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Des PME québécoises en milieu rural: des exemples de succès

Par André Joyal et Laurent Deshaies, Université du Québec à Trois-Rivières


Québec SMEs rural enterprises: examples of success

- INTRODUCTION -

Les bouleversements liés à la globalisation des échanges, les innovations technologiques et leur impact sur l'emploi, les changements dans les conditions de la production agricole constituent autant de sources de défis nouveaux pour le monde rural (OCDE, 1996). La nécessité de favoriser une diversification de la base économique des millieux ruraux s'impose de plus en plus comme une alternative à la désertification de vastes espaces. Face à cette exigence, il y a lieu de s'interroger sur les possibilités qu'offre le monde rural à la petite et moyenne entreprise en ayant à l'esprit ce que Quévit (1986) a désigné comme étant le défi de l'industrialisaion rurale. Un défi que semblent relever, dans certains espaces ruraux français, les petites entreprises et plus particulièrement les unités artisanales qui sont les seules à créer des emplois là où l'agriculture tend à s'effacer (Berger et Font, 1997).

Très souvent, comme le font remarquer Bertrand (1996), Henry et Drabsentott (1996), les entreprises en milieu rural évoquent avant tout des activités traditionnelles générant une faible valeur ajoutée (agro-alimentaire de première transformation, bois et meubles, mécanique peu complexe) tout en étant de taille restreinte. S'ajoutent à ces caratéristiques une main-d'oeuvre de faible qualification, un sous-financement endémique, l'éloignement des sources d'information, le recours à des procédés de fabrication d'un autre âge, etc. Pour Falcone, Allen et Vatter (1996) l'isolement représente pour les entrepreneurs ruraux le principal obstacle à surmonter. En effet, du moins aux État-Unis, les comtés ruraux possèdent peu de ressources humaines susceptibles d'offrir aux porteurs de projet ou aux entreprises existantes les diverses formes d'appuis dont les entreprises en milieu urbain peuvent bénéficier.

Même si cette représentation n'est pas étrangère au paysage rural québécois, on verra dans les pages qui suivent l'exemple d'entreprises, dont les performances permettent un constat plus favorable. Pour ce faire, l'attention se portera vers des PME implantées, pour la plupart, de façon définitive sur le marché de l'exportation. Il s'agit d'entreprises manufacturières faisant partie de ce qu'Hussel (1992) qualifie de milieu rural progressif. La nature des produits, les procédés de fabrication et les stratégies mises de l'avant permettent de surmonter les handicaps généralement associés au milieu rural. Dans le cas présent, l'étude de PME innovantes et exportatrices localisées dans ce que l'on désigne comme faisant partie du Québec rural central (cf carte en annexe) démontre que des entrepreneurs trouvent une solution au problème de l'éloignement des grands centres et de leurs réseaux.

Par ailleurs, surtout en ces temps de grands changements économiques, il importe de conserver la tête froide. Au Québec, en 1990, seulement 12, 2% des PME, tous milieux confondus, pratiquaient l'exportation. Élever cette proportion devient un leitmotiv politico-économique (Sommet socio-économique, 1996). Recourir au démarquage (bench marking) s'avère utile pour bénéficier de l'expérience d'entreprises à succès. En effet, l'étude d'un certain nombre de ces entreprises, comme celles du présent échantillon, permet de tirer des enseignements concernant leur capacité concurrentielle sur les marchés local et national de même sur les exigences d'une implantation définitive sur le marché américain plus particulièrement. Le présent article vise donc à questionner le présumé degré de vulnérabilité des entreprises manufacurières en milieu rural

I L'environnement rural

À quoi correspond le milieu rural québécois? Il est quasiment impossible de répondre de façon satisfaisante à cette question. Il n'y a pas un espace rural mais des espaces ruraux. On l'admettra, l'organisation et les paysages ruraux de la plaine de Montréal ont bien peu à voir avec l'aménagement des petites communautés rurales de la région du golfe du Saint-Laurent. La situation démographique et institutionnelle du monde rural québécois résulte d'une évolution qui a profondément modifié les données de cette réalité sociale et économique. Les changements profonds qui ont touché le monde rural québécois ont été très rapides. C'est une véritable mutation des espaces ruraux qui se manifeste depuis quelques décennies (Jean, 1994). Du fait de la pénétration des valeurs urbaines, qui accompagne la nouvelle structure économique, les modes de vie s'en trouvent transformés. Les jeunes poursuivent leurs études dans les centres urbains. Des adultes, au contraire, quittent définitivement la ville pour devenir des néo-ruraux emportant avec eux leurs idées et leur dynamisme (Deshaies et Sénécal, 1997). Tout ceci au moment où, de plus en plus, on assiste à la généralisation des nouvelles technologies se rapportant autant à la production qu'à l'information ou aux communications.

De cette façon, si pendant des siècles l'activité agricole a dominé le paysage du monde rural, de nos jours, le monde rural ne se définit plus à partir de l'activité agricole. Au Québec, la population rurale associée à l'agriculture n'atteint plus les 15 % alors que, jusqu'en 1956, la population rurale était en majorité agricole. Cette évolution s'observe partout dans les pays industrialisés. Force est donc de reconnaître la place de plus en plus prédominante occupée par les activités liées au secteur de la transformation ou des services. Ce constat ne facilite cependant pas l'obtention d'une conception uniforme de la ruralité. En effet, les zones rurales demeurent différenciées les unes par rapport aux autres autant par leurs caractéristiques économiques, géographiques, démographiques et sociales. Il ne peut donc y avoir une conception unique de la ruralité.

C'est pourquoi Huillet et Long (1992) identifient trois types de zones rurales :1- les zones reculées: ce sont des régions de peuplement très espacé, faiblement pourvues en moyens de transport et en services divers; 2- les zones intermédiaires: ce sont le régions où vivent la moitié de la population rurale des pays de l'OCDE. La diversification de l'économie constitue précisément leur principale priorité; 3- les zones économiquement intégrées: souvent situées près d'un grand centre urbain, on y trouve une population en croissance bénéficiant de revenus supérieurs à la moyenne des zones rurales. Cette classification se rapproche de celle utilisée par Jean (1991) qui, à son tour, distingue trois types d'espaces ruraux: 1-les zones rurales péri-urbaines que l'on retrouve à la périphérie des grandes villes; 2- les zones intermédiaires, plus distantes que les premières des villes de grande importance ou moyenne; 3- les zones périphériques qui en sont vraiment éloignées. Pour les fins de notre recherche, nous en sommes tenus à la deuxième catégorie de zones identifiées par ces auteurs. C'est ce que Vachon (1995) qualifie de rural central. On comprendra que la problématique de la PME en région périphérique (zones de troisième type) s'avèrant plus complexe nous avons choisi de ne pas nous y attarder dans le cadre de la présente étude. Inspirés par les auteurs ici considérés, nous avons jugé qu'une entreprise se trouve en milieu rural lorsqu'elle est implantée dans une agglomération de 3 000 habitants ou moins à l'intérieur de la zone concernée. Ce chiffre correspond approximativement, dans le contexte québécois à la zone de transition où le gros village devient une petite ville et, dans ce sens, délimite de façon significative les municipalités urbaines et les municipalités rurales.

II Les PME en région et leurs présumés handicaps

Par PME en région on se réfère de façon générale à des entreprises situées en dehors de la grande région métropolitaine de Montréal et de celle de Québec. Mais qu'entend-on par PME? Les entreprises ici considérées répondent aux conditions suivantes:

a) une taille restreinte soit moins de 250 employés;

b) la centralisation de la gestion autour du propriétaire-dirigeant ou des quelques têtes dirigeantes;

c) une stratégie intuitive ou peu formalisée mettant à profit la proximité du dirigeant et des employés;

d) un système d'information interne simple appuyé sur le dialogue et le contact direct;

e) un système d'information externe peu complexe où les clients constituent la principale source d'information (Julien, 1997; Fourcade et Marchesnay, 1997):

Les données du ministère québécois de l'Industrie, du commerce de la science et de la technologie (1995) montrent que les PME manufacturières sont à l'origine de plus de la moitié des emplois manufacturés dans sept régions administratives du Québec : Laval, milieu urbain (64,1%), Bas-Saint-Laurent, rural périphérique (63,1 %), Lanaudière, rural périphérique (58,2 %) Chaudière-Appalaches, rural central, (58 %) Québec milieu péri-urbain,( 57 %) Montréal (53 %) Mauricie-Bois-Francs, en partie rural central (51,4 %). La place relative de la PME manufacturière en région non métropolitaine demeure cependant plutôt marginale. Selon cette même source, cette situation s'explique par les facteurs suivants :

Les autres difficultés signalées qui représentent un handicap pour les PME en milieu rural se rapportent à l'accès au capital de risque, à l'absence d'entreprises de services, l'éloignement des organismes de recherche gouvernementaux et l'inexistence d'une culture entrepreneuriale.

Dans quelle mesure ces handicaps trouvent-ils vraiment leur importance dans un contexte où l'information devient l'un des principaux facteurs de localisation pour toute entreprise innovante dite aussi de "classe mondiale" (Julien, 1994a)? La réponse à cette interrogation oblige de s'attarder sur le concept d'entreprise innovante en y associant en premier lieu ce que l'OCDE dans une étude (1996a) qualifie de nouvelle approche en matière de développement régional.

III Développement régional: un changement de perspective

L'approche traditionnelle à l'égard du développement économique régional découlait d'une vision différente de celle qui prend son appui sur l'entrepreneuriat local. Il ne s'agit donc plus de développer des infrastructures économiques, de dresser des plans macro-économiques ou d'évaluer des projets d'investissement mais plutôt de répondre aux besoins non financiers des personnes qui lancent une petite entreprise. Ainsi, dans un monde où la localisation ne dépend plus essentiellement de la disponibilité de matières premières ou de la proximité des marchés, le rôle de nombreux agents de développement économique est passé de celui qui consistait à l'exécution d'un programme à celui d'offrir des services de consultation et d'orientation à des entrepreneurs locaux.

En conséquence, les organismes d'expansion régionale au Canada soulèvent les questions suivantes (OCDE, 1996a, p.9):

Ces questions suggèrent que la promotion de l'entrepreneuriat est devenue une priorité du développement régional avec en vue la figure 1. La présente étude, à défaut de répondre à ces questions, vise à montrer la pertinence de la perpective entrepreneuriale appuyée sur l'interrelation entre les divers agents économiques engagés dans cette démarche.

Figure 1: Acteurs d'une stratégie du développement de l'entrepreneuriat

Source: adaptée de OCDE (1996a, p. 25)

On voit que quatre principaux agents se trouvent en présence: les organimes gouvernementaux, les médias, le monde de l'enseignement et les organisations locales. Les uns et les autres agissent auprès des PME dans le but de sensibiliser, d'informer, de promouvoir des idées et des programmes d'appui à travers le différents réseaux à l'intérieur desquels elles évoluent.

IV La PME de "classe mondiale"

Une étude sur des PME en milieu rural ne peut faire abstraction des conséquences de la mondialisation des marchés. Celle-ci oblige les PME à réagir afin d'assurer leur survie et leur prospérité future. Devant aller de l'avant, les plus dynamiques se préparent déjà depuis quelques années à répondre aux nouvelles exigences du marché. Certaines adoptent un nouveau style de management touchant à la fois à la stratégique commerciale et les changements technologiques. Il est donc de plus en plus admis que les PME exercent un rôle important dans le développment technologique (Acs et Audretsch, 1990). En relation avec ces derniers, on se réfère à un ensemble de techniques et d'outils utilisés à l'intérieur des processus complexes de gestion et de production souvent fort différents pour chaque entreprise radicale ou graduelle (incrémentale) (Jacob, 1997). C'est pourquoi Marchesnay et Fourcade (1997, 284) jugent opportun de distinguer trois types d'innovation: l'innovation de produit, l'innovation de procédé ou de production et l'innovation orgnisationnelle en précisant que tout en pouvant être radicale ou incrémentale, l'innovation n'est pas un acte limité à quelques entreprises autour de projets dit de "haute technologie". En fait, tout en reconnaissant que le processus d'adoption des technologies se fait surtout de façon graduelle, pour la France, Bernard et Torre, 1994 signalent qu'il touche près de 60% des PME du secteur manufacturier. Des résultats qui rejoignent ceux enregistrés par Carrière et Julien (1994) qui montrent qu'en 1992, au Québec, plus de 50% des entreprises de moins de cinquante employés possédaient au moins une nouvelle technologie, le plus souvent une machine à contrôle numérique. En ajoutant les technologies génériques, ce pourcentage dépassait les 60%.

Les nouveaux concepts et les nouvelles façons de faire font leur apparition. On se rapporte ici, entre autres choses, au management de qualité totale, aux systèmes de données informatisées et aux normes internationales de systèmes de qualité. Le recours aux technologies assistées par ordinateur fait de la qualité des produits un atout incontournable offrant à l'entreprise la possibilité d'accéder au statut de PME de "classe mondiale". L'accès de façon durable aux marchés étrangers confère ce statut à une PME.

L'entreprise ne peut exister et prospérer qu'en relation avec sa capacité de gagner et conserver des clients. En conséquence, ses objectifs se définissent par rapport à des volumes de ventes, aux parts de marché, aux indices de satisfaction de la clientèle et, bien sûr, aux bénéfices. En accord avec cette vision, Julien (1994) signale que l'un des enjeux importants de la compétitivité consiste à rechercher le succès sur des marchés qui se mondialisent. On comprendra ainsi l'importance accordée dans le cas présent à la dimension exportation. Considérer qu'une entreprise est mondialement performante c'est d'abord reconnaître que son produit s'impose sur le marché mondial en tirant profit de son côté innovateur. Bien sûr, pour ce faire, l'exportation doit être soutenue dans le temps. Il importe d'être en présence d'exportateurs professionnels ou pour le moins en transition tels que définis par Joyal et al (1996). Car, certaines entreprises peuvent profiter temporairement d'une oportunité sur un marché extérieur sans garantie d'implantation durable. L'attention se porte donc à ce type d'entreprises innovatrices que le Small Business research Centre (1992) considère comme ayant la croissance la plus rapide et la plus grande réussite concurrentielle Les sections suivantes montrent comment se comportent, sur la base de ces considérations, un échantillon de 27 entreprises associées au secteur manufacturier qualifié de "complexe" par Malecki, (1994) désigné également comme étant à forte valeur ajoutée.

V Objectifs et méthodologie de la recherche

La description des éléments précédents démontre l'existence d'une nouvelle problématique concernant l'implantation et la croissance des PME en milieu rural. Depuis quelques années de nouveaux discours émergent au sujet du développement régional et de l'internationalisation de l'économie. Il devient donc pertinent de s'interroger sur les opportunités qu'offre le milieu rural aux entreprises ou aux entrepreneurs locaux devant faire face à la mondialisation des marchés. En conséquence la présente recherche, dans son stade exploratoire, se rapporte aux questions suivantes:

1. Est-ce que les PME de "classe mondiale" existent en milieu rural québécois et qu'elles sont leurs principales caractéristiques?

2. Dans un premier stade d'analyse, peut-on mettre en évidence les raisons qui favorisent leur implantation et leur croissance dans un tel milieu?

Relativement à cette deuxième question, la prise en considération de la littérature dont il est fait état dans les sections précédentes, conduit à retenir un cadre d'hypothèses articulées sur trois grands axes.

D'abord, le succès d'une entreprise en milieu rural peut provenir du type d'activités favorisées. La décision d'implantation et d'expansion de l'entreprise n'est pas neutre en termes de milieux, les urbains pouvant être favorisés pour certaines activités et les ruraux pour d'autres. Les analyses traditionnelles ont amplement démontré cet état de fait. La seconde hypothèse se réfère à l'importance du milieu d'implantation pour les entreprises. On se rapporte au rôle ou à l'influence des acteurs socio-économiques du milieu auquel appartient l'entreprise. La taille de la localité d'implantation n'est évidemment pas sans effet sur la présence et la qualité de tels intervenants. S'ajoute ici la proximité d'autoroutes et de villes de moyenne importance. La troisième hypothèse, qui fait suite à l'importance de l'entrepreneuriat, touche cette fois le propriétaire-dirigeant avec une attention particulière à son lieu d'origine et surtout le degré de dynamisme affiché.

5.1. Collecte des données

Pour répondre aux deux questions soulevées et pour vérifier les hypothèses, la démarche privilégiée repose sur une enquête auprès de propriétaires-dirigeants de PME, sur la consultation d'agents de développement économique et sur la prise en compte des données officielles existantes. L'analyse des entrevues permet de vérifier la première et la troisième hypothèse pour ce qui a trait au type d'activités et au comportement du propriétaire-dirigeant. Les données tirées du recensement canadien et le recours à des cartes topographiques ont servi à la vérification de la seconde hypothèse.

Pour l'enquête, l'échantillon fut prélevé à partir d'un ensemble de 200 PME manufacturières exportatrices obtenues de la liste fournie par le Centre de recherche industrielle du Québec. Les entreprises furent choisies de façon non-aléatoire, en milieu rural, du proche hinterland québécois, soit dans les régions administratives de Lanaudière et de la Mauricie/Bois-Francs. Ce choix non-probabiliste des entreprises reposait sur un certain nombre de caractéristiques: variété des secteurs d'activité, le nombre d'employés, la localisation, l'indépendance de l'entreprise.

L'enquête fut réalisée auprès de 45 entreprises des régions sus-mentionnées. Celles-ci ont fait l'objet d'une première analyse pour montrer les similitudes et les distinctions suivant qu'elles sont localisées dans des petites villes ou dans un environnement rural ou semi-rural (Joyal et Deshaies, 1997). Aucune différence significative entre le types de milieux n'a pu être observé pour le caractère innovant et l'importance des exportations dans le chiffre d'affaires. La présente étude se consacre à 27 entreprises localisées uniquement en milieu rural.

Les informations furent prélevées à la faveur d'entrevues sur le site de l'entreprise à l'aide d'un schéma d'entretien semi-structuré comprenant des questions ouvertes et fermées. Celui-ci se divisait en quatre parties. Une première partie se rapportait à l'historique de l'entreprise, alors que la seconde couvrait les différentes informations ayant trait à l'exportation. Les deux autres parties concernaient l'influence exercée par les acteurs appartenant au milieu immédiat des entreprises. Des questions particulières telles les technologies, la main-d'oeuvre et la perception envers les programmes gouvernementaux ont également fait l'objet d'une attention particulière. Une relance téléphonique a permis, lorsque nécessaire, l'obtention d'un complément d'information.

5.2. Description de l'échantillon

L'échantillon comprend des entreprises ayant entre 3 et 165 employés à temps plein répartis entre les secteurs d'activité suivants:

_ Bois: 5 entreprises;

_ Meubles: 3 entreprises;

_ Produits métalliques: 4 entreprises;

_ Machinerie et transport: 7 entreprises

_ Autres secteurs: 8 entreprises.

Comme l'illustre le tableau 1, les écarts de taille entre les entreprises nécessitent le recours à la médiane, celle-ci étant plus appropriée que la moyenne. L'entreprise "médiane" est en opération depuis 21 ans et embauche 49 employés et génère un chiffre d'affaires de 3 millons de dollars canadiens. Après une dizaine d'années d'activités, elles ont pénétré progressivement le marché extérieur où elles écoulent 27,5 % de leur production.

Tableau 1: Description de l'échantillon des PME rurales

 

Moyenne

Médiane

Âge de l'entreprise

26

21

Nombre d'employés

57

49

Chiffre d'affaires (millions $)

7,1

3,1

Âge des activités exportatrices

13

11

Proportion du C. A. exporté

33,3

27,5

Il est intéressant de noter que cette part des exportations est relativement élevée compte tenu de l'âge des entreprises considérées. En effet, la majorité de ces entreprises ne sont engagées dans l'exportation que depuis le début des années quatre-vingt. L'intérêt envers la conquête d'un marché extérieur se manifeste que depuis quelques années. Ceci s'explique, du moins en partie, par l'accord de libre-échange avec les État-Unis et le Mexique. En conséquence, les jeunes entreprises semblent mieux intérioriser la nécessité de l'exportation. Parmi celles-ci, certaines jouissent même de l'exclusivité de leur produit (enrubanneuse, pressoir rotatif, benne, séparateur de liquide, etc.).

Il est impossible de comparer l'échantillon de l'étude avec des données régionales ou provinciales étant donné les balises fixées au départ pour le choix des unités de l'échantillonnage, notamment celles se rapportant à la propriété indépendante et au rôle exercé par le propriétaire-dirigeant. Par ailleurs, compte tenu de toutes les balises, il est impossible de traiter des données pour une population inconnue d'où est tiré l'échantillon. Cependant, nos connaissances sur les PME exportatrices du Québec nous conduisent à affirmer que notre échantillon, sans être statistiquement significatif, fournit des informations qui reflètent actuellement l'état de la situation pour le Québec appartenant au rural central.

Un échantillon de 27 unités peut certes paraître limité, mais il présente l'immense avantage d'apporter une appréciation empirique à la pertinence d'une nouvelle mise en situation de la relation entre l'activité manufacturière et le milieu rural. Les discussions et les débats abondent entre les statisticiens. Pour certains, le chiffre de 30 est le minimum requis pour soulever l'intérêt statistique alors que d'autres exigent 50, voire 100. La taille de l'échantillon ne fait pas foi de la qualité de l'analyse, car les faits significtifs sont parfois plus isolés que les apparences laissent croire. Dans le cas présent, les résultats qualitatifs et quantitatifs juxtaposés à des données sur la structure géographique convergent pour rendre compte d'une mutation possible entre l'activité manufacturière et le milieu rural. Ces remarques mises à part, il est nécessaire de retenir que, pour l'interprétation, les résultats obtenus pour l'ensemble de l'échantillon sont nettement plus fiables que ceux retenus par catégories.

VI Des PME de "classe mondiale?"

Pour démontrer l'existence de PME de classe mondiale à partir de cet échantillon, nous avons mis en évidence leur caractère innovant sur la base des huit indicateurs (cf le tableau 2) inspiré de la documentation signalée plus haut. Une entreprise qui pratique la recherche et le développement ou qui engage ses empoyés dans des programmes de formation a de fortes chances de se retrouver dans le sérail des entreprises considérées comme innovantes Ainsi,cinquante-six pour-cent des PME étudiées font de la R&D et fournissent de la formation à leurs employés. Ce sont les deux caractères innovants qui distinguent le mieux notre échantillon.

Pour les autres indicateurs: la participation ou l'acquisition de la certification ISO, les nouvelles technologies de production, le design innovateur, la conception de nouveaux produits, la proportion de PME utilisatrices varie de 15 à 33%.

Tableau 2 Caractéristiques de l'innovation des PME manufacturières exportatrices de l'échantillon

(% des PME ayant le caractère innovant)

 

 

 

1

 

2

 

3

 

4

 

5

 

6

 

7

 

8

 

9

 

10

Industrie du bois

Meubles

Produits métalliques

Machinerie et transport

Autres entreprises

60

33,3

50

71,4

50

20

33,3

0

28,6

0

0

0

0

28,6

37,5

60

66,6

0

57,1

37,5

20

66,6

25

42,9

25

60

100,0

25

85,7

25

20

66,6

25

57.1

12,5

20

66,6

50

28,6

12,5

2,6

4,3

1,7

4,0

2,0

5

3

4

7

8

% pondéré pour l'ensemble

 

55,5

 

14,8

 

18,5

 

44,4

 

33,3

 

55,5

 

33,3

 

29,6

 

2,9

 

27

1 R-D 2 Participation ISO 3 Certification ISO

4 Nouvelle technologie de production 5 Nouveau design du produit

6 Formation des employés 7 Produit nouveau 8 Conception nouvelle du produit 9 Nombre moyen de caractères innovants 10 Nombre de répondants

C'est dans les secteurs du meuble, de la machinerie et du transport qu'on retrouve la plus forte présence d'innovations: on a 4,3 caractères innovants dans le meuble comparativement à 4,0 dans le secteur de la machinerie et du transport. Dans le domaine du bois et des produits métalliques, c'est la moitié moins. Ces informations sont intéressantes, et surtout pour ce qui touche le secteur du meuble, généralement considéré comme traditionnel ou "mou" pour employer une expression québécoise.

À prime abord, ces pourcentages peuvent sembler faibles. Cependant, il y a lieu de s'interroger sur la nécessité pour les PME de se distinguer pour les huit indicateurs. Une PME peut innover à partir de sa technologie tout en fabricant un produit bien familier à tous. Pour bien comprendre la nature des différentes données présentées dans le tableau 2 il faut, en effet, prendre en considération l'existence d'une majorité d'entreprises de moins de 50 employés. Dans ces conditions, le fait que trois des cinq entreprises du secteur bois entretiennent des activités de recherche et développement et qu'une proportion équivalente soit engagée dans la formation du personnel mérite d'être signalé.

Pour ce qui se rapporte à la certification ISO, 17 entreprises ne l'avaient pas au moment de l'enquête et qu'un nombre équivalent a reconnu ne pas être en voie de l'obtenir. Ceci s'explique par le fait que certaines entreprises ne vendent pas à de grandes entreprises mais directement sur le marché de la consommation. Leurs représentants déclarent ne pas en voir l'utilité, leur produit se distinguant, de toute facçon, par une qualité supérieure à la concurrence.

De même, la référence à un produit nouveau ne doit pas prêter à confusion. Si seulement deux secteurs d'activité affichent plus de 50%, dans bien des cas, le produit, sans être nouveau, a fait l'objet d'une innovation (conception nouvelle) qui lui permet de se positionner favorablement sur le marché international ou américain plus particulièrement. Parfois aussi, l'innovation relève essentiellement de la technologie utilisée comme c'est le cas pour le groupe "autres entreprises" qui ne présente qu'un taux de 12,5%. Or, avec le plastique il s'agit d'entreprises qui fabriquent des produits relativement simples (poignées d'armoire, contenants pour le secteur pharmaceutique, seaux à fleurs) qui ne demandent guère de recherche et développement. Ce sont les machines assistées par ordinateur (moulage sous pression) et les stratégies commerciales des dirigeants de ces entreprises, notamment au plan du design, qui retiennent ici l'attention.

Quant à la formation professionnelle qui accompagne le recours aux nouvelle technologies ce sont les entreprises du groupes "Meubles" et "Machinerie et transport" qui se distinguent particulièrement à ce chapitre. Les difficultés pour les PME, en milieu rural, à trouver le personnel qualifié dont elles ont besoin, bien souvent, les obligent à miser avant tout sur leur propre main-d'oeuvre. De cette façon, l'adoption de nouveaux équipements n'a pas toujours pour conséquence la mise à pied de travailleurs. Ce sont donc parfois des travailleurs en fonction depuis plus de vingt ans qui se retrouvent devant l'écran cathodique d'une machine assistée par ordinateur.

Pour mieux illustrer le caractère innovant de ces PME rurales, le tableau 3 présente le nombre d'entreprises selon le nombre de caractères innovants.

Tableau 3 Caractéristiques des PME de l'échantillon selon l'intensité innovatrice

Nombre

d'innovations

Nombre

de PME

%

Nombre moyen d'employés

% des exportations dans le chiffre d'affaires

Aucune

1 à 2

3 à 4

5 à 6

7 à 8

3

11

5

7

1

11,1

40,7

18,5

25,9

3,7

37

50

57

71

49

13,7

38,4

48,2

23,9

33,0

TOTAL

27

99,9

57

33,3

Le tableau montre que seulement 8 entreprises sur 27 se distinguent par un nombre supérieur à quatre carractères innovants. La majorité se caractérise par l'adoption de un à quatre types d'innovation. Dans le cas présent, une augmentation de la présence d'innovations ne semble pas avoir un impact significatif sur l'importance des exportations. Un résultat qui confirme l'opinion voulant qu'un seul élément associé à l'innovation peut être générateur de valeur ajoutée et d'une ouverture sur un marché extérieur (Joyal, Deshaies, 1997b; Julien, Morin, 1996).

Bref, les PME rurales de l'échantillon présente un nombre moyen de 2,9 caractères innovants. De plus, l'innovation se révèle même dans les secteurs industriels traditionnels comme le meuble tel que déjà souligné. Ce sont là deux faits d'importance caractérisant l'évolution de certaines PME en milieu rural québécois.

VII Raisons d'implantation et du dynamisme de ces PME rurales

L'existence de PME rurales de "classe mondiale" dans le Québec central s'inscrit-elle en contradiction avec la documentation sur les handicaps de PME en milieu rural québécois (cf. supra p.5).? Le recours à trois principaux groupes de facteurs scrutés à l'aide du questionnaire d'enquête et aux données officielles permet, dans une certaine mesure, de fournir une réponse à cette interrogation.

7.1. Facteurs liés à l'entreprise

Pour les facteurs associés à l'entreprise, parmi l'ensemble de l'échantillon, seulement quatre dirigeants affirment avoir choisi leur localisation en vertu d'avantages pécunières (coûts de production plus faibles) Deux autres répondants ont opté envers une localisation particulière en raison de la disponibilité de la main-d'oeuvre. Les entreprises ayant un besoin spécifique en main-d'oeuvre spécialisée parviennent à se la procurer dans des régions limitrophes. Ainsi, plusieurs emplyoyés faisant partie du personnel de direction de ces PME habitent un lieu différent que celui de leur entreprise.

La proximité des lieux de fourniture en matières premières n'intervient pas comme un facteur déterminant dans la localisation de ces entreprises. Les plus innovantes se procurent leurs biens de production, la plupart du temps, de sources très éloignées de leur point d'implantation. Ce commentaire d'un fabriquant de bennes de camion est éloquent à ce propos: "La proximité des matières premières est sans importance. Il existe plusieurs moyens sophistiqués de transport pour les faire venir" Dans le cas, comme pour toutes les autres entreprises, les coûts de transport n'ont pas une grande incidence sur la performance globale.

Nos observations diffèrent de celles d'Henry et Drabenstott (1996). Selon ces auteurs, deux éléments favorisent l'implantation des PME industrielles en milieu rural aux États-Unis: la faiblesse des salaires (Haynes et Machunda 1987) et les effets d'agglomération (industry clustering). Pour ce qui à trait au premier facteur, il importe de signaler le salaire horaire moyen des PME rurales étudiées n'est pas inférieur à celui offert par les PME en milieu urbain à travers le Québec. Les entrepreneurs ne s'implantent donc pas dans cet environnement particulier en vertu de gains possibles du côté de la masse salariale. Quant au second facteur, il se rapporte aux avantages offerts par les effets d'agglomération particuliers aux districts industriels ou dans ce que l'on désigne en Europe comme étant des systèmes de production localisés. Ce facteur ne peut s'appliquer dans le cas présent. En effet, les entreprises étudiées sont isolées, bien souvent, elles représente la seule entreprise de leur village. Elles ne font donc pas partie d'un système de production caractérisé par l'interrelation de nombreuses firmes de petite dimension oeuvrant dans un même secteur d'activité. L'absence de masse critique ou la dispersion des unités de production explique d'ailleurs la faiblesse des activités de réseautage entre les dirigeants de ces entreprises et les divers agents économiques tel que démontré ailleurs (Joyal, Deshaies,1997).

7.2. Facteurs liés au milieu

Aux facteurs liés au milieu, nous associons ici de façon spécifique les programmes d'assistance gouvernementale ou autres formes d'assistance de la part d'organismes régionaux. Dans l'ensemble, la perception qu'en dégagent les entrepreneurs est plutôt défavorable. Les programmes gouvernementaux ne sont pas adaptés aux besoins de la PME et plus particulièrement à ceux de la petite entreprise. Pourtant, à un moment ou à un autre, pas moins de 23 entreprises ont pu bénéficier d'une subvention gouvernementale Cependant, de façon générale, il importe de souligner le caractère individualiste de l'entrepreneur en milieu rural. Méfiant envers les services gouvernementaux, il préfère ne compter que sur lui-même. Ainsi, en relation avec l'approche visant à développer une culture entrepreneuriale (cf. diagramme 1), notre expérience montre que les entreprises rurales déjà bien établies s'inscrivent difficilement à l'intérieur d'une telle démarche. Il devrait en être autrement avec les nouveaux porteurs de projets d'entreprise plus enclins à tirer profit des infrastructures partenariales mises en place ces dernières années. Pour confirmer cette observation, dans le paragraphe suivant, nous mettons les entreprises en relation avec certaines caractéristiques de leur milieu d'appartenance.

Ainsi, il est possible d'explorer la relation entre un milieu donné et les PME qui s'y trouvent. Est-ce que l'éloignement de grandes villes et des grandes voies de circulation a un effet négatif sur la performance des PME sur le plan des exportations plus particulièrement? Est-ce que la taille d'une municipalité où se trouve l'entreprise compense l'éloignement d'un grande centre? Pour répondre à ces interrogations nous avons eu recours à quatre variables opérationnelles: la taille de la municipalité, la distance par rapport à l'autoroute la plus proche, la distance par rapport à la ville de plus de 100 000 h la plus proche, la distance par rapport à une ville de 30 000 à 100 000 h la plus proche.

Ces variables ont été mises en corrélation avec le pourcentage du chiffre d'affaires destiné à l'exportation de chacune des entreprises (tableau 4).

TABLEAU 4

Corrélations entre le pourcentage des exportations dans le chiffre d'affaires et des variables géographiques

 

Proportion du chiffre d'affaires exporté (%)

 

r

seuil

Population de la municipalité

.358

.1818

Distance de l'autoroute la plus proche

- .1087

.597

Distance de la ville de 100 000 h

- .1194

.561

Distance de la ville régionale

- .2240

.360

Non seulement les coefficients de corrélation sont faibles, mais aucun ne passe le test de signification statistique. Ces résultats confirment donc que l'éloignement des grands centres urbains n'affectent pas ces PME en milieu rural. Ce milieu n'est donc pas un handicap pour leur expansion ni pour leur pénétration sur les marchés internationaux. Ces résultats reconfirment ceux que l'on avait obtenu avec l'échantillon de 45 entreprises (Joyal, Deshaies, 1997). Comme le type d'entreprise et le milieu ne sont pas déterminants pour rendre compte du dynamisme de ces entreprises, il reste à prendre en compte notre dernier groupe de facteurs, soit ceux reliés au propriétaire-dirigeant.

7.3. Facteurs liés au propriétaire et à son environnement familial

On se réfère ici à des considérations personnelles se rapportant à l'entrepreneur. Presque tous les entrepreneurs sont originaires de la municipalité où se situe leur entreprise. Vingt-trois d'entre eux reconnaissent avoir fait leur choix en vertu de raisons personnelles. La grande majorité, soit 23 dirigeants, ont affirmé ne pas désirer changer d'emplacement. Le fait que le propriétaire soit originaire du milieu apparaît comme la principale raison de la présence de l'entreprise en milieu rural. Cependant, dû au fait que la plupart de ces entreprises sont familiales, on décèle une inévitable dépendance financière vis-à-vis de l'environnement familial de la plupart de ces entreprises.

Pour mieux comprendre le dynamisme de ces entreprises en milieu rural, Il faut aller plus loin que l'environnement familial du dirigeant. Il devient nécessaire de prendre en compte l'attitude et le comportement du dirigeant vis-à-vis de l'innovation. C'est à ce niveau que l'apport spécifique du dirigeant serait déterminant pour le succès de la PME et sa pénétration du marché mondial. C'est ce que nous tentons de montrer avec les lignes suivantes en retenant une quinzaine d'entreprises de notre échantillon à titre d'exemples.

Avec trois entreprises du secteur du bois, on l'imagine bien, on est en présence ici de produits élaborés: des cercueils haut de gamme, des panneaux isolants structuraux pour les maisons, et des bâtons de hockey de très haut de gamme. L'innovation touche à la fois la R&D, les procédés de fabrication et l'amélioration du produit.

Encore une fois, pour les trois entreprises dans le secteur du meuble, l'innovation se trouve dans la technologie utilisée ainsi que dans le design. Par ailleurs, une entreprise, oeuvrant dans le secteur du papier, fabrique le carton à mandrin et le carton séparateur-partition. Elle offre une gamme remarquable de multicouches contenant 100% de fibres recyclées et biodégradables. Ces innovations respectent les exigences de la protection de l'environnement.

Dans le secteur de la machinerie, une entreprise fabrique des systèmes d'attache automatique pour fourragères, presses à foin et tracteurs agricoles. Ici l'innovation réside dans la possibilité d'attacher la presse sans descendre du tracteur éliminant de cette façon des risques d'accidents. Toujours dans le même domaine, une autre entreprise fabrique des enrubanneuses de fourrages qui ont l'avantage de réaliser de gros et petit chantiers dans des temps et à des coûts inférieurs à tous les autres systèmes de récolte. Deux autres entreprises fabriquent, entre autres produits, des séparateurs de liquides suivant le procédé osmose inverse. En plus, une d'entre elles fabrique un système robotisé de distribution de fourrage qui a remporté un prix lors d'une importante foire agricole.

Pour ce qui touche le matériel de transport, une entreprise se spécialise dans la fabrication de bennes de camion monocoque( cf plus haut). Le caractère innovateur de ce produit se trouve dans sa résistance et dans son poids inférieur à la concurrence. Cette particularité permet à l'entreprise d'être concurrentielle aussi loin que sur le marché australien. Une autre entreprise fabrique les cylindres hydrauliques servant à soulever les bennes ou le matériel de déneigement que fabrique une autre entreprise de notre échantillon qui se classe bonne première dans son domaine au Canada. Dans tous ces cas, est-il nécessaire de le préciser, la certification ISO 9002 est acquise ou sur le point de l'être.

Dans la catégorie intitulée "autres entreprises", la seule entreprise oeuvrant dans le secteur de l'habillement possède un aspect innovateur grâce cette fois au produit puisque la gamme exportée présente un design particulier de vêtement pour les très jeunes enfants. Si certains produits en apparence ne paraissent pas particulièrement innovateurs, par exemple dans le secteur du plastique (dont les produits sont relativement simples), ici c'est la technologie assistée par ordinateur qui confère avant tout à l'entreprise son statut d'entreprise innovante.

Pour les cas présentés ci-dessus, comme pour la bonne majorité des entreprises étudiées, l'engagement spécifique de leur dirigeant joue un rôle déterminant. En relation avec un nouveau créneau, avec l'adoption de nouvelles technologies, avec le design d'un produit, avec le développement d'un nouveau marché, l'imagination, le flair, l'intuition et le dynamisme du dirigeant trouvent ici leur marque. La détermination, la confiance en soi et l'audace du propriétaire-dirigeant expliquent le succès obtenu outre-frontière par ces entreprises, apparemment isolées dans leur village. En effet, c'est à lui qu'il revient de mettre en pratique soit ses talents manuels ou de dessinateur, ou encore de tirer profit de son inspiration pour ce qui touche l'évolution des marchés et des technologies. Reste ensuite à prendre les bonnes décisions en temps opportun à la faveur des contacts à l'extérieur de sa région, voire du pays. Chaque fois, l'intensité de l'engagement du dirigeant s'avère la condition première de la réussite. C'est pourquoi une étude de l'OCDE (1996-b) reconnaît que dans beaucoup de zones rurales, l'augmentation du nombre de chefs d'entreprises et l'amélioration du climat des affaires constituent des facteurs critiques de créations d'emplois. Parfois comme le signale Hussel (1991) des circonstances favorisent les initiatives individuelles comme le montre l'exemple du canton de Saint-Laurent-de-Chamousset (Rhône) au nord des Monts du Lyonnais. Ce canton, grâce à l'initiative du vice-président du conseil général et d'une association pour le développement de l'emploi, a suscité la création d'une pépinière d'entreprises innovantes lui permettant de retrouver en 1990 la population du début du siècle. Des initiatives similaires sont appelées à se concrétiser dans le Québec rural à la faveur de l'implantation récente des conseil locaux de développement (CLD) à l'échelon de plus de quatre-vingts muncipalités régionales de comtés.

VIII CONCLUSION

La présence de PME de classe mondiale en milieu rural trouve son appui en grande partie sur l'initiative individuelle du propriétaire-dirigeant. S'agit-il d'une vérité de la Palisse? On le sait, l'acte entrepreneurial repose sur l'engagement personnel. Une fois l'entreprise implantée, le dynamisme de son créateur le conduit à trouver la bonne voie pour assurer à son entreprise un débouché sur un marché étranger (américain pour la très grande majorité des PME québécoises).

Plus haut, dans la section se rapportant à l'environnement rural, sont présentés certains facteurs retenus par le MICST (1995) pour expliquer la faible présence d'entreprises manufacturières en milieu rural. Nos travaux permettent d'apporter ici certaines nuances :

- la faiblesse du marché régional. Pour l'ensemble des entreprises considérées pour les fins de cette étude, les limites du marché local et régional peuvent être compensées par les possibilités offertes par le marché de l'exportation;

- l'éloignement des grands centres urbains. Pour la majorité des entreprises de notre échantillon il ne s'agit pas d'un facteur déterminant. Le réaménagement du processus de production et le type de produit expliquent le succès de certaines PME peu importe leur éloignement des grands centres;

- l'absence de main-d'oeuvre spécialisée. Effectivement plusieurs dirigeants d'entreprise ont fait part de leurs difficultés à embaucher du personnel qualifié. La vie "au grand air" n'exerce pas un attrait suffisant auprès des travailleurs pour compenser les avantages offerts en milieu urbain;

- l'absence de masse critique. Il ne nous a pas été donné de constater une impression d'isolement de la part des dirigeants. Chacun a son réseau d'information dont les noeuds se trouvent à l'extérieur de sa région ou du pays;

- l'absence de recherche et développement. Mises à part pour les produits métalliques, les entreprises étudiées dans le cadre de cette recherche se trouvent engagées à un degré relativement élevé dans des activités de R&D. Cet engagement s'avère une condition sine qua non de succès sur les marchés étrangers.

Nous espérons avoir montré que des propriétaires-dirigeants de PME rurales parviennent à s'implanter solidement sur des marchés nationaux et étrangers. Pour y parvenir, à l'instar de leurs homologues en milieu urbain, ils recourent à des innovations de genres différents, leur permettant comme le constatent également Lane et Yoshina (1994), de créer de nouvelles lignes de produits ou de consolider celles déjà existantes.

Une chose apparaît certaine, les complexes envers les entrepreneurs urbains se dissipent en milieu rural. La diffusion des technologies place les entreprises du milieu rural dans une situation quasi analogue à celles des grands centres. Cependant, malgré la méfiance envers les diverses formes d'assistance, il est bien entendu que, dans leur ensemble, les entrepreneurs en milieu rural auraient intérêt à y prêter attention, pour autant que celles-ci répondent à leurs attentes ou besoins. On pense à la fourniture d'information de nature variée touchant, par exemple, la formation de main-d'oeuvre, les nouvelles technologies, l'évolution des marchés, les politiques gouvernementales, les partenariats possibles (alliances stratégiques) et les nouveaux marchés à exploiter.

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RÉSUMÉ

L'article vise à questionner le présumé degré de vulnérabilité des entreprises manufacturières en milieu rural. Après la Deuxième Guerre Mondiale, les milieux ruraux ont connu un déclin au profit de l'industrialisation et de l'urbanisation. Les travaux ont mis de l'avant que les milieux ruraux présentaient de nombreux handicaps: faiblesse du marché, éloignement des villes, main-d'oeuvre peu spécialisée. Mais depuis une quinzaine d'années, ces milieux se sont diversifiés; les politiques de développement régional ont reconnu l'importance de la vitalité entrepreneuriale et les industries sont moins dépendantes des ressources naturelles et de la proximité des marchés; enfin, l'internationalisation de l'économie bat son plein. Tous ces phénomènes reposent en des termes nouveaux les rapports entre l'industrie manufacturière et le milieu rural. L'étude de 27 entreprises en régions rurales du Québec illustre la dimension innovante et exportatrice de plusieurs PME en milieu rural. L'implantation dans ce milieu n'empêche pas la certification ISO, les nouvelles technologies de production, un nouveau design du produit, la conception d'un produit nouveau... autant de caractéristiques distinguant ces entreprises nées en milieu rural et désireuses d'y rester. Le succès de ces PME repose davantage sur l'engagement spécifique de leur dirigeant que de la contribution de leur milieu.

Summary

The purpose of this article is to raise a number of questions concerning the often studied degree of instability of small manufacturing enterprises in a rural environment. According to various authors, the rural setting suffers from several handicaps; market weakness, isolation from main urban centers, lack of skilled man-power, etc. However, beginning in the early 80s the traditional situations appears to have changed. In many cases the economic structure of the rural environment has become more diversified and rural entrepreneurship among the various regional development policies has become more importance. In such environments, innovative SMEs can take advantage of their lack of dependency in natural resources on the pat of innovative SMEs. In addition, given the importance of the added value created by these enterprises, market proximity is less important than in the past and they are better able to take advantage of market globalization. These developments necessitate the formulation of a new vision of the relationships between the manufacturing sector and the rural environment.

In this article, a sampling of 27 exporting SMEs located in rural Québec is studied to illustrate their ability to innovate and export their products. The results suggest that, their location has not been an impediment for several of these enterprises in the acquisition of ISO certification, the adoption of new technologies, in improving their products or marketing new products, all of which are examples of initiatives that provide an increasing chance of success. The success of these small businesses is due primarily to the involvement of the entrepreneur who operate the business and dos not appear to depend on the rural environment in which the enterprise is located.

1 Première version septembre 1997, version révisée, février 1998.

André Joyal et Laurent Deshaies Institut de recherche sur les PME (IRPME), Université du Québec à Trois-Rivières, C.P 500,Trois-Rivières, G9A 5H7 Canada. Courriel: andre_joyal@uqtr.uquebec.ca laurent_deshaies@uqtr.uquebec.ca

Mots-clés: PME innovantes, milieu rural, Québec exportation.

Key-words: innovative SMEs, rural setting, Québec, exportation


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