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Des montagnes, des ours et des hommes

Par Jean Lassalle - Président de l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn


Ce qui s'est passé dans les hautes vallées du Béarn à cause de l'ours est assez révélateur de ce qui se passe dans la société d'une manière générale.

Extrait de l'intervention de Jean Lassalle.

Je suis fils de berger transhumant. J'habite le village de Lourdios-Ichere dans les Pyrénées Atlantiques. C'est dans une ambiance chaleureuse que mon père nous a inculqué à mon frère, mes deux soeurs et moi une certaine idée du pays. Sans qu'il nous ait jamais donné l'obligation impérieuse d'y rester, j'ai compris ensuite qu'il avait fait ce qu'il fallait pour que nous ne suivions pas le mouvement général des jeunes qui partaient. Chaque fois que je voyais des maisons se fermer, j'avais le coeur serré : c'était une civilisation qui foutait le camp ! Et, d'une certaine manière, par notre silence, nous laissions faire cela.

Lorsqu'il s'est agi de choisir, c'est finalement mon frère qui a repris l'exploitation, le troupeau familial et la transhumance. J'ai été élu maire de ma commune à 21 ans, puis Conseiller Général. Je suis vice-président du Conseil Général, député suppléant. J'ai fait un peu de politique. Mais je n'ai jamais considéré la politique comme une fin en soi. C'est un moyen de réaliser des actions. Comme je ne voulais pas en être dépendant, j'ai créé mon propre bureau d'ingénieurs conseil. J'ai toujours continué à mener cette activité.

Au début de mon mandat de maire, nous avons créé un foyer rural à Lourdios, ce qui nous a permis de beaucoup voyager et de comprendre pas mal de choses. Nous sommes allés en Allemagne, en Irlande, en Autriche, à Cuba, en Egypte, en IsraÎl et, en retour, nous recevions les gens chez nous.

Lors de nos escales à Paris, nous retrouvions les copains qui avaient quitté le pays. Ils n'étaient pas partis de gaieté de coeur mais lorsqu'ils venaient au pays, ils affichaient un certain bonheur. A Paris, nous nous sommes vite rendu compte que ce n'était pas très exactement le cas. Paris n'était pas forcément l'Eldorado dont on m'avait parlé. Dans le fond, nous n'avions pas absolument tort de faire le choix de rester au pays. Nous n'étions pas tellement isolés. Nous établissions des liens et des relations lors de nos voyages qui ont donné un grand coup de moral à mon village de 80 habitants : pratiquement tous les jeunes ont décidé de s'y installer.

Nous vivons dans la seule région de France oû vivent encore, d'une manière naturelle, quelques ours. Nous trouvions cela assez naturel, même si la cohabitation a toujours été difficile au fil des siècles.

Dans les années 80, s'est posé le fameux problème de l'ours . Un lobby s'est monté, d'une extra-ordinaire puissance, avec des gens du monde politique, du monde des médias, des scientifiques de la Fondation Cousteau, du Muséum d'histoire naturelle, quelques entreprises nationales et multi-nationales qui apportaient de l'argent. Tout cela a formé ce qui est toujours l'association ARTUS.

D'un seul coup, nous sommes apparus, non pas comme des gens qui naturellement continuaient à cohabiter avec les rares ours qui habitaient chez eux, mais comme une peuplade un peu primitive vivant de chasse sans états d',me, massacrant systématiquement tous les ours. La presse tout entière s'est progres-sivement couverte d'articles de cette veine. Nous n'y comprenions rien !

La montée en puissance de ce mouvement s'est traduite en 1990 par un arrêté de Brice Lalonde, alors Ministre de l'Environnement. Il a décrété qu'il fallait créer chez nous des réserves pour les ours. Nous avions déjà donné 45 000 hectares pour le Parc National des Pyrénées. Il en voulait quelques milliers de plus.

Ca ne pouvait pas durer ! Nous, nous voulions faire cohabiter ours et bergers dans un climat de confiance. Aucun ne doit y perdre, sinon c'est la fin des deux ! Nous avions créé un mouvement, toutes tendances politiques confondues. Nos propositions ont été renvoyées du revers de la main. Ce groupe, qui se voulait positif, est alors devenu un groupe de défense, d'opposition, avec toute l'impopularité qu'un tel mouvement peut susciter. Les gentils entouraient Monsieur Lalonde à Paris. Nous étions les méchants et moi, j'en étais un peu le leader.

Nous n'avons pas donné dans la dentelle ! Lorsque le Ministre nous a envoyé les arrêtés ministériels, nous, tous les maires, les avons renvoyés au Préfet, avec la mention ouvert par erreur, ne nous concerne pas .

Lorsque les gens de l'ONF sont venus baliser les réserves Lalonde , nous avons donné ordre de mission à nos gardes champêtres d'aller verbaliser tous ceux qui s'aviseraient d'aller mettre quelque motion que ce soit sur nos territoires. Ainsi le Procureur de la République de Pau a été saisi de plaintes à la fois de l'Etat parce que les décrets n'étaient pas appliqués et des maires des communes constatant le P.V. établi par le garde-champêtre qui dénon çait le mal que l'on faisait aux arbres en y apposant un clou.

Bien entendu, ça n'a pas été une période très heureuse. Nous n'avons jamais eu le sentiment d'agir ainsi pour être négatifs. Nous n'acceptions pas ces dispositions. Nous sentions que si nous cédions encore, plus rien ne serait possible et qu'au contraire, il fallait que l'Etat revienne sur sa décision et qu'alors nous pourrions créer quelque chose, sans vraiment savoir quoi. Cela nous a valu beaucoup d'impopularité et d'incompréhension, d'autant plus grandes que le monde des médias, de l'intelligentsia matraque à sens unique.

Le DDA, Monsieur Gérondeau, a pensé que ça allait trop loin : des dizaines de garde à vue, des menaces de mort, des lettres anonymes... Il est alors venu nous présenter Henry Ollagnon qui, d'après lui, pouvait peut-être nous aider.

Lors de cette rencontre, le courant est tout de suite passé. J'ai vu en lui quelqu'un qui pourrait nous comprendre. Il a dit quelque chose qui m'a beaucoup marqué : c'est vous qui avez raison. Vous n'avez pas le vocabulaire pour l'exprimer et vous n'avez pas les moyens de le mettre en oeuvre. Tout ça appelle un peu de technique, un peu de sciences que l'on peut vous apporter . Quelqu'un qui vous dit, au moment oû tout le monde vous met à l'index, que vous avez raison, vous l'écoutez attentivement ! Il nous a proposé de réaliser un audit patrimonial, et nous avons accepté sans trop savoir ce que c'était.

Puis l'affaire a m ûri. Lors des législatives de 1993, j'étais suppléant. Je m'étais engagé, si nous étions élus, à faire casser ces réserves pour pouvoir repartir sur de nouvelles bases. Nous avons été élus. Et j'ai vu qu'avec le nouveau gouvernement, rien n'avait changé. Au contraire, on voulait même accentuer ces mesures ineptes. Quand j'ai eu la conviction que rien ne changerait alors que je m'étais engagé, j'ai réalisé que pour la première fois de ma vie, j'allais me trouver en position soit d'avoir à mentir pour gagner du temps, soit de partir.

J'avais besoin d'y voir clair, alors j'ai fané durant quinze jours avec mon frère. J'avais averti Barnier et Bayrou, le Président du Conseil Général. Et, ne voyant rien venir, j'ai envoyé une lettre à 120 élus pour créer l'irrémédiable, en substance : si on ne nous enlève pas ces réserves, je mettrais un terme à toutes mes responsabilités. Je veux montrer qu'à 38 ans, on peut laisser des mandats auxquels on est très attaché, par idéal .

Certains diront que c'est une fuite. Je crois que ce qui vaut la peine de vivre vaut aussi la peine de mourir d'une certaine manière. Puisque je ne pouvais pas être entendu en étant élu, je préférais rentrer dans mes pénates, j'avais un métier par ailleurs.

Après un bras de fer féroce, l'union sacrée s'est finalement reformée. Barnier a abrogé les réserves de Lalonde.

Nous avons alors pu créer ce qu'Henry Ollagnon avait esquissé : l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn. C'était très simple en théorie, un peu plus complexe dans la pratique. Cela consiste à mettre autour de la table l'ensemble des acteurs qui revendiquent une responsabilité sur le territoire oû vivent les ours.
Les hommes de chez nous se croyaient, à juste titre, les dépositaires et les garants du territoire sur lequel ils ont toujours vécu.
Les politiques, sentant la pression monter, prenaient, à juste titre, des décisions ; décisions que je considérais comme catastrophiques.
Les fonctionnaires se croyaient, à juste titre, investis du devoir de faire appliquer les décisions des politiques.
Les associations de protection de la nature, souvent issues du milieu urbain à la recherche du paradis perdu, débarrassé si possible des derniers hommes qui y habitent parce qu'ils le perturbent, se sentaient en droit de défendre ce patrimoine.
Et bien entendu la société civile avait aussi son mot à dire.

L'Institution patrimoniale consiste à mettre tout ce monde autour de la table.

Cela a eu lieu en juillet 1994. Avec des hommes qui ne se parlaient plus, qui auraient été d'ailleurs plus enclins à se frapper qu'à se parler, nous avons petit à petit engagé le processus en partant du principe que, chacun dans son domaine, chacun dans sa compétence, a quelque chose à faire pour le bien commun. Même si nous sommes loin d'être sortis d'affaire, les fondements sont aujourd'hui solides.


Sol & Civilisation - La lettre, numéro 3; août 1996

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