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Au Mexique face à la globalisation
L'émergence des identités pour une société nouvelle

Par Luis Lopezllera Mendez


Voici la retranscription d'une allocution prononcée récemment par notre ami et président Luis Lopezllera Mendez. Il s'agit de son intervention au " Colloque sur la globalisation et les alternatives " (transcrite par Anne Biquard), colloque organisé par " La Ligne d'horizon " et l'Université de Lyon. Luis y reprend sa vision d'avenir fondée sur la reconstruction du tissu social au niveau le plus local et autour de trois nécessités vitales : l'identité, la sécurité et la durabilité.

Mes amis je viens d'un pays, le Mexique, qui se trouve au carrefour entre le nord, le sud, l'est et l'ouest avec une civilisation profonde que nous avons perdue sous le choc de la rencontre des mondes en 1492. Mais comme nous l'avons gardée à l'esprit et dans nos racines, elle nous donne la possibilité de défier la civilisation qui nous entoure aujourd'hui et qu'on appelle d'un simple mot : la globalisation.

J'appartiens à une culture mixte qui mélange le sang des Indiens et le sang des Espagnols. C'est pourquoi je suis par nature un diplomate qui peut parler deux langues : la langue profonde d'une culture qui résiste à être avalée par la globalisation et une globalisation qui tâche de nous convaincre que tout le monde doit aller dans ce sens là. Dans ce dialogue entre culture ancienne, culture de la globalisation et futur, nous devons trouver des lumières et des chemins.

J'appartiens aussi à un mouvement de la société civile mexicaine qui a 40 ans d'expérience et au cours de ces décades nous avons souffert plusieurs crises. La crise de 1968 - peut-être avez vous vécu le mois de mai à Paris, mais nous l'avons vécu aussi chez nous - au cours de laquelle fut perpétré le massacre de deux cents étudiants par l'armée à Tlatelolco au moment des jeux olympiques. Nous avons souffert de la crise de la dette internationale en 1982, où nous n'avons pas pu payer ce que le monde imposait au Mexique. Nous avons vécu aussi la crise de 1985 lorsque le tremblement de terre de la ville de Mexico a tué dix mille personnes en soixante secondes. Puis la crise de 1995, crise financière d'un peso qui voulait entrer dans les pays du nord la tête haute, et qui a échoué ; et aujourd'hui, on se trouve dans une profonde crise économique. Et nous vivons aussi la crise des indigènes du Chiapas qui en 1992 ont dit : " C'est assez, arrêtez ! Nous sommes décidés à mourir mais nousne voulons plus vivre dans l'indignité".

Toutes ces crises exigent de nous Mexicains, Latino-américains et aussi de vous Européens ou Américains du nord ou Asiatiques, que nous répondions avec sagesse et esprit. Avec intelligence.

Qu'avons-nous entrepris en ce sens depuis une dizaine d'années ? Nous avons démarré avec un système d'échange de connaissances que nous avons appelé "L'autre bourse de valeurs". Depuis lors, nous avons pu rassembler cent organisations, régionales et nationales du Mexique qui tâchent d'intégrer les leçons qui leur viennent de leurs luttes et de leur expérience de base. Partager nos connaissances, chercher ensemble le paradigme qu'on tâche de développer, échanger les méthodes d'apprentissage, les méthodes d'action, les méthodes d'organisation … Puis nous avons sauté vers l'Amérique du sud et nous avons intégré une autre centaine d'organisations qui se sont engagées dans cette " bourse de valeur ".

Au départ, nous nous sommes centré sur la connaissance, pour partager ce qu'on peut abstraire de mots, de paroles, de rationalité, dans les écrits, les publications, les discours intellectuels. Mais nous avons vu que ce n'était pas suffisant. Il était nécessaire d'entrer dans la dimension économique. Alors nous avons démarré un système d'échanges économiques que nous avons appelé "marché alternatif à la globalisation". Et ce marché.fonctionne avec une monnaie alternative., qui n'est ni le dollar, ni le yen, ni le deutchmark, ni le franc, ni aucune.monnaie du nord mais qui est issue du peuple lui-même, comme un outil pensé pour faciliter, favoriser les échanges des produits, des connaissances et des services du peuple. Une monnaie.pour favoriser des échanges horizontaux, des échanges sans exploitation et sans usure.

Mais finalement nous sommes arrivés à penser que la connaissance abstraite et l'économie ne suffisent pas, qu'il faut aussi entrer dans la dimension culturelle. Cette dimension culturelle, on ne peut pas l'enfermer dans les discours ni dans les mots. Il faut entrer dans le langage des signes, dans le langage des symboles et dans le langage des rituels. Comment partager les signes de la vie ? Comment partager la joie ? La tristesse ? L'espoir ? Comment partager les idées qui vont au-delà de la vie et de la mort ? Chaque culture a ses propres symboles. Nous sommes maintenant dans cet effort d'établir des systèmes de communication entre rituels de vie, et ce n'est pas facile du fait de tous les systèmes qui nous enveloppent. Les systèmes de communication sont réducteurs de symboles. Nous sommes en train d'entrer dans un système de communication virtuelle qui manipule les images que nous avons apprises pendant l'enfance, mais qui ne permet pas d'établir des relations vitales. Alors on établit seulement des relations d'images virtuelles qui nous enveloppent et qui nous hypnotisent et nous maintiennent dans une situation de spectateur. Comment aller au delà de ça ? Nous avons déterminé une forme de travail basé sur un trinôme.

Nous croyons que notre futur tel qu'il est préparé sera terrible. La globalisation a provoqué une concentration des soi-disants pouvoirs qui nous attire et nous hypnotise en même temps qu'elle détruit toute la cohésion sociale locale, la cohésion sociale de la communauté. Alors comment relever ce défi ? Nous étions habitués à travailler dans le cadre de l'Etat-nation, des relations micro-macro, en essayant de faire des petits projets afin d'entrer dans la croissance et de lutter sur les marchés et avec les partis politiques. Mais tout ceci constituait un réseau d'institutions encadré par l'Etat-nation. Mais aujourd'hui, l'Etat-nation est en train de disparaître.

Nous, Mexicains, étions très fiers de notre Etat-nation au commencement de ce siècle, parce qu'il était le produit d'une révolution remarquable . Mais pas à pas cet Etat-nation a été avalé par le système des Etats Unis et le système mondial de l'économie. A l'heure actuelle notre gouvernement et nos politiciens sont les esclaves d'une logique d'exploitation et trahissent constamment la logique locale. Ils ne peuvent que trahir l'unité et la cohésion des communautés. Alors comment aller au delà ? Nous pensons qu'actuellement la relation entre le micro et le macro s'est dissoute et qu'il s'établit peu à peu une relation entre les mégas. Cette logique globale provoque une diaspora, un éclatement en petites cellules, petits microbes, petits îlots qui sont en train de se distancier de tout. C'est un éclatement vers l'extérieur, une fragmentation de la vie, une guerre. Nous vivons une guerre mondiale qui extermine le local.

C'est pourquoi nous pensons que nous devons nous réapproprier les dimensions que nous avions déléguées aux institutions, que ce soient les institutions économiques contrôlés par les marchés et les entreprises, ou les institutions politiques confiées à l'Etat et aux partis politiques, ou encore les institutions chargées des valeurs, confiées aux églises et aux traditions. Toutes ces institutions sont aujourd'hui avalées par la globalisation. C'est pourquoi le défi qui nous reste est de réacquérir les éléments vitaux de ces dimensions. Cela ne se passera qu'au niveau moléculaire, celui de l'individu, de la famille, du voisinage. Il s'agit de réacquérir l'étroite relation en face à face de chacun de nous dans un nouvel effort à être, à redécouvrir son identité propre. L'identité d'un mexicain, ce sont des centaines d'identités différentes parlant des langues différentes, ayant des moeurs différentes, des cultures différentes... à redécouvrir. Des valeurs culturelles qui nous redonnent une identité propre qui soit au-delà de l'identité mexicaine, et qui aussi nous assure une sécurité. L'identité a à voir avec le drapeau, dont il est le symbole.

La sécurité a un rapport avec les armes ; comment nous donner des boucliers pour défendre les identités que nous avons redécouvertes ? Comment nous donner la sécurité que l'Etat-nation ne nous donne pas puisque l'armée fonctionne seulement en faveur de la globalisation ? Comment nous protéger ? Comment protéger ma fille d'être violée dans les rues par la police ? C'est tout cet immense défi que nous devons repenser à la fois au niveau de la dimension moléculaire et dans la dimension de la durabilité.

Comment pourrais-je établir une économie et une écologie qui protège mes produits, qui protège mes services et qui me donne ce dont j'ai besoin pour vivre ? Comment cette dimension de durabilité me permettra-t-elle d'entrer en communion avec la terre et non lutter contre la terre ? Comment ne pas lutter contre l'environnement mais être en communion avec l'environnement ?

C'est le triple défi - identité, sécurité, durabilité - que nous devons affronter à une échelle presque microbienne et non à l'échelle de masse, à une échelle de qualité et non de quantité. A l'heure actuelle trois grand mouvements au Mexique tâchent de résoudre ces défis.

La révolte indienne des Chiapas qui est une réponse plutôt culturelle et écologique, sur un modèle de bio-région. Les Mayas sont divisés entre le Mexique et le Guatemala. Une vraie bio-région pourrait permettre à cette région de réacquérir sa dimension originelle de région écologique, archéologique, historique et ethnique avec une langue commune et qui doit se repersonnaliser face aux autres. Cela implique une révolution du concept de frontière et de pays. Cela implique la "repaysanisation" des identités.

Nous avons aussi le mouvement "El Barson " (El barson évoque le symbole de briser le joug). Il regroupe un million de personnes endettées par les banques qui exigent de chacun le paiement d'énormes intérêts. Si vous ne pouvez pas payer ces intérêts, vous serez expropriés de toutes vos possessions et propriétés. Alors il s'est créé ce mouvement d'agriculteurs et de classes moyennes, un million de familles qui se révoltent contre la banque. Ils pensent que ce n'est pas au modèle de la banque que nous devons répondre. Ils suggèrent de recréer une éco-banque capable de produire des devises et des monnaies alternatives qui soient vraiment contrôlées démocratiquement par la société et non par les usuriers ni par les multinationaux de la banque. Et ce mouvement met en cause le concept d'intérêt. Au commencement l'humanité a inventé le zéro, il est rond ; elle a inventé la roue : ronde, la monnaie : ronde. Le zéro n'a pas pour conséquence l'intérêt, pas plus que la roue, pourquoi la monnaie devrait-elle générer de l'intérêt ?

Le troisième phénomène c'est la ville de Mexico. Nous avons eu récemment des élections, et pour la première fois le parti officiel a été battu. Pour la première fois du siècle; un gouverneur fut élu démocratiquement. Mais que va-t-il gouverner ? Nous sommes devant un phénomène qui est mondial : la ville de Mexico, c'est vingt millions de personnes qui ont suivi le modèle de vie occidental. Il n'est pas possible de penser à une démocratie traditionnelle en face d'un phénomène aussi immense, impossible à gouverner avec les shcémas traditionnels comme le produit national brut. Il est tout aussi nécessaire de dépasser le concept de "démocratie nationale brute". C'est pourquoi nous tentons d'établir peu à peu une sorte de "polycratie" en essayant de mettre en commun les différents groupes urbains susceptibles de garantir une durabilité et de relever le défi : une démocratie de qualité après qu'elle ait été gagnée d'une façon massive et quantitative. Cette démocratie doit établir des dialogues qualitatifs entre les différentes entités urbaines telles qu'on peut les trouver aussi bien à Los Angeles qu'à Tokyo ou San Paulo ou au Caire.

Il s'agit d'une nouvelle façon de vivre qui n'est pas liée à la nationalité mais qui demande une polycratie et non une démocratie unidimensionnelle. Ce sera ma conclusion.


Réseau Culture - Quid Pro Quo : Numéro 34 - Avril 99

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Horizon Local 1996-99
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