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Le financement des filières de production et de commercialisation des produits agricoles

Par Serge CALABRE - Directeur du Groupe d'Analyse des Marchés de Matières Premières (GAMMAP)


Fonctions et organisation du financement de l'agriculture

Le financement de l'agriculture doit assurer la poursuite et le développement de la production agricole mais aussi promouvoir les mutations techniques et structurelles nécessaires au développement rural.

Il répond ainsi à plusieurs fonctions principales:

- le financement des investissements fonciers (aménagement et mise en valeur des sols, acquisition éventuelle de terres, plantation, ... );
- le financement des équipements (outils. machines et/ou Véhicules, bétail, aires de stockage, entrepôts ... );
- le financement de l'exploitation afin de pallier les décalages entre les dépenses en intrants et les recettes issues de la vente de la récolte;
- le financement de la commercialisation- (crédits de campagne...
- le financement des infrastructures nécessaires au développement de l'agriculture (petits barrages, réseaux d'irrigation, pistes et routes, puits) et qui peuvent aussi contribuer à l'amélioration du cadre et des conditions de vie des paysans ;
- le financement de "l'environnement économique" de l'activité agricole : organismes d'encadrement technique, services publics, équipements collectifs (voies de communication, approvisionnement en énergie ... ), entreprises agro-industrielles (traitement et première transformation des produits), artisanat rural, organisation de la commercialisation, actions de formation des paysans...
- l'aide sociale aux paysans, notamment face aux aléas de la production, aux difficultés personnelles, aux conditions de vente des récoltes (problème de "soudure", prêts personnels ou "sociaux"...);
- d'une façon plus large, le financement intègre une dimension de gestion ou de protection contre les risques individuels ou collectifs.

Certains besoins de financement relèvent du court terme, ne portant que sur un cycle de production (financement de l'exploitation, crédits de soudure, crédits de campagne... ), d'autres doivent être amortis sur plusieurs cycles de production. Selon l'organisation du système de financement, ces besoins peuvent rencontrer des réponses plus ou moins partielles et efficaces. Enfin, leur structure varie selon les produits (cultures annuelles ou pérennes) et selon les pays.

L'organisation du financement peut donc revêtir plusieurs formes très distinctes :

- Autofinancement,
- Aides et prêts interindividuels (familiaux, échanges réciproques de services, prêts des traitants ... );
- Aides de l'état (prêts et subventions, notamment en nature à travers les organismes d'encadrement agricole);
- Systèmes mutualistes locaux parfois informels ("tontines", groupements coopératifs);
- Institutions de crédit rural (banques ou caisses de crédits agricoles);
Investissements publics;
Aides d'origine extérieure au secteur (intervention d'ONG, financement extérieur d'entreprises agro-industrielles ... ).

Les fonds peuvent donc provenir de l'agriculture, directement (à travers l'autofinancement) ou indirectement (réinvestissement d'une partie des prélèvements effectués par l'Etat sur la filière de commercialisation), mais aussi d'autres secteurs de l'économie (investissements ou aides apportées par des urbains... ) ou de l'extérieur (aide internationale, emprunts à l'extérieur, investissements directs étrangers).

Système d'incitations et financement de la production

Le producteur agricole (paysan, société productrice) agit et décide en réponse à un système multidimensionnel d'incitations qui détermine les éléments suivants :

- la mesure dans laquelle les recettes couvriront les coûts (problème de rentabilité de l'exploitation d'un prodlàt);
- le revenu du producteur: ce revenu inclut d'autres sources que le produit, ce qui conduit notamment à des comparaisons et arbitrages entre cultures, quoiqu'il y ait très souvent mono-spécialisation et que la substitution entre cultures nécessite des délais assez longs et des aides financières;
- les risques de l'activité et les conditions de gestion ou de soumission à ces risques (possibilité de s'assurer contre certains risques ou de les "transférer" sur des tiers).

Ces incitations recouvrent les catégories principales suivantes:

- le prix effectif de vente du produit, élément pivot car il intervient a posteriori, lors de la vente de la récolte;
- les coûts effectivement supportés par le producteur et relatifs à l'exploitation ou à l'investissement;
- la disponibilité en facteurs de production (terres, main d'oeuvre, irrigation, plants et semences, intrants);
- les aides de l'état, gratuites ou sous forme de prêts notamment en nature (prêts ou distribution de produits phytosanitaires, encadrement technique. fourniture de services gratuits ou à coût réduit, etc.);
- les conditions de financement (accès à des prêts, durée, taux d'intérêt et garanties, etc.);
- les contraintes liées à la culture du produit (difficultés techniques, délais d'arrivée en production, calendrier des activités culturales, pénibilité du travail, etc.);
- les conditions de sécurité des investissements (régime foncier, système d'héritage, etc.);
- les possibilités de substituer d'autres sources de revenu; la possibilité de se protéger contre certains risques par des systèmes d'assurance ou par transfert du risque à des tiers (fixation de prix à la production, impayés, etc.);
- l'évolution des conditions de vie locales et des modalités de "protection sociale" (système de solidarité familiale ou communautaire, services publics de santé et d'éducation, etc.).

Tous ces éléments d'incitation peuvent jouer favorablement ou non sur les décisions d'investir, de produire, d'entretenir les cultures, de moderniser les exploitations, ou d'innover. Certains même, peuvent constituer des instruments pour les pouvoirs publics (fixation de prix bord-champ, distribution d'engrais, encadrement, crédit agricole à taux bonifiés, etc.).

Difficultés et défis du crédit agricole

Les expériences de crédit agricole "institutionnel" ont reposé sur des banques de développement agricole et rural, sur des systèmes de caisses mutualistes et, plus rarement, sur l'intervention des banques commerciales. Ces expériences se sont souvent soldées par des échecs, notamment en Afrique sub-saharienne (exemple de la Côte d'Ivoire ou du Sénégal) en raison de plusieurs facteurs :

- Coût élevé du crédit agricole (Cf. dispersion de la clientèle agricole, multiplicité de petits dossiers et difficultés d'implantation d'un réseau en milieu rural) ;
- Problèmes de solvabilité des bénéficiaires des prêts et de la mise en place de systèmes de garanties efficaces ;
- Perception de ces banques par de nombreux paysans qui se traduit par des impayés élevés, des détournements dans l'affectation réelle des crédits obtenus. Les prêts octroyés par l'institution publique sont parfois assimilés à des dons. Le refus de rembourser peut aussi traduire un mécontentement ou une opposition au pouvoir central et/ou à l'administration ;
- Faible efficacité des services de gestion et de recouvrement des crédits : mauvaise tenue des comptes, lourdeur des procédures, laxisme de gestion, dysfonctionnements internes, manque de garanties, insuffisance des contrôles, etc - Perturbations de l'activité de la banque liées soit aux injonctions parfois intempestives ou discontinues de l'Etat et des autorités politiques, soit aux délais d'instruction des dossiers et de mise en place des prêts insuffisants qui hypothèquent alors la régularité et la continuité des autres opérations ;
- Engagement dans le financement de la commercialisation des produits, activité bancaire a priori plus rentable que le financement de la production mais au risque élevé et à la gestion soumise, parfois, à des pressions politiques.

Toutes ces difficultés se sont traduites, en période de baisse prononcée des prix agricoles, par un gonflement considérable des impayés (impayés des paysans mais aussi d'entreprises de commercialisation, d'exportation, et de sociétés agro-industrielles). Compte tenu des coûts, des risques et de la lourdeur du crédit agricole, les banques commerciales s'y sont peu aventurées et ont limité leurs interventions, en milieu rural, au financement de la commercialisation, de l'artisanat ou de quelques opérations d'équipement.

Les possibilités de développement d'un système de crédit agricole efficace résident à plusieurs niveaux :

- Des systèmes de remboursement par précompte lors de la commercialisation des récoltes: cela suppose que les crédits (par ex. les prêts d'intrants) soient octroyés par l'organisme qui acquiert la récolte, ou que celui-ci travaille en collaboration très étroite avec l'organisme qui octroie les crédits. La filière coton en a fourni un exemple (CIDT en Côte d'Ivoire). Mais un tel système n'est pas transposable à tous les produits en raison de leurs conditions de culture et modalités de commercialisation (café, cacao ... ).
- Des systèmes de "caution solidaire" gérés rigoureusement et s'appuyant sur des groupements coopératifs de paysans ;
- L'organisation des caisses mutualistes d'épargne et de crédit agricoles, appuyée par le renforcement de groupements coopératifs et d'organisations professionnelles agricoles, assortie de la mise en place d'un fonds de garantie ;
- La gestion rigoureuse des dossiers, insistant sur la sélection d'emprunteurs potentiellement solvables ;
- Le coût élevé du crédit agricole a pu conduire à envisager des fonds de bonification pour réduire les taux d'intérêt, mais a soulevé la crainte d'un subventionnement permanent de la production.

Dynamique des prix internationaux, libéralisation des filières de produits et reconfiguration du financement

Dans le cas d'un produit d'exportation, la solvabilité dépend de l'évolution du prix international. Dans les systèmes d'offices de commercialisation avec prix administré (caisses de stabilisation), la fixation du prix au producteur était censée faire écran aux fluctuations du prix international. Or, celles-ci peuvent parfois se traduire par des mouvements pluriannuels très amples. Dans le cas d'un développement simultané de la production du produit dans de nombreux pays producteurs et d'un freinage de la consommation, on observe une baisse prononcée des prix internationaux. L'expérience de la décennie 80 a montré que les systèmes de prix administrés ne peuvent bloquer les répercussions internes de ces baisses sur les paysans. Il en résulte une accumulation des impayés et des non remboursements provoquant parfois la faillite des systèmes de crédits agricoles.

Dans de nombreux pays soumis à l'ajustement structurel, les filières de produits agricoles d'exportation sont actuellement engagées dans des réformes de libéralisation visant à améliorer la régulation des marchés mondiaux par le jeu des mécanismes de marché et de la concurrence tant au plan national qu'international et à réduire l'intervention de l'Etat dans les systèmes d'incitations pour éliminer les distorsions qui avaient pu en résulter par le passé.

Un système de crédit agricole n'aura donc pas seulement à faire face aux aléas des fluctuations de prix d'une année sur l'autre, mais aussi à cette dynamique de moyen terme et aux phases de chute de prix qui risquent de se reproduire dans un avenir pas toujours très éloigné. La réponse n'est pas encore maîtrisée, mais certaines conditions paraissent nécessaires : modernisation de l'agriculture, élévation de la productivité, renforcement du pouvoir des organisations agricoles de base et professionnelles, encouragement des groupements coopératifs des petits planteurs. Le développement de systèmes mutualistes de caisses d'épargne et de crédit rural va dans le même sens.

Pour en savoir plus...

"Matières premières : marchés mondiaux, déséquilibres, organisation", S. Calabre (sous la direction de), coédition Economica Ministère de la Coopération, 1995.

"Economie des politiques agricoles dans les pays en développement", M. Benoit-Catin, M. Griffon, P. Guillaumont (sous la direction de), Editeur : Revue Française d'économie, 3 vol, 1994.

"Bilan et perspectives du crédit rural en Afrique", Séminaire Harare, 23-25 Nov. 1992 - AFRACA, Epargne Sans Frontière, 1994.


ESF - , numéro 5, janvier 1996

Pour plus d'informations, contacter:
Epargne Sans Frontière
32, rue Le Peletier - 75009 Paris
Tél : (33-1) 01 48 00 96 82 ; Fax : (33-1) 01 48 00 96 59


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