Cette page est une version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet.
Ce site est maintenant fermé; il n'est plus tenu à jour, les informations peuvent être datées ou erronées,
et le seront de plus en plus au fil du temps. Et les formulaires sont désactivés.

L'architecture sexuée
Equivalence et symétrie

Par FLORENCE MARCHAL, architecte


CHAPITRE III: COMPLEMENTARITE ET SYMETRIE

L'UN AVEC L'AUTRE SEXE

Après plus de 2 millions d'années, la société accepte et reconnaît progressivement la parité égale des êtres humains et l'Homme prend conscience de sa division binaire sexuelle

Cette perspective de la découverte et de l'égalité des sexes ne peut qu'entraîner, à l'approche du XXIe siècle, une nouvelle éthique: celle de la revalorisation et de la réhumanisation de l'environnement des hommes, de tous les hommes

Hommes et femmes vont peut-être - enfin - échanger un langage commun interdisciplinaire et transparent, une sorte de Perestroïka, et concilier leurs particularités et leurs différences en vue de ce même objectif

Nous nous sommes rendus compte que l'on pouvait, à travers l'analyse d'oeuvres architecturales, déterminer des stéréotypes masculins et des stéréotypes féminins propres à un individu ou à un courant. Nous avons pu également remarquer que la femme et principalement la femme-architecte avait une perception, une approche et des préoccupations architecturales sensiblement différentes de celles des hommes-architectes

Chacun, dans la caricature et la spécialisation, utilise un parti et met en valeur tantôt l'individu, tantôt l'objet. L'homme aura tendance à dominer un projet ou un site, alors que la femme exploitera les différents aspects du programme

Ces différentes perceptions peuvent s'épanouir dans l'échange et la collectivité. Après une génération prônant la spécialisation, nous nous dirigeons vers la pluralité et la richesse des différences en vue d'améliorer une société complexe

Certains, représentant parfois à eux seuls la gloire, avaient déjà ressenti, inconsciemment ou non, l'intérêt d'un travail d'équipe... mixte

C'est en ça que l'expérience historique nous montre l'application spontanée de théories futures..

Quand Adam ne peut se passer d'Eve

"J'ai décidé de sauver de la médisance et de l'oubli quelques femmes de grands hommes. J'irai les dénicher, cachées derrière les fourneaux, ensevelies sous les moutons de poussière de l'histoire, puis je les recoifferai, leur poserai du rose sur les joues, et je les aimerai surtout, car elles ont toutes vécus un amour *affectif ou professionnel* hors du commun". Françoise Xenakis nous relate dans son livre "Zut, on a encore oublié Madame Freud" le rôle important de Martha Bernays-Freud, Xanthippe (épouse de Socrate), Adèle Foucher-Hugo, la baronne Jenny von Westphalen (épouse de Karl Marx), et d'Alma Schindler (épouse de Gustav Mahler, W. Gropius, Werfel), dans l'oeuvre de leur(s) mari(s)

De tout temps, les femmes ont influencé les hommes, les ont inspirés ou ont vu en eux l'interprète de leurs pensées. Sophie de Condorcet ne nia jamais son attachement à la politique et son "féminisme" d'avant-garde que défendra son mari, Voltaire a également exposé certaines théories tant qu'il était avec sa maîtresse, Madame du Chatelet. Et puis, Nadja ne fut-elle pas la muse, le maître à penser d'André Breton ? De même, si les femmes n'ont pas eu le droit, l'opportunité , ou pourquoi pas le courage d'entreprendre la profession désirée, elles furent souvent l'inspiratrice discrète et active de nombreux architectes. Des exemples connus, d'autres plus discrets, jalonnent l'histoire..

A la fin du XIXe siècle, un petit groupe se forme à l'école de Glasgow. Connu sous le nom "The four", il rassemble deux hommes et deux femmes venus étudier l'art dans cette petite ville du Royaume-Uni. Grâce à Francis Newberry, devenu directeur en 1885, l'école se développe rapidement. Elle va jouer un rôle important dans la vie artistique de Glasgow qui se voit attribuer le qualificatif prestigieux de "deuxième cité de l'empire". F. Newberry va également être déterminant dans la formation du groupe des quatre de Glasgow: en effet, c'est grâce aux opportunités offertes aux femmes d'étudier l'art que Margaret et Frances MACDONALD vont rencontrer et travailler avec Charles Rennie Mackintosh et Herbert Macnair

Les quatre, par leurs réalisations de meubles, d'ouvrages en métal et d'illustrations, vont rapidement devenir les chefs de file incontestés du mouvement artistique de Glasgow

L'énigmatique répertoire figuratif des deux soeurs Macdonald, composé d'inquiétants squelettes féminins et de formes végétales sinistres va donner au groupe le surnom d'"école des Spectres". Ils sont suspectés d'être sensibles à l'Art Nouveau, art considéré, dans cette Angleterre toujours victorienne, de décadence occidentale

En 1898, le groupe se divise en deux. Cette scission va marquer la fin de leur collaboration . Alors que Frances et Herbert Macnair vont s'installer à Liverpool, Margaret et Mackintosh (mariés en 1900) commencent leur véritable travail d'équipe. Principalement, le travail de Margaret Macdonald va consister en l'aménagement des espaces intérieurs conçus par Mackintosh. Elles conçoit les tentures, abat-jour, objets ou accessoires en métal, ainsi que les plaques en plâtre et en fer martelé incrustées dans les meubles ou placées sur les murs

Margaret va participer activement à la conception de la plus grande commande de Mackintosh: Hill House, réalisée à partir de 1902. Ainsi, avec sa femme, Mackintosh prévoit toute une série de panneaux décoratifs et de meubles. Les motifs y sont multiples: femmes-fleurs, tulipes, germes, coeurs renversés, roses tourbillonnantes, colombes entre-braisées. Plusieurs planches vont être réalisées pour les différentes pièces; mais celle qui est considérée comme la plus surprenante représente la "salle de jeux des enfants" nichée au dernier étage sur une des cheminées. Peinte par Margaret Macdonald, elle "figure le baiser donné par le prince charmant à la belle au bois dormant sur l'habituel semis de roses tourbillonnantes". Dans ce projet, Mackintosh décore les murs de manière à exclure toute collection de tableaux autres que ceux des "quatre". Le mobilier, le linge, l'argenterie, la vaisselle, les rideaux de Hill House sont presque entièrement dessinés par Mackintosh et sa femme

Mackintosh, au cours de sa carrière, va souvent être aidé par sa femme. Notamment, ils vont réaliser ensemble, sans doute à des degrés divers, les salons de thé de Miss Katherine Cranston. L'emplacement d'un tableau de Margaret, "La reine de mai" ou "May Queen", face à une oeuvre de Mackintosh, "Libations", dans leur premier salon de thé, montre la réelle collaboration des époux

Après 1915, Les Mackintosh vont vivre à Chelsea, quartier bohème de Londres, et se lancent dans la conception de tissus d'ameublement pour les firmes Foxton, Liberty et Selton. Pour cette production industrielle de masse, leur collaboration est complète. Ils se lancent vers le tissu imprimé. Leur style passe de l'Art Nouveau de type Glaswegien à une forme plus brutale et vivement colorée, sensiblement proche du post-cubisme de l'art déco. Mais si Mackintosh se rapproche réellement de l'art déco avant la lettre, Margaret restera toute sa vie fidèle au réalisme fantastique. Par contre, pendant cette période londonienne, elle ne participe pas directement au travail plus architectural de Mackintosh, mais elle demeure l'inspiratrice de son mari: "par sa personnalité, plus forte, elle apportera toujours un soutien et une stimulation incontestables à Mackintosh "

Au milieu des années '20, le couple s'installe en France, dans les Pyrénées orientales. Alors que Mackintosh se lance dans l'aquarelle, Margaret cesse toute activité artistique

L'oeuvre de Mackintosh va, pendant les quelques décennies qui suivent le première guerre mondiale, être proscrite ou simplement oubliée. Pourtant, au début des années '40, Nikolaus Pevsner va sortir de l'ombre une partie des projets de Mackintosh. Seulement, lui et ses continuateurs vont ignorer délibérément le style Art Nouveau curvilinéaire basé sur des motifs floraux organiques de son oeuvre. Tous les aspects "mystico-symbolico-celtiques " sont sous-estimés ou attribués à l'influence néfaste de Margaret, "promue au rang de mauvais génie de Charles Rennie...5"

Margaret Macdonald

Deux créations de tissus "Rose and Teardrop" (1915-1923) et "Odalisque" (1915-1923)

D'autres couples vont travailler ensemble. D'autres associations vont ponctuer l'histoire du design et de l'architecture. En retrait des "grands hommes", des femmes vont participer à leurs oeuvres, contribuer à leur réussite et apporter une autre vision de la vie

Il faudra attendre quelques temps pour que le nom de celle qui fut responsable de l'équipement mobilier, de l'aménagement intérieur des projets de Le Corbusier et Jeanneret revienne dans la mémoire du public. Charlotte PERRIAND n'a pas encore 30 ans quand elle entre, en 1927, dans l'atelier de Le Corbusier. Pourtant elle est déjà connue grâce à la présentation de son "bar sous le toit". "J'avais 24 ans et j'en paraissais moins. Je sortais tout juste de l'Union Centrale des Arts Décoratifs et toutes les revues parlaient de moi... On me disait que j'étais la plus grande décoratrice du monde. Alors je me suis dit: "Si c'est ça la gloire, qu'est-ce que je peux faire de plus ?" Il fallait que je trouve autre chose que la décoration. L'horizon était bouché"

Suite à cela, Le Corbusier, en quête d'hommes et de femmes au regard neuf, engage Charlotte Perriand. Leur collaboration durera 10 ans, et rapidement, cette unique femme au sein d'une grande équipe cosmopolite va fortement contribuer à la transformation du cadre de vie et du mobilier

L'habitation doit, écrit-elle en 1950, "créer les conditions de l'équilibre humain et de la libération de l'esprit "

En 1952, elle retrouve Le Corbusier et travaille à l'aménagement de l'unité d'habitation de Marseille

Charlotte Perriand est un personnage important de l'histoire de l'architecture. Elle a imposé, discrètement, à notre société cet "art d'habiter", mué en "art de vivre" qui la caractérise

C'est également dans le courant d'architecture moderne des années '20 que vont naître de nouvelles collaborations

Après avoir été la première femme à la direction du Werkbund allemand en 1920, Lily REICH s'associe, en 1927, à Mies van der Rohe. Elle va participer à divers projets tels que la construction de plusieurs immeubles, la réalisation du bloc d'habitations de la Cité de Weissenhof ou la direction et l'aménagement de l'exposition "BAU" en 1931

L'architecte finlandais, Alvor Aalto, va s'assurer tout au long de sa carrière, l'aide de deux femmes. En 1924, il épouse sa première partenaire: diplômée architecte de l'école polytechnique de Helsinki. Aino MARSIO va jouer un rôle important dans l'oeuvre de Aalto et principalement dans le design de nombreux projets. Ensemble, ils vont fonder, en 1935, le maison Artek. Le résultat du concours du pavillon finlandais pour l'exposition universelle de New-York, en 1937, montre bien la collaboration profonde de ce couple d'architectes. En effet, Alvor Aalto, ainsi que son bureau, avait déjà participé conjointement au concours. Aino Marsio envoya, en secret de son mari, un troisième projet. Et à eux deux, ils remportèrent les trois premiers prix ! Le projet définitif adopta une partie des idées personnelles de Aino Marsio

Suite à la mort de celle-ci, survenue en 1949, Aalto se remaria, en 1952, avec une autre architecte, Elissa MAKINIEMI qui s'associera à son tour à son mari

Par contre, les rôles semblent avoir été inversés dans le couple formé par Eileen GRAY et Jean Badovici. En effet, c'est sous l'influence de Jean Badovici, architecte et co-créateur de la revue "L'Architecture vivante" (1923) que cette irlandaise, venue s'installer à Paris en ce début de siècle, se lance dans la réalisation de deux habitations et de nombreux projets

Eileen Gray s'était déjà illustrée dans l'art de la laque grâce aux leçons de D. Charles, puis du maître japonais Suragawa et dans l'art du tissage et de la décoration. Au contact de Badovici, elle rencontre des personnalités telles que Ozenfant et Le Corbusier, et à la lecture de "L'Architecture vivante", elle prend connaissance des grands courants architecturaux d'Europe, d'Amérique et de Russie. Eileen Gray va se servir des plans d'autres architectes pour se former, et surtout pour observer. Ses préoccupations vont vers l'aménagement d'espaces réduits, la recherche de nouveaux matériaux: le chrome, l'acier tubulaire

Badovici lui fait rencontrer Adrienne GORSKA, jeune architecte d'origine polonaise, qui va lui donner un enseignement rudimentaire. Cependant, sa formation fut principalement autodidacte. Sous les conseils théoriques de Badovici, Eileen Gray se lance dans son premier projet architectural: une maison sur la Côte d'Azur et, en 1926, elle commence les travaux de "E1027" à Roquebrune. Petit à petit, Eileen Gray va échapper à l'influence de Badovici et continuer seule son parcours en tant qu'architecte et designer. L'architecture de cette créatrice remarquable est "une architecture fonctionnelle où le beau est l'utile ". C'est une architecture pour l'homme moderne, nouveau, où "seul doit être considéré l'homme, mais l'homme d'une époque, avec les goûts, les sentiments et les gestes de cette époque (...)7"

Suite à l'augmentation des femmes dans les domaines du design et de l'architecture, de plus en plus d'équipes mixtes se forment. Dès 1941, Charles Eames et Ray KAISER fondent un foyer et débutent leur collaboration professionnelle

L'architecte, née à Pékin et diplômée à la Cambre en 1938, Simone GUILISSEN-HOA travaille, à partir de 1952, avec Jean Dupuis. Elle est à l'origine de nombreux projets en Belgique, comme par exemple un centre sportif réalisé à Jambes dès 1947 ou un institut Provincial pour Aveugles et Amblyopes en collaboration avec Jean Dupuis (1953)

Robert Venturi et Elisabeth SCOTT BRONW, de même que John Rauch, réalisent un véritable travail d'équipe où chacun a son rôle: R. Venturi est le principal responsable de la création formelle, alors qu' E. Scott Bronw met en avant les fonctions sociales très tôt dans la problèmatique du projet architectural et constitue la critique créatrice de l'équipe. J. Rauch est l'homme d'affaires et le critique technique à l'aise dans l'abstraction philosophique

Gae AULENTI ne semble faire que l'architecture d'intérieure et le design sans l'architecte Castiglioni

Plus proche de nous, on trouve Wendy CHEESMAN FOSTER qui s'associe, en 1963, à Norman Foster, Richard Rogers et Georgie WOLTON pour former "Team 4". En 1967, le groupe se dissout. Norman et Wendy Foster fondent alors "Foster Associates"

Suivent Odile DECQ et Benoît Cornette en France, Hilde DAEM et Paul Robbrecht en Belgique,..

Françoise-Hélène JOURDA et Gilles Perraudin, de plus en plus mentionnés dans les revues d'architecture, travaillent leurs projets tout en contraste. Leur architecture dualiste est le résultat de leur complémentarité. Sinon, auraient-ils rappelé à propos de la cité scolaire de Lyon, implantée au confluent de deux fleuves, que le Rhône incarne un principe mâle et la Saône un principe femelle... ?

INTERFERENCE ET COMPLEMENTARITE AU SEIN D'UNE EQUIPE MIXTE

L'association de deux ou plusieurs architectes de sexe opposé ne constitue pas dans la plupart des cas, une juxtaposition de rôles spécifiques. Chacun participe avec son bagage architectural et est prêt, normalement, à concevoir entièrement un projet individuel. Cette notion est importante car l'architecture est justement la symbiose de différentes disciplines et l'architecte a pour but de les unifier. C'est là d'ailleurs où se situe tout le plaisir d'une telle profession

Mais chaque être est différent par sa culture, sa personnalité et son appartenance sexuelle et l'association s'en trouve ainsi enrichie

S'il est difficile (ou délicat) de reconnaître une origine féminine ou masculine dans un projet architectural mixte, on peut être sensibilisé par une architecture plus complexe ou plutôt plus complète et plus subtile; une architecture plus humaine. Celle-ci nait d'un dialogue et procède de l'échange de différents courants de pensée et de perceptions. Elle demande une certaine humilité individuelle qui, pour être saine et juste, ne peut être issue que de la confiance en soi (et en les autres) et de l'acceptation de son identité sexuelle, culturelle et sociale

Tout au long d'une interview des architectes Gantois, Hilde DAEM et Paul Robbrecht, un véritable jeu architectural va apparaître. Niant au début toutes spécificités dues à leur féminité ou masculinité, les deux architectes confrontés aux questions vont se révéler. Bien que travaillant et dialogant ensemble dès le début d'un projet, Paul Robbrecht va chercher à imposer une idée forte, une image artistique, alors que Hilde Daem, tout en s'attachant à l'expression (architecturale) va se préoccuper des lieux viables et utilisables. Elle ajoute une dimension plus humaine et plus quotidienne dans la conception. Face à l'abstraction théorique et philosophique de P. Robbercht, H. Daem va, auprès du futur utilisateur, jouer le rôle de régulateur. L'utilisateur (-trice) va d'ailleurs s'en trouver satisfait: depuis toujours, il (elle) est convaincu du stéréotype de la femme pratique et réaliste

Au hasard de la discussion, P. Robbrecht avoue une préférence pour les monographies artistiques et les sujets traitant d'Art; H. Daem pour les oeuvres sur l'art ethnique. Faits significatifs ? Autre phénomène assez étonnant,: la revue "technique & Architecture", sous le thème "expressions", reprend l'ensemble de plusieurs réalisations de couples architectes

On retrouve Karla KOWALSKI et Michael Szyszkowitz, Inke et Hinrich BALLER ou l'agence ASYMPTOTE

Si le dernier couple mentionné procède d'une architecture "imaginaire" plus brutaliste et empreinte de tensions, les deux premiers semblent assez proches dans leur conception architecturale

L'oeuvre de K. Kowalski et M. Szyszkowitz fut souvent définie précipitamment comme expressionniste et organique. Leur recherche tend à concilier environnement et individu, unité et particularisme, à méler réalité et sublimation, rationnalisme et poésie, et à intégrer émotion et spiritualisme. C'est une architecture riche en oppositions et pourtant complémentaire. Leur volonté est bien différente de la conception philosophique de Mies van der Rohe: "Less is More"

Les deux architectes veulent créer un microcosme à l'échelle urbaine et offrir de véritables lieux de vie aux utilisateurs. J.P. Pousse ajoute d'ailleurs à propos de leur architecture: "...l'attention à la vie de l'individu laisse entendre un respect quasi humaniste de la personne, un soin apporté au déroulement de ses jours, que l'architecture doit rendre plus heureux et harmonieux"

A travers leurs objectifs, "Attirer, rassurer, retenir", on retrouve toute la dualité de l'être et donc toute la dualité d'une architecture entière: "Attirer" par l'esthétique conceptuelle et par les possibilités fonctionnelles, "Rassurer" par un aspect protecteur (paternalisme ?) et un intérieur matriciel, "Retenir" par l'imposition et le plaisir suscité

En apparence, les rôles des architectes Inke et Hinrich Baller semblent plus définis. H. Baller "compose" l'architecture selon les cadences et les rythmes musicaux. I. Baller, ingénieur-architecte, ADAPTE, calcule et réalise les plans d'exécution. Tout en contrastes formels (oppositions entre pleins et vides, entre la massivité de la toiture et la sophistication de la façade) et historiques (mélange du vocabulaire moderne et du vocabulaire soit classique, soit gothique), leur architecture se veut respectueuse de l'envirronnement bâti et naturel. Comme pour le groupe SITE, composé d'Alison SKY et James Wines, la nature participe à l'architecture, elle en est le prologement

Leur démarche se préoccupe également de l'aménagement du plan intérieur. Le soin apporté aux détails architecturaux témoigne de l'attention portée aux lieux de vie quotidienne. Les espaces sont modulables et non prédéterminés fonctionnellement. L'architecture s'adapte à l'occupant. "Selon les Baller, la liberté de mouvement, la possibilité de création, sont essentielles à l'équilibre "

Le couple formé par F.-H. JOURDA et G. Perraudin entre dans la ligne directe des exemples précités. L'ambiguité caractérise aussi leurs oeuvres. Basées sur un plan essentiellement rationnel, elles se libèrent, s'adoucicent et vibrent grâce à l'alternance des pleins et des vides, grâce aux formes souples souvent sinusoïdales et à l'imprégnation de la nature. Ils recherchent une architecture de l'immatériel "rendue mortelle par son mimétisme biologique" (F-H. Jourda)

Il subsiste, à travers l'interprétation des traits architecturaux des oeuvres décrites brièvement, une part de subjectivité consciente. Les éléments ont été choisis selon leur richesse significative en vue d'aboutir, explicitement ou non, à une conclusion ultérieure. Toutefois, si on ne se contente pas de lire purement et simplement au premier degré, des liens vont s'opérer entre les différents aspects soulevés dans cette approche. Ceci a guidé le choix des illustrations

D'où ne peut-on trouver symptômatique, le sujet de mémoire de Piet Crevits, "La fenêtre "explicite"" conjugué à celui d'Ingrid de Decker, "Le phénomène de la jetée", la "fenêtre-jetée" ? La fenêtre "explicite" fait partie de l'enveloppe du bâtiment, même si les relations entre l'extérieur et l'intérieur, entre le dehors et le dedans (accompagnées de toutes ses métaphores) offrent de "nombreuses variations ". Elle constitue une LIMITE, alors que la "fenêtre-jetée" est le PONT, plus encore que le lien, entre deux mondes. Elle ne symbolise pas une rupture "ni dans le temps, ni dans l'espace9"

Le thème de la fenêtre requiert d'ailleurs une vision plus théorique et abstractive. Il est issu d'un langage formel et géométrique. Celui-ci laisse dans la mémoire des lecteurs plus d'impact alors que le thème de la jetée demande une plus grande introspection personnelle moins évocative à long terme

CONCLUSION

A travers l'alternance et la mutation des courants architecturaux, nous avons pu lier leur diversité et leur ambiguïté à la complexité sociale. Nous avons donc pu constater que l'émancipation de la femme semblait influencer les conceptions formelles et idéologiques

Suite à cela, la possibilité d'une architecture de "genre" est apparue. Nous avons pu démontrer (en toute objectivité ?) qu'il y avait des différences innées et des différences dues au comportement éducationnel des parents, mais aussi, que l'homme et la femme possèdaient des qualités et des compétences équivalentes dans tous les domaines du moins intellectuels. Nous avons donc pu remarquer que, s'il n'existe pas vraiment d'architecture propre aux femmes, il y a des préoccupations spécifiques à l'un ou l'autre sexe. Ces préoccupations sont le reflet d'une histoire longue de plusieurs millions d'années. La complémentarité puis la peur et la domination ont créé des frustrations, des besoins et des demandes. Ils correspondent aux femmes et aux hommes, mais aussi à toutes les civilisations. Ainsi, les rapports sociaux ont défini des caractéristiques et des intérêts sexuellement différents

Alors, afin que la société s'épanouisse et s'enrichisse de sa pluralité et de sa diversité, nous avons proposé une prise de conscience et une acceptation de ce phénomène. Grâce à quelques exemples, nous nous sommes interrogés sur l'existence d'une architecture plus complète et plus ouverte aux utilisateurs qui résulterait d'un travail d'équipe mixte

Quelques réflexions sont encore à formuler

La bi-polarité de l'artiste peintre, sculpteur, écrivain est le fondement de son inspiration créatrice, elle va enrichir son oeuvre en contrastes et en subtilités. Mais, cette dualité individuelle ne peut suffire en architecture. Seule la (bi) polarité même d'un groupe de travail peut réellement épanouir un art qui se veut social

Pourtant, nous ne sommes pas encore tout à fait au stade de l'égale participation des femmes. En marge de l'architecture "traditionnelle", elles pourraient imaginer sa transformation et de nouveaux modes conceptuels au risque de créer un phénomène semblable à celui qu'elles défient: une nouvelle architecture sexuée

Toutefois, ce cas n'aboutira sans doute jamais car, malheureusement, il est rare qu'une femme ou qu'une critique féministe évoque l'oeuvre de femmes-architectes et heureusement, le renversement total des rôles ne fait pas partie d'un programme futur

Ainsi, seule l'architecture issue d'un travail mixte et interdisciplinaire correspondra à la société d'aujourd'hui et de demain. Pensée autrement, elle ouvrira les possibilités conceptuelles du projet et ce dans toute sa polyvalence

Il faudra aussi compter sur l'évolution des mentalités et des rôles qui vont changer sensiblement nos structures sociales. Car, à l'exception du Japon, nous construisons aussi pour les générations à venir qui, espérons-le, constitueront une société plus paritaire

Enfin, en décidant de parler de l'architecture sexuée, nous aurions dû également sortir du groupe des hétérosexuels

Si le fait de parler des femmes-artistes pouvait déjà avoir une connotation raciste, il en est de même lorsque l'on s'interroge sur une sensibilité différente des homosexuels ou sur une perception spécifique des hermaphrodites

A l'heure actuelle, les scientifiques s'interrogent toujours sur le fait que certaines personnes intégrent, à leur mode de vie quotidienne, l'homosexualité latente de tout être humain. Ce comportement serait soit issu d'un fonctionnement hormonal particulier ou l'influencerait suite au complexe d'Oedipe non résolu. Par ailleurs, après avoir effectué quelques autopsies sur des cerveaux d'homosexuels masculins, des chercheurs ont remarqué que leur comportement cérébral fonctionnait sensiblement comme celui des femmes. De là, nous pourrions peut-être déduire certaines hypothèses associées à une sensibilité spécifique due sans doute à la marginalité des homosexuels ? Mais, l'étude demanderait une analyse beaucoup plus approfondie et constituerait à elle seule au moins un mémoire afin de ne pas tomber dans les travers de la carricature et de la réduction. D'autant plus, que beaucoup d'homosexuels éprouvent une dualité entre leur aspect morphologique et leurs sensations psychologiques

"Je n'étais jamais plus femme qu'au moment où je faisais l'homme, et jamais plus homme qu'en faisant la femme." Costas Taktsis

On pourrait s'étonner de trouver dans la bibliographie beaucoup d'auteurs féminins traitant du sujet étudié. Mais, comme l'a affirmé Poulain de la Barre, au XVIIe siècle: "Tout ce qui a été écrit par les hommes doit être suspect car ils sont à la fois juges et partie."


FLORENCE MARCHAL

architecte, rue des Eburons, 20 B-4000 Liège Belgique

Tél. 32.41/53.00.17


City&Shelter

Pour plus d'informations, contacter:
City&Shelter
40, rue d'Espagne - 1060 Bruxelles
Tél.: 32 2 534 77 35 - Fax: 32 2 534 77 35
EMail: city.shelter@skynet.be


| Sommaire |

Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon-local/