Cette page est une version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet.
Ce site est maintenant fermé; il n'est plus tenu à jour, les informations peuvent être datées ou erronées,
et le seront de plus en plus au fil du temps. Et les formulaires sont désactivés.

Investir contre l'exclusion : une utopie ou une innovation ?

Par Jean-Paul Vigier, Président de Finansol


Le mot "éthique" est à la mode. Dans les discours des entreprises, dans les colonnes de la presse, dans certains produits bancaires. Depuis quelques années sont proposés des placements éthiques qui réservent leurs investissements à des causes particulières où qui refusent dans leur portefeuille des valeurs jugées suspectes ou immorales.

La rencontre de la finance et de l'éthique produit toujours un mélange curieux qui en déroute certains et en intéresse d'autres. Familiers aux américains, ces produits financiers "éthiques" malgré une littérature relativement abondante n'ont pas trouvé dans notre pays une place comparable à celle qu'ils occupent outre-Atlantique.

Ce peu d'engouement tient à plusieurs causes mais aussi peut-être à un manque de précision dans leur définition et leur présentation.

Si tous ces placements éthiques se définissent comme des produits financiers dont l'encours est constitué selon des principes de morale et non de pure rentabilité, leurs objectifs, leur composition, leur clientèle sont très différents.

Dans ce mouvement, ce sont multipliés aux Etats-Unis des fonds communs de placement qui proposent à leurs investisseurs des placements expurgés de valeurs d'armement, de nucléaire, voire de tabac, d'alcool ou de produits anticonceptionnels.

Ces placements "de refus" recherchent, cependant, dans les investissements qu'ils font par ailleurs la meilleure rentabilité possible et parviennent très souvent à des résultats aussi bons, voire meilleurs que ceux considérés comme "impurs".

Cependant cette approche reste négative ; c'est pourquoi se sont aussi multipliés, toujours en Amérique du Nord, des placements "pour". Ceux-là proposent un portefeuille entièrement orienté vers un certain type de valeurs à soutenir. La protection de l'environnement, la santé, l'éducation ou l'aide aux pays en développement en sont des exemples. Dans notre pays, plusieurs produits répondent à ces critères : par exemple, la SICAV Nord-Sud Développement qui ne détient dans son portefeuille que des valeurs d'organismes de développement : Caisse Française de Développement, Banque Mondiale, Banques régionales de Développement , etc., et le Fonds Commun de Placement "Nouvelle Stratégie 50" créé à l'initiative de communautés religieuses féminines qui n'investit que dans des entreprises sélectionnées à travers un questionnaire portant sur leurs politiques et leurs résultats.

La caractéristique de tous ces placements est le contenu de leur portefeuille qui est conforme à une conception éthique de l'investissement financier.

Une autre catégorie de placements va plus loin dans le domaine de l'éthique et propose un partage du revenu. C'est la famille des fonds de partage ou "placements solidaires". Il n'y a naturellement pas d'incompatibilité entre cette sorte de produits et les placements éthiques ; le portefeuille des placements de solidarité étant souvent, lui aussi, constitué de valeurs choisies en fonction d'une approche financière mais aussi morale.

C'est ce type de produit qui a été mis en place pour la première fois en France en 1983, par le Crédit Coopératif et le CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) en vue de trouver des ressources destinées à financer la création de petites entreprises dans les pays du Sud. Ce fonds d'un encours de 260.000.000 FF propose aux souscripteurs de verser la moitié de leur revenu au CCFD. Ces sommes ont été utilisées par une société créée à cet effet : la SIDI (Société d'Investissement et de Développement International) qui œuvre à la mise en place de sociétés locales de financement en s'associant à des partenaires locaux : banques, associations, organisations professionnelles, particuliers. A la fin de 1996, ces structures locales avaient financé la création ou le développement de 2080 entreprises permettant la création de plus de 10.000 emplois.

Un autre produit de même sorte, la SICAV Eurco Solidarité dont l'encours est de 140 000 000 FF créée avec quatre établissements financiers autour du Crédit Lyonnais, procède du même esprit. Les sommes données financent l'action du CCFD et de la SIDI en Europe orientale et centrale, mais aussi des organismes d'aide à l'insertion par des soutiens apportés en France à la Fondation France Active et à l'ADIE (Association pour le droit à l'initiative économique). Dans tous ces cas, l'usage de l'argent collecté est utilisé à des actions de nature économique visant à faciliter l'insertion ou le développement de personnes exclues des mécanismes classiques de l'économie.

A partir de ces expériences se sont développées dans notre pays des initiatives utilisant les mêmes techniques et vivant des mêmes valeurs de solidarité.

L'appel à l'épargne pour financer les projets de personnes exclues des circuits financiers classiques, devient un moyen de plus en plus fréquemment utilisé.

Diverses méthodes se pratiquent qui, toutes, se réfèrent à une approche solidaire de l'économie.

Par investissement direct dans des projets économiques :

Une autre façon d'intervenir dans le financement d'activités destinées à la création d'emploi consiste à réserver à cet usage les 10% de l'actif d'un FCP pouvant être investis dans le marché non côté. C'est ainsi que procède le FCP Insertion Emplois de la Caisse des Dépôts et Consignations qui, avec le soutien actif de la CFDT, finance des initiatives créatrices d'emploi à travers des sociétés comme la SIFA (Société d'investissement France Active).

Enfin, comme nous l'avons décrit plus haut, se développent des fonds de partage dans lesquels les souscripteurs acceptent de verser une partie du revenu de leur placement, (généralement 50%) à un opérateur financier qui dispose ainsi de ressources pour financer les investissements ou les prêts qu'il accorde, mais aussi pour faire face aux coûts de l'accompagnement toujours nécessaire. C'est le cas du FCP Faim et Développement et de la SICAV Eurco Solidarité dont nous avons déjà parlé, mais aussi du FCP Epargne Solidarité Habitat créé par Habitat et Humanisme qui finance l'accès au logement social.

Enfin certaines banques, dont le Crédit Coopératif, ont créé des produits bancaires qui, tout en assurant une sécurité complète aux souscripteurs, utilisent leur collecte et parfois les revenus qu'ils procurent à la création d'emploi et à la lutte contre l'exclusion.

La panoplie est loin d'être complète et il serait trop long de détailler toutes les initiatives qui existent à ce jour. Tout ceci montre que la notion d'épargne solidaire existe et qu'elle produit depuis quelques années des résultats réels. Bien sûr, les quelques 650.000.000 FF qu'elle draine sont peu au regard des sommes investies dans des placements classiques. Mais elle existe et s'organise.

Regroupés au sein de l'association Finansol, une dizaine d'opérateurs financiers et cinq établissements financiers s'emploient à promouvoir ce type d'épargne. Dans un premier temps, leur souci a été de définir leur éthique commune et de la présenter sous un label qui précise leurs références morales et professionnelles. Ce label a été remis à divers produits d'épargne et divers opérateurs financiers engagés dans la même démarche de lutte contre l'exclusion par la voie économique.

Beaucoup reste à faire pour que ces initiatives soient connues et utilisées par un public plus large.

Car s'il est vrai qu'au début les premiers souscripteurs furent des militants, des acteurs sociaux ou des communautés religieuses féminines avec qui ce projet avait été préparé, les deux tiers des souscriptions viennent maintenant de personnes individuelles. Pour cela, un grand effort d'information mais aussi de pédagogie a été nécessaire. Car, et c'est là une particularité intéressante de ces placements, la grande majorité de ces "clients" n'avaient avant de souscrire jamais placé leur argent dans un OPCVM. Il fallut donc organiser des réunions d'information, répondre à de nombreux courriers et expliquer les mécanismes des placements financiers. Cette méthode de rencontre a joué de façon extrêmement positive et reste encore un des moyens les plus efficients pour promouvoir ces fonds.

Deux conditions sont nécessaires sinon suffisantes pour réussir : un réseau d'information important et fiable et une utilisation des fonds originale et productive.

Que souhaitent les souscripteurs qui adhèrent à ces placements ? Les études partielles qui ont été menées, mais surtout les contacts fréquents et approfondis avec eux font apparaître plusieurs éléments de réflexion :

Ces trois gradations dans l'engagement montrent les niveaux différents de solidarité qui existent et correspondent à des demandes de même nature mais d'ampleur d'effort et de risque différents.

On peut alors se demander pourquoi malgré leur succès d'estime, ces produits n'ont pas plus d'ampleur et de réussite. Il faut pour cela remplir quatre conditions : une information et une explication claire, une motivation forte et étayée sur de solides arguments, une confiance dans les mécanismes proposés et dans l'usage des sommes données et, enfin une facilité de souscription.

Or, on voit vite que ces quatre conditions sont impossibles à remplir par les moyens habituels de promotion des produits financiers. Bien sûr l'information et les explications nécessaires peuvent, en théorie, être obtenues aux guichets des banques, mais c'est compter sans la difficulté culturelle pour les guichetiers de présenter un produit qui, à l'inverse de ceux qu'ils ont l'habitude et le devoir de préconiser, n'est pas conçu sur des critères de rendement et de performance. Ces produits, par ailleurs ne procurent pas de commission.

Si donc, pour l'information, les difficultés sont réelles, il est impossible de compter sur le système bancaire pour inciter leur clientèle à souscrire ce type de placements, sauf très particulière des organisations religieuses.

Les seules instances susceptibles de créer cette motivation et de la nourrir sont les organismes bénéficiaires des dons ou promoteurs de ces produits. En effet, les arguments à développer ne sont pas de l'ordre de la rentabilité, encore qu'ils ne soient pas exclus, mais de la solidarité, voire de la générosité. Ils relèvent donc d'un langage et de convictions qui sont d'une autre nature que le langage bancaire et financier. La mobilisation d'une ou plusieurs associations solidement implantées et conceptuellement armées est indispensable. Ce sont aussi ces associations qui peuvent donner la confiance nécessaire tant pour cautionner la pratique de ces placements que pour rendre compte de l'utilisation correcte et efficace des sommes perçues.

Reste la question des facilités de souscriptions. Elle est à la fois pratique et psychologique. Pratique, car il faut pouvoir aisément acheter des parts de ces produits, la proximité des lieux de souscription est un élément nécessaire mais pas suffisant. En effet, pour beaucoup de souscripteurs potentiels de ces fonds, existe souvent une sourde méfiance envers le système bancaire et particulièrement envers les opérations boursières que les événements de ces dernières années ont renforcée et parfois justifiée. D'autre part, ils ne trouvent pas toujours, loin s'en faut, auprès des employés de leur banque l'accueil ce qu'ils attendent quand ils s'enquièrent d'un placement de cette nature.

Une formation ou au moins une information de ceux-ci est éminemment indispensable pour leur faire comprendre que la démarche de ces clients est d'une autre nature que les demandes ordinaires et que les réponses doivent être aussi adaptées.

Enfin, un soutien des pouvoirs publics envers cette forme d'épargne serait la bienvenue. En effet, tout ceci s'est créé par de seules initiatives privées et c'est très bien ainsi. Mais l'alourdissement de la fiscalité sur l'épargne, la complexité des mécanismes peuvent éloigner de ces placements des personnes de bonne volonté. L'effort que consentent ainsi des épargnants en consacrant leurs capitaux à la lutte contre l'exclusion n'est reconnu ni au plan fiscal ni au plan moral. Chacun d'eux paie un impôt même sur la part de revenu qu'il donne pour manifester sa solidarité. Ainsi, le système fiscal de droit commun qui leur est appliqué, non seulement n'est pas incitatif, mais il est même pénalisant.

Une incitation des pouvoirs publics à cette forme d'épargne serait juste et utile.

En effet, outre l'apport financier que représentent ces réalisations, elles dessinent une approche nouvelle de la relation avec les exclus qui passe par l'ouverture d'un accès au crédit qui, plus que tous les dons et l'assistance qu'ils sont en droit de recevoir, fonde ou refonde leur dignité. L'objectif des membres de Finansol n'est pas de créer un système marginal tourné vers des marginaux qui ne serait qu'un ghetto supplémentaire, fut-il financier, mais d'ouvrir à ces hommes et à ces femmes le chemin de la reconnaissance de leurs projets, de la confiance dans leurs capacités, pour tout dire, de la réalisation de leurs espoirs.

Malgré tout, on peut se demander s'il n'y a pas une antinomie fondamentale à vouloir utiliser pour la solidarité des produits conçus pour la rentabilité par des réseaux bancaires commerciaux relevant d'une logique de profit.

Faut-il réserver ces produits aux circuits bancaires mutualistes ou coopératifs qui ont dans leur vocation initiale de participer à l'expression de la solidarité ?

Ou faut-il au contraire permettre au système bancaire dans son ensemble d'être présent dans la lutte contre la misère et l'exclusion dans notre pays et ailleurs en offrant à ceux de leurs clients qui le souhaitent un moyen simple de manifester leur générosité ?

Bien sûr, il est évident que les premiers sont par nature désignés à être présents sur ces fronts, mais il serait dommage et même anormal que dans cet effort dont nul n'est dispensé, l'ensemble de la profession bancaire ne se sente pas concerné. Loin de moi l'idée saugrenue de vouloir transformer ces établissements en oeuvres de charité, (d'ailleurs qui le pourrait ou le voudrait ?), mais dans cette action collective de résorption de la fracture sociale, nul ne peut être dispensé.

Septembre 1997

Réf. : Les placements alternatifs et solidaires 1997.
Hors série pratique n°1, Alternatives Economiques.

Vigier Jean-Paul, " Investir contre l'exclusion : une utopie ou une innovation ? " in Echange et projets n°78, dossier 'finance et emploi : engager le débat', nov. 97, Paris, pp 66-69


Finansol

Pour plus d'informations, contacter:
Finansol
4, rue Jean Lantier - 75001 Paris
Tél : 01 44 82 80 12 - Fax : 01 44 82 81 43
E-Mail - Finansol@globenet.org


| Sommaire |

Horizon Local 1997-98
http://www.globenet.org/horizon-local/