Appel pour le lancement du Centre international Pierre Mendès France
"Toute action n'est pas vaine, toute politique n'est pas sale."
Pierre Mendès France
Le constat semble être devenu presque trivial : nous vivons aujourd'hui une période de bouleversements sans équivalents depuis la Seconde Guerre mondiale. La mondialisation s'impose dans tous les domaines : les multinationales de l'industrie et de la finance dominent l'économie mondiale, concentrant la richesse dans les pays riches, délaissant les milliards d'hommes des pays pauvres; les états s'affaiblissent de plus en plus, sans qu'aucune instance régulatrice internationale ne parvienne à s'affirmer, laissant de ce fait libre cours à la violence des fanatismes nationalistes ou religieux; la révolution scientifique et technique de l'information et du vivant transforme en profondeur notre rapport à la connaissance, ouvrant des perspectives inédites, porteuses du meilleur comme du pire; et tout cela nous est donné à voir "en temps réel" par les nouveaux médias de la "culture mondiale", qui accélèrent les effets de ces bouleversements.
Dans les pays développés, les fondements traditionnels du lien social sont remis en cause : le travail n'est plus une valeur centrale, la dualisation du corps social ne cesse de s'accentuer, le champ du politique est de plus en plus contesté, laissant médias et sondages façonner l'opinion publique au gré mouvant de leurs modes. Dans les paysdu tiers monde et de l'ancien monde communiste, les inégalités se creusent comme jamais, les mafias et les élites corrompues prospèrent, les trafics de drogues alimentent les guerres et les violences.
Ces mutations, et les risques graves qu'elles font peser sur l'avenir de l'humanité, nos concitoyens en ont une conscience aigŸe. Mais pour ceux d'entre eux qui, à gauche, refusent de s'en accommoder, pour ceux qui n'acceptent pas l'inacceptable - guerres, racisme, exclusion... -, l'heure est à l'inquiétude : car ils savent que les schémas de représentation et d'action hérités du passé ne sont plus opérants, et ils se sentent impuissants face à l'ampleur des enjeux. Ils restent attachés aux valeurs qui ont fondé tous les combats de la gauche, mais ils ne voient plus comment l'action, individuelle ou collective, peut permettre de les faire avancer et de se battre contre le double piège du repli identitaire ou d'une mondialisation économique broyeuse des humains.
Ce sentiment d'impuissance, soyons clair, a été alimenté par la gauche elle-même : faisant le constat - justifié - de la caducité des vieux schémas d'action, ses responsables, en France comme dans le reste de l'Europe, n'ont guère cherché à les renouveler. Ils se sont majoritairement ralliés au cours des années quatre-vingt au réalisme gestionnaire, donnant le sentiment à leurs électeurs qu'ils jetaient dans le même mouvement aux oubliettes leurs valeurs fondatrices. C'est avec cette fausse alternative du tout ou rien, nourrissant le cynisme invertébré ou la révolte nihiliste, qu'il faut rompre aujourd'hui.
Les soussignés en sont convaincus : l'action politique n'est pas condamnée, comme le notait déjà Pierre Mendès France, à la vanité ou l'imposture. Mais ils croient qu'un renouvellement en profondeur des idées de la gauche est pour cela nécessaire, afin d'inventer, face aux défis du futur, de nouvelles formes de fidélité aux combats d'hier. Refusant la pure logique gestionnaire comme le prophétisme oppositionnel de longue durée, ils souhaitent favoriser dans ce but un travail théorique exigeant, lequel est en même temps une nécessité pratique pour que se renouvelle l'action citoyenne et pour que de futurs gouvernements de gauche (en France ou en Europe) ne soient pas à nouveau désemparés une fois au pouvoir.
La gauche a devant elle plus de questions que de réponses, et le travail à accomplir relève autant de la réflexion que de l'action. Mais cette tache est urgente, en particulier si les forces de transformation veulent donner à l'Europe une perspective positive que la dilution dans un simple marché lui interdit. C'est pour y contribuer que les soussignés ont créé le Centre international Pierre Mendès France, dont le premier objet sera de prendre la mesure des mutations géopolitiques, économiques, techniques, culturelles et sociales qui bouleversent les données de l'action collective.
Le Centre international Pierre Mendès France n'est en aucune façon un nouveau "club" politique : il se propose, au-delà des courants et des clivages partisans, d'être un lieu ouvert de rencontres et de débats entre "innovateurs" et "décideurs" qui se reconnaissent dans les valeurs de la gauche, afin de discuter la pertinence des idées des premiers et d'amener les seconds à dépasser leur culture gestionnaire.
Jusqu'à présent, les acteurs respectifs de ces deux champs - théorique et pratique - s'ignoraient largement. Or cette situation est en train de changer. Du côté "théorique", les intellectuels porteurs d'une réflexion critique sur la société et le politique manifestent de plus en plus clairement le souci de sortir de leur tour d'ivoire et de confronter les résultats de leurs travaux aux contraintes de l'action concrète. De même, dans le champs social, les militants qui ont été à l'initiative de nouvelles formes d'action dans les mouvements de citoyens expriment plus souvent qu'auparavant le souhait d'investir aussi le champ de la politique "traditionnelle".
Et du côté "pratique", les "décideurs" évoluent eux aussi. Chez les politiques, les vertus du pur réalisme gestionnaire des dernières années commencent à être mise en doute. Des doutes que l'on retrouve aussi chez certains hauts fonctionnaires et cadres d'entreprise, plus nombreux désormais à questionner la prétendue neutralité de l'expertise technique et de la "pensée unique". Les uns comme les autres se montrent de ce fait beaucoup plus attentifs qu'auparavant aux idées neuves.
Mais pour être véritablement féconde, cette confrontation ne peut se limiter au cadre français. C'est pourquoi les fondateurs du Centre international Pierre Mendès France ont choisi de lui donner d'emblée une dimension européenne : les débats et les inquiétudes de la gauche françaises sont aussi dans une large mesure ceux de la gauche européenne, et face aux défis de la mondialisation qui s'imposent à tous, les réponses à trouver ne peuvent venir que de la mise en commun d'expériences et de cultures politiques différentes.
Nous invitons donc toutes celles et tous ceux que cette aventure passionne à signer cet appel, à nous aider par leurs contributions et à nous écrire afin de recevoir tous les renseignements concernant la création de ce nouvel outil que doit se donner la gauche pour préparer le prochain siècle.
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