle l'économie sociale. Par delà la question du travail salarié est posée celle du rôle social des individus dans la société et celle de leur reconnais-sance sociale. Ces activités faiblement ou non rémunérées peuvent être porteuses d'une forte dynamique d'intégration sociale et déboucher à terme sur un vrai travail rémunéré. Les expériences de la Fondation Nieuw Werk à Eindhoven avec sa formule du modèle à trois étages en est l'illustration (repérer des activités utiles pour la société, transformer ces activités en travail rémunéré, rendre leur financement indépendant des subventions).

Faire circuler rapidement ces ressources entre les agents économiques du quartier

Une fois mis en place les instruments capables d'attirer et de retenir les flux de ressources, faut-il encore que ces flux ne soient pas utilisés de manière improductive dans le quartier.

Il faut donc organiser et chercher à diversifier les circuits économiques à l'intérieur du quartier de façon à ce que l'argent, même d'un volume limité, circule rapidement entre le nombre maximun d'acteurs et ait des effets multiplicateurs. Bien souvent, ce n'est pas le volume d'argent qui compte dans un projet de développement, mais l'endroit où il est injecté dans l'économie locale, la manière selon laquelle il est utilisé et surtout sa vitesse de circulation au sein de l'économie. L'impact d'un écu est différent s'il est utilisé dix fois ou cent fois pendant une période donnée au sein d'un territoire donné.

Les projets mis en oeuvre doivent donc veiller à bien identifier les circuits d'échange qu'il peuvent générer dans les quartiers et chercher à susciter un effet multiplicateur maximum. La multiplication des activités de commerce et de services au sein des quartiers contribue certainement à ce type d'effet, encore faut-il que ces activités soient suffisamment intégrées horizontalement et verticalement et que la volonté d'échanger entre ces activités existe. Le réflexe "identité de quartier" doit en particulier être stimulé par des opérations visant à renforcer le sentiment d'appartenance à une même communauté territoriale (créer un effet de milieu en jouant sur différentes facettes culturelles, sur le symbolique et l'imaginaire : la fête, les logos, une bannière y contribuent).

Des initiatives doivent aussi être prises pour modifier l'utilisation des flux monétaires. La réflexion conduite à Rotterdam autour de circuits de distribution des aides et des allocations, notamment les allocations chô-mage mérite toute l'attention même si elle heurte certaines routines. L'expérience du MBK Pool visant transformer les aides et allocations-chômage en salaires afin de donner un emploi stable aux habitants dans le cadre d'un contrat avec les entreprises permet au moins de poser cette question. Plus généralement, le fonctionnement des circuits d'argent (argent des salaires, des aides et allocations, des budgets publics) doit faire l'objet d'une investigation plus approfondie. Il doit en être aussi particulièrement ainsi de l'économie informelle ou souterraine (black market and grey circuits).

En outre, cette circulation ne concerne pas uniquement les flux d'argent. Il existe au sein des quartiers une économie fondée sur le troc, l'échange de temps de travail et de compétences. Ces activités parfaitement légales sont souvent nécessaires dans une société peu monétarisée ou qui souffre d'un manque d'argent. Il convient donc de les organiser au mieux comme cela se fait dans certaines villes de Grande Bretagne avec un système de crédit d'heure de travail entre les habitants (voir notamment les projets LETS-Local Exchange and Trade System).

Echanger avec le reste de la ville

Tous les projets évoqués ci-dessus sup-posent pour fonctionner d'être branchés non seulement sur l'économie de la ville ou de la région urbaine mais aussi parfois sur des réseaux internationaux (voir les circuits d'épargne et l'utilisation de l'argent des populations migrantes à l'échelle de leur diaspora). Le renforcement de l'intégration du milieu économique de quartier ne signi-fie pas en effet le développement d'un projet autarcique. Tout au contraire, il s'agit de faire que les quartiers et leurs populations soient en mesure de participer équitablement au partage des richesses qui sont produites dans la ville et cela ne peut se faire si certains territoires urbains sont des unités écono-miques désarticulées.

Valorisation des ressources humaines et culturelles dans les quartiers en crise

Valorisation des ressources humaines et culturelles dans les quartiers en crise

Les premiers programmes européens sur la revitalisation des quartiers comme d'ailleurs toutes les politiques lancées par les pays et les villes mettent l'accent sur la place et le rôle essentiels que doivent y jouer les habitants. Il y a là apparemment un propos de bon sens car il est difficile d'envisager un dévelop-pement durable des villes et des quartiers en faisant l'impasse sur ceux qui sont les premiers concernés par cela.

Les approches du développement écono-mique que nous venons d'exposer mettent elles aussi l'accent sur la nécessité de prendre mieux en compte les potentialités que représentent ces territoires et les populations qui y résident. La valorisation des ressources humaines et culturelles dans les quartiers en crise apparaît bien comme une nécessité.

Discours ou réalité ?

Implication des habitants, citoyenneté et développement communautaire

Quartiers en crise, laboratoires de la citoyen-neté européenne ? Telle est la question que nous avons retenue pour titre du rapport final du 2ème programme Quartiers en Crise en 1993. Cette interrogation sonnait comme un défi, défi pour le 3ème programme, mais aussi un défi pour les villes et les Etats-membre de l'Union Européenne.

Ce titre avait pour objectif de s'appuyer sur la force d'un paradoxe. Les quartiers dits de l'exclusion, révélateurs de l'état de déve-loppement de nos sociétés, pouvaient être des opérateurs d'un renouveau de la vie démocratique en obligeant à questionner nos façons de concevoir nos manières de gérer les villes.

Par les populations qu'ils accueillent, ces territoires urbains peuvent-ils être envisagés en effet comme des lieux du renouveau des villes européennes ? Sans aller jusqu'à en faire des vecteurs du changement et de la transformation des villes, ils représentent des opportunités pour le développement de nouvelles pratiques sociales et des occasions de renouveler ce métissage des cultures, une des caractéristiques de la ville européenne.

Faut-il encore que soient prises en compte toutes les dimensions de cette réalité urbaine et tout particulièrement les potentialités de ces quartiers et des populations qui y vivent.

Tout d'abord, il faut se défaire d'une certaine vision négative de ces territoires que suggère souvent les termes de "crise", d'anormalité ou de relégation et qui conduisent souvent à formuler des programmes vus d'en haut, exogènes aux enjeux des quartiers, en référence à une norme dominante du "bon quartier" qu'ils sont sensés devoir rejoindre un jour. Au contraire, ne faut-il pas se poser la question de la richesse intrinsèque de ces territoires urbains et des populations qui y vivent, de leurs potentialités, de leurs atouts afin de les valoriser dans le cadre de stratégies de développement qui fassent plus appel à des logiques endogènes ?

La valorisation des ressources humaines et culturelles de ces quartiers est un axe majeur des approches intégrées de développement urbain. Elles sont les composantes essen-tielles de cette notion de milieux socio-économiques et culturels dont nous faisions état précédemment.

Les habitants de ces quartiers sont dépositaires d'un certain stock de richesses qui tiennent tout d'abord au fait qu'ils sont encore en majorité partie prenante d'un monde économique et que, s'ils sont chômeurs, leurs qualités personnelles et professionnelles n'ont pas pour autant disparues. Il y a là un potentiel qui à l'évidence pourrait être valorisé à nouveau.

Par ailleurs, ne faut-il pas accorder une place plus importante à la culture des habitants ou plutôt à la diversité culturelle de ces quartiers ? C'est ce sur quoi insistent généralement les stratégies de développement communautaire dans certains pays.

Ces approches doivent tout d'abord permettre de repenser et de valoriser le rôle que jouent encore les communautés de base (familles, voisinage) dans les manifestations de la solidarité de proximité au moment où, de nombreux pays, notamment dans l'Europe du nord, connaissent une crise de l'Etat-providence?

Le rôle de ces communautés de base est par ailleurs important dans la mesure où elle permettent aux individus de mieux s'insérer dans la société et ses institutions. Le senti-ment d'appartenance à une communauté de base structurée est souvent un facteur de réussite sociale et professionnelle pour les individus ainsi que le prouvent de nombreuses enquêtes réalisées dans diverses commu-nautés ethniques. Ainsi, il est plus facile de négocier avec les codes et les compor-tements de la société d'accueil dès lors qu'on est assuré de ses origines et structuré par son milieu. Par ailleurs, l'accès à une qualification professionnelle ou à un poste de respon-sabilité tend à passer de plus en plus par la reconnaissance et une valorisation d'une multiappartenance culturelle.

Le développement, ce n'est pas l'alignement sur la norme dominante, la standardi-sation des comportements, la reproduction des routines, c'est la capacité de jouer de la diversité des situations afin de saisir toutes les opportunités et de multiplier les occasions de les transformer en projets.

Le diagnostic des ressources humaines et culturelles dans les quartiers.

Un premier constat général s'impose dans toutes les villes : les problèmes que connaissent les quartiers et leurs habitants affectent en fait l'ensemble de nos sociétés urbaines. Par delà les considérations sur les potentialités locales, ces problèmes renvoient principalement à la question du plein emploi dans nos sociétés et au fait qu'il n'est plus possible d'offrir un travail à tout le monde. Dès lors, les stratégies de developpement des ressources humaines doivent être accompa-gnées par un effort pour créer des activités économiques ou des emplois dans les quartiers ou dans leur immédiate périphérie. Il faut aussi mettre l'accent sur le dévelop-pement de ce que l'on appelle "l'économie sociale" (cf. chapitre précédent) qui est la seule chance, dans le court terme, de donner une perspective aux habitants de ces quartiers.

Quoi qu'il en soit les stratégies et les pro-grammes doivent mieux prendre en considé-ration dans leur diagnostic les ressources humaines disponibles dans les quartiers et les possibilités de les valoriser.

Cette dimension des choses reste bien souvent à l'état de proclammation liminaire qui ne trouve pas de traduction dans les projets. En fait, la plupart du temps, les diagnostics mettent l'accent sur les besoins et les problè-mes qui doivent être traités. On constitue ainsi un catalogue des maux auxquels il faut apporter une réponse sur un mode curatif à travers des réponses standardisées faisant l'objet de financements aidés ou subven-tionnés.

Si de telles réponses sont bien souvent nécessaires et adaptées pour des territoires et des populations lourdement handicapés, elles conduisent souvent à ne considérer ces quartiers que comme des lieux vivant des services publics et dépendant des systèmes d'assistance.

Pour éviter cette impasse, il est nécessaire de susciter de nouvelles approches de la réalité de ces quartiers mettant l'accent sur le poten-tiel de la population locale et s'appuyant sur ces potentialités pour élaborer des stratégies de développement en relation avec l'écono-mie et la société environnantes.

Il faut bien le reconnaître cependant, peu nombreuses sont les expériences de cette nature en Europe où on a tendance à plaquer des modèles préconçus sur la réalité locale. Certaines villes (par exemple en Hollande et dans une moindre mesure en Grande Bretagne et France) ont tenté d'innover en ce domaine où la demande émanant des équipes de projet locales devient pressante.

Les stratégies et les programmes reposant sur la valorisation des ressources humaines doivent aussi mettre l'accent sur un certain nombre de facteurs-clé permettant la réussite de telles opérations.

Le premier facteur à prendre en compte est le temps et la durée. Négligés depuis des années, certains quartiers ne peuvent faire l'objet de changements rapides. Il faut tout d'abord regagner la confiance de leurs habitants et ensuite opérer dans la durée dans le cadre d'une stratégie planifiée.

Le second facteur dont il faut tenir compte concerne la grande hétérogénéité des popula-tions présentes dans ces quartiers. Elles n'ont souvent qu'une chose en commun, le fait d'être exclues des bénéfices de la société et il est donc impossible de répondre à leurs difficultés de manière standardisée. Leurs potentialités ne peuvent être valorisées que dans le cadre de politiques et de projets construits sur mesure. C'est par exemple le cas des femmes à qui on propose des formations pour les réinsérer dans le monde du travail mais à qui rien n'est proposé pour la garde de leurs enfants. Il faut envisager des stratégies souples faisant appel à des actions bien coordonnées entre elles.

Ces stratégies impliquent la mobilisation d'acteurs fort divers et supposent une organi-sation très flexible. Il ne s'agit pas en effet de définir un plan d'intervention général mais de proposer des initiatives souples dans un pro-cessus de long terme (coopération journalière entre les acteurs, nouveaux systèmes de prise de décisions, décentralisation dans les quartiers).

Un dernier facteur important et peut-être crucial est le rôle des habitants. Dans de telles stratégies visant la valorisation des poten-tialités des habitants, il ne s'agit pas de faire pour eux mais bien avec eux et parfois de faire en sorte qu'ils puissent faire par eux-mêmes. Les habitants ou leurs représentants doivent donc occuper une place dans les dispositifs partenariaux qui sont imaginés pour conduire ces stratégies ainsi que dans le processus de décision. Il faut pour cela transformer certaines représentations tradi-tionnelles qu'on peut avoir de leur place et de leur rôle dans la société locale et s'affranchir de quelques routines. Tout cela bien sûr ne se décrète pas et de telles transformations sont souvent l'aboutissement de processus conflictuels.

Quelles méthodes ?

Les stratégies de développement des ressources humaines et culturelles ont une meilleure chance de succès si elles sont soutenues par une politique nationale ou régionale et si elles s'intègrent dans une approche planifiée. Ce soutien par des politi-ques publiques est surtout le fait des pays du Nord de l'Europe alors que dans les pays sud il faut surtout compter sur l'engagement des habitants et des paticiens.

Ces deux cas de figures présentent chacun des avantages et des inconvénients. Dans certains pays de l'Europe du nord, il y a un risque que ces politiques publiques induisent des comportements de dépendance de la part des résidents vis-à-vis des services publics. En revanche, dans les pays d'Europe du sud, les volontaires croulent souvent sous l'ampleur de la tâche. Dans l'idéal, il faudrait ateindre à un mixage de ces deux approches. Si des politiques et des stratégies publiques flexibles sont nécessaires pour soutenir le développe-ment des ressources humaines et culturelles, dans le même temps, une marge suffisante doit être donnée aux habitants pour prendre en main leurs propres activités.

Quelques exemples de projets de valorisation des ressources humaines au sein des quartiers peuvent être signalés.

A Genk, le Fonds Flamand pour l'Intégration des Pauvres (VFIK) mis en place par le gouvernement intervient dans cinq domaines prioritaires (emploi, le bien être social, l'éducation, l'intégration et l'habitat) auprès des populations les plus défavorisées et particu-lièrement auprès des familles immigrées. Cinq territoires de la ville ont été délimités, certains ayant des taux de population étrangère de l'ordre de 75%.

La stratégie de développement mise en oeuvre repose sur divers principes : une approche intégrée et globale, la réalisation de projets très concrets donnant des résultats à court terme, une planification sur le long terme, une bonne coordination entre les partenaires et un partage équilibré des tâches, la participation des habitants, de bonnes relations entre les autorités locales et les organisations de résidents. Cette stratégie est conduite par un comité de pilotage qui réunit les divers partenaires locaux. Elle repose sur des diagnostics de la situation des quartiers qui font une large place à l'implication des résidents.

En Rhénanie du Nord-Westphalie, 18 quar-tiers ont été sélectionnés comme des zones d'intervention prioritaires. Les responsables de projets dans ces quartiers peuvent déposer des programmes d'intervention auprès d'une commission interministérielle et obtenir un accès plus aisé aux financements.

A Dortmund, le quartier de Scharnhorst a été retenu par cette politique et fait l'objet d'un programme décentralisé qui repose sur les principes suivants : le rôle-clé des habitants considérés comme des experts du dévelop-pement, une relation étroite entre la revita-lisation physique et économique et les objectifs sociaux, une planification pas-à-pas de la revitalisation du quartier.

Le programme concernant le quartier de Shankill à Belfast est similaire à celui de Dortmund. Ce programme qui s'inscrit dans la politique lancée en 1988 sous le nom de "Making Belfast Work" met l'accent sur différents thèmes et particulièrement sur l'implication active de la communauté dans l'étude du programme de développement et dans sa mise en oeuvre. La stratégie est d'être un "People's plan" sur lequel puissent s'engager les responsables politiques.

Ces programmes que nous venons d'évoquer et qui mettent particulièrement l'accent sur la prise en compte des caractéristiques et des souhaits des résidents supposent l'implication de divers acteurs et un sens avéré de l'organisation. D'un côté, tous les partenaires doivent s'inscrirent dans un dispositif permettant une stratégie de long terme et de l'autre ce partenariat doit être suffisamment ouvert et flexible pour permettre de saisir toutes les opportunités.

Certaines villes telle que Matosinhos ont mis en place une organisation partenariale qui regroupe la commune, une agence régionale de lutte contre la pauvreté, un centre régional pour le bien être social, des écoles locales, la bourse du travail et des organismes de formation.

A Tolède, un conseil de quartier a été créé qui regroupe des élus, des praticiens et des organisations de volontaires. Ce conseil se réunit dans le quartier de manière régulière et propose des discussions ouvertes. Il permet de créer un lien entre le pouvoir municipal et le quartier.

A Genk, un comité de pilotage appelé B.I.O. regroupant les divers acteurs interve-nant dans le quartier a été mis en place. Les résidents y ont toute leur place. A côté de ce comité, une instance interservices a été installé (Groupe de travail interservices pour le développement du quartier) afin de mieux coordonner l'action des différents services municipaux.

A Dortmund, divers dispositifs ont été mis en place pour favoriser l'expression et la coordination des projets : des Conférences de Projets, lieux où sont initiées et préparées les décisions, des Forum de Quartiers qui permettent l'engagement d'un large éventail de partenaires. Un nouveau dispositif est actuellement à l'étude autour de la notion d'équipe professionnelle chargée de la gestion du quartier. Ses missions consisteraient en la mise en oeuvre au jour le jour des projets, l'information des différents acteurs locaux, l'aide à l'élaboration de projets de la part des résidents, etc.

Quels projets ?

Les projets concernant la valorisation des ressources humaines et culturelles dans les quartiers en crise sont particulièrement nombreux et divers. Ce sont généralement de petits projets particulièrement bien ajustés aux caractéristiques des groupes de populations qui cherchent à tenir compte de leurs potentialités mais aussi des obstacles qu'ils rencontrent.

Ces projets peuvent être classés par groupes-cible ou par thèmes.

Dans la plupart des quartiers, l'accent est surtout mis sur la question de l'éducation des enfants et de la formation initiale. Un soutien doit particulièrement être apporté aux enfants des habitants de ces quartiers afin qu'ils soient en mesure de surmonter les handicaps d'un milieu familial et social peu porteur. Beaucoup de projets sont ciblés sur les très jeunes enfants au niveau de la crèche, de la maternelle et des premières années de l'école primaire.

Le second groupe-cible est constitué par les adolescents et notamment par ceux qui sont en situation de rupture scolaire et familiale. Dans les quartiers en crise, le pourcentage d'enfants en échec scolaire ou en rupture avec l'école est particulièrement important. Les projets ont surtout pour objectif de maintenir le contact avec ces adolescents afin de leur éviter de glisser dans la délinquance et de leur offrir des opportunités de participer à des activités de réinsertion dans un milieu plus porteur.

Le troisième type de projets concerne les femmes. Les femmes sont généralement les membres les plus actifs des communautés de base au sein des quartiers. Malheureu-sement, elles rencontrent aussi le plus de difficultés pour trouver un travail salarié et gagner suffisamment d'argent pour pouvoir être indépendantes.

Des projets spécifiques d'accès au travail sont mis en place qui tiennent compte de la situation familiale des femmes et de leurs charges de famille. Plus précisément, on cherche à leur réserver les emplois de proximité dans les quartiers et ceux qui permettent un travail à temps partiel.

D'autres projets mettent plus particulière-ment l'accent sur la création d'activités et de services de proximité dans les quartiers (crêches, services d'information et de forma-tion, activités dans le domaine des soins et de la santé, bibliothèque,etc.). Ces activités qui peuvent être prises en charge par les femmes le sont de manière bénévole au départ pour devenir, au fur et à mesure de leur dévelop-pement, de vraies activités de service public ouvrant droit à rémunération.

Le quatrième groupe-cible est constitué par les personnes âgées. De manière générale, ce groupe est relativement négligé par les stratégies de développement alors qu'il représente une population croissante dans tous les quartiers. Ce groupe qui vit souvent dans un relatif isolement est plus que d'autres dépositaire de ressources et de qualifications qui peuvent être mises à la disposition des autres membres de la communauté locale. Deux types de projets ont vu le jour : des projets qui cherchent à apporter des services aux personnes âgées à domicile, des projets qui visent à mieux utiliser les potentialités de ces personnes et à les mettre au service du reste du quartier (voir en particulier le projet de Dortmund ZWAR "Entre activité et retraite").

Le cinquième groupe à considérer est celui des minorités ethniques. Dans la plupart des quartiers européens, les populations étran-gères ou issues de l'immigration sont assez largement représentées. De manière géné-rale, on a tendance à souligner les handicaps de ce groupe d'habitants et non pas les richesses qu'il recèle et qui pourraient être valorisées. En particulier, il est possible de favoriser l'intégration de ces minorités ethni-ques dans la société en diffusant leurs valeurs culturelles.

Le meilleur vecteur pour le faire auprès des jeunes enfants et de leur famille est encore l'école. Il y est possible, plus qu'ailleurs, de faire de l'information et d'inclure ces aspects culturels dans les programmes pédagogiques. Il y est surtout possible de favoriser des rencontres entre des parents qui de part leurs origines tendent à s'ignorer.

Le second vecteur de diffusion des valeurs culturelles des minorités ethniques est l'entre-prise économique. Ce domaine d'activité connaît depuis quelques années un fort développement notamment dans le secteur de l'alimentaire (boucherie, épicerie, restau-rants). Il s'est aussi étendu dans le secteur du bâtiment et dans celui de l'import-export. Il a pris pied dans le secteur de services aux entreprises. L'essor de ces entreprises est très important pour les quartiers en crise dans la mesure où elles viennent apporter des services qui jusqu'alors faisaient défaut et qu'elles contribuent à attirer une clientèle vers ces quartiers. C'est aussi un domaine d'activité qui peut permettre à des femmes de mieux s'intégrer dans nos sociétés d'accueil.

Restauration de l'habitat et projets urbains dans les quartiers en crise

La plupart des quartiers en crise souffrent de multiples handicaps réels ou supposés. Parmi ces handicaps, on met généralement en avant leurs caractéristiques architecturales, urbaines et plus largement écologiques. Ce sont des handicaps visibles d'emblée qui n'ont pas à attendre la mise au point de diagnostics sophistiqués pour s'inscrire au passif du bilan de ces quartiers. Souvent on impute à ces caractéristiques physiques et au mauvais entretien de ces quartiers, les causes de tous les maux. Il y aurait une sorte de détermi-nisme architectural et urbain venant peser sur la réalité économique et sociale de ces quartiers. La revitalisation de ces territoires urbains est alors souvent assimilée et canton-née à l'amélioration physique de leur cadre bâti. En transformant ce cadre bâti, en lui apportant les éléments de la bonne urbanité, on est sensé contribuer à l'amélioration des conditions de vie et éventuellement à provoquer une transformation des compor-tements et des modes de vie.

Si de telles interventions sont nécessaires compte tenu de l'état de dégradation de ces territoires urbains, il ne faut pas en espérer trop du côté des mutations économiques et sociales et particulièrement du côté de l'amélioration des conditions de vie des popu-lations résidentes. Parfois, ces opérations se résument à un effet cosmétique et ne se justifient que parce qu'elles ont un impact politique.

Les caractériques architecturales et urbaines. Quels diagnostics ?

Il est difficile d'imputer aux caractéristiques architecturales et urbanistiques de ces quar-tiers l'origine de toutes les difficultés qu'ils connaissent.

Ainsi que l'ont montré les programmes précédents, l'actuel programme confirme la grande diversité architecturale et urbaine des quartiers en crise : centres historiques (Lisbonne, Naples, Barcelone, Dublin), quartiers anciens (Anderlecht, Dortmund), cités ouvrières (Belfast, Paisley, Genk), grands ensembles (Mulhouse, Béziers, Brême), quartiers de pavillons (Eindhoven). Il n'y a donc pas de fatalité architecturale et urbaine, chaque ville secrétant, à un moment donné de son histoire, des territoires stigmatisés, lieux d'accueil "privilégiés" des populations en situation d'exclusion.

Ces quartiers présentent souvent la particu-larité d'avoir été abandonnés par leurs habitants les plus fortunés, d'avoir été négligés par les instances gestionnaires (absence d'entretien). Ils présentent aussi la caracté-ristiques d'être mis à distance de la ville par une coupure physique (éloignement du centre et absence de désserte par les transports collectifs, proximité d'une autoroute ou d'une voierie à grande circulation, d'une voie ferrée, d'une friche industrielle, d'un équipement polluant telle qu'une usine d'incinération des ordures ménagères). Bref, ils souffrent d'une mauvaise image et d'une mauvaise réputation dans l'ensemble de la ville qui ne découlent pas absolument de leurs caractéristqiques physiques intrinsèques mais plutôt d'un effet de la structure urbaine dans son ensemble. En quelque sorte le reste de la ville a besoin de ces territoires-là comme lieu de relégation ou sas d'accès à la ville honorable.

Beaucoup de ces quartiers ont déjà fait l'objet d'opérations de restauration immobilière au cours des dernières décennies, certains à plusieurs reprises, indiquant ainsi les limites de programmes qui se cantonnent à une intervention "cosmétique" sur ces quartiers.

De manière générale, ces interventions physi-ques semblent avoir été trop timides et trop souvent déconnectées de la réalité sociale de ces quartiers. En se limitant à une réhabilita-tion de façades et à quelques aménagements des espaces publics, ces opérations ne touchent qu'à l'apparence des choses.

D'une part, elles ne permettent pas de repenser les rapports et les relations de ces quartiers avec le reste de la structure urbaine (meilleur accès aux espaces centraux, sup-pression des barrières physiques ou symbo-liques, résorption des nuisances et des pollu-tions qui affectent ces quartiers). D'autre part, ces opérations de réhabilitation passées ont été souvent décrétées de l'extérieur sans réellement prendre en compte dans leur conception les modes de vie des habitants. Il s'agit la plupart du temps de projets de restauration "administratifs" qui en tous points sont respectueux des procédures, des régle-ments, des contraintes financières mais qui ignorent l'essentiel, à savoir la manière dont les gens y vivent au jour le jour.

Enoncé ainsi cette critique peut apparaître excessive surtout si on l'a rapporte aux principes affichés par tous les programmes de réhabiliation. Ce qui est en cause, ce n'est pas tant la volonté politique initiale des auteurs des projets mais ce qui en reste une fois qu'elle a été broyée par les procédures bureaucra-tiques et réévaluée à l'aune des contingences quotidiennes.

Principes et méthodes de la revitalisation physique des quartiers

La revalorisation physique de ces territoires doit s'inscrire dans une approche globale des problèmes. Elle doit donc tenir compte des divers aspects de la vie de ces quartiers et non pas être conçue comme une simple intervention technique corrective.

L'idée centrale qui est apparue au cours des échanges entre villes est de mettre l'accent sur le caractère durable de la réhabilitation des quartiers. Cette notion de réhabilitation durable doit respecter un certain nombre de principes.

La revitalisation physique des quartiers ne doit pas être considérée comme une fin en soi ce qui est trop souvent le cas mais comme un processus et le point de départ de la recon-struction d'un milieu socio-économique en relation avec le reste de la ville.

Elle doit être fondée sur des projets urbains qui repositionnent les quartiers par rapport au reste de la ville. Ces projets ne doivent pas se limiter à la restauration des immeubles et à l'aménagement interne des quartiers, ils doivent transformer les rapports qui existent entre ces quartiers et le reste de la ville (suppression ou atténuation des frontières physiques, inscription des quartiers dans le réseau des transports collectifs, valorisation du quartier en y localisant des équipements structurants d'agglomération,...). Il faut que ces quartiers deviennent des attracteurs urbains, des espaces où on a envie d'aller, des quartiers où puisse s'accrocher un imaginaire urbain positif. Une telle démarche suppose certainement une autre conception de la planification urbaine à l'échelle de la ville, une planification plus stratégique en rupture avec l'urbanisme réglementaire capable de repenser la hiérarchisation traditionnelle des espaces urbains.

La revitalisation physique durable des quartiers repose sur le respect des besoins des résidents actuels et doit favoriser l'appropriation par eux des logements et des espaces aménagés. Le risque est grand en effet que le lancement d'un processus de réhabilitation des quartiers s'accompagne de l'éviction des populations qui y ont trouvé jusque-là refuge. De nombreuses opérations considérées comme réussies ont conduit en effet à ce type de résultat avec la mise en place de ce que l'on qualifie de processus de "gentrification". Si on part du diagnostic selon lequel les problèmes d'un quartier résident essentiellement dans la présence d'un certain type de population, il est logique que ce critère soit retenu pour apprécier les transformations sociales d'un quartier mais ce faisant on est loin des objectifs assignés aux approches intégrées de développement urbain. Celles-ci mettent en avant la nécessité de faire en sorte que les opérations de revitalisation puissent avant tout bénéficier aux populations qui résident dans ces quartiers. La question du maintien sur place des résidents est essentielle.

Plus précisément ce thème de la réhabilitation des quartiers pose la question de la place que peuvent occuper les habitants dans le processus mis en oeuvre ainsi que sur leur rôle. De manière générale, on considère que la réhabilitation est un processus très technique qui est hors de portée des habitants. En fait dans de nombreux quartiers, et particulièrement dans les quartiers des villes de l'Europe du sud, il existe des processus de réhabilitation spontanée qui font largement appel au réseau de l'économie informelle et au savoir-faire des habitants. Il n'est donc pas impensable, dans des quartiers où un grand nombre de personnes sont au chômage, d'initier des programmes de revitalisation qui reposent largement sur les ressources et les capacités des habitants.

Les opérations de réhabilitation des quartiers en crise

L'examen des programmes mis en oeuvre par les villes du réseau permet de mettre en évidence plusieurs types de projets faisant appel à chaque fois à des logiques et à des compétences de différente nature.

Le premier type regroupe ce que l'on peut qualifier de micro-projets, très concrets, terre-à-terre, conçus et mis en oeuvre par des groupes de gens motivés, bénévoles et souvent militants.

Ces micro-projets sont très divers : repro-duction de faïences traditionnelles par les élèves d'une école primaire pour être utilisées sur les façades de logements réhabilités au Bairrio Alto de Lisbonne, restauration d'immeubles vétustes ou en ruine par des jeunes toxicomanes encadrés par des moniteurs professionnels du bâtiment à Patissia-Athènes, réhabilitation de l'immeuble "Gore" par des squatters à Altberesichen-Frankfurt/Oder, aide apportée aux habitants qui veulent mettre en oeuvre des travaux de réhabilitation.

Le second type d'initiatives consiste pour les autorités à accompagner les projets de réhabilitation spontanée mis en oeuvre par les habitants. C'est ce qui se passe en Grèce, à Athènes par exemple, mais aussi dans la plupart des quartiers anciens des villes. Il s'agit d'une réhabilitation au coup par coup que les autorités locales ne peuvent contrôler qu'à la marge. Dans ce cas bien sûr les résidents disposent de toute latitude pour organiser comme ils l'entendent l'aménage-ment de l'espace dont ils sont propriétaires, cela le plus souvent au mépris des textes réglementaires et des principes d'urbanismes collectifs. C'est une sorte de loi de la jungle régulée.

Le troisième type d'initiatives repose sur des programmes de réhabilitation physique de logements mis en oeuvre par des autorités locales. La référence en la matière est constituée par les Cabinets de Quartier pluri-disciplinaires et décentralisés de Lisbonne. Ces Cabinets prennent en charge la totalité du processus technique de réhabilitation.

Ces opérations peuvent obéir à deux types de logique. La première est une logique "verticale" qui conduit à procéder, immeuble par immeuble, à la totalité de l'opération de réhabilitation. Dans cette formule, la logique institutionnelle est dominante, elle impose sa durée, son rythme, les volumes de finan-cement mobilisés. Il est très difficile dans cette logique d'intégrer des habitants ou d'ouvrir les chantiers de formation à des stagiaires. La seconde qui obéit à une logique "horizontale" vise à donner à tous les immeubles un minimum d'équipement (par exemple une installation sanitaire de base). Cette logique horizontale qui est à l'étude est sensée laisser plus de place à une intervention des habitants dans le processus de réhabilitation et de mieux épouser les capacités techniques et financières mobilisables par eux.

Ces initiatives qui voient le jour dans les quartiers anciens traditionnels situés la plupart du temps au centre des villes présentent le risque d'accélérer des phénomènes de reconquête sociale (gentrification) et des phénomènes spéculatifs. C'est ce qui s'est produit en France où, dès le milieu des années soixante-dix, une active politique de restauration de l'habitat ancien a été mise en oeuvre qui a abouti à l'expulsion des popu-lations les moins solvables vers la périphérie des villes, dans les grands ensembles construits dans les années soixante. C'est semble-t-il un mouvement de même nature qui peut se profiler dans divers pays de l'Europe latine comme d'ailleurs dans des pays de l'Europe du Nord qui redécouvre avec retard les "charmes" des quartiers anciens. Avec quels nouveaux effets sur les processus d'exclusion des populations les plus fragiles au sein des villes ?

La question de la réhabilitation de l'habitat prend une toute autre tournure quand il s'agit de quartiers de la périphérie et en particulier quand il s'agit de grands ensembles. Dans ces cas-là, les opérations de réhabilitation ne s'inscrivent pas dans des dynamiques de reconquête sociale des quartiers. Elles sont envisagées, au contraire, pour juguler des processus de déclin et pour susciter une revalorisation de ces quartiers. Les expériences de réhabilitation menées jusqu'à présent dans les quartiers de grands ensembles n'ont guère été probantes et n'ont pas réussi, seules, à inverser le cours des choses.

La plupart du temps il a été possible d'apporter à ces quartiers des éléments de confort et à les mettre en conformité avec les exigences actuelles des habitants. Les efforts réalisés sont loin d'avoir été négligeables mais ils n'ont pas réussi à faire de ces quartiers des quartiers comme les autres ainsi que le prétendait la formulation des programmes à leur origine.

D'ailleurs s'agit-il bien de faire de ces quartiers des quartiers comme les autres, c'est-à-dire alignés sur une certaine norme dominante de l'habiter et de la vie urbaine ? Ne peut-on pas envisager pour ces quartiers et pour leurs habitants une autre manifestation spatiale de leurs modes de vie ? N'est-il pas possible d'envisager à partir de ces territoires urbains d'autres façons de concevoir la vie en ville ?

C'est autour de ces questions que s'orientent désormais les réflexions. Il ne s'agit plus simplement à propos de ces ensembles péri-phériques de simplement envisager des projets de réhabilitation à partir des formes urbaines existantes mais d'essayer à partir de projets urbains de recomposer l'organisation de ces territoires en essayant de mieux les articuler au reste du tissu environnant.

Conclusions et recommandations

La participation des villes au Réseau Quartiers en Crise et la conduite par elles de program-mes intégrés de développement urbain ont été l'occasion de multiplier les opportunités d'échanges sur un thème essentiel pour l'avenir des villes à savoir le maintien de la cohésion sociale des territoires urbains.

Ce défi que les villes ont à relever, quel que soit leur niveau de prospérité, ne peut être abordé à partir de politiques sectorielles classiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics traditionnels selon les principes classi-ques de la bonne administration. Il est de plus en plus nécessaire d'intervenir dans de multiples domaines, souvent de manière simultanée et coordonnée en mobilisant des acteurs publics et privés intervenant à diffé-rents niveaux de l'organisation de la société. En d'autres termes, il est nécessaire d'établir des synergies entre différents partenaires et entre des politiques initiées par différents niveaux de l'organisation administrative.

Les approches intégrées de développement urbains se fondent précisément sur ces prin-cipes. Leur objectif n'est pas de se substituer aux approches traditionnelles de la gestion sociale et urbaine, ni aux acteurs profession-nels qui les mettent en oeuvre mais bien de construire un autre cadre de travail dans lequel ces approches pourront être plus efficaces. Leur objectif n'est pas de mobiliser plus de financements, plus de moyens en addition de ceux qui existent actuellement, mais bien de mieux les utiliser et faire en sorte d'augmenter leur efficacité en permettant cette synergie entre les programmes et les projets.

Tel est l'enjeu essentiel de ces approches. Il ne s'agit pas tant de faire plus que de faire autrement en s'appuyant sur une trans-formation et une modernisation de système et des dispositifs d'intervention au sein des villes. Bref, l'enjeu est de repenser, voire de contribuer à reconstruire de nouveaux systèmes de gouvernance urbaine.

Les approches intégrées de développement urbain, La synergie entre des politiques

Le déroulement du programme Quartiers en Crise dans sa nouvelle formulation a eu des résultats et un impact très positif à court terme pour les villes et pour les équipes de projet en favorisant toutes sortes de synergies au sein des villes, entre les villes de chaque pays et au niveau européen. Avec ce troisième programme, et grâce aux habitudes de travail prises depuis plus de cinq ans entre certaines villes européenne, le réseau Quartiers en Crise a atteint une sorte de maturité qui fait que les choses adviennent d'elles-mêmes sans qu'il soit besoin de faire preuve d'un grand volontarisme.

Synergies entre acteurs au sein des villes

La mise en oeuvre d'échanges entre des villes sur des thèmes particulièrement bien ciblés a eu un effet d'accélérateur sur les projets locaux et sur la transformation des manières de faire. Un regard externe, qu'il s'agisse de celui de visiteurs, qu'il s'agisse de celui d'un voyageur de retour vers sa propre ville a toujours un effet bénéfique dans la mesure où il provoque cette mise à distance nécessaire par rapport à des modes de faire traditionnels et parfois par rapport à des routines.

En outre, ce type d'échanges facilite le transfert d'idées et d'innovations ce que ne saurait impulser la documentation écrite même la plus détaillée. Cet apport d'idées et d'expériences nouvelles est directement intégrable dans les projets locaux et peut conduire parfois à des changements d'orientation dans les projets locaux comme il nous a été donné de l'observer dans plusieurs villes (cf. par exemple le projet Youthstart de Cosenza).

Enfin, les approches intégrées de développe-ment urbain, et a fortiori leurs méthodes, sont loin d'être connues et répandues dans les différentes villes de l'Union Européenne. Le Réseau Quartiers en Crise a souvent servi de vecteur pour la diffusion de ces approches au niveau européen.

Dans beaucoup de villes du réseau des comités de pilotage locaux "Quartiers en Crise" ont été constitués. L'opportunité de créer de nouvelles structures de commu-nication et de coopération entre les acteurs au sein des villes est certainement un effet du bon fonctionnement de ce réseau. L'implica-tion de ces acteurs dans les visites au niveau de chaque ville a souvent eu un effet structurant et organisateur. Pour beaucoup d'entre elles, ces visites ont été la première opportunité en ce domaine (rencontre entre les acteurs d'une même ville, création d'une plate-forme commune, élaboration de projets).

Ces échanges ont aussi permis un soutien accru aux programmes conduits par les acteurs locaux de la part des élus de certaines villes. La participation des élus aux échanges et aux groupes de travail avec des représen-tants d'autres villes a certainement contribué à faire tomber des obstacles et à prévenir des critiques.

Le réseau Quartiers en Crise a surtout permis à des habitants et à des volontaires d'être reconnus comme des acteurs à part entière des projets de revitalisation des quartiers. C'est un aspect qui doit être très fortement souligné comme un résultat positif de ces échanges. Leur apport est en particulier essentiel dans les discussions avec les praticiens qui peuvent ainsi s'enrichir de leurs réflexions de qualité et de leurs expériences. L'idée d'organiser une Journée de la Citoyenneté Européenne à laquelle seraient invités les habitants des quartiers vient tout à fait à propos.

Synergies entre villes et entre programmes

Ce travail de mise en réseau au sein de chacune des villes ne s'est pas arrêté là. Deux domaines ont été particulièrement explorés : la synergie entre les villes, la synergie entre programmes.

Dans plusieurs pays, la participation de certaines villes au programme leur a donné l'opportunité d'initier au sein de leur propre pays un réseau régional de villes intéressées par les approches intégrées de développe-ment urbain (par exemple Tolède, Dortmund). Ces réseaux régionaux sont très importants dans les pays qui n'ont pas mis en place de politiques nationales en la matière car ils permettent de confronter des pratiques ce qui est une garantie d'accéder à des expériences de qualité et de consolider de telles pratiques face aux administrations traditionnelles.

A travers les approches intégrées, le deuxième apport du réseau Quartiers en Crise a permis de créer de nombreuses synergies entre divers programmes financés par l'Union Européenne au sein des villes.

De nombreux acteurs intervenant dans les villes reçoivent traditionnellement des moyens financiers de la part des autorités publiques nationales mais aussi de la part de l'Union Européenne dans le cadre de programmes spécifiques. Il est couramment admis que ces acteurs locaux n'ont pas nécessairement des relations de travail entre eux, ni a fortiori ne coordonnent leurs activités. Parfois les programmes qui reçoivent un soutien financier de l'Union Européenne peuvent avoir des effets contradictoires entre eux sur un même territoire et pour les populations qui y résident (voir en particulier les contradictions entre les financements d'investissement soutenus par le FEDER et les dépenses visant l'action sociale).

Pour beaucoup de villes les approches inté-grées de développement urbain sont une occasion d'articuler différents programmes mis en oeuvre indépendamment qu'ils reçoi-vent des financements d'origine locale ou d'origine européenne. Ce type de relations est évident entre les projets des Initiatives Emploi et les projets pilotes urbains. Dans beaucoup de villes, les projets élaborés dans le cadre d'Urban et dans le cadre des Initiatives pour l'emploi sont directement inspirés des méthodes mises en oeuvre dans le cadre du programme Quartiers en Crise.

Au niveau international des synergies simi-laires peuvent être identifiées. Des groupes de travail ont été mis en place entre les villes participant aux Initiatives pour l'emploi et au projet Urban avec pour perspective de déposer des projets communs au niveau européen. Ces groupes sont ouverts à d'autres villes non membres du réseau Quartiers en Crise.

Par ailleurs, des projets sont mis sur pied qui associent des villes sans soutien particulier de l'Union Européenne. Il en est ainsi de pro-grammes d'échange entre des jeunes des quartiers ou des praticiens qui se sont rencontrés à l'occasion de ce programme. Parfois, l'appartenance à une même culture d'origine joue dans ce sens (cas de la diaspora espagnole ou italienne en Europe, cas de la diaspora maghrébine ou turc disséminée dans divers quartiers des villes européennes).

Cette collaboration entre les villes peut aussi porter sur des domaines extrême-ment variés qui n'étaient pas à l'origine inclus dans ce programme d'échange particulier. Il en est ainsi par exemple des problèmes de la santé et des quartiers défavorisés (rôle tenu par Dortmund). Il est aussi envisageable de déve-lopper des activités communes à plusieurs ville dans le domaine de la valorisation des produits traditionnels locaux avec l'implanta-tion dans les différents quartiers de points de vente (idée suggérée à de multiples reprises par les villes du réseau et encore récemment par Cosenza mais qui n'a jamais pu vraiment se concrétiser).

Propositions et recommandations concernant le réseau Quartiers en Crise

La force principale du réseau Quartiers en Crise repose sur sa capacité de regrouper divers partenaires (élus, praticiens, habitants) engagés dans les programmes intégrés de développement urbain au niveau local et d'assurer leur mobilisation permanente. Le réseau ne s'est pas constitué pour accomplir une mission particulière en ayant reçu le soutien financier de la part de l'Union Européenne. Au contraire, ce réseau a trouvé sa raison d'être dans le fait que des villes et des équipes locales associant élus, praticiens et habitants ont éprouvé le besoin d'échanger, de coopérer et de se prêter mutuellement assistance.

Lancé en 1989 avec 10 villes appartenant à 5 pays de l'Union Européenne, ce réseau a fait oeuvre pionnière. En six ans de fonction-nement, dans un domaine considéré comme étant en dehors du champ des compétences communautaires, le réseau Quartiers en Crise a montré qu'il était possible d'impulser une réflexion et des programmes de travail qui s'avèrent être aujourd'hui tout particulièrement pertinents. Le réseau qui regroupe désormais une trentaine de villes pourrait s'élargir à une quarantaine de membres dans un futur pro-che tant les thématiques abordées sonnent comme des défis pour l'Europe des villes et pour l'Europe dans sa totalité.

Poursuivre les programmes d'échanges et de coopération entre les villes sur des thèmes délimités

La poursuite des programmes d'échange entre les villes apparaît comme une nécessité pour susciter un processus continu de réflexion sur le thème de la cohésion sociale des territoires urbains et sur les nouvelles modalités de gouvernance des villes. La poursuite de ces programmes ne vise d'ailleurs pas à solliciter que le niveau communautaire européen, elle doit avoir un impact sur les autorités étatiques et les acteurs locaux ceci afin que cette question des quartiers en difficulté soit inscrite sur l'agenda politique et puisse faire l'objet de programmes prioritaires.

Le choix de cibler les échanges sur des thèmes plus précis a été unaniment apprécié au sein des différents groupes de villes et la poursuite d'une telle orientation semble devoir s'imposer. Le risque est grand cependant de retomber dans un traitement très sectoriel de la réalité urbaine si parallèlement n'est pas maintenu le souci d'inscrire ces thèmes au sein d'approches intégrées de développement urbain et de bien mesurer quelles en sont les implications.

La poursuite de cette orientation visant à cibler les échanges sur des thèmes plus circonscrits doit être poursuivie et approfondie à l'avenir. Pour ce faire, il est souhaitable de dresser un état des thèmes prioritaires que les villes souhaitent voir aborder et des offres d'exper-tises et d'assistance technique qu'elles sont capables de proposer dans le cadre de cette coopération.

Améliorer les diagnostics

Il ne peut y avoir de programme de développement efficace sans élaboration de diagnostics de qualité. La plupart du temps les diagnostics ne sont qu'un recensement de quelques paramètres qui tant bien que mal circonscrivent la situation et permettent de cerner les évolutions. Ces diagnostics permettent plus rarement d'établir une comparaison entre divers territoires d'une même ville et de procéder à l'analyse de la situation des quartiers en référence à l'évolution de la structure urbaine d'ensemble.

Plus précisément, ces diagnostics sont souvent d'une extrême pauvreté dans le domaine économique. L'objectif pourrait être d'essayer d'expliciter dans un cadre formel adapté, sur le modèle de la comptabilité, les principaux agrégats et flux d'un quartier afin de permettre une lecture aisée de leur réalité "économique"

Pour le patrimoine, il s'agirait de dresser un bilan des richesses accumulées sur un territoire donné en faisant apparaître les éléments d'actif (valeurs des divers biens) et de passif (les dettes). Cette évaluation, dont on mesure bien la difficulté de mise en oeuvre, permettrait de disposer d'une photographie de l'état d'un quartier dans la ville au moment où, précisément, leur valeur est contestée.

Par extension, ce bilan de patrimoine pour-rait ne pas se limiter aux seules valeurs physiques, mais conduire à une appré-ciation qualitative des ressources humaines et culturelles présentes dans ces quartiers.

Une étude similaire pourrait porter sur les flux monétaires et non monétaires à l'inté-rieur de ces quartiers et entre ces quartiers et le reste du territoire sur le modèle des comptes d'agents de la comptabilité nationale. Alors que de nombreuses appréciations sont por-tées sur l'importance de ces flux, personne ne s'est vraiment risqué à chiffrer les masses monétaires en jeu. Il n'existe pas de comptabi-lité territoriale globale, ni de comptes publics de quartier alors que de telles données seraient particulièrement utiles pour conduire des stratégies de développement écono-mique.

Mieux recenser les ressources disponibles dans chaque ville.

Ce recensement des thèmes de travail doit être fait en regard des difficultés rencontrées par les villes pour résoudre certains problè-mes ou en regard des réussites obtenues pour traiter telle ou telle dificulté. Il serait alors possible d'établir une sorte de bourse des projets entre les villes et d'utiliser les compé-tences acquises par chaque ville aux fins d'expertises mutuelles.

L'objectif ne serait pas de mettre en place un centre de ressources accumulant une docu-mentation figée mais de concevoir ce centre comme un réseau d'experts pouvant être mobilisé par les différentes villes en fonction de leurs besoins. Ces experts pourraient être recensés en fonction de leurs compé-tences et de leurs capacités au sein des groupes d'acteurs et de praticiens intervenant dans les différentes villes.

Associer de nouveaux acteurs au sein de programmes élargis

Cet élargissement devrait passer par l'impli-cation de nouveaux participants dans les activités d'échange. Il en est ainsi en parti-culier des représentants du secteur privé qui sont perçus comme pouvant jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Il est souhaitable qu'ils occupent une place tout aussi importante que les habitants, les praticiens ou les poiltiques dans les prochains échanges.

Soutenir une coopération décentralisée entre les villes et les pays. Initier des projets expérimentaux

Dans cette perspective, le savoir-faire acquis dans le cadre des projets et dans les échanges doit pouvoir être mis à la disposition des villes dans le cadre d'un soutien décen-tralisé au développement des programmes. Ce soutien décentralisé doit voir le jour entre villes de diverses régions ou de divers pays mais aussi entre projets qui ont tendance, pour différentes raisons, à s'ignorer au sein d'une même ville.

Il est de la mission de l'association Quartiers en Crise d'apporter son soutien à de telles initiatives en facilitant le repérage des initia-tives et en aidant la mise en oeuvre de programmes bilatéraux d'assistance techni-que entre les villes et les équipes de projet.

On pourrait envisager le lancement de projets expérimentaux sur certains sites urbains dans les villes-membre du réseau Quartiers en Crise. Ces projets devraient être conduits de manière raisonnée afin de favoriser la repro-duction et la généralisation de telles approches.

Construire des programmes de formation.

Des programmes de formation pourraient être élaborés à partir des programmes et des projets réalisés dans le cadre de Quartiers en Crise. Des modules de formation pourraient être élaborés locale-ment pour renforcer le savoir-faire de divers acteurs. On pourrait aussi mettre en place des échanges plus intensifs, plus ciblés et peut-être de longue durée pour ce type d'acteurs.

Renforcer le pool de compétence et d'expertise

Le ciblage des programmes d'échange sur des thèmes plus précis et particulièrement sur les domaines du développement économique et de la valorisation des ressources humaines et culturelles fait apparaître la nécessité d'une expertise professionnelle plus pointue. Qu'il s'agisse de la conduite des projets au niveau local, qu'il s'agisse des compétences réunies au sein du réseau Quartiers en Crise ou qu'il s'agisse des compétences mises à la disposition des villes-membre par l'associa-tion, en ces trois domaines, il faut avoir recours à des professionnels-experts capa-bles d'apporter aux équipes de projet la technicité nécessaire.

Renforcer les missions de recherche et d'évaluation

Ce renforcement est souhaité depuis la fin du second programme. Afin de pouvoir apporter un meilleur appui scientifique aux villes au sein de chaque pays, il faut pouvoir mobiliser un chercheur par pays ayant une bonne connaissance de la réalité urbaine nationale, des systèmes politico-administratifs locaux et des programmes de développement mis en oeuvre. Il devrait être possible au niveau de chaque Etat-membre ou au niveau de chaque groupe national de ville de dégager des moyens techniques et financiers permettant la conduite de telles recherches et évaluations. Sur la base de ces travaux et de confrontation entre chercheurs, il serait alors possible d'atteindre une meilleure connaissance des phénomènes à l'oeuvre. gage, peut-être, de leur meilleure maîtrise dans le futur.

Un meilleur soutien de l'association Quartiers en Crise aux villes-membre.

La mise en place de ces différentes actions suppose un meilleur soutien apporté aux villes-membre et aux projets locaux par l'association Quartiers en Crise. En référence au récent Programme Urban et à l'importance de ces nouveaux financements européens, il est demandé avec insistance à l'association Quartiers en Crise de mieux soutenir les villes pour leur permettre d'accéder à ces programmes.

Quartier en Crise

20 rue Charles Martel, 1040 Bruxelles,

Tél : 32 2 230 60 27 ou 32 2 230 83 16,

Fax/Répondeur : 32 2 230 52 51


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Horizon Local 1997
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