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La transdisciplinarité


Notre incapacité de concevoir le réel dans le même instant à la fois comme processus et comme relevant de plusieurs regards différents conduit aux diverses disciplines fragmentaires qui caractérisent le savoir scientifique. Pour comprendre, pour compter, pour recenser, on arrête le mouvement et on spécialise l'approche et le regard. Ce qu'on a compris n'existe déjà plus ! On parle d'un moment donné alors que la réalité humaine évolue. En outre, pour comprendre, on sépare parce qu'on ne peut pas comprendre deux aspects en même temps. Chaque discipline se spécialise : psychologie, sociologie, économie, politologie. Le réel est fragmenté. Puis, à l'intérieur de chaque discipline, on réduit à nouveau le réel à quelque chose de simple : le Produit National Brut (économie), le Quotient Intellectuel (psychologie), etc. Il y a donc réductionnisme du processus et de la complexité. Le réel est saucissoné ! La multi-disciplinarité tente d'éviter cet écueil. Mais la multidisciplinarité professée par les départements de sciences humaines de certaines universités (les meilleures !) se borne souvent à n'être que la juxtaposition de disciplines. Par conséquent, la complexité du social risque de leur échapper. Car le réel social se situe aussi dans les interstices, entre chacune des disciplines. Il faut donc dépasser les frontières rassurantes de chaque spécialité : psychologie, sociologie, science politique, etc.

Pour Pierre Marchal, la notion de multidisciplinarité en sociologie et en travail social est elle-même menaçante car elle laisse entendre que l'on pourrait atteindre à une compréhension et donc à une maîtrise totale des problèmes sociaux. Ambition dangereuse à laquelle il oppose la réalité incontournable de "situations anormales" (indéterminées, voire clandestines) que Alain Badiou ("L'être et l'événement", Seuil, Paris) appelle aussi les "situations historiques". Les pouvoirs publics tentent de normaliser les "anormaux" soit par la répression (afin que l'anormal ne surgisse plus) soit par l'intégration (afin que l'anormal devienne "normal" "comme nous") soit par la purification (afin que l'anormal soit déplacé ou éliminé). De même, la science sociale est tentée de nier les aspects rebelles et complexes, "anormaux" de la réalité sociale. La science mène à l'abus quand on prétend que les situations "normales" dont chaque discipline scientifique a besoin pour progresser sont des situations réelles. (Certes l'eau pure bout exactement à 100° centigrade. Mais est-elle toujours pure ?)

Il faut contester la prétention de connaissance totale et de maîtrise qui pourrait se cacher sous l'intention multidisciplinaire. Il faut viser, affirme Jacques Boulet, avec la plupart des participants, la trandisciplinarité.

En l'homme, tout relève à la fois d'une dimension matérielle, relationnelle et de conscience individuelle et collective (y compris l'inconscient). Ontologiquement, nous sommes des êtres à la fois matériels (corps), relationnels et conscients/inconscients.

D'autres diraient que l'homme est un complexe corps-âme-esprit. Il se compose d'un corps, d'une psyché ou âme (émotions, sentiments, volonté, mémoire, intelligence) et d'un esprit (la capacité de l'homme d'entrer en relation avec la transcendance, avec Dieu, avec l'au-delà au fond de soi, le Cosmos, etc.)

Une pratique sociale qui s'inspirerait d'un découpage de l'homme risque constamment de se fourvoyer. Que d'échecs en matière de développement ne viennent-ils pas sanctionner cette fragmentation réductrice de l'homme et de la société ! Ainsi le psychologue croit pouvoir s'approprier la conscience, l'économiste l'aspect matériel, le sociologue la dimension relationnelle de l'homme ! Et chacune de ces disciplines étant issues de la modernité occidentale, elles baignent dans les paradigmes et valeurs de cette modernité. La psychologie valorise l'individualisme, l'économie l'accumulation des biens, la sociologie le conflit entre classes, etc. Rien de cela n'est faux ni pervers en soi. Mais tout cela peut conduire à l'erreur si d'autres valeurs ne sont pas prises en compte telles que la solidarité et la communion, la redistribution et l'enchâssement social, culturel et éthique de la jouissance des biens, la recherche de l'harmonie sociale au-delà des différences dûment acceptées et des conflits assumés mais dépassés. La prise de conscience de l'existence de différences culturelles est indispensable. Au Réseau Cultures, on les aborde en termes de polarités culturelles. Ainsi il existe, au niveau des idéaux-types culturels une polarité davantage yang, notamment dans la modernité anthropocentrique (axée sur l'émancipation individuelle, la maîtrise et la compétitivité). Il existe une polarité plus yin, présente notamment davantage dans les traditions cosmocentriques (primat du groupe, détachement et harmonie).

Sur le terrain, l'Atelier eut l'occasion de vérifier tout cela. Les animateurs de l'ONG bruxelloise ADZON qui travaille avec les garçons prostitués dans le centre de la capitale ont très bien fait ressortir que toute explication mono-causale du phénomène de la prostitution (masculine et jeune en l'occurrence) doit être évitée. Les jeunes se trouvent en rue pour des raisons psychologiques évidentes (manque d'affection, conflits familiaux) mais également économique (chômage) et culturels (l'attraction des bars et de la "grande vie nocturne"). Une lecture transdisciplinaire de l'homme s'impose, faut de quoi on obtiendra un "faux savoir" aux allures certes scientifiques mais qui pourrait fort bien s'avérer trompeur. L'action qui s'en inspirerait serait à son tour inadéquate...


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