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DROGUE : UNE INTERDéPENDANCE NORD-SUD

Par Lucas Patriat


Depuis une vingtaine d'années, malgré les efforts considérables accomplis pour le réprimer, le marché de la drogue est en pleine croissance. Son caractère illicite le rend difficile à évaluer, mais on considère qu'il dra"ne chaque année entre 200 et 300 milliards de $ : il serait le second marché international, avant celui du pétrole. Son évolution permanente voit non seulement une hausse des quantités échangées, mais aussi la multiplication des variétés (tant dans les teneurs que dans la nature des drogues) et l'éparpillement des zones de production.

Les pays du Sud sont particulièrement concernés par cette évolution : l'essentiel de la production en est originaire. Certains pays en retirent des revenus considérables qui leur permettent de pallier les carences de leurs économies, obtenant ainsi une source de devises qui leur offre notamment de payer leur dette. Il existe un lien direct entre la situation économique des pays en développement et la production de drogue.

De nombreux pays en développement sont confrontés à un endettement croissant vis-à-vis d'autres Etats ou d'organismes internationaux, Banque Mondiale et Fonds Monétaire International (FMI). Les investissements effectués avec les emprunts, et les exportations de matières premières, étaient censés apporter des ressources suffisantes pour les remboursements. Mais l'échec des politiques économiques et la chute des cours des matières premières ont au contraire accru l'endettement. Il fallait donc trouver d'autres sources de devises.

Au Pérou, au milieu des années 80, le président Garcia annonçait qu'il ne consacrerait plus que 10 % des recettes de ses exportations aux remboursements de ses emprunts. Il lui devenait alors impossible d'accéder au crédit, et bientôt une violente crise économique atteignait le pays. La population se tourna vers les champs de coca. Privé de devises, le pays a du finalement inviter les trafiquants à déposer leurs bénéfices aux guichets des banques nationalisées. Cet exemple1 souligne le lien direct entre dette et commerce de drogue : le président Garcia, farouche opposant aux traficants, en est devenu du jour au lendemain un complice. La Colombie, qui applique cette méthode depuis longtemps, n'a jamais eu à renégocier l'échelonnement de sa dette extérieure. Au Nord, les créditeurs, parfaitement au courant de l'origine des remboursements dont ils bénéficient, s'en accomodent parfaitement.

La dette agit également de façon indirecte: les pays ne pouvant satisfaire leurs échéances sont contraints d'accepter les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) préconisés par le FMI: un PAS est une politique économique d'inspiration libérale qui réduit au minimum les prérogatives de l'Etat afin de diminuer les dépenses et faire jouer les mécanismes de marché. L'objectif est de rééquilibrer les indices macro-économiques (balance des paiements, taux de change, croissance du PIB), en laissant au second plan les considérations d'ordre social. Quel que soit le résultat économique, le coût social est considérable: dégénerescence des infrastructures (routes, ponts), disparition des systèmes de santé, renforcement des inégalités,, la société n'a plus les moyens de s'occuper des plus démunis.

Que faire, dans ces conditions, quand on est un petit paysan en Bolivie ou au Pérou ? Tous les paysans des environs vendant les mêmes produits à la même époque, les prix restent trop faibles ; l'absence de routes carrossables pour aller jusqu'au marché, et d'infrastructures au village, augmentent les coûts de production ; en même temps, les dépenses de santé ou d'enseignement augmentent, ne serait-ce qu'en raison de l'éloignement (disparition d'écoles, de centres de santé et de transports en commun). La production de coca appara"t alors comme la solution miracle : les plantes poussent rapidement, autorisant même plusieurs récoltes par an. Elles se vendent à un prix élevé. Et les trafiquants sont de bons clients: ils payent rapidement, acceptent même de faire crédit, et transportent eux-mêmes la marchandise. La culture de la coca est tout simplement une question de survie pour les paysans.

Les modifications économiques préconisées par les PAS supposent également la libéralisation du secteur financier. Il s'agit-là d'une véritable aubaine pour les trafiquants internationaux : l'absence de contrôle sur les flux financiers leur permet de déplacer des sommes importantes en toute impunité. Les nombreuses succursales de banques de toutes nationalités s'occupent de blanchir l'argent, qui servira notamment à rembourser les dettes auprès de ces même banques.

La boucle est bouclée : l'endettement crée un besoin de liquidité qui ne peut être trouver qu'avec la vente de drogues. Les pays du Nord mènent d'une main une guerre coûteuse et inefficace contre le trafic de drogue, et de l'autre incitent les pays producteurs à continuer. Et en toute connaissance de cause.

Il faut relativiser la vision d'un Sud producteur et d'un Nord consommateur, même si ce découpage reste en partie pertinent. 5 000 tonnes de marijuana sont produites aux Etats-Unis chaque année. Et l'essentiel des tranquilisants viennent de laboratoires du Nord. L'alcool aussi constitue un marché considérable, dans lequel les grandes firmes internationales sont avantagées.

Mais c'est surtout sur le plan de la consommation que les choses évoluent. Avec l'explosion des centres urbains (qui génère une nouvelle culture, de nouveaux types de socialisation et un isolement de l'individu), l'atonie des économies qui frustre tous les élans, et la part importante de la jeunesse dans la population, les pays du Sud forment en effet un terreau propice à la diffusion de pratiques jusqu'alors très marginales.

A Dakar, plus de la moitié de la population a moins de vingt ans. Une partie non négligeable de la population est désoeuvrée. La ville est devenue une plaque tournante pour la drogue et la consommation locale augmente, provoquant une situation préoccupante de santé publique. Une drogue fréquemment utilisée est le «guinze», des solvants qu'on inhale sur un chiffon imbibé. On la trouve un peu partout au coin d'une rue, repérable à son odeur forte. Ces solvants (comme le trichloréthylène) sont fabriqués pour dissoudre les graisses : agissant de la même façon sur le cerveau, ils rendent progressivement les toxicomanes fous, et d'une agressivité incontrôlable.

Au fond, les raisons qui amènent quelqu'un à se droguer sont globalement les mêmes au Sud et au Nord. Les conséquences également. Les différences existent, sur la qualité des produits (de moins bonne qualité donc plus nocifs au Sud), sur les répercussions sociales, notamment au sein de la famille. Mais la toxicomanie reste un fléau qui touche à la fois au plus profond de l'individu et à l'ensemble de la société ce qui la rend si difficile à appréhender.

Il semble évident que la lutte contre la drogue - la prévention comme la prohibition - doit prendre en compte la dimension internationale du phénomène. Il ne s'agit pas d'un combat manichéen entre un Sud producteur et un Nord victime. Aujourd'hui, tous les pays participent au trafic, tous les pays sont confrontés à la hausse de la consommation. Seule une action concertée peut avoir des résultats.

Mais la volonté politique existe-t-elle réellement ?


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