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Nicaragua
L'esclavage moderne : Les zones franches

Par Pedro Ortega Méndez


La volonté qu'ont les États d'attirer les capitaux étrangers a abouti à la création de nombreuses zones franches, particulièrement en Amérique centrale (pour le Guatemala, voir Dial D 2048). Des entreprises connues désormais sous le nom de maquilas ou maquiladoras viennent s'installer dans ces zones où elles jouissent d'avantages fiscaux importants et où la plus grande tolérance en matière de droit du travail est de mise. Tel est, entre autres, le cas des zones franches du Nicaragua où l'on observe des bas salaires, des conditions de travail lamentables, un mépris affiché des droits élémentaires des travailleurs dont la grande majorité sont des femmes et une répression systématique, déployée en complicité avec les pouvoirs publics, dès lors que des syndicats risquent de voir le jour. Nous publions sur ces questions un texte en date du 4 mai 1997, signé de Pedro Ortega Méndez, secrétaire général de la Fédération textile, vêtements, cuirs et peaux - CST du Nicaragua.


Le destin du Nicaragua, de l'Amérique centrale et des Caraïbes dans ce contexte nouveau du néolibéralisme et de la globalisation de l'économie mondiale est de nous transformer en une grande zone franche pour produire des marchandises au coût des salaires du tiers monde et consommer ensuite, au prix du premier monde, ce que nous produisons. Les zones franches se sont implantées au Nicaragua à partir de 1991. Ces entreprises sont exemptées de toute imposition dans le pays et la seule chose qu'elles utilisent est une force de travail extrêmement bon marché pour les investisseurs italiens, nord-américains, taiwanais, coréens. En même temps, les gouvernements leur accordent de nombreuses facilités pour que ces messieurs n'appliquent pas les lois de notre pays. De cette façon, ils sont autorisés à violer tous les droits des travailleurs.

La lutte des travailleurs dans les zones franches du Nicaragua

En 1993, une grève importante s'est produite dans une entreprise taiwanaise. Les travailleurs et les travailleuses étaient fatigués des mauvais traitements physiques, psychologiques et du harcèlement sexuel. Ils étaient contraints de travailler quatorze heures par jour, on ne leur reconnaissait pas le droit à la sécurité sociale, on ne leur payait pas les heures supplémentaires et l'accès à la clinique médicale leur était refusé. Ces travailleurs ont fait une grève qui a duré trois jours. L'attitude favorable au patronat du ministère du travail qui a pris parti pour les investisseurs, a provoqué la colère des grévistes. De leur côté les Taiwanais, comme ils ne pouvaient pas contrôler la situation, sortirent leurs revolvers et tirèrent en l'air pour effrayer les travailleurs. Ensuite ils commencèrent à les attaquer et à pratiquer contre eux le tae-kondo. De nombreux travailleurs ont été frappés, y compris une femme qui était enceinte, qui avorta et perdit son enfant à la suite d'un coup de pied qu'elle reçut et qui la fit rouler par terre. Les travailleurs de cette entreprise décidèrent de créer un syndicat mais le ministère du travail refusa de l'inscrire et de le légaliser. Dans deux autres entreprises, des syndicats se sont formés et la réplique du ministère du travail ne se fit pas attendre ; il fournit la liste des syndicalistes afin qu'ils soient licenciés par les patrons étrangers. Le gouvernement a répondu qu'il préférait l'investissement étranger plutôt que de permettre des syndicats, parce que les investisseurs avaient menacé de quitter le pays dans les 72 heures si on légalisait un syndicat dans la zone franche.

Les conditions de travail

En ce qui concerne la journée de travail, il existe dans ces entreprises une heure pour l'entrée mais pas pour la sortie, parce que les heures supplémentaires sont obligatoires et que celui qui ne reste pas travailler a droit à un blâme ou est expulsé de l'entreprise. En général, on travaille 60 heures par semaine du lundi au vendredi. On travaille 8 heures le samedi et s'il y a urgence (presque toujours) on travaille le dimanche. Les jours fériés ne sont pas pris en compte, ils sont travaillés normalement. Il n'y a pas de mesures de protection pour les travailleurs qui travaillent dans la vapeur. En été comme en hiver (période des pluies) les travailleurs doivent manger sous les arbres ou sous un soleil ardent étant donné qu'il n'existe pas de cantines dans ces entreprises. Il y a une clinique médicale avec quatre médecins pour les 11 000 travailleurs qui travaillent dans les 19 entreprises de la zone franche. Pour avoir une consultation, les travailleurs doivent demander l'autorisation trois jours à l'avance. La clinique reçoit seulement 70 personnes par jour.

Dans les entreprises de la zone franche, être enceinte devient un délit. Si une femme est enceinte, les patrons l'envoient sur des postes où elle devra utiliser la force et si elle ne résiste pas, elle donne sa démission et quitte l'entreprise. De nombreuses femmes ont avorté dans les entreprises parce qu'on ne leur permet pas d'aller à la clinique pour faire leur examen prénatal.

De nombreuses fois, des femmes se sont évanouies en raison de l'effort qu'elles devaient faire et elles durent ensuite être transportées à l'hôpital. Cette pratique, très répandue dans la zone franche, a pour but d'éviter de payer les prestations pré et postnatales auxquelles les femmes enceintes ont droit et qui représentent trois mois de repos en période d'allaitement. Mais le problème ne repose pas seulement sur ces pratiques mais aussi sur le fait que de nombreuses femmes enceintes sont renvoyées par le ministère du travail et que de nombreux fonctionnaires de ce ministère reçoivent des pots de vin pour les faveurs qu'ils font aux investisseurs.

Dans les entreprises taiwanaises et coréennes, il existe un carnet pour pouvoir se rendre aux toilettes. L'autorisation est de trois minutes pour pouvoir satisfaire ses besoins physiologiques. Toute personne qui dépasse ce délai est invitée par le vigile à sortir. Ce carnet est pour environ 125 personnes (une ligne de production) et on ne peut aller qu'une fois aux toilettes. Dans les entreprises nord-américaines des mémos sont remis aux travailleurs pour les avertir des mesures disciplinaires. Le salaire que touche une travailleuse est de 480 córdobas par mois, soit l'équivalent de 53 dollars par mois ou 1,77 dollars par jour. Quand les ouvrières réalisent les objectifs de production, ces messieurs augmentent les normes de production et baissent les prix des articles confectionnés.

La syndicalisation dans la zone franche

À la suite des événements de 1993, la stratégie syndicale de la Fédération textile, vêtements, peaux et chaussures - CST fut de passer d'un travail syndical accompli à l'extérieur à un travail fait à l'intérieur de l'entreprise. Au début de 1994, nous avons créé les commissions clandestines des travailleurs de la zone franche et nous avons mené une lutte clandestine, dénonçant les violations du droit du travail et tout ce qui se passait dans les zones franches du Nicaragua. Nous avons ensuite commencé un travail organisé dans les quartiers. Dans une phase de préparation syndicale clandestine nous avons formé des cadres syndicaux et nous avons créé un bulletin clandestin appelé La Tijera, diffusé à l'intérieur de la zone. Les patrons estimèrent comme un délit la lecture de ce bulletin. C'était un argument suffisant pour considérer comme syndicaliste toute personne que l'on trouvait en possession de cette publication. La Tijera nous a aidé a diffuser notre lutte clandestine.

Le 16 août 1996, les travailleurs de l'entreprise Fortex Industrial, dont les capitaux sont taiwanais, décidèrent de créer un syndicat afin de faire usage de leur droit et dire : "les injustices, ça suffit". Le dossier fut déposé au ministère du travail et comme toujours ce ministère a mis des milliers d'obstacles pour légaliser le "Syndicat du 16 août". Plus de cinq mois s'écoulèrent, on a fait recours auprès d'instances régionales, auprès du bureau régional de l'OIT, et on a dénoncé internationalement le gouvernement du Nicaragua pour son refus de la liberté syndicale dans les zones franches. De nombreuses organisations qui luttent pour les droits des travailleurs dans les maquiladoras se sont manifestées et on a réussi à faire pression sur le gouvernement pour que le premier syndicat de la zone franche soit reconnu le 23 décembre 1996.

Après que le cahier des revendications des travailleurs ait été rédigé et présenté aux patrons de l'entreprise Fortex Industrial, le ministère du travail a de son côté fait savoir à cette entreprise qu'il existait un syndicat. Cette information fut très mal accueillie et ces messieurs commencèrent à faire pression sur les membres du syndicat. À partir de ce moment une nouvelle étape syndicale a commencé dans la zone franche, mais il faut signaler que l'entreprise Fortex Industrial a tout d'abord refusé de reconnaître le syndicat. Ensuite, elle ne voulut pas qu'il s'appelle syndicat et enfin elle refusa de négocier sur la base du cahier des revendications des travailleurs, mais elle reconnut finalement le syndicat et la première convention collective avec une entreprise étrangère fut signé.

La lutte des travailleurs de la zone franche en vue de l'organisation syndicale ne se fit pas attendre et d'autres syndicats se sont formés dans l'entreprise Nien Shing à capital taiwanais, dans l'entreprise Ecco au capital italien et dans la Fundation Cupido au capital nord-américain. Dans l'entreprise Nien Shing trois jours après que le dossier du syndicat ait été déposé au ministère du travail, les dirigeants syndicaux furent les premiers à être licenciés, et ce fut ensuite le tour des adhérents, décapitant ainsi le syndicat. Les travailleurs concernés ont porté plainte contre l'entreprise devant le second tribunal du travail, demandant que soient réintégrés l'équipe dirigeante syndicale et les adhérents du syndicat. Depuis le 3 février un total de 28 personnes ont été victimes de la répression syndicale dans l'entreprise Nien Shing.

La lutte de ces travailleurs a duré déjà plus de trois mois. Dans l'entreprise Fundation Cupid trois dirigeants syndicaux ont été licenciés pour la même raison à partir du 27 avril. Nous pensons que c'est le ministre du travail qui a communiqué la liste des syndicalistes pour que l'entreprise licencie les dirigeants syndicaux dans le but d'intimider les travailleurs des maquilas. Le ministère du travail a pris partie d'une façon très ouverte. L'objectif du gouvernement est qu'il n'y ait pas de syndicat parce que les entrepreneurs des zones franches font pression pour qu'il n'existe pas de syndicat et que la voie soit laissée libre pour l'exploitation des travailleurs.

Notre position syndicale est de continuer à lutter pour que la liberté syndicale et le droit à la convention collective soient respectés ainsi que les droits de l'homme et les droits des travailleurs1.

Pedro Ortega Méndez, secrétaire général Fédération textile, vêtements, peaux et chaussures - CST.

1. Pour exprimer une solidarité avec les travailleurs et syndicalistes des zones franches on peut écrire à :

M. Wilfredo Navarro (ministre du travail), fax : 505 2225372 et/ou M. Gilberto Wong (Secrétaire exécutif de la Corporation de Zones franches), fax : 505 2631700.

Traduction DIAL.

En cas de reproduction, mentionner la source DIAL.


DIAL - numéro 2163

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