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Une approche conceptuelle et géographique
Comprendre l'exclusion

Par Antoine S. Bailly


Le concept d'exclusion a rarement été analysé en épistémologie des sciences (). Les sciences sociales lui préfèrent longtemps d'autres concepts, ceux de pauvreté, de minorité, de déviance, de ségrégation... Le terme exclusion, issu du latin "exclusio", action d'exclure une personne d'un endroit où elle avait sa place ou action d'exclure en tenant à l'écart, permet-il d'englober tous ces concepts, ou en est-il complémentaire ? Ou résulte-t-il d'une mode suite aux graves problèmes sociaux et géographiques qui frappent nos sociétés? Autant d'interrogations qui rendent nécessaire l'approfondissement de ce concept dans un contexte spatial puisque ce sont les multiples terres d'exclusions qui intéressent le géographe, celles des banlieues, des pays en développement, des minorités ethniques, raciales, de genre...

périphérie, minorité et exclusion : une approche historique et conceptuelle

La géographie pour traiter de ces questions, à la suite de Ratzel (), parle d'abord de centre-périphérie. Terme issu de circonférence, la périphérie manifeste une position externe aux limites d'un espace ; ainsi s'oppose-t-il à centre, point de convergence et par extension élément principal ; par exemple le "lieu central" de la théorie de Christaller (). Ces définitions illustrent le caractère positionnel et la signification avant tout spatiale de ces deux mots. Il n'est donc pas étonnant de constater l'intérêt des géographes pour l'étude de ce concept éminemment spatial destiné à saisir la dynamique des centres (pôle de croissance) et les relations centre-périphérie (ou pays développés - pays en développement).

Les sciences sociales, elles, parlent plus de minorité. Une minorité consiste en un groupe peu nombreux par ses idées, ses caractères ou toute autre variable le différenciant de la majorité. C'est par son état dans la société que le groupe est minoritaire. Ce terme, comme celui de pauvreté, ne porte pas de connotation spatiale.

La marginalité traduit un processus d'exclusion sociale et spatiale marqué par l'action de refuser, de bannir, de renvoyer... Le groupe exclu est dans un état d'isolement relationnel par suite de sa position géographique et de son rôle social qui l'écartent des processus d'interaction. L'exclusion doit donc être explicitée de manière bimodale, sous une double face, celle du signifiant spatial et du signifié social. Cette définition n'est pas sans entraîner de grandes difficultés dans l'utilisation du concept. En effet, une région exclue de la croissance sera en général étudiée en tant qu'espace de pauvreté. Mais cette région peut être localisée de manière centrale (et non périphérique) tout en étant exclue des relations de centralité (par exemple certaines régions du Massif Central) ; une idée à garder en mémoire lorsqu'en Europe on a tendance à confondre exclusion et pays du Sud et de l'Est ; alors que les exclusions peuvent se trouver en plein centre, même dans les métropoles des pays développés. Toute analyse de l'exclusion correspond ainsi à des situations économiques et sociales dans des espaces concrets ; elle suppose une double vision de l'intérieur et de l'extérieur et une double analyse des relations internes au groupe et externes à celui-ci.

On parle donc de plus en plus d'exclusion car ce concept privilégie la position de groupes d'individus par rapport à d'autres dans les sociétés et dans l'espace, ainsi que l'étendue des mécanismes de rejet. Exclusion par rejet ethnique, de sexe, de race, ou économique dans les régions industrielles anciennes ou rurales ou dans les métropoles. Dans ce concept d'exclusion les géographes incorporent progressivement ceux de mal-être et de bien-être spatial (). Cette réflexion débouche sur une analyse des exclus du bien-être, ceux qui sont hors du réseau des relations sociales et géographiques, révélateurs des tensions extrêmes et indicateurs des crises de la société. Etudier les processus d'exclusion constitue ainsi le moyen de comprendre l'évolution des structures de sociétés en recomposition.

les lieux de l'exclusion

L'exclusion qui se développe dans de nombreux lieux est à la fois expression mais aussi moteur de l'inégalité. Des lieux sont plus propices que d'autres à l'exercice de fonctions dominantes ; d'autres ne disposent que d'emplois subordonnés et mal rémunérés. Le système libéral accepte les inégalités existantes, les reproduit et les fait évoluer en fonction de ses besoins. L'espace joue un rôle majeur dans ce processus car il porte en lui les différenciations sociales.

Le hasard n'a aucune place ici, seulement les mécanismes de formation et de reproduction des qualifications et des rapports sociaux. Ici, la tradition industrielle et administrative, l'équipement universitaire tendent à sélectionner des personnels hautement qualifiés tandis que les fonctions subordonnées partent dans d'autres régions à salaires bas. Et lorsque les fonctions ne peuvent partir (voirie, bâtiment...), on assiste à la naissance d'une société duale au sein même des métropoles : ainsi apparaissent les ghettos des banlieues... Et lorsque surgit la crise économique ces ghettos deviennent des lieux de la guerre urbaine.

Ne sont conservés "au centre", c'est-à-dire dans des lieux fortement urbanisés et à coûts élevés, que les types de travail qui ont besoin d'un environnement sophistiqué et de main-d'oeuvre qualifiée. Par contre, pourront partir dans les espaces périphériques les fonctions qui peuvent se satisfaire d'un travail plus simple, peu qualifié. Lorsque les avantages comparatifs changeront ces fonctions se déplaceront, laissant sur place les exclus de la société dans des régions abandonnées.

le temps des comportements responsables

L'exclusion, phénomène ancien, mais concept contemporain, est donc maintenant intégrée dans certaines réflexions récentes sur l’évolution de nos sociétés. Les divers points de vue montrent que souvent le changement social, économique et spatial, s'annonce par l'exclusion de certains groupes et de certains lieux ; parler alors d'exclusion, c'est s'ouvrir aux mécanismes d'exploitation, d'aliénation, de rejet, c'est comprendre les motivations dans l'utilisation différentielle de l'espace. C'est comprendre aussi comment à l'époque de l'instauration d'espaces supra-nationaux, certaines autorités régionales devront lutter contre les processus de globalisation générateurs d'exclusion. Il apparaît que nous n'avons pas assez réfléchi aux causes et conséquences de l'exclusion ainsi qu'aux conflits qui en résultent dans l'utilisation de l'espace et qui nous obligent à repenser toutes nos planifications nationales, qu'elles soient économiques, sociales ou spatiales.

Dans les années 1980, face à cette exclusion sociale et spatiale on commençait à évoquer la théorie des milieux, pour créer des réseaux de partenaires régionaux. Entreprises, collectivités locales, syndicats, services locaux... vivant dans une région s’engageraient dans des projets communs ; lutte contre le chômage et l'exclusion, création de milieux innovateurs, défense de l'environnement. Dix années plus tard, quelques scientifiques soucieux d’éthique parlent de passage d'une société d'actionnaires (shareholder) à une société de partenaires (stakeholder). Mythe ou nouveau socialisme territorial ? Les entreprises allemandes donnent l'exemple en acceptant une partie de la tradition japonaise de responsabilisation sociale : actionnaires et partenaires politiques et sociaux se partagent le pouvoir dans de subtiles négociations qui n'oublient ni la mondialisation, ni les logiques territoriales dans un intérêt réciproque. Serait-ce la fin des contradictions qui mènent à une société à deux vitesses ? Entre discours ultra-libéraliste et pratiques spatiales, le temps des comportements responsables est arrivé. Une nouvelle gouvernance à la mesure de l'ampleur des terres d'exclusion est devenue nécessaire pour éviter qu'un monde fait de richesses et de pauvretés, nous mène à des crises violentes, à la guerre Nord-Sud et aux émeutes des banlieues.

Antoine S. Bailly

 

Exclusion, marginalité :

quelques références

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Economie et Humanisme - 1999

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