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Un autre regard sur la question de l'immigration

Par Mamadou M'Bodje, animateur de l'A.S.T.I.


F. de D. : Présentez-nous l'ASTI ? Quelle est sa spécificité par rapport aux autres associations de soutien aux travailleurs immigrés ?

Mamadou : C'est une association de solidarité avec les immigrés qui oeuvre pour le respect et l'égalité des droits. Elle soutient les étrangers ou les associations d'étrangers qui oeuvrent pour le développement de leur pays d'origine. Elle n'assiste pas. Elle soutient des initiatives propres aux intéressés. Aucune association de solidarité internationale ou l'ASTI par exemple ne peut prétendre qu'elle peut mieux faire que les intéressés eux-mêmes. La Solidarité se doit d'être active. A ce titre, notre association a permis d'aider des étrangers à créer des associations loi 1901 pour leurs villages, les a aidé à nouer des partenariat avec certaines ONG, les a suivi pour les premiers montages de projet, les démarches auprès des principaux financeurs.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de votre travail ?

Beaucoup d'associations travaillent en prenant en charge les problèmes que rencontrent les immigrés. Or cette logique les déresponsabilise.

Est-ce que cette démarche est bénéfique pour les immigrés ?

Non, quelque soit la personne. Les relations devraient être basées, au contraire, sur la responsabilisation des intéressés.

Y-a-t-il des personnes qui ont rompu toute relation avec l'ASTI du fait justement que vous avez adopté une démarche de "responsabilisation" ?

Bien sûr, car certaines personnes préfèrent être prises en charge et se tournent donc vers d'autres associations qui fonctionnent sur une logique d'assistance. Ce n'est pas un hasard si l'ASTI se trouve relativement isolée dans le paysage associatif.

Qu'est ce qui, à votre avis, freine l'intégration des immigrés et d'abord qu'est ce que revêt la notion d'intégration ?

D'abord, je dirai que l'intégration signifie l'adhésion à un certain nombre de valeurs de la société d'accueil telle que l'importance et l'obéissance à la Loi et le respect des Droits de l'homme. Répondre à cette question n'est pas évident tant du côté de la France que du côté des immigrés et n'est pas posée explicitement. L'intégration, en France, va de soi puisqu'elle prône des valeurs universelles et, donc, théoriquement partagées par tous. N'importe qui peut s'intégrer. Pourtant, il manque justement du côté du pays d'accueil un souci d'informations à l'égard des étrangers sur les conditions et limites à respecter pour faciliter l'intégration.

Il est vrai qu'il existe un décalage entre les valeurs du pays d'accueil et celles du pays d'origine, même s' il est certain que je resterai tel que je suis en prenant en compte les valeurs d'ici. Pour le moment les valeurs prônées par la France reste très floues. De plus, on vit avec les rapports en vigueur lors des premières vagues d'immigration. Les conditions d'accueil depuis 1945 n'ont pas changé.

Rappelez nous quelles sont les principales étapes de la mise en place de la législation sur l'immigration ?

L'ordonnance de 1945 est la base de la législation. Elle régit encore l'entrée et le séjour des étrangers. Elle a été rédigée, au départ, en vue d'organiser de manière précise "les conditions de présence des étrangers" personnifiés, à l'époque, par les portugais, les espagnols..., aujourd'hui dans la Communauté excepté les polonais. Concernant l'Afrique du Nord et l'Afrique noire, le problème se posait en terme de colonie, et donc la législation se devait d'être "souple", même si apparaissait déjà des notions, toujours d'actualités, comme "le trouble à l'ordre public" ou "l'opposition à la situation de l'emploi". Ce qu'il faut noter c'est que les originaires des anciennes colonies n'ont jamais eu besoin d'un document de circulation excepté le fait qu'il fallait être apte au travail pour répondre aux besoins économiques de la France.

L'arrivée de Valérie Giscard d'Estaing en 1974 marque un tournant. En effet il adopte une double démarche : il instaure l'obligation d'une carte de séjour avec négociation de nouvelles conventions avec tous les Etats d'Afrique, qui va donc dans le sens d'un durcissement de la législation, et met en place les premières politiques d'intégration. Ce souci d'intégration est tardif. Trente ans se sont écoulés pendant lesquels les conditions de séjour ont généré la concentration, l'exclusion. C'est d'ailleurs en 75, que débute la grève des résidants des foyers SONACOTRA, qui portait tant sur les conditions d'hébergement que sur les problèmes de séjour.

Pourquoi ce retard ?

D'un côté comme de l'autre, le séjour était vécu comme provisoire et n'avait comme finalité que le retour des immigrés dans leur pays d'origine.

Ensuite ?

A partir de 81, arrive donc la gauche qui met en place une procédure de régularisation exceptionnelle destinée aux étrangers. Toutes les personnes qui étaient présentes en France avant le 1er janvier 1981 pouvaient être régularisées. Pourtant, beaucoup n'ont pu en bénéficier car les conditions d'octroi étaient très restrictives. Il y eut une grève de la faim des sans papiers avec le soutien d'organisations françaises, africaines (sub-sahariennes), maghrébines, turcs... qui a permis une régularisation d'environ 130 000 personnes.

Au mois de mars 1983, ont lieu les élections municipales qui voient l'émergence du Front National. A partir de ce moment, commencent les dérapages du parti socialiste qui met en place des procédures d'expulsion, de reconduite à la frontière, comme celles qu'on a connues sous le septennat Giscard. La gauche se glorifie du nombre d'expulsés dans l'année, du nombre de reconduites à la frontière, des refus émis suite à une demande de régularisation.

Qu'en est-il de la mobilisation des associations ?

Les associations qui jusqu'alors étaient capables de se mobiliser, se sont installées dans une certaine passivité peut être du fait de l'arrivée de la gauche qui symbolisait une amélioration du climat social.

Dans cette politique adoptée par le P.S. qui tend vers la répression, est ce qu'il y a un problème qui vient de la difficulté d'intégration des immigrés ?

Non, il n'y a pas de problème avec les immigrés . Il n'existe pas actuellement de réelle politique d'intégration.

Il a été mis en place, quand même des programmes d'intégration dotés de moyens financiers importants

L'argent dénature le processus.

Que pensez-vous du rôle de l'école, en tant qu'institution essentielle d'intégration?

Le droit d'étudier est une valeur française. Pourtant l'obligation de scolarité n'est pas respectée. En effet, beaucoup d'enfants se heurtent au refus qu'émettent un certain nombre d'établissements lors de leur inscription.

Quels sont les signes attestant d'une réelle volonté d'intégration des immigrés ?

La finalité de toute bonne intégration est l'acquisition de la nationalité. Or ces demandes sont en constante augmentation.

Depuis 1983 y-a-t-il eu des changements en matière d'immigration ?

On se focalise sur les clandestins qui incarnent les boucs émissaires à la crise économique qui commence à s'installer en France à cette époque. Le gouvernement, à l'heure actuelle, comme ceux qui les ont précédé, ont opté pour une législation répressive. Aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que les Lois Pasqua sont inapplicables car contradictoires : on voit des catégories qui jusqu'alors étaient protégées comme les parents étrangers d'enfants français qui ne peuvent pas être régularisés mais ne peuvent pas être reconduits à la frontière. Ils sont en France sans y être. On ne peut, pourtant, pas diaboliser uniquement Charles Pasqua. D'autres ont mené les mêmes pratiques en tenant un double langage, ce qui est pire... Quant à la Loi Debré, même si l'article traitant du certificat d'hébergement a été rayé et l'enregistrement des empreintes digitales des demandeurs d'asile remis en cause par le Conseil Constitutionnel, elle comporte d'autres aspects comme la garde à vue, les conditions de rétention, etc. qui ne feront qu'aggraver la situation.

Quel est l' objectif actuel des politiques en matière d'immigration ?

C'est la question que tout le monde se pose. Les seuls moments où on entend parler des étrangers c'est quand une loi sur l'entrée ou le séjour change. Quand il y a une modification, des reconduites à la frontière, on parle des étrangers. Actuellement, il y a une loi sur la cohésion sociale : la loi des pauvres. Même dans cette législation, la notion d'étranger n'apparaît pas. Cela étant dit, dans l'article 1er, on parle de "l'être humain", peut être que pour une fois les portes sont grandes ouvertes et que les étrangers sont considérés comme des êtres humains au même titre que les nationaux. Aujourd'hui, d'ailleurs, la discussion est en sommeil, les politiques ont d'autres "urgences".

Parler de l'immigration, c'est aussi analyser le rôle des associations de soutien aux étrangers et des organisations de Solidarité internationale (OSI). Que pensez-vous du travail mené par ces différents acteurs ?

Du point de vue des associations de soutien aux étrangers, comme je le disais précédemment, beaucoup d'entre elles soutiennent les étrangers par la prise en charge. Quant aux OSI, elles procèdent de la même manière.

Pire, il y a une certaine tendance à entendre de plus en plus d'organisations dont l'efficacité sur le terrain n'est pas certaine se permettre de parler à la place des intéressés. Cette pratique de la Solidarité Internationale est telle qu'on ne peut même plus parler de sens de la Solidarité sauf quand elle est mise en avant pour assurer la propre survie de ces organisations.

Il y a un enjeu financier dans tout ça ?

Si on essayait de faire les calculs sur ces dernières années, au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, pour ne citer que ces pays, et de voir combien de milliers de francs ont été dépensés dans le cadre de recherches, colloques et constater sur place ce que cela a apporté de mieux aux populations, on remarquera que tout cela n'a pas de sens car tout le monde dilapide de l'argent.

En terme d'écrits à ce sujet, il y a matière. En terme de réalisation, il y a peu. Il y a quelques rares organisations qui font du travail en collaboration directe avec la population locale. Ce sont des ONG actives.

Est ce que ce manque de résultat n'est pas aussi imputable aux populations de ces pays ?

Peut-être car il ne faut pas oublier que l'assistanat impose l'inertie. Je pense qu'aujourd'hui en matière d'aide et de relations Nord/Sud, tout est à refaire. Surtout, la manière de penser la solidarité. Il serait fondamental, à mon avis, de reprendre les choses à leur début en partant des réalités de chaque pays, de ses besoins, en mettant, pour passer au concret, un terme à l'aide et en annulant la dette. Prenons un exemple : il y a à Podor (1), une stratégie adaptée et une démarche intégrée qui a pour mission l'amélioration des conditions de vie des populations rurales qui prend en compte les facteurs sociaux, traditionnels, économiques et ethniques. L'objectif du projet est l'aménagement et la mise en valeur de la vallée, mais aussi de favoriser l'émergence de structures représentatives des Communautés rurales et l'appui à ces groupements villageois. Il faut savoir que la vallée du Fleuve Sénégal subit depuis 1970 une dégradation sévère et croissante de son milieu naturel. Et le désengagement de l'Etat fait reposer sur les populations des charges qu'elles ne peuvent assumer.

Il faut donc se diriger vers une participation des intéressée, car les résultats seront toujours mitigés tant que les intéressés ne seront pas intégrés au processus de décision pour impulser les actions à entreprendre afin que très vite ils puissent maîtriser et gérer leur développement.

Que préconisez vous ?

Je souhaiterais que s'ouvre un grand débat autour de la notion d'intégration et ce que cela sous-entend pour les différents protagonistes. Ainsi, il serait aisé de pouvoir évaluer le désir qu'a à la fois le pays d'accueil d'intégrer la population immigrée et celui des immigrés eux-mêmes.

Pour le moment, personne n'a réfléchi à des initiatives autour d'une concertation qui puissent permettre de faire face à la situation actuelle. Les politiques, les associations et les immigrés sont tous responsables du problème. La situation est telle que chacun tient son discours et mêmes les concernés ne savent plus où donner de la tête et ne sont plus que dans une position de reprocher aux autres de les avoir mis dans la situation dans laquelle ils se trouvent. Faute de concertation, nous assisterons à des replis communautaires si ce n'est déjà le cas.

Et en matière de logement ?

C'est le problème le plus flagrant. On ne pourra s'en sortir que si un jour, en ce qui concerne par exemple les HLM, il soit mis en place une réelle politique sociale du logement. L'espace locatif social peut être développé en un rien de temps si il y a la volonté politique.

Sur le plan du logement des étrangers. Pourquoi ne pas casser cette forme d'habitat que sont les foyers et les intégrer à l'espace locatif social. Cela permettrait de sortir de cette forme d'habitation communautaire, pour le bonheur de tous, dans le respect des différences n

Propos recueillis par Nadine Cuiburu

1 Département de Podor et de Matam, vallée du Fleuve Sénégal, 38040 Km2, 595 villages et une population de 481 269 habitants


Forum de Delphes - , numéro mai/juin 1997 - N° 20

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