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Lien entre sol et civilisation : l'eau

Par Maurice de Vaulx , Ingénieur général du génie rural des eaux et des forêts.


L 'eau est une marque de civilisation : facteur de santé, d'hygiène, de confort, voire de luxe, elle a toujours constitué un élément de progrès et pris une place dans l'expression culturelle. Les romains avaient leurs bains ; ils nous ont laissé de superbes aqueducs. Les conquêtes arabes nous ont offert les jeux d'eaux des jardins de Grenade. Le Versailles de Louis XIV n'avait pas encore de baignoire, tandis que les fontaines du parc chantaient la gloire du roi. Celles de Rome font l'image de la ville éternelle. Le monde entier est prêt à sauver Venise. Les villes d'eaux ont fait le décor de l'époque romantique.

Ainsi, le plus simple des éléments, le plus transparent, le plus pur mais qui en même temps se charge de la saleté du monde, qui coule de haut en bas et toujours plus bas, qui est source de vie mais qui éteint le feu... est emblématique, voire fantasmatique. C'est pourquoi les rites religieux l'utilisent : les purifications des juifs, le baptême des chrétiens, les ablutions des musulmans...

Sur un registre moins brillant mais fondamental, les adductions d'eau en milieu rural resteront comme une des grandes avancées du XXème siècle dans les pays européens ; les pays du sud attendent encore le même effort.

Elément de civilisation urbaine, l'eau est un atout souvent cité de l'attractivité des territoires ruraux et de leurs paysages : ruisseaux et rivières, étangs et lacs, pêche à la truite ou au brochet, chasse aux canards, sports d'eau vive... donnent envie et peuvent faire rêver de vacances, voire d'une installation à la campagne.

En tant qu'un des principaux facteurs de l'envi-ronnement, un patrimoine, la volonté est forte de mieux protéger l'eau et de la valoriser : des emplois industriels nouveaux naissent de ce besoin de société.

En tant que produit (c'est le cas de l'eau minérale mais aussi de l'eau potable, voire de l'eau brute dès lors qu'elle est vendue au mètre cube), la demande est de plus en plus forte : il est opportun, dans un pays inquiet de voir la demande saturée dans bien des domaines, de prêter attention à des biens de plus en plus recherchés pour lesquels des marchés sont à inventer, à structurer et à prendre.

Eau : don du ciel ?

La demande se confronte à l'offre. D'où vient l'eau ? Qui la produit, avec quoi ? Depuis toujours, et partout dans le monde, l'opinion publique répond : «ressource naturelle», bien commun qui doit être dissocié de l'argent, «don du ciel». Il y a un mythe de l'eau gratuite, alors que le sol et l'homme contribuent à sa « fabrication ».

Faire payer l'eau, facteur de production, à son prix, pour les cultures irriguées est extrêmement difficile et il est bien rare que les organismes qui s'en chargent arrivent à équilibrer leurs dépenses sans soutien public.

Faire payer l'eau potable à domicile n'a pas toujours été facile quand cet indiscutable progrès a été mis en place.

Faire payer l'eau à la borne-fontaine villageoise dans les pays africains pour amortir des investissements qui évitent aux femmes de faire des kilomètres à pied avec des cruches sur la tête est souvent illusoire ; et c'est un vrai problème pour financer ce service public.

Par contre et paradoxalement, la clientèle pour de l'eau dite « de source » en bouteille, pondéreuse et chère, augmente sans cesse.

Le rapport de la Banque mondiale de 1995 sur les conflits de l'eau au siècle prochain a fait sensation en recommandant l'augmentation des prix, la privati-sation des services et l'entrée de cet élément dans le libre jeu de l'offre et de la demande.

Comment la France de 1997 est-elle prête à recevoir ce message ?

La loi sur l'eau de 1992 qui a eu l'immense mérite d'unifier la problématique relative à cet élément met en avant, dans son article 1, le caractère patrimonial et environnemental de l'eau et sa valeur de bien social : « L'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. L'usage de l'eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis », même si « la valorisation de l'eau comme ressource économique » est effectivement visée dans l'article 2.

Le récent rapport sur le « prix de l'eau » de Monsieur Ambroise Guellec, Député du Finistère, ancien Ministre, Président d'une mission d'information parle-mentaire constituée par le Président de l'Assemblée Nationale pour répondre aux interrogations des Français dans ce domaine, a remarquablement mis en évidence toutes les prestations nécessaires pour offrir à l'usager le service et le produit qu'il demande et a coura-geusement posé les vraies questions sur les normes européennes de qualité. Au demeurant, sans doute dans un souci de clarté et de sobriété de l'exposé des problèmes, il a affiché dans son chapitre introductif qu'il ne prenait pas en compte le coût de la ressource : « il n'est sans doute pas inutile de préciser ce qu'il faut entendre par « prix de l'eau ».

Certes, l'eau est un « don gratuit du ciel » mais l'eau disponible pour l'usager suppose la réalisation d'impor-tants investissements et l'organisation d'un service pour gérer et entretenir les installations. Le prix de l'eau, c'est donc le prix du service rendu et non le prix de la ressource ».

Compte tenu des problèmes rencontrés sur la ressource en eau dans plusieurs régions françaises, pour sa quantité et/ou sa qualité, ne faudra t-il pas approfondir l'analyse conceptuelle et s'interroger sur le prix de cette ressource et de son renouvellement ? Certes, cette question est déjà posée, mais elle l'est en termes de protection de l'environnement et en montrant du doigt, ici et là, des usagers du sol, certains agriculteurs et parfois même certains forestiers, accusés de polluer la ressource en eau (nitrates et acidification).

Dans une approche essentiellement environnementale et dans une définition « don du ciel » de la ressource en eau, il y a, semble t-il, matière à discussion sur la forme et sur le fond :

ou eau : produit du sol ?

Affirmer l'eau comme un produit du sol, c'est positiver la fonction des agriculteurs et des forestiers dans leur vocation et leur éthique, c'est les inciter à se considérer comme co-producteurs de ce bien qui va devenir rare et sera un enjeu du prochain siècle (cf. travaux de prospective de la Banque mondiale et de l'OCDE).

Des erreurs ont été faites, des fautes graves ont été commises et le sont encore ; des sols ayant vocation à produire sont utilisés pour recevoir et digérer les déchets des élevages hors sol, la fertilisation fait encore l'objet d'abus, l'usage des pesticides inquiète, des prélèvements sur des nappes profondes pour des irrigations de complément sont excessifs... Mais l'acti-vité humaine, sur le sol de France, dans l'équilibre des productions agricoles, pastorales et forestières, est, dans son ensemble, positive pour la ressource en eau et contribue à la mettre à disposition en quantité et en qualité (il suffit pour s'en convaincre, s'il en était besoin, d'aller voir de près l'eau d'un marigot en forêt tropicale dans le milieu le plus naturel qu'on puisse trouver...). Même la fertilisation azotée, toujours incriminée, est utile, car il n'y a pas d'humus sans azote, ni de sol appelé à filtrer l'eau sans humus.

Ce qui peut mériter néanmoins des ajustements et des corrections dans les rapports entre la gestion des sols et la gestion de l'eau, c'est la répartition territoriale des productions et donc des usages des sols, tant il est vrai que les différences de géographie physique et de géologie au sein du territoire français justifient, pour offrir notre eau, des couvertures végétales appropriées ; un redéploiement des encouragements financiers aux gestionnaires des sols s'imposera - du moins peut-on en avoir la conviction - pour en faire parallèlement les gestionnaires des ressources en eau et rémunérer ainsi, dans le cadre d'une contractualisation avec un opérateur territorial, le service qu'ils rendent à cette fin.

Maurice de Vaulx a été commissaire à l'aménagement et au développement économique du Massif Central (DATAR). Il défend la prairie permanente en moyenne montagne au titre de sa fonction hydrologique.


Sol & Civilisation - La lettre, numéro 5

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