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Situation de la terre dans la communauté "Primavera del Ixcán"


On lira ci-dessous un document émanant des Comités de populations en résistance (CPR) au sujet de leur installation sur des terres agricoles (compte tenu du retour de populations exilées), leur mode original d'organisation et leur projet d'avenir pour cette année 1997. Pour comprendre ce que sont les CPR (cf. DIAL D 1540) il faut savoir que la stratégie militaire de la lutte anti-guérilla mise en place au début des années 80 pour contrôler la population indienne a eu trois effets : une partie de cette population s'est réfugiée au Mexique (cf. DIAL D 1179), une autre a été intégrée de force dans les villages-modèles recréés par l'armée (Cf. DIAL D 1386), et une troisième partie s'est cachée dans les montagnes du nord (cf. DIAL D 1295). Durant 12 ans, celles-ci ont refusé pacifiquement le contrôle qu'imposaient les militaires sur l'ensemble du pays. Regroupant diverses ethnies et diverses obédiences religieuses, leur niveau d'organisation leur a permis de résister à la peur et à la répression et de ne pas être embrigadés de force dans les Patrouilles d'autodéfense civile (PAC) et dans les villages-modèles. Jusqu'à la signature de l'Accord pour la réinsertion de la population déracinée en juin 1994, elles n'étaient pas reconnues explicitement et officiellement comme population civile par le gouvernement. Aujourd'hui, elles sollicitent l'aide de la communauté internationale pour permettre leur transfert sur de nouvelles terres et pour assurer leur sécurité et leur pérennité. La question de l'accès à la terre reste toujours aussi urgente pour les paysans guatémaltèques (cf. DIAL D 2091).


La nécessité d'assurer l'accès à la terre pour les Communautés de populations en Résistance (CPR)1 de El Ixcán, tout comme pour des milliers et des milliers de familles paysannes, a été l'objet d'une préoccupation majeure ces dernières années. Pendant les quatorze années de la Résistance, nous avons vécu, nous avons cultivé et nous avons défendu la terre à El Ixcán, tout en sachant qu'elle n'était pas à nous ou, à tout le moins, pas à la majorité d'entre nous, car seulement un quart d'entre nous environ étions détenteurs de parcelles de la Coopérative Ixcán Grande.

Avec le retour des premiers groupes de réfugiés en provenance du Mexique2, les pressions pour que nous trouvions un nouvel emplacement se sont accrues. Au départ, nous pensions qu'il serait possible d'établir une cohabitation harmonieuse avec les réfugiés de retour.

Nous, les CPR, avons tenu diverses réunions avec les représentants des réfugiés pour nous entendre sur l'usage de la terre. Nous avons obtenu l'appui du diocèse de Quiché de l'Église catholique pour l'achat des droits sur 227 parcelles (d'une étendue de 90,8 caballerías3) en nombre égal à celui des compagnons qui ont quitté El Ixcán et qui ne souhaitaient pas revenir. On pensait que ces parcelles serviraient à couvrir les besoins de base des membres des CPR qui n'avaient pas de terre. Nous avions donc la sécurité de pouvoir garantir la terre aussi bien aux CPR qu'aux compagnons qui reviendraient.

Cependant tout changea lorsque les réfugiés commencèrent à revenir en 1993 et 1994. Devant la nécessité d'assurer l'accès à la terre pour leurs familles et pour leurs enfants déjà grands et à présent chefs de famille, les réfugiés de retour ont perdu de vue la défense faite par les CPR de ces terres de El Ixcán, tout comme les besoins de nos communautés et de nos familles, et ils ne reconnurent pas les accords faits antérieurement avec leurs dirigeants.

Face à ces contradictions, nous, les CPR, avions conscience qu'il ne fallait pas permettre que se produise un conflit entre nos communautés et les réfugiés de retour, car nous sommes tous les deux des populations paysannes qui ont besoin de terre.

Nous décidâmes alors de commencer les travaux et les démarches pour trouver et obtenir de nouvelles terres pour l'installation définitive de nos communautés. En juin 1994 fut établie la Commission des terres des CPR de El Ixcán, qui s'est fixé comme objectif de localiser les exploitations agricoles en vente qui pourraient convenir aux CPR pour leur installation définitive.

Avec l'appui financier de diverses agences de coopération pour le développement, nous sommes parvenus à acheter en octobre 1995 trois exploitations agricoles dans les communes de Ixcán et de Cobán, respectivement situées dans les départements de El Quiché et Alta Verapaz. Bien que ces exploitations agricoles ne satisfassent pas les besoins en terre de nos communautés, c'est sur cette base que nous avons commencé les préparatifs pour déménager, en attendant de trouver et de négocier de nouvelles exploitations agricoles dans les environs.

Pour la suite, nous expliquerons quelle est la situation actuelle de la terre dans les CPR de El Ixcán ; nous résumerons brièvement la façon dont s'est réalisé notre transfert et notre installation dans la nouvelle communauté et quelle est la situation actuelle dans notre communauté "Primavera del Ixcán"

Tout d'abord, cinq exploitations agricoles sont achetées et enregistrées pour les CPR de El Ixcán :

El Triángulo (6 caballerías), El Carmen (3 caballerías), San Isidro (14 caballerías et 33 manzanas4, de Marco Tulio (1 caballería, annexe à El Carmen), San José (2 caballerías).

Ces exploitations agricoles représentent un total de 26 caballerías et 33 manzanas achetées et enregistrées en faveur des CPR jusqu'à présent, bien que les autorités correspondantes n'aient toujours pas rédigé les titres de propriété respectifs. Pour le moment, l'achat a été fait au nom du diocèse d'El Quiché, en attendant de trouver la forme juridique qui recouvrira notre propriété collective (communautaire) de la terre.

En second lieu, il nous faut acheter au minimum 40 autres caballerías, dans le but d'arriver à avoir au moins 200-250 cuerdas5 de terrain par famille, ce que nous considérons comme le minimum nécessaire pour que les familles paysannes mènent une vie digne. Jusqu'à présent, nous avons déjà trouvé diverses exploitations agricoles en vente, mais sans parvenir à mener à bien les négociations avec les différents propriétaires. Il s'agit des exploitations agricoles Remolino (2 caballerías et 57 manzanas), San Marcos-Chumilá Ixlá (28 caballerías) et Ixloc (15 caballerías).

L'exploitation agricole San Marcos-Chumilá Ixlá est celle qui se rapproche le plus de ce dont nous avons besoin.

Propriété et adjudication de la terre

La propriété des terres qui ont été achetées et de celles que nous avons encore à acheter sera entièrement collective, c'est-à-dire qu'elle sera la propriété de notre communauté que nous avons baptisé communauté Primavera del Ixcán. Il nous reste encore à accomplir les démarches juridiques pour choisir la forme légale la plus adaptée à notre mode d'organisation et de travail, et à enregistrer comme il le faut la propriété de la terre.

On a commencé à travailler la terre et elle sera travaillée dans l'avenir en grande partie de façon collective. Il n'y aura que 10 à 11 cuerdas de terrain qui seront remis individuellement pour le travail familial. Nous avons prévu que ces lots familiaux soient localisés dans l'exploitation agricole San Isidro (là où se trouve le centre urbain de notre communauté), afin de faciliter le travail des femmes de telle sorte qu'elles n'aient pas à traverser la rivière Chixoy.

Les terres destinées à la culture des grains de base et des produits destinés au marché sont situées de l'autre côté de la rivière Chixoy, sur la commune de Cobán.

Le transfert

En décembre 1995, avant notre assemblée générale, les 19 premières familles se sont installées à l'exploitation agricole San Isidro, dans le but de commencer à préparer le lieu d'installation et de réaliser le nettoyage du terrain avec la houe et la préparation de la terre pour les semailles.

Le reste des familles a déménagé entre les mois de janvier et de mars 1996, parcourant à pied certaines parties du chemin, portant sur leurs épaules ce qui leur appartenait. D'autres tronçons du parcours ont été faits en camion, d'autres en barque. Ce fut un très grand effort de la part des populations de nos communautés, auquel ont participé hommes, femmes, enfants et personnes âgées.

Lors du déplacement, les sentiments étaient un mélange de tristesse et de joie. Tristesse de laisser la forêt qui nous a abrités pendant plus de treize ans, qui nous a permis d'avoir la vie sauve et de résister face à la répression militaire, la forêt qui a été notre école pour de nombreux aspects de l'organisation et du travail communautaire. Nous ressentions aussi de la tristesse parce que nous nous voyons obligés de quitter les terrains de la coopérative Ixcán Grande sans avoir réussi à nous entendre avec nos frères qui sont de retour. Mais nous ressentions en même temps de la joie puisque nous nous déplacions pour aller au lieu de notre installation définitive.

Nous pouvons dire que, avec notre transfert vers l'exploitation agricole San Isidro, nous ouvrons une nouvelle étape de notre Résistance et une nouvelle étape de la lutte.

La nouvelle installation

En mars 1996, nous avons eu notre Assemblée extraordinaire et nous avons baptisé notre communauté du nom de "Primavera del Ixcán".

Au début nous nous sommes installés dans des hangars, toutes familles réunies. Ultérieurement, avec l'aide d'un topographe, la répartition en lots du centre urbain a été menée à bien et les familles ont commencé à aller sur leurs lots respectifs, à savoir 4 cuerdas pour chacune.

L'adjudication des lots s'est faite au sort, en laissant ouverte la possibilité pour les familles qui désiraient un terrain où elles pourraient être ensemble, de participer groupées au tirage au sort.

La communauté est divisée en deux secteurs, séparés uniquement par une joyada et une rivière. Chaque secteur est autonome pour ce qui concerne la production. Cependant, les services communautaires (la santé et l'éducation) relèvent directement de la collectivité tout comme les projets spécifiques (le bétail et la cardamome).

Chaque secteur est composé de deux groupes désignés à partir de leur lieu d'origine ou de dates mémorables :

secteur 1 : le groupe "Union 87" (San Francisco) et le groupe "2 novembre" (San Luis et La Esperanza)

Secteur 2 : le groupe "27 septembre" (Pueblo Nuevo 2 et Los Altos) et le groupe "2 février" (Cuarto Pueblo 2).

Chaque secteur a son assemblée séparée et élit ses propres autorités par groupe (Comités de groupe). Le comité exécutif "Primavera del Ixcán (CEPI) est la plus haute autorité générale de la communauté et est élu par l'assemblée générale. Le CEPI se réunit chaque semaine avec les comités de groupe pour étudier toutes les questions d'intérêt collectif.

Nos activités

Comme beaucoup d'autres communautés qui se sont réinstallées, nous les CPR de El Ixcán avons connu une situation d'urgence au moment de notre transfert et les mois suivants, principalement en raison du grand effort et de l'usure que cela a entraîné pour notre population, mais aussi parce que, retenus par la tâche de construire des maisons et de remettre d'aplomb, une fois de plus, notre communauté, nous n'avons pas pu semer tout le maïs nécessaire à notre subsistance.

Nous avons prévu qu'il ne s'agissait là que d'une étape nécessaire ; aussi vite que nous le pourrons, nous avons l'objectif de garantir l'alimentation de nos familles à partir du mois d'avril 1997.

De plus, nous avons lancé de nouvelles activités productives comme la récupération du bétail et des cultures de la cardamome que nous trouvons dans l'exploitation agricole. Cependant, il faudra encore du temps pour que ces projets représentent un revenu d'appoint dans notre pauvre économie.

Cependant, l'essentiel de nos énergies est pour le moment consacré à la construction des habitations. Nous nous sommes organisés en groupes intégrés de construction, un pour sept familles, afin de nous aider dans la construction de nos maisons. Équipés de scies à moteurs, certains travaillent de façon organisée pour extraire le bois qui servira aux poutres et aux parois des maisons. Les propriétaires de l'habitation préparent le lieu, font le terre-plein et travaillent en lien avec le groupe de construction.

Actuellement, nous construisons aussi les citernes d'eau potable qui devront ravitailler toute la communauté. Cette oeuvre d'infrastructure réclame un effort considérable car il nous faut monter sur une colline par un chemin boueux 35 mètres cubes de pierre et une quantité égale de sable pour la construction. Les femmes se sont jointes à cet effort, laissant leurs jeunes enfants dans les garderies de la communauté.

En même temps que ces activités, nos structures de santé et d'éducation ont repris leurs plans respectifs de travail. Au mois de mars commencera le cycle scolaire pour les enfants et il s'achèvera en novembre. Par ailleurs, le centre de santé et la clinique d'odontologie fonctionnent déjà, tant pour le service de la CPR que pour les communautés voisines.

Les organisations de femmes et de jeunes ont aussi repris leurs activités, motivant leurs membres pour qu'ils participent activement au travail intense que mène la communauté.

Nous prévoyons de terminer la construction des maisons pour les familles au mois de septembre, afin de commencer les constructions communautaires en octobre. Nous consacrerons les mois de novembre et de décembre ainsi que les premiers mois de l'année 97 à une intense campagne pour augmenter la production et, en accomplissement des Accords sur les populations déracinées, nous espérons commencer à construire nos maisons définitives au cours de 1997.

Nous nous préparons à réclamer la mise en application et à participer à l'Accord pour la réinstallation de la population déracinée.

Il y a beaucoup de choses à faire dans notre communauté, mais l'unité forgée dans la montagne et l'expérience de notre Résistance pendant plus de quatorze ans nous rendent confiants dans le futur.

Nous comptons sur le compromis signé entre le gouvernement et l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG) concrétisé dans l'Accord pour la réinstallation de la population déracinée - ACPD -, non seulement au bénéfice de notre communauté mais de toutes les populations déracinées. Au nom de la ACPD, deux délégués participent à la commission technique qui doit impulser sa réalisation et à la bonne marche de tous les mécanismes et programmes qui en découlent.. Un membre de notre communauté est délégué de la ACPD devant la commission technique.

Localement, nous avons déjà renoué la communication avec les villages voisins et nous reconstruisons nos liens afin de pouvoir mener à bien des plans et des projets profitables au plan régional et micro-régional.

Nous travaillons également en lien avec les organisations membres de la Coordination des droits humains de El Ixcán - CORDHI - pour promouvoir la formation dans le domaine des droits humains pour toute la population de El Ixcán et pour veiller à ce que les droits humains soient pleinement observés et respectés dans nos communautés et dans notre région de El Ixcán.

De cette façon, nous, Communautés des population en Résistance de El Ixcán, nous participons et nous contribuons à la construction du Nouveau Guatemala que nous voulons laisser à nos enfants.

1. Cf. DIAL D 1527, D1540, D 2091 (NdT).
2. Cf. DIAL D 1295, D 1307 (NdT).
3. Caballería : mesure agraire équivalent à 91, 58 ha (NdT).
4. Manzana : mesure agraire qui représente 1,431 ha (NdT).
5. La cuerda équivaut à 0,05 ha.


DIAL - numéro 2123

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Tél : (33) 4 072 77 00 26 ; Fax : (31) 04 72 40 96 70


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