La pénétration
des NTIC touche le monde entier ; l'Afrique n'échappe pas
à cette vague déferlante mais les conditions d'accès
et les modes d'usage y sont bien particuliers.
Le marché
mondial de l'informatique et du multimédia est tel que l'on
peut, sans trop s'avancer, prévoir une pénétration
croissante de ces produits sur le continent africain. Quelques privilégiés
bénéficieront bien sûr de facilités pour
les utiliser et des dernières innovations notamment les organisations
de taille importante et celles installées dans ou à
proximité d'un centre urbain. Mais le déploiement
du réseau téléphonique et l'amélioration
de ses performances permettra aussi la connexion au réseau
Internet de localités aujourd'hui encore isolées.
D'ores et déjà,
les associations oeuvrant en Afrique peuvent donc investir et mettre
en uvre des systèmes d'information et de communication
intégrant les NTIC et Internet. Elles doivent simplement
considérer ces technologies pour ce qu'elles sont : des outils
et des pratiques permettant d'améliorer et de consolider
l'existant ! L'identification des besoins en information et communication
et les moyens à mettre en uvre pour y répondre
reste la priorité ; sachant que les "bénéficiaires"
doivent recevoir une information correspondant non seulement à
leur besoin mais aussi à leur statut (cadres, producteurs,
femmes, population d'une localité,....), à leur niveau
de compréhension et d'éducation, ainsi qu'à
l'équipement auquel ils peuvent accéder pour exploiter
l'information (ordinateur, téléphone, fax, télévision,
radiocassette, centre de documentation, télécentre).
Internet
en Afrique : conditions d'utilisation
Ces dernières
années, l'implantation d'Internet sur le continent africain
s'est généralisée. Si toute l'Afrique peut
aujourd'hui se connecter au réseau mondial, tous les pays
ne bénéficient pas des mêmes conditions d'utilisation.
Parmi les nombreux indicateurs qui mettent en lumière les
disparités importantes d'un pays à l'autre, retenons
les 3 plus importants en présentant des exemples pour chacun
:
- Les performances
du "point national d'accès à Internet"
Chaque pays disposant d'un accès Internet est relié
au réseau mondial par ce "point national" caractérisé
par des équipements d'émission et de réception
(relais satellite, câble sous-marin). La quantité d'informations
transmise en une seconde (la bande passante, exprimée en
bit par seconde ou bps) détermine la performance de l'échange
d'informations en terme de fluidité ou d'engorgement. Pour
mettre en lumière les disparités régionales,
il suffit d'indiquer que la valeur de la bande passante varie de
quelques milliers à plusieurs millions de bps selon le pays.
- Les coûts
de la connexion
Pour se connecter, il faut disposer d'un ordinateur équipé,
d'une ligne téléphonique et d'un abonnement auprès
d'un fournisseur d'accès à Internet (FAI). Le coût
d'une connexion se décompose donc en deux parties : la liaison
au réseau mondial payée au FAI et la communication
téléphonique entre l'ordinateur connecté et
le siège du FAI payée à l'opérateur
des télécommunications. Les FAI généralisent
un système de forfait mensuel permettant une connexion illimitée
: les tarifs varient de 10 à 35 000 FCFA (1 euro = 649,24
FCFA) en Afrique de l'Ouest francophone. Mais les communications
téléphoniques interurbaines sont coûteuses :
les FAI étant concentrés sur la capitale, les "connectés"
qui résident en dehors de la zone de tarification locale
de leur fournisseur sont donc très désavantagés.
De nombreux pays de la région adoptent une politique tarifaire
permettant de pallier cet inconvénient avec un tarif unique
(proche du tarif local) s'appliquant à tout le pays et réservé
aux connexions Internet (c'est le cas au Burkina - Faso, au Gabon,
au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, au Tchad et au
Togo).
- Le réseau
téléphonique
Le réseau de télécommunication national constitue
un maillon fondamental pour se connecter à Internet. Son
déploiement plus ou moins important permettra d'accéder
facilement à une ligne de téléphone : c'est
ce que l'on appelle la télédensité (nombre
de ligne téléphonique pour 100 habitants) qui oscille
entre 0,16 % en Guinée et 1,20 % au Sénégal.
La qualité du réseau téléphonique se
mesure par la fiabilité de la connexion (fréquence
des coupures par exemple) et par la vitesse de transmission des
informations : constante et rapide sur les réseaux téléphoniques
numérisés, elle reste instable et réduite sur
les réseaux analogiques encore très répandus.
Les télécentres
Un télécentre
peut se définir comme un lieu physique où l'on fournit
au public un accès aux technologies de l'information et de
la communication : téléphone, fax, photocopieuse,
équipement informatique et logiciels de bureautique.
Le premier télécentre fut établi dans le milieu
des années 80 au sein d'une communauté agricole de
Suède, comme un moyen pour déployer de façon
équitable les nouveaux réseaux de télécommunication,
permettant aux communautés rurales isolées de renforcer
leurs liens sociaux avec l'ensemble du pays et d'établir
des relations d'ordre économique avec le monde extérieur.
Dès le début des années 90, le déploiement
du réseau Internet en dehors des universités et des
centres de recherche permet aux télécentres d'ajouter
à leurs services l'accès à l'utilisation du
courrier électronique et la consultation de contenus "délocalisés"
sur des serveurs Web distants.
Sur le continent africain, l'appellation "télécentre"
désigne communément une boutique privée regroupant
une ou plusieurs cabines téléphoniques dans un local,
permettant à la population environnante de disposer d'un
accès de proximité au téléphone sans
avoir à supporter les charges d'installation et d'abonnement
d'une ligne privée. Au Sénégal (comme au Kenya
et au Ghana), leur développement est considérable
: on comptait 10 000 télécentres en 2000 dont plus
de la moitié sur la presqu'île de Dakar. Ceux qui ont
ajouté la connexion Internet à leurs services sont
majoritairement situés en milieu urbain (capitale et villes
secondaires), hébergés dans une petite (ou très
petite) entreprise dont l'activité économique principale
concerne au moins l'un des trois secteurs marchands suivants : matériel
informatique, bureautique et "consommables", matériel
téléphonique (fax, portable), services de bureautique
(saisie et traitement de documents, formation à l'utilisation
de logiciels).
Les télécentres
communautaires
Le modèle
de "télécentre communautaire polyvalent"
(TCP) se rapproche, dans le concept, du modèle "originel"
occidental ciblant le monde rural. Il est issu d'une démarche
"projet" construite par des agences de coopération
multilatérales à la fin des années 90 suite
au plan d'action de l'ONU pour le développement rural
intégré1
. Des projets pilotes de TCP sont financés dans 5 pays
africains2 ,
localisés dans des villes secondaires éloignées
des capitales et disposant d'un système de télécommunication
autonome (radio ou satellite).
En plus des fonctions de "télécentre connecté",
les TCP proposent des formations, toute une gamme de services
d'information (accès aux informations administratives
locales et nationales) et mettent en ligne des expériences
et des savoirs locaux.
Les premières évaluations insistent sur les difficultés
techniques rencontrées (maintenance du matériel
difficile en milieu rural) et sur la durabilité improbable
en cas de fin des subventions ! En Afrique francophone (cas
de Tombouctou au Mali), l'implication forte de l'opérateur
national des télécommunications et de l'administration
locale qui reste " en voie de décentralisation "
ne facilite pas l'appropriation du projet par la société
civile. En Afrique anglophone (cas de Nakaseke en Ouganda),
le modèle "communautaire" est plus en adéquation
avec les institutions locales (Local Council) : elles subventionnent
une partie du fonctionnement du TCP avec les impôts locaux
et en confient contractuellement la gestion quotidienne à
une société privée.
Un autre modèle de télécentre connecté
s'applique au milieu rural africain. Il s'appuie sur une association
ou une organisation à but non lucratif qui, en plus de
ses activités dans le développement rural, met
à la disposition du public des ordinateurs connectés
installés dans ses locaux et dans ses antennes. Le cas
de l'ONG béninoise Songhaï est aujourd'hui le seul
connu fonctionnant en Afrique francophone. Cette organisation
se définit comme un " centre de formation, de production,
de recherche et de développement en agriculture durable,
[
] visant à élever le niveau de vie des
populations en utilisant les ressources locales, les méthodes
traditionnelles et modernes ". Grâce à ses
télécentres du réseau béninois des
téléservices communautaires décentralisés,
Songhaï amène les NTIC aux communautés rurales
afin de diffuser ses résultats et de faciliter l'acquisition
et l'échange d'expériences entre les composantes
du monde rural national et international3.
Songhaï apparaît comme la seule organisation envisageant
Internet comme un outil de communication complétant des
méthodes et des supports plus classiques déjà
utilisés par cette dernière.
Perspectives
pour le développement rural africain
De nombreux
ingénieurs des télécommunications ont pour
principale préoccupation de connecter les communautés
rurales au plus vite au réseau mondial en palliant l'absence
de téléphone (ou sa vétusté) par des
moyens techniques plus sophistiqués (satellite, boucle radio).
Les praticiens de la communication pour le développement
restent pragmatiques et proposent plutôt que soient connectées
en priorité les organisations de base et les organisations
d'appui aux communautés, qui possèdent déjà
une pratique de formation, d'information et de conseil par des médias
plus classiques comme les radios rurales et communautaires, la diffusion
de cassettes audio et vidéo, la distribution de bulletins,
journaux et affiches.
Ces organisations sont nombreuses dans le monde rural : collectivités
locales, fédérations d'organisations de producteurs,
organisations d'appui au monde rural, sièges de réseaux
et de médias spécialisés sur le monde rural,
centres de documentation et de formation, bibliothèques.
Elles peuvent utiliser les NTIC et Internet pour améliorer
leur fonctionnement général, accéder à
des sources d'information distantes, échanger avec des partenaires
sectoriels ou thématiques. Ces usages nouveaux se répercuteront
dans les contenus diffusés par les organisations vers leur
public respectif (administrés, membres, adhérents,
lecteurs). Ils leur permettront aussi d'augmenter le capital, aujourd'hui
très réduit, d'informations électroniques tant
sur l'environnement local et national dans lesquels ils agissent,
que sur leurs savoirs, leurs expériences de terrain et leurs
produits documentaires.
Certaines organisations comme les collectivités locales et
les organisations de producteurs disposant, en dehors des principales
villes, d'antennes, de délégations ou de correspondants
équipés d'une ligne téléphonique peuvent
se doter d'ordinateurs connectés pour relayer les messages
de leur base et leur faciliter l'accès à Internet
en se spécialisant dans des initiations et des conseils de
"navigation" appliqués à leurs domaines
de compétence (sites Web et listes de diffusion mais aussi
cédéroms).
Gilles Mersadier
Sites
- Site du télécentre
communautaire polyvalent ougandais de Nakaseke
http://www.nakaseke.org.uk
- Site du télécentre
communautaire polyvalent malien de Tombouctou
http://www.tombouctou.org.ml
- Inter Réseaux,
lieu de débats et d'échange d'expériences,
spécialisé dans la coopération en matière
de développement rural des pays du Sud
http://www.inter-reseaux.org
- Internet
en Afrique francophone
http://www.passdev.net/pratique/internetafriquefranco.htm
- Nouvelles
de Sud propose un éclairage des questions d'actualité
et des réflexions de fonds du milieu de la solidarité
internationale.
http://www.coordinationsud.org/coordsud/vocation/nelles_sud.html
- Centre de
formation, de production et de recherche pour un développement
durable en Afrique
http://www.songhai.org
- Site de l'Association
Yam-pukri (Burkina Faso), associations nationale dont l'objectif
est d'initier les jeunes aux nouvelles technologies de l'information
à faible coût.
http://www.yam-pukri.org/gene/general.htm
- Alternative
(Niger), coopérative nationale "médiatique
et culturelle" qui défend le pluralisme de la presse
et soutient l'expression des organisations de la société
civile
http://www.alternative.ne
Bibliographie
- Hani Shakeel,
"Barriers to Telecenter Implementations in Sub-Saharan
Africa", Massachusetts Institute of Technology - mai 2000
http://www.ksg.harvard.edu/iip/stp305/shakeel.pdf
- Mike
Jensen, "African telecentre Experience", compilation
de sources d'informations électroniques associée
à la liste de diffusion Afagrict-l sur le serveur du
CTA
http://www.agricta.org/afagrict-l/telecentres.htm
- R. Gomez,
P. Hunt, E. Lamoureux (IDRC), "Focus on telecenters : How
can they contribute to social development ?" - 1999
http://www.idrc.ca/pan/chasqui.html
- J-P.
Ilboudo, "Pour un redéfinition du contenu des télécentres
: commencer par les besoins et élargir l'audience des
télécentres en les reliant à la radio rurale
locale de type communautaire". Mars 2000, FAO Groupe Communication
pour le développement.
http://www.fao.org/sd/frdirect/cdan0030.htm
- M.L.
Mahoukou, "Télécentre communautaire, une
solution pour le rural"
http://www.sas.upenn.edu/African_Studies/Padis/telmatics_Mahok.html
1
- Les projets pilotes de télécentres communautaires
polyvalents (TCP) font partie d'un programme de projets mis
en oeuvre conjointement par l'Organisation des Nations unies
pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO),
fonds en dépôt de l'agence danoise DANIDA, l'Union
internationale des télécommunications (UIT) et
le Centre de recherches pour le développement international
(CRDI, Canada) dans le cadre de l'initiative des Nations unies
pour l'Afrique, suite au plan d'action de Buenos Aires (BAPA)
[Programme N° 9 - Développement rural intégré].
2
- Mali, Ouganda, Mozambique, Tanzanie et Bénin
3
- Ces informations sont issues du site Web de Songhaï (http://www.songhai.org)
et de leur publication trimestrielle " L'Aigle de Shonghaï"
dont le numéro 37 (second trimestre 1999) est consacré
aux NTIC.