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Systèmes de crédit ruraux décentralisés et solidarités à la base :
L'expérience du GRET au Cambodge

Par Didier REYNAUD , Chargé d'affaires au GRET (Groupe de Recherche et d'Echanges Technologiques)


Présent au Cambodge depuis 1987, le GRET a commencé son activité par un programme de recherche-développement sur l'agriculture familiale en réponse à la demande du Ministère de l'Agriculture cambodgien. Ce dernier a permis notamment de mettre en évidence le manque crucial de capitaux comme facteur limitatif du développement dans les zones rurales du Cambodge.

Un environnement difficile

Au moment où, avec l'appui de l'IRAM (Institut de Recherches et d'Applications des Méthodes de Développement) et du Ministère de l'Agriculture cambodgien, il commence son programme de crédit au Cambodge (juin 1991), l'environnement politique, institutionnel et économique est des plus délicat.

Au niveau politique, les différents niveaux décisionnels sont peu disposés à accepter l'idée de taux d'intérêt couvrant au moins l'inflation et encore moins celle de taux d'intérêt réels positifs. Dans un pays encore marqué par la guerre civile, le discours officiel est toujours celui de l'aide donnée aux paysans pauvres et si crédit il y a, de taux subventionnés à0%, ce qui ne peut être viable sur le long terme.

Au niveau institutionnel, les circuits financiers du monde rural restent marqués par l'écroulement en 1990 des succursales provinciales de la banque nationale, qui ferment presque toutes leurs portes avec un lourd passif toujours non recouvré en 1995. Seul, le secteur informel est alors présent en milieu rural pratiquant des taux usuraires de 20 à 30% par mois.

Au niveau économique , avec une inflation de près 300% en 1991 et 1992, demander aux paysans de payer un intérêt au moins égal à cette inflation relève de la gageure.

Une vocation expérimentale

Dès le départ, la vocation du programme a donc été d'expérimenter des systèmes de crédit ruraux décentralisés, assurant la plus grande participation possible des bénéficiaires avec une politique de vérité des taux d'intérêt et destinés en priorité aux paysans les plus pauvres. Trois systèmes sont aujourd'hui mis en oeuvre.

1) Système de crédit solidaire avec dotation initiale en capital

Ce système est le plus ancien et le plus important en nombre de bénéficiaires. C'est un système très décentralisé où le programme fait une dotation initiale en capital à une caisse villageoise de crédit. Cette caisse élit parmi ses membres un comité de gestion qui est chargé de l'octroi des crédits et de leur recouvrement mais aussi de la gestion financière de l'argent conservé dans un coffre au niveau de la caisse villageoise. En plus de la dotation initiale en capital, le programme apporte un soutien technique et une formation au moment de la création de la caisse. Les prêts sont limités volontairement à un faible montant (de 20 à 30 US$) sur un cycle allant de 6 à 10 mois et ce, pour toucher en priorité les plus pauvres. Le système de garantie est fondé sur la solidarité entre les membres du groupe (5 emprunteurs) qui s'engagent à rembourser pour les autres en cas de défaillance de l'un des leurs.

Actuellement, le système couvre environ 80 caisses de crédit (120 personnes/caisse). Les taux d'intérêt pratiqués sont de 5% par mois soit 60% par an pour une inflation de 25% et un taux d'usure de 15 à 30% par mois. Il a donné de très bons résultats en taux de remboursement (99% au bout de 3 ans d'activité) mais la gestion est lourde dès que l'on passe à une phase de diffusion du système à une plus large échelle : l'appui et le contrôle constants et nécessaires du programme introduisent une ambiguïté sur les responsabilités réelles dans la caisse (le comité, le programme de crédit ou les deux ensembles ?), la mise en réseau de ces caisses de crédit est sujette à un processus très long du fait de la multiplicité des niveaux de décision et enfin, une appropriation toute relative des membres des caisses qui restent dans une logique client/banque plutôt que membres/caisse solidaire.

2) Système de crédit solidaire avec prêt du capital initial

Conscient de ces limites, un autre système a été expérimenté dès 1994, proche dans ses modalités de base (groupes de 5 personnes, prêts de 20 à 30 US$ sur un cycle de 6 mois) mais qui repose sur un prêt et non plus sur une dotation en capital par le programme. Les membres de la caisse élisent cette fois un comité de crédit chargé exclusivement de l'octroi et du recouvrement des crédits. La gestion financière du capital est transférée à un agent de crédit appartenant à l'équipe du programme. La gestion de la trésorerie devient alors beaucoup plus efficace puisque les remboursements sur un mois d'une caisse peuvent être utilisés directement à l'octroi de crédit dans une autre caisse par l'entremise de l'agent de crédit. Ce système donne pour l'instant toute satisfaction et améliore même les remboursements, l'agent ne venant récupérer les remboursements qu'un seul jour par mois, les emprunteurs sont tenus à une plus grande discipline.

3) Système de crédit individuel avec garanties matérielles

Afin de répondre aux nombreuses demandes de prêts de la part des entrepreneurs pour la création ou l'extension d'unités de production rurales, un nouveau programme de crédit individuel assorti de garanties matérielles sur l'outil de production et d'un apport personnel au moins égal au montant du prêt, a été lancé depuis 1995. Ce système est encore trop récent pour pouvoir en évaluer les résultats et en tirer des enseignements valides.

Un accent mis volontairement sur le crédit par rapport à la mobilisation de l'épargne

Le refus du dogmatisme et l'adaptation avec pragmatisme aux conditions particulières du pays considéré expliquent l'approche adoptée par le programme au Cambodge. La collecte de l'épargne n'a pas été privilégiée en raison de :
La faible confiance dans la monnaie du paysan cambodgien du fait d'une inflation par tradition élevée. En dépit du ralentissement observé (prévision de 15% par an en 1995), la confiance n'est pas encore revenue lorsqu'il s'agit d'épargner dans la monnaie nationale.

La préférence marquée pour une épargne en or , valeur refuge par excellence et d'accès facile à la campagne que le paysan peut conserver chez lui, moins liquide financièrement mais qui présente de bonnes garanties de stabilité de la valeur.

La faible rentabilité du placement d'épargne par rapport à celle d'un investissement. Des études menées en 1995 sur 3 villages ont montré que la rentabilité moyenne d'un investissement s'établit à 100% sur 8 mois contre un rendement maximum possible de l'épargne de 2 à 3% par mois (dans le cas où l'on prête cette épargne à 5% par mois dans une caisse de crédit). Dans un tel contexte, force est de constater que la plupart des opérateurs qui mobilisent l'épargne en milieu rural, le font sous la forme d'une épargne forcée, conditionnée à un prêt futur.

Des résultats encourageants

A la fin de l'année 1994 et après 3 années de fonctionnement, le programme de crédit enregistre des résultats toujours satisfaisants, toutes expérimentations confondues.

Encours des Prêts (US$) 260,000
Encours d'emprunteurs 9,960
Nombre de caisses créées 102
Taux de remboursement à échéance 96,56%
Taux de remboursement 6 mois après l'échéance 99,85%
Source : GRET, chiffres au 31/12/1994

Malgré sa petite taille par rapport aux systèmes financiers ruraux existants dans d'autres pays, ce programme assume une position de leader dans le paysage opérationnel du crédit au Cambodge. Cette position s'exprime à trois niveaux :

La formation externe d'agents de crédit, dispensée dans le cadre des systèmes expérimentés par le GRET, bénéficie également à des agents de crédits d'autres ONG et des opérateurs de crédits (plus de 20 agents formés en 1994).

L'animation de l'association informelle des opérateurs de crédit, dont le GRET est le secrétaire permanent. Cette association est le seul organe existant au sein duquel tous les opérateurs peuvent se rencontrer librement et se, concerter sur des questions clés telles que les taux d'intérêt et l'implantation géographique des programmes.

La participation du GRET au Comité de crédit rural décentralisé en tant que représentant permanent des opérateurs. Ce comité est chargé de l'élaboration d'une politique nationale sur les systèmes d'épargne-crédit en milieu rural.

L'institutionnalisation du programme et la création d'un Réseau Financier Décentralisé

Grâce au financement complémentaire de 3 bailleurs de fonds (CFD, PNUD, et UNICEF), le programme du GRET peut s'orienter aujourd'hui vers une nouvelle phase de son développement : la création officielle d'un réseau financier décentralisé. Tout en maintenant son option fondamentale d'expérimentation, cette transformation d'un projet de développement en une structure pérenne et décentralisée de crédit passe par les étapes suivantes :

La pérennité financière : l'extension du système pour permettre la couverture des coûts de fonctionnement, une plus grande rentabilité financière et enfin une politique de taux d'intérêt réaliste pour se constituer des fonds propres;

L'obtention de la personnalité morale : condition sans laquelle la structure de crédit ne peut pas emprunter en son nom propre les ressources nécessaires à son activité, ni créer les conditions favorables à l'établissement d'une confiance des emprunteurs et des épargnants éventuels. A ce jour, aucun statut officiel des organismes de crédit décentralisés ni même des associations n'a été voté.

L'appropriation du programme par l'équipe locale grâce à une structuration des ressources humaines locales. Si le niveau de formation des agents de terrain est satisfaisant, l'encadrement est encore insuffisant notamment en matière de gestion financière et d'animation d'une équipe.

Pour en savoir plus...

-Techniques Financières & Développement N' 27 (juin 92) "Financement du monde rural: différentes approches" et N' 33 (déc 93/janv. 94), "Les Systèmes d'Epargne Crédit Décentralisés".
- "L'irrésistible ascension du crédit solidaire", Maria NOWAK, Techniques Financières & Développement N' 40/41(sept/déc. 95).
- "Les systèmes d'épargne et de crédit décentralisés", Min. Coopération/Dir. du Développement, Col. Rapports d'étude, 1994.
- Banque de Données sur les Systèmes Financiers Décentralisés (Burkina Faso, Mali, Togo, Niger, Sénégal, Côte d'Ivoire, Bénin), BCEAO/BIT.

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION: Guy Dupasquier (Président E.S.F)


ESF - , numéro 4, octobre-novembre 1995

Pour plus d'informations, contacter:
Epargne Sans Frontière
32, rue Le Peletier - 75009 Paris
Tél : (33-1) 01 48 00 96 82 ; Fax : (33-1) 01 48 00 96 59


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