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Le microcrédit - une petite aide importante

Par Barbara J. Frayer


Introduction : L'Amérique latine a vu se développer ces dernières années de nombreuses banques qui, à l'image de la célèbre Banque Grameen du Bangladesh, sont spécialisées dans l'offre de microcrédits accessibles aux populations pauvres, les femmes en étant les premiers bénéficiaires (cf. DIAL D 2018, 2096). Il s'agit là, sans aucun doute, d'un outil très efficace aujourd'hui dans la lutte contre la pauvreté, alors même qu'il ne faut pas tout attendre de lui. L'article ci-dessous de Barbara J. Frayer présente une vue d'ensemble de la ratique du microcrédit en Amérique latine. Il est paru dans Noticias Aliadas, 26 février 1998 (Lima, Pérou).

Texte de l'article

Avec sa porte en fer et ses murs en torchis pleins d'aspérités la petite maison de Francisca Apaza Pacco, aux alentours de Juliaca, sur l'Altiplano péruvien, ne se différencie en rien de celles de ses voisins.

Mais à côté du lit et de la chaise, seuls meubles de la pièce principale, il y a deux machines à tisser modernes sur lesquelles, elle-même, son époux et une employée confectionnent des chandails destinés à être vendus à Cusco.

Francisca Apaza est l'une des milliers de femmes latino-américaines à avoir constitué une micro-entreprise grâce aux microcrédits d'une organisation non gouvernementale. Elle a démarré avec l'équivalent de 50 dollars accordés par l'agence internationale CARE. Bien que les programmes qui attribuent des microcrédits - prêts peu importants à moyen terme destinés à des gens pauvres n'ayant pas de revenus fixes qui pourraient leur servir de garantie pour l'obtention d'un crédit commercial - semblent avoir fait leur apparition ces dernières années en Amérique latine, l'idée est loin d'être neuve.

Muhammad Yunus, professeur d'économie bengali, lança l'idée, presque par hasard en 1976, lorsqu'il prêta de petites quantités de son propre argent, 27 dollars au début, à des femmes extrêmement pauvres, qui l'utilisèrent pour élever des vaches ou pour acheter du matériel de production artisanale. Au fur et à mesure qu'elles vendaient les produits élaborés, elles remboursaient les prêts.

Yunus est maintenant directeur-gérant de la Banque Grameen (c'est à dire "rurale") du Bangladesh qui a prêté quelques 2 milliards de dollars à 2,3 millions de personnes dont plus de 90% sont des femmes pauvres.

Au sommet sur le microcrédit qui s'est tenu en février 1997 à Washington et qui a réuni 2 900 personnes de 137 pays, on a mis en place une campagne de 9 ans pour l'attribution de crédits en vue de la création de son propre emploi et à destination de 100 millions de familles pauvres dans le monde, plus particulièrement à des femmes, et ce jusqu'en 2005.

Lors du sommet Yunus, a dit aux participants que "nombre d'entre nous considèrent les millions de gens pauvres du monde comme un "problème" apparemment insoluble alors que nous devons les envisager comme une source jusqu'alors non prise en compte de chefs d'entreprises et de consommateurs".

Le modèle Grameen a été imité dans le monde entier, y compris en Amérique latine mais ses défenseurs les plus convaincus admettent que les petits prêts à des personnes pauvres ne sont pas la panacée pour résoudre les difficultés économiques des pays en voie de développement.

Il n'y a pas que le crédit

"Le crédit en lui-même ne peut pas être l'élément central du développement" a dit Francisco Barquero, consultant d'un programme de microcrédits géré par le Conseil nicaraguayen des Églises évangéliques. "Le crédit n'est qu'un élément de plus. Donner aux plus pauvres accès au crédit relève réellement d'une technologie et d'un projet social et économique qui va bien au delà de la simple technologie microfinancière."

Lorsque Yunus démarra son expérience, il s'est adressé essentiellement à des femmes extrêmement pauvres et beaucoup de programmes de microcrédits ont suivi cet exemple. Cependant après avoir analysé l'impact du microcrédit sur un pays en voie de développement, les experts latino-américains ont commencé à marquer des différences.

"Au début on parlait de crédit pour les pauvres, explique Barquero. On n'en est plus là. On administre le crédit en direction des secteurs pauvres qui peuvent être financés et remis en activité. Les secteurs qui ne peuvent pas être remis en activité doivent être soutenus par des programmes sociaux."

Pendant les 15 dernières années l'hyperinflation et les programmes de régulation structurale imposés par les prêteurs, comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont jeté de plus en plus de Latino-américains dans une situation de pauvreté. Les coupes dans les budgets et la privatisation d'entreprises d'État ont provoqué des licenciements massifs. Ceux qui perdirent leurs emplois s'emparèrent de la rue pour y gagner leur vie en vendant des sodas ou en lavant des voitures. Avec un travail indépendant mais en dehors du système, sans revenus ni bénéfices réguliers, sans avantages et non soumis à l'impôt, ces gens vinrent grossir le secteur de l'économie informelle que l'économiste péruvien Hernando de Soto a décrite dans son livre L'Autre sentier et que le président péruvien Alberto Fujimori a transformé en force politique à son profit pour obtenir sa surprenante victoire électorale de 1990.

Au début de la décennie, dans de nombreux pays, presque la moitié de l'économie était informelle. En prenant conscience du potentiel de développement - et de recette fiscale - de ces petits entrepreneurs, beaucoup de gouvernements firent les premiers pas pour les intégrer à l'économie formelle, en simplifiant les formalités de création de petites entreprises. Cependant les prêts pour la création ou le développement d'une entreprise demeurent hors de portée. La majorité de ceux qui font du commerce informel sont pauvres. Beaucoup sont des vendeurs ambulants et ils ne sont pas propriétaires de leur logement, n'ont aucun titre de propriété sur l'endroit où ils vivent. Faute de garanties ils ne pouvaient pas prétendre à un prêt de banque commerciale ; également, les intérêts élevés réclamés par les usuriers mettaient cette alternative hors de leur portée. Malgré leur travail intense et leur créativité dans l'entreprise beaucoup de petits vendeurs se retrouvèrent dans une impasse par manque de capitaux.

C'est alors que les programmes de microcrédits intervenaient. Des organisations non gouvernementales et religieuses ont été les promoteurs de ces projets alors que la banque commerciale continuait à les ignorer.

Une étude dans six pays latino-américains réalisée en 1995 par l'agence financière suisse FUNDES a montré que le principal problème de 70% des petits entrepreneurs était l'absence d'accès au crédit. 16% seulement des banques commerciales sondées ont considéré l'accès au crédit comme le principal obstacle pour les petites entreprises ; les autres mettaient en avant le manque d'organisation et les mauvaises conditions économiques.

"En général, la banque, dans nos pays, s'est montrée dépourvue du nécessaire engagement en faveur du développement qui aurait pu se manifester pour répondre à la demande que représente un grand nombre de petites unités productives dont l'ensemble constitue un marché important "indique Carlos Garatea, secrétaire général de l'Association latino-américaine des institutions financières de développement (ALIDE).

Actuellement les banques commerciales se mettent à pénétrer ce champ d'activité, encouragées par des institutions comme la Banque mondiale (BM) et la Banque interaméricaine de développement (BID), tout autant que par les gains potentiels. D'autres établissements comme la Banque de la solidarité (BancoSol), en Bolivie, ont transformé les programmes non gouvernementaux en entreprises financières. Depuis ses débuts informels, le microcrédit évolue vers le formel, ce qui est dû en partie, au fait que les gouvernements ont reconnu l'importance des petites et des micro-entreprises pour le développement économique.

Petites mais puissantes

Dans beaucoup de pays d'Amérique latine et des Caraïbes, les micro-entreprises - que l'on définit généralement comme ne comptant pas plus de 10 travailleurs - emploient la moitié au moins de la population économiquement active. Au Chili, l e quart de la population active - environ

1, 2 millions de personnes - travaille dans des micro-entreprises et ce chiffre monte à 46% en Colombie.

En Bolivie la proportion de population active urbaine dans des micro-entreprises et des petites entreprises familiales est passée de 58% en 1992 à 63% en 1995. Pendant cette période, 90% des nouveaux emplois ont été créés par des micro-entreprises et le secteur informel.

Toutefois les micro-entreprises ne pèsent pas toutes du même poids sur l'économie du pays, élément à partir duquel les organismes qui proposent des microcrédits ont appris à faire la différence. Bien que les programmes basés sur le modèle Grameen aient traditionnellement été destinés "aux plus pauvres", des experts latino-américains disent que dans la réalité ce n'est pas vraiment possible. "Ce n'est pas si facile que cela d'atteindre les plus pauvres car ils doivent pendant un an, au moins, maintenir une petite entreprise pour avoir droit à un crédit "explique Gabriel Gaitán, directeur du secteur microcrédits du Catholic Relief Services (CRS) au Nicaragua. Cependant il ajoute que ceux qui reçoivent des prêts du CRS "sont les plus pauvres d'entre les pauvres parmi les micro-entrepreneurs".

La Banque Grameen a également été la première à développer le système du "groupe de solidarité" qui donne la possibilité aux pauvres, même s'ils n'ont pas de garanties de bénéficier d'aides. Cinq ou six emprunteurs se réunissent régulièrement pour s'épauler mutuellement. Si l'un d'eux a des problèmes pour rembourser son prêt tout le groupe assume la responsabilité de trouver une solution. "La garantie c'est la solidarité du groupe", dit Gaitán. Quelques établissements comme la BancoSol bolivienne, se servent de cette méthode. D'autres, comme CARE au Pérou attribuent des crédits à caractère rotatif à des organisations de femmes, la pression du groupe devient ainsi la garantie de remboursement du prêt, ce qui permet que d'autres demandeurs bénéficient d'un crédit.

Selon la BID, bien que entre 30% et 60% des micro-entreprises en Amérique latine et aux Caraïbes soient administrées par des femmes qui en sont propriétaires, celles-ci historiquement n'ont qu'un accès limité au crédit.

Au Nicaragua, où une étude de la Fondation internationale pour le développement économique global (FIDEG), montre que 47% en ville et 36% à la campagne des chefs de familles sont des femmes, ce sont les hommes qui ont le plus de facilités d'accès au crédit et obtiennent les prêts les plus importants ; 84% des crédits supérieurs à 1 600 dollars vont à des hommes alors que 44, 5% de ceux qui empruntent entre 100 et 1 000 dollars sont des femmes. Les chiffres pourraient marquer une inégalité plus grande encore si n'intervenaient pas des organismes exclusivement tournés vers l'aide aux femmes. Les banques distribuent 94% des crédits disponibles pour la production ou la consommation à des hommes et seulement 6% à des femmes.

À elles le pouvoir économique

Si les femmes rencontrent des difficultés pour avoir accès au crédit commercial, elles sont souvent en position favorable dans le secteur du microcrédit. D'une part, selon les estimations, es femmes représentent 900 millions des 1,3 milliards de personnes dans l'extrême pauvreté, recensées dans le monde. D'autre part les établissements financiers ont constaté que les femmes ont un comportement plus responsable en ce qui concerne les remboursements.

Certains établissements financiers remarquent que les femmes sont davantage portées à investir en vue du bien-être des familles alors que, souvent, les hommes dépensent l'argent reçu exceptionnellement pour des choses non nécessaires ou de l'alcool. Des organismes qui proposent, en accompagnement du prêt, des programmes de formation insistent auprès des bénéficiaires, en majorité des femmes, sur l'importance d'investir après mûre réflexion. Lorsque Francisca Apaza a reçu le crédit attribué par CARE au Pérou, son mari l'a félicitée avec enthousiasme pour l'augmentation de son pouvoir d'achat. Dans d'autres foyers le pouvoir économique nouveau de la femme est source de conflits.

"Il y a eu des divorces parce que le mari n'accepte pas que sa femme obtienne un crédit " nous dit Johaida Castillo de CHISPA, ONG nicaraguayenne.

Les femmes découvrent que le microcrédit peut augmenter leur pouvoir d'achat, mais les paysans latino-américains sont pratiquement exclus du système. Une étude réalisée dans le nord-est du Brésil a montré que 90% des petits agriculteurs n'ont pas accès au crédit et une recherche menée au Mexique entre 1990 et 1994 a prouvé que 25% des micro-entrepreneurs ruraux avaient reçu des prêts en espèces de différentes origines mais 8% seulement en ont obtenu de la banque commerciale.

Pour l'instant les programmes de microcrédits comme ceux mis en place par CARE sur les hauts plateaux péruviens, ou la BancoSol de Bolivie, s'appliquent essentiellement aux zones urbaines, bien que certains établissements financiers s'efforcent actuellement d'atteindre les zones rurales. Les cycles agricoles, qui réclament des prêts à plus long terme, et les distances géographiques sont des éléments qui jouent sur l'augmentation des coûts des crédits aux paysans.

Cependant certains organismes trouvent des solutions. Au Nicaragua, à Matagalpa, un programme de microcrédits de CRS et Cáritas rapporte actuellement, le double de ce qui a été investi. Ces organismes ont décidé d'utiliser ces fonds pour étendre le programme à des zones rurales en proposant des crédits à long terme.

Trouver un base plus vaste de solutions

Le microcrédit seul ne résoudra pas tous les problèmes des micro-entrepreneurs. Les établissements financiers se sont rendu compte de ce que des propositions globales pour lesquelles les gouvernements, les ONG, les entreprises privées et les syndicats ont un rôle à jouer, sont nécessaires pour que les micro-entreprises survivent, en raison des nombreux éléments qui interviennent dans ce but.

"Les recherches et les travaux réalisés dans les campagnes prouvent que, dans de nombreux cas, le crédit n'est pas l'essentiel pour une catégorie d'entrepreneurs. Il s'agit plutôt d'un autre type d'aide, par exemple, une information sur les marchés, une information technologique, dans quelques cas des équipements qui leur permettent d'améliorer la qualité de leur production" dit Garatea.

Des experts signalent que les gouvernements doivent créer un contexte propice au développement des petites et des micro-entreprises. Les petites entreprises sont moins protégées que les autres contre des concurrents peu scrupuleux ou des clients qui ne respectent pas les contrats, par exemple. Les gouvernements doivent leur donner une structure légale et régulatrice réelle de façon à ce qu'elles puissent bénéficier de la même protection que les grandes sociétés.

Les micro-entreprises informelles génèrent de l'emploi informel, généralement destiné aux membres de la famille du chef d'entreprise, sans protection sociale ni salaire minimum.

"C'est parce qu'elle est importante qu'il faut progressivement légaliser la création d'emplois au niveau informel et lui donner un cadre institutionnel qui permette d'étendre l'aide à un plus grand nombre de personnes", explique Garatea. "L'État doit réaliser une fonction régulatrice, de promotion et d'orientation" ajoute-t-il, et aussi d'aide aux petites entreprises par "l'éducation, la santé, de façon à préserver une continuité dans le travail des gens, et aussi en donnant l'infrastructure qui permette à ces investissements de se concrétiser car s'il n'y a ni route, ni électricité, ni source d'énergie, on ne dépasse pas le niveau théorique de la parole."

La BID considère l'éducation comme une clé du problème. Selon la banque, si la scolarité en Amérique latine passe de l'actuel niveau moyen de cinq années à 6 - 8 années dans la décennie à venir, il y aura une augmentation d'au moins 1% de la croissance économique soutenable.

Un des problèmes permanents est le coût élevé des petits crédits. Leur traitement coûte à la banque le même montant qu'un gros crédit et plus il y a de petits crédits plus les coûts administratifs sont élevés. Les experts ont averti du danger qu'il y a à subventionner des programmes de microcrédits pour maintenir artificiellement bas les taux d'intérêt.

"Il y a encore des ONG qui font cadeau de l'argent quand elles offrent des crédits dont les intérêts sont subventionnés." affirme Castillo, de CHISPA. "Cela crée une distorsion sur le marché et ce n'est pas soutenable."

Enfin les taux d'intérêt élevés associés au microcrédit ne sont pas un problème majeur pour le bénéficiaire. "Le coût du crédit n'est pas non plus un élément décisif. Ce qui peut être beaucoup plus important c'est le délai de remboursement et l'adéquation entre les conditions mises par la banque et les conditions dans lesquelles se trouve l'entrepreneur pour honorer le remboursement, "dit Garatea, qui ajoute que les banques ont besoin de davantage de flexibilité dans la réglementation pour travailler avec les micro-entrepreneurs.

Une leçon que les établissements financiers ont apprise, est que toutes les micro-entreprises ne sont pas identiques. "Pour définir la micro-entreprise on peut dire qu'il y a deux catégories d'unité productive : l'une qui assure la subsistance, l'autre effectivement orientée vers le développement" dit Garatea. "A l'intérieur de ce petit secteur destiné à la subsistance il peut y avoir des chefs d'entreprises potentiels qui ont la capacité de se développer. Les institutions financières et les mécanismes de médiation devraient essayer de les aider à se transformer de plus en plus en chefs d'entreprises."

En général l'accès au crédit n'est pas le facteur déterminant de la création ou de la fermeture d'une micro-entreprise, mais il détermine sa croissance. Et au fur et à mesure que l'entreprise se développe, la solidarité qui a rendu possibles les premiers crédits, continuera à venir en aide aux micro-entrepreneurs. Gartea pense que si les micro-entreprises se regroupent elles peuvent accéder à des secteurs du marché qui autrement leur resteraient fermés. Par exemple, des petits agriculteurs d'une même région qui ne peuvent pas faire face à la dépense que représente l'installation d'un système d'irrigation pourraient se regrouper pour en faire l'acquisition. En zone urbaine les micro-entreprises peuvent devenir plus compétitives en s'associant à d'autres entreprises qui proposent des services complémentaires.

Le crédit en lui même, disent les experts, n'est qu'un moyen pour parvenir à une fin. L'objectif à long terme est la survie et le développement des micro-entreprises et leur contribution à l'économie latino-américaine.

Une étude comparative menée au Chili entre 1992 et 1994 a montré que le nombre de micro-entreprises vivant dans la pauvreté avait diminué de façon significative, ce qui indique que la micro-entreprise est un moyen réel de sortir de la pauvreté.

L'épargne est le facteur clé du succès à long terme. Beaucoup de programmes de microcrédits ont intégré des plans d'épargne, autant sous forme de condition pour obtenir le crédit que sous forme d'épargne obligatoire pendant la durée du prêt.

Les bénéficiaires de crédits accordés par CRS en Amérique centrale ont un taux d'épargne de 15%, ce qui représente une fois et demie le montant exigé. Le taux d'épargne de CHISPA au Nicaragua est le double du montant obligatoire. "Ce n'est pas le seul crédit qui va sortir les gens de la pauvreté" dit Castillo de CHISPA, "c'est l'épargne dont les gens pourront se servir pour faire face à leurs besoins dans l'avenir."

Cette façon de voir que partagent établissements financiers et bénéficiaires doit annoncer des lendemains plus prometteurs encore aux programmes de microcrédits qui ont connu le succès jusqu'à présent en Amérique Latine.

LA FONDATION EMPRENDER EN ARGENTINE : Bilan et perspectives

Introduction : Il y a près de trois ans, DIAL avait présenté la jeune Fondation Emprender qui s'était donné pour objectif d'offrir aux micro-entrepreneurs crédit et formation pour le développement de leurs entreprises. La pratique du crédit accordé à des "groupes solidaires" et l'importance donnée à la formation caractérisait l'activité d'Emprender qui ambitionnait tout à la fois d'atteindre un niveau de financement massif et de parvenir à l'autosuffisance. Que sont devenues ces perspectives après les trois années difficiles que vient de passer l'Argentine au plan économique et social ?

Texte de l'article

Depuis 1995, le secteur des micro-entreprises, regroupant les travailleurs à leur compte les plus démunis, a dû affronter la crise qui a touché l'ensemble de l'économie argentine, provoquée par le soi-disant "effet tequila".

La forte dévaluation mexicaine de décembre 1994 a eu un fort impact sur les marchés émergents (dont fait partie l'Argentine), surtout en 1995 et au début de 1996. En ce qui concerne l'Argentine, la crise mexicaine a mis en péril la continuité du programme économique initié en 1991, et le cadre de la convertibilité1. Ont commencé à apparaître des signes de crise économique, provoquant des rumeurs de dévaluation et un impact très négatif sur le système financier argentin : la perte de confiance s'est traduite par une fuite des capitaux vers l'étranger et la chute des dépôts, aussi bien en pesos qu'en dollars (en six mois le total des dépôts a diminué de près de 25%).

En relation avec cette forte diminution des dépôts, on a alors assisté à une réduction drastique des crédits, ce qui a sérieusement affecté l'activité économique et la chaîne des paiements, provoquant une récession au début du deuxième trimestre de 1995. Le produit national Brut (PNB), après avoir connu une croissance de 3,2% au premier trimestre 1995 par rapport au premier trimestre 1994, a chuté de 4,6% au deuxième trimestre 1995 par rapport au même trimestre 1994 , et encore de 7,7% au troisième trimestre 1995 toujours par rapport au troisime trimestre 1994 . Il a aussi baissé de presque 10% entre janvier 1995 et janvier 1996.

Par conséquent, le taux de chômage a continué à croître sans contrôle, passant de 12,6% de la population active en octobre 1994 à 18,4% en mai 1995. Par la suite, il est redescendu à 17,3% en octobre 1996, ce qui représentait encore le niveau de chômage le plus élevé d'Amérique latine selon la CEPAL (avril 1997). D'après les dernières estimations officielles (octobre 1997), le niveau de chômage est toujours supérieur à 15,5% de la population active.

De plus, ce problème ne fut pas compensé par un réseau efficace de protection sociale, ce qui provoqua une augmentation de la paupérisation et de l'exclusion des personnes rejetées du marché du travail, et aggrava la crise des économies régionales. On assista à une accélération des processus migratoires vers les grands conglomérats urbains tels que Córdoba, Rosario et la banlieue de Buenos Aires, ce qui aggrava la situation de ces villes. Par exemple, dans les banlieues de Buenos Aires, où vivent plus de 8 millions de personnes, on estime que plus de 30% de la population active a des problèmes d'emploi (chômage ou travail à temps partiel forcé).

L'impact auprès des micro-entreprises

Se voyant affecté par la crise économique, et n'ayant pas d'assises patrimoniales ni financières solides, le secteur des micro-entreprises connut un fort taux de faillites pendant l'année 1995. Il est important de signaler que les clients de ces micro-entreprises appartiennent eux aussi au secteur social le plus pauvre et furent durement touchés par la crise, ce qui explique la forte réduction de leur demande de biens et services.

Par ailleurs, ces micro-entreprises ne purent pas compter sur le soutien du secteur bancaire formel pour résoudre ces difficultés. L'accès au crédit pour les microentrepreneurs démunis de garanties continue à être pratiquement inexistant. Malgré la reprise des dépôts à partirde juin 1995, la récupération de l'activité de crédit fut plus tardive et n'atteint jamais le secteur micro-entrepreneurial. Ce secteur n'a toujours pas accès au secteur financier formel, à cause des normes existantes et aussi de barrières mises par le propre système bancaire (qui fixe le niveau de crédit minimum bien au dessus du montant que peut payer une micro-entreprise).

Cependant, différentes initiatives ont surgi, qui sont utilisées par le secteur des micro-entreprises. La plus importante est constituée par le crédit à la consommation offert par des opérateurs financiers non traditionnels. Ce type de crédit demande la garantie d'un bulletin de salaire, exigence que les microentre-preneurs contournent en utilisant l'aval d'un ami ou parent. Le taux d'intérêt de cette alternative est plus élevé que celui qu'applique la Fondation Emprender, mais ses coûts de transaction (visites, prise de données, etc.) sont pratiquement nuls.

Face à cette nouvelle réalité, le gouvernement argentin a pris conscience de la nécessité de fortifier le secteur des micro-entreprises, qui permet la création d'une grande quantité d'emplois avec un investissement très faible. Plusieurs projets ont été mis en route et se sont consolidés en 1997. Par exemple, le Secrétariat des affaires sociales organisa à Buenos Aires le Séminaire fédéral de la micro-entreprise, qui rassembla 1 300 personnes du secteur des micro-entreprises, élaborant des documents de travail qui furent présentés à la Présidence de la nation et au Congrès. Cet acte mit en marche la création du Fonds de Capital Social (FONCAP), un fonds fiduciaire de 40 millions de pesos (dollars) destiné à répondre aux nécessités de crédit et de formation des micro-entrepreneurs, à travers les institutions qui offrent ce type de services. Ces institutions espèrent pouvoir utiliser le FONCAP comme source de garantie, afin d'obtenir des fonds qu'elles pourront prêter aux micro-entreprises.

La situation de la Fondation Emprender

Offrir ses services à l'intérieur du pays fut toujours un objectif important de la Fondation. Durant les premières années de son existence, ses activités se concentrèrent dans la "seconde ceinture" de Buenos Aires, formées par les quartiers les plus féfavorisés de cette zone (à environ 50 km de la capitale). En juin 1994 la Fondation commença à travailler a Córdoba (à 700 km de Buenos Aires); en mai 1995 elle reçut une donation d'une Fondation étrangère (conditionnée à un appui équivalent du secteur privé local), qui permit l'ouverture de la succursale de Rosario (à 300 km de Buenos Aires). Continuant son expansion et toujours appuyée par le secteur privé, la Fondation ouvrit une succursale à Isidro Casanova (autour de Buenos Aires) en 1996, et s'installa dans trois villes de l'extrême nord du pays en 1997 : San Miguel de Tucumán , Resistencia et Jujuy (respectivement à 1300, 1100 et 1700 km de Buenos Aires).

En parallèle avec cette plus grande présence géographique, les indicateurs d'activité de la Fondation continuèrent à progresser : durant la dernière année elle distribua plus de 12.000 crédits pour un montant total supérieur à 16 millions de pesos (dollars). Le nombre de micro-entrepreneurs ayant accès à une ligne de crédit permanent augmenta de 29%, pour atteindre le chiffre de 3 200 en avril 1998.

Par ailleurs, la Fondation continue à proposer un service de formation pour les micro-entrepreneurs, qui consiste en sept réunions traitant des aspects les plus importants de la gestion d'une microentreprise. Adaptant sa méthodologie pour travailler avec des chômeurs, la Fondation Emprender participa à un appel d'offre public international organisé par le ministère du travail, sous financement de la Banque interaméricaine de développement (BID) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). La Fondation obtint la possibilité de réaliser 20 modules de formation pour 360 personnes au chômage ou travaillant à leur compte, qui se réalisèrent dans trois succursales autour de Buenos Aires et aussi à Córdoba, Rosario et Jujuy. Le résultat de cette expérience fut très satisfaisant aux niveaux académiques et économiques.

La Fondation Emprender est membre du Conseil d'administration de la société anonyme qui administre le fonds du FONCAP. En tant qu'institution la plus expérimentée du pays, elle participe activement à la conception des programmes du FONCAP (investigation sur l'économie informelle, méthodologie de micro-crédit, consolidation du secteur des micro-entreprises, etc.).

Dans un futur proche, Emprender compte sur les ressources du FONCAP et du secteur privé argentin pour ouvrir de nouvelles succursales et mettre en place d'ambitieux projets avec d'autres institutions comme des mutuelles, coopératives, associations professionnelles, leur permettant de proposer des crédits à leurs adhérents en marge de leurs services traditionnels. Pour Emprender, faire ainsi des "alliances stratégiques" avec de telles organisations de base est une condition essentielle pour parvenir à la massification du crédit (objectif figurant dans sa mission institutionnelle). Cela lui permettra aussi de réduire ses coûts de fonctionnement, et d'améliorer par conséquent les conditions du crédit pour les bénéficiaires (par exemple en diminuant le taux d'intérêt).

1. Parité peso et dollar (NdT).

DIAL Dossier 2234 du 1-15 juillet 1998


DIAL - numéro 2234 du 1-15 juillet 1998

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Horizon Local 1997
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