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Perdre en propre pour gagner ensemble

Construire des partenariats

Par Annie Guillemot, Claude Lanvers, Pierre Suchet


L’objectif affiché par le Développement Social Urbain est le développement de groupes sociaux défavorisés en réduisant les inégalités qu’ils subissent dans leurs sociétés d'appartenance. Ces inégalités subies portent aussi bien sur l’accès à l’éducation, à l‘emploi, que sur l’accès à un habitat et un cadre de vie décent et sécurisé.

Face à un tel objectif utopique se posent immédiatement plusieurs questions:

Il n’y a bien entendu pas lieu d’apporter une réponse unique et normative à ces questions. On a vu la diversité des façons dont ces problèmes sont abordés à Santiago, Montréal, Lyon, et ailleurs encore. Par contre, on peut poser l’hypothèse que, au delà des différences, dans chacune de ces trois agglomérations, les réponses à ces questions fondamentales se construisent en permanence dans le partenariat mis en œuvre pour la réalisation de ces programmes. C’est de la réalité de l’existence de ce partenariat que dépend la capacité des acteurs à débattre, identifier et mettre en œuvre les réponses à ces questions de fond qui se posent de façon récurrente dés que l’on est dans la conduite de programmes de développement local intégrés.

le partenariat, méthode et éthique

Cette visée du partenariat concerne les acteurs publics, mais aussi les habitants et "forces vives" existantes. Il doit fonctionner au plan local, mais aussi être relayé à l’échelon supérieur. La capacité à porter un projet jusqu’à son aboutissement en dépend directement.

Ce partenariat doit donc réunir plusieurs groupes d’acteurs différents : celui des acteurs locaux, citoyens, habitants d’un quartier ; celui des autorités, pouvoirs municipaux, représentants de l’Etat ou d’institutions parapubliques ; et celui des acteurs économiques privés en tant que tels.

Les débats sur ce thème () sont marqués par la richesse et les ambiguïtés de la relation de partenariat entre ces différents groupes construite dans chacun des cas à partir du DSU. On pourrait tenter d’en dégager certains "principes" qui relèvent à la fois de la méthodologie et de l’éthique.

Dans la mesure où il vise à contrer des phénomènes ségrégatifs lourds, le DSU doit être l’occasion d’un débat, qui s'organise peu à peu, sur la répartition des rôles et des responsabilités à trouver entre des collectivités locales et les instances de l’Etat. Cette répartition des responsabilités porte, notamment, sur l’appui financier direct ou indirect que l’Etat peut apporter à ces programmes (transferts d’argent aux collectivités locales, mise en place de mesures de défiscalisation, d’appui à l’épargne locale). A cet égard, la pratique de contractualisation sur des projets de quartier précis entre une collectivité locale, un représentant mandaté de l’Etat, et les autres acteurs publics concernés par le contenu des projets n'est pas une évidence en soi. Si un cadre contractuel, certes insuffisant, a été institué en France depuis quinze ans à cet effet avec la politique DSU (), il n’en est pas de même dans les deux autres pays (Chili, Canada) où les acteurs publics inventent progressivement le cadre de leurs relations partenariales.

l'habitant, partenaire second ?

En outre, la place qui est celle des "habitants-citoyens" de ces quartiers dans le partenariat pose en permanence les questions les plus fortes, relatives à la légitimité de leur expression (il ne s’agit pas de remplacer celle des élus, les seuls à être choisis démocratiquement) et à l’autonomie de cette expression. Construire le partenariat, c’est donc pour les acteurs publics, organiser un dialogue avec les habitants-citoyens. Les moyens en sont très divers et inégalement aboutis dans les trois entités de Santiago, Montréal, et Lyon.

Ces comités ont très vite fait remonter les besoins quant au manque d’équipements collectifs, besoins que les municipalités ne peuvent satisfaire à court terme tant les carences sont importantes. Dans ce contexte, le débat avec les pouvoirs publics a porté notamment sur l’appréciation des priorités les plus urgentes, et sur la mise en place de solutions collectives à certains de ces problèmes, ces solutions impliquant le plus souvent la participation des habitants à la réalisation des travaux (construction d’équipements de quartier, aménagement de rues, de squares et terrains de sports) et surtout à la gestion de ce qui était créé.

Dans ce contexte très défavorable, la mise en œuvre d’une politique de rénovation urbaine de ces quartiers, récents mais prématurément dégradés, a servi à fédérer les énergies et faire émerger de nouveaux leaders de quartiers. Ceux-ci ont pu être des adultes mobilisés notamment sur la question du logement, mais aussi des jeunes désireux de sortir de l’enfermement du couple "violence-exclusion", ou bien des commerçants, des travailleurs sociaux, des instituteurs, des agents d'organismes de logement... qui chacun ont dépassé leur strict rôle professionnel pour "porter" à certains moment le projet du quartier.

Au total cette expression des habitants reste partielle, fragile car reposant souvent sur quelques personnes ressources aptes à dynamiser les autres. Elle n’en représente pas moins une réalité participative qui démarque le DSU des formes traditionnelles de "gouvernement local".

changements et inerties des pratiques institutionnelles

Pour exister, ce partenariat implique également que, "en face", les pouvoirs publics s’organisent pour dialoguer avec les acteurs "habitants-citoyens". Sur ce plan, les situations à Lyon et Santiago ont montré certaines similitudes:

Sur ce dernier plan la situation lyonnaise paraît la plus aboutie sur le plan de l’organisation, car combinant l’existence d’une Communauté urbaine () forte avec une tradition de planification urbaine s’appuyant sur de nombreux outils (Schéma Directeur, Plan de Déplacements Urbains, Programme Local de l’Habitat). Ceci étant, les résultats constatés sur le terrain ne paraissent pas actuellement de nature à inverser les phénomènes de ségrégation urbaine dans les quartiers DSU les plus marginalisés. Il reste le bilan malgré tout positif d’un dialogue permanent entre acteurs publics, organisé à l’échelle de chaque projet de quartier, prenant plus ou moins en compte l’ensemble des dimensions de l’action publique (habitat, insertion économique, sécurité, cadre urbain,….). On constate certains effets de synergie entre acteurs publics: ainsi la question de l’habitat pose celle d’une meilleure attractivité résidentielle à atteindre pour ces quartiers, question qui pose elle-même celle de l’école (qui ne doit pas être un repoussoir), du cadre de vie (pour le changement d’image nécessaire dans ces quartiers) et de la sécurité.

Par contre l’interaction permanente entre ce processus partenarial public et l’expression des "habitants-citoyens" pose toujours question. L’accord à obtenir entre acteurs publics est bénéfique dans la mesure où le "détour auprès des habitants" lui donne son sens. Sinon, cet accord commun aux acteurs publics peut au contraire s’imposer comme un but en soi, vis à vis duquel les revendications habitantes jouent en partie un rôle perturbateur face à des interventions "prénégociées" entre les institutions.

Dans l’agglomération de Santiago, les acteurs publics ont dû innover en dehors de tout cadre préétabli pour faire fonctionner un partenariat opérationnel. Celui-ci s’est constitué essentiellement à partir d’un dialogue direct de chaque commune avec des représentants d’habitants, le plus souvent en présence d’organisations non gouvernementales venues en appui. Dans ce cadre, les communes peuvent être amenées à demander aux habitants de se regrouper et d’organiser eux mêmes l’identification de leurs demandes prioritaires, le débat avec les institutions publiques se situant ensuite sur les moyens et les délais possibles pour répondre à ces demandes constituées. Par ailleurs, un dialogue plus intermittent s’est institué avec les services de l’Etat concernés (beaucoup moins développés au plan local qu’en France). Enfin, la mise en œuvre de programmes DSU dans des communes subissant un phénomène d’urbanisation non contrôlé a été concomitante de l’émergence de l’idée d’intercommunalité appuyée fortement par la commune centre de Santiago.

Au total la construction du partenariat à partir du DSU, pour récente qu’elle soit, a néanmoins joué un rôle certain dans l’ajustement des positions respectives des institutions démocratiques récemment mises en place.

A Montréal l’originalité de la démarche s’appuie sur un partenariat dont la base est constituée des forces vives du quartier, principalement les acteurs économiques et les syndicats, qui s’associent aux représentants des chômeurs et plus généralement des citoyens du secteur. C’est alors un projet global de développement du secteur qui est défini avec l’appui de l’équipe technique mise à disposition de la C.D.E.C. Les institutions publiques sont amenées alors à se positionner par rapport à ce projet, ce qui peut donner lieu à des débats animés dans la mesure où s’expriment là clairement deux logiques ayant chacune leur légitimité: celle de la C.D.E.C. et celle de la politique municipale.

alchimie

La richesse et la diversité des situations de terrain, le rôle déterminant des hommes au-delà des dispositifs quels qu’ils soient, rendent hasardeuse l’affirmation de conclusions générales sur la construction du partenariat au service du Développement Social Urbain. Mais dans tous les cas, le partenariat se construit plus ou moins fortement selon la capacité à porter ensemble un projet qui n'est pas celui de l’un ou l’autre mais devient progressivement le projet commun à tous, à accepter un projet territorial et différent de la seule déclinaison locale de telle ou telle politique thématique des acteurs publics, à inclure l’expression contradictoire des citoyens dans le partenariat.

Il s’agit de reconnaître à ce sujet que les personnes habitant des quartiers défavorisées souffrent d’un déficit de représentation et de moyens, qui nécessite de leur accorder une place particulière dans le partenariat. A cet égard, le partenariat élargi des opérations de DSU interroge la notion de démocratie locale. Il peut aider les élus locaux à faire des choix quant à la façon dont il est possible de faire vivre des instances complémentaires à la démocratie représentative issue du suffrage universel.

Au total émerge l’idée– à faire partager par l’ensemble des participants – que chacun doit accepter de "perdre un peude son pouvoir, de ses principes" pour que l’alchimie des projets se constitue, et qu’au final tous soient gagnants. Il y a donc une pédagogie mutuelle du partenariat, qui est peu à peu produit une culture commune axée sur la réussite des projets. A cet égard les programmes de développement intégré de type DSU ont permis d’expérimenter des formes nouvelles de pilotage politique et de management technique et social du projet afin d'accroître l’efficience des acteurs, de redonner du sens aux actions réalisées, et de faire émerger des acteurs susceptibles ensuite d'assumer un rôle plus large.

Enfin, on conçoit que le partenariat prend son sens également dans la mesure où il génère un besoin d’évaluation partagée. La définition de critères d’évaluation communs aux partenaires impliqués contribue à la reconnaissance des actions décidées en partenariat. Cette démarche d’évaluation apparaît d’autant plus souhaitable que sur le fond, le DSU est en permanence dans le domaine de l’expérimentation. Toutefois, cette préoccupation reste dans les faits insuffisamment partagée. L’évaluation reste le plus souvent une demande du ou des financeurs. Son acceptation et son interprétation par les acteurs de terrain varie sensiblement selon les cas.

La construction du partenariat, n'est donc pas la seule retranscription de découpages institutionnels induits par les différents acteurs publics, mais un mode d’association entre tous les acteurs d’un projet de développement, qui est une des composantes du management du projet ; sachant que, particulièrement dans le DSU, le management du projet (la méthode) influe sur le contenu de l’action (le fond).

Pierre Suchet, Claude Lanvers, Annie Guillemot


Economie et Humanisme - 1999

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