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Historique de l'intervention sociale comme "développement communautaire" ou "animation"


Le développement communautaire serait né, selon Jacques Boulet, en Europe au cours du 9ème siècle le long des berges de la Meuse et du Rhin. C'est l'époque où les grandes migrations se terminent. La culture semi-nomade d'alors se voit confrontée à l'empire de Charlemagne voulant imposer son ordre romanisé et chrétien et sa nouvelle structuration administrative et politique.

Saint Willibrord, la police bruxelloise et le Chiapas

Une première expérience de "développement communautaire" se fait à partir du seul coin non-envahi par les hordes barbares, l'Irlande. Les Irlandais sont chargés de christianiser le Nord du continent européen. Saint Willibrord et les autres missionnaires ayant créé de grands monastères agissent dans un champ de forces caractérisé d'une part par la résistance des populations locales et d'autre part par la pression de l'empire. Cette tension est tout-à-fait caractéristique du développement communautaire : l'animateur (niveau meso) agit au centre d'un champ de forces constitué d'une part de la population locale (le niveau micro) et d'autre part du pouvoir en place (le niveau macro). D'une part, il y a résistance structurelle et culturelle et d'autre part imposition structurelle et culturelle.

Il n'en va guère différemment aujourd'hui d'ailleurs. Les participants français, belges et angolais rapportèrent chacun comment l'animateur et son ONG tentent d'accompagner le dynamisme de la population tandis que l'Etat ou le pouvoir local (par exemple, les pouvoirs publics et la police à Bruxelles) attendent plutôt que ce travail serve la politique de normalisation qui est la leur (le parti unique au pouvoir en Angola; la triade répression-intégration-exclusion en Belgique et en France). Rapportant une des constatations de l'Atelier du Réseau Cultures de Bangalore (Inde), on fit remarquer que les ONG ont pris l'habitude de choisir leur camp et que cela est sain et normal dans des situations d'oppression claire et nette. Ainsi, il n'était guère difficile pour les ONG au Mexique d'opter avec la majorité de la société civile en faveur des Indiens du Chiapas et contre le gouvernement mexicain. Par contre, quel camp choisir en matière de conflit religieux en Inde ou en Irlande où le choix est plus complexe car les conflits n'y opposent pas un Etat à des opprimés mais plutôt deux communautés.

Les cow-boys et la vallée du Tennessee

Autre étape importante dans l'histoire du développement communautaire : les années 1850 aux USA.

Suite à la libération des esclaves et à la conquête de l'Ouest, l'Etat aide les cow boys par le jeu de deux lois visant "l'extension rurale". Elles visent à donner une infrastructure aux cow boys pour leur permettre d'exploiter d'immenses fermes prélevées sur les terres des Indiens. Il s'agissait de favoriser la création et la protection des "ranches", de donner une éducation de base aux cow boys et transformer et civiliser ces individus assez brutaux (appelés "rugged individuals") grâce à l'éducation communautaire.

Toujours au cours du 19ème siècle, la Basler Mission et d'autres mouvements chrétiens envoyèrent dans les quartiers défavorisés des pays du Nord ou dans les colonies des "éducateurs-organisateurs". En Grande Bretagne militait le "Settlement", un mouvement de pasteurs anglicans engagés dans les quartiers pauvres de leur pays. Ils mirent au point une méthode de travail social communautaire visant à mobiliser les gens autour d'objectifs sociaux définis ensemble. Jane Adams, Prix Nobel féminin en 1920, militante pacifiste, lutta contre l'engagement US dans la Première Guerre Mondiale (1914-1918). Elle est un produit typique du développement communautaire.

Aux USA toujours, la Tennessee Valley Authority (TVA) se fixa pour but de tirer cette région de la pauvreté grâce à la construction de barrages. Les développeurs de la communauté" devaient convaincre les gens de quitter leur maison qui serait mise sous eau. Il était question de les reloger tout en les "développant"... Ce cas nord-américain inaugure ainsi une habitude aux conséquences souvent funestes qui consiste à chasser les gens de leur lieu d'habitation qui sont des terres ancestrales. Ce déracinement les plonge dans la misère et l'aliénation au nom ... du développement. La Banque Mondiale en sait quelque chose et l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Sud offrent, aujourd'hui encore, nombre d'exemples de cette pratique.

"L'indirect rule" dans les colonies britanniques

Dans les années 1930, le colonisateur anglais en Inde s'inquiète de ce que le système occidental ne touche pas les masses. "L'éducation populaire" ou "mass education" furent donc introduites. Des théoriciens comme Batten, Du Sautoy, Biddle et Biddle parlent du "Développement Communautaire". Ils se basent sur l'idée que si les structures à l'occidentale (administration, santé, enseignement, économie) ne fonctionnent pas bien dans les pays du Sud, il faut davantage se servir des structures administratives et juridiques locales ("indirect rule"), des cultures locales et les "besoins ressentis" (les "felt needs"). Voilà que pointe du nez la sensibilité culturelle. Mais elle est mise au service du projet colonial ! Et nombre d'anthropologues se feront les complices de ce projet, jetant sur leur belle et nécessaire discipline un discrédit qui n'aura pas entièrement disparu lorsque les premières ONG s'attelèrent à la coopération au développement et estimèrent pouvoir fort bien se passer de l'anthropologie et de la compréhension fine, profonde et rigoureuse des cultures locales que permet cette discipline.

Après la décolonisation, on conserva l'idéologie du développement communautaire. Et, en 1959, l'ONU la déclara pratique officielle destinée à amener les pays colonisés au développement. Le développement communautaire devient instrument de décolonisation... et, en réalité, bien souvent de néo-colonisation/développement.

Franz Fanon, Albert Memmi, Paulo Freire et le "Ché"

Autour de mai 1968, le développement communautaire se voit critiqué, amendé et ré-interprété par les soixantehuitards européens et nord-américains. Il s'agissait d'en faire un instrument de résistance populaire. L'influence de Franz Fanon, d'Albert Memmi, de Paulo Freire se fait sentir, ainsi que celle du maoïsme, du mouvement ujamaa tanzanien et de la figure emblématique du "Ché" Guevara quittant le confort de son bureau ministériel à La Havane pour tenter d'allumer la révolution en Bolivie.

L'évolution du développement communautaire est riche d'un enseignement capital en matière de méthodologie générale. Elle illustre en effet parfaitement le fait que tout dépend de l'intention dans laquelle une méthode est utilisée : occidentalisation, colonisation, modernisation à l'occidentale ou ... résistance populaire et créativité à la base ou encore entraînement vers un but progressiste par des élites de gauche".


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