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Refléter comme un miroir


Ecouter et restituer. L'écoute active était la consigne reçue par les dialogueurs : "Soyez une oreille attentive, un regard empathique, n'écrivez que ce que vous voyez et entendez, ne jugez pas, n'évaluez surtout pas, sortons du rapport typique de l'ONG donneur de fonds et de leçons envers une ONG bénéficiaire !". Le premier terme utilisé par la FPH pour désigner l'approche de l'autre durant ces dialogues était "accouchement". L'intention maïeutique était claire : permettre à l'autre de sortir toute la richesse qu'il porte en lui. En d'autres termes, lui offrir un miroir afin qu'apparaisse à ses yeux comme à ceux des lecteurs le caractère unique et passionnant de sa personne, de son travail, de son message. Etre une chambre d'écho. Certes, il n'est pas aisé de recueillir une parole intime à partir de la relative froideur des premiers contacts. Il y faut du temps. Les visites sur place devaient donc prendre au moins un semaine. Celles-ci se composaient de déplacements sur le terrain, de rencontres avec les gens "de la base" concernés par le travail en question, de dialogues proprement dit bien sûr (et ceux-ci, enregistreur à l'appui), et, enfin, de moments de vivre-ensemble. Ce fut une expérience forte. Les "dialogueurs" en tirèrent la conclusion que la "reconnaissance" mutuelle comme interlocuteurs valables doit précéder toute tentative de connaissance. Le "dialogueur" doit d'abord se mettre à nu lui-même avant d'inviter l'autre à se révéler. Le principe de l'échange prime sur celui de l'utilité, de la rapidité, du rendement.

Cela n'exclut certes pas les ambivalences. Si le narcissisme personnel est flatté d'être longuement écouté par quelqu'un qui a fait le voyage expressément pour cela, on peut être angoissé de devoir faire émerger devant un inconnu des choses profondes et dont on ne sait comment elles seront rapportées. Il n'empêche, tous en témoignent, l'expérience fut étonnamment positive.

La maïeutique, l'accouchement, le dialogue, le miroir : telles étaient les images suggérées aux dialogueurs par la FPH. Or, ce qui ressort de la lecture des dialogues et des débats entre participants lors de la Rencontre de Saint-Sabin sur le thème de la diversité et de la paix, c'est cette même conviction. Presque tous les participants mettent en oeuvre, dans leur travail quotidien, l'approche maïeutique que la FPH et les "dialogueurs" leur avaient proposée pour les entretiens et la Rencontre de Saint-Sabin. L'aide consiste non pas à donner des ordres ou des enseignements (la relation académique) ni des instructions ou des prescriptions (la relation médicale) mais à "marcher avec les gens" et découvrir avec eux leur savoir et le sens que celui-ci recèle. Il est question de mettre en évidence la direction qu'empruntent les gens et de leur poser cette question clé : "Qu'est-ce que vous pensez faire pour vous-même ?".

L'intervenant a pour rôle principal de tenir en face des autres "un miroir reconstituant". Il s'agit d'aide à "l'auto-prononciation" : la méthode de conscientisation du pédagogue brésilien Paulo Freire a été intégrée par l'ensemble des partenaires et, sans doute, approfondie voire dépouillée des relents d'avant-gardisme qui l'ont trop souvent accompagnée. Il s'agit d'entrer dans le jeu de l'autre, même dans ce qui nous paraît des erreurs, et de faire avec lui un bout de chemin : le comprendre à partir de lui. Le rôle de l'intervenant, "développeur" ou thérapeute, s'en trouve bouleversé : il est une personne d'écoute dont l'action cherche à créer un espace pour l'expression, la communication, l'émergence de soi. Pour "l'évolution de soi à soi à un niveau supérieur" comme le dirait Joseph Ki-Zerbo, historien burkinabé. Le "développeur" est un catalyseur socio-culturel. Le thérapeute précipite la découverte de soi. Dans les deux cas, il faut "produire de l'attention à l'autre plutôt que de la connaissance de l'autre". Une telle attention est une démarche de coeur à coeur. Elle est révélatrice pour les deux acteurs en présence.

Cette approche implique de la part de l'intervenant extérieur une forte identité personnelle, sans laquelle le dialogue avec l'autre devient menaçant. L'altérité qui se révèle et se dresse face à soi est interpellante. Sans enracinement solide, elle peut apparaître par trop bouleversante. Elle implique aussi de solides qualités éthiques : modestie personnelle, disponibilité, faculté d'accueil, générosité en temps, volonté d'apprendre de l'autre. La reconnaissance de l'autre passe par la reconnaissance de sa propre relativité. Nous sommes loin de l'arrogance des militants pressés, des "experts" qui se croient omniscients, des évaluateurs dont les tendances quasi-inquisitoriales sont occultées à leurs propres yeux par l'ethnocentrisme culturel ou le sociocentrisme intellectuel ambiant.

Recouvrer l'estime de soi

La démarche consiste donc à aider le sujet ("l'objet" de la recherche) à se dire lui-même (introspection) et à se rappeler (rétrospection). La reconstitution de l'histoire personnelle ou groupale est importante là où l'identité et la fierté d'un peuple furent niés. Ainsi, la rédaction de l'histoire orale d'une communauté peut avoir un caractère très mobilisateur. On reconstruit son histoire pour reconquérir son identité, recouvrer l'estime de soi et rendre un sens (signification profonde et direction future) à la vie.

Si le retour aux premières années de la vie est une des approches priviliégiées de différentes psychothérapies, le retour au passé, l'appel à la mémoire collective, est une démarche des plus importantes dans le travail socio-culturel. Cependant, "ce réveil de l'hypnose est un moment dramatique parce qu'on joue avec le feu". Loin de s'inscrire dans une muséographie, ce travail sur l'histoire doit viser la restitution du passé dans le but d'aider une communauté à se ressaisir et aller de l'avant. Le terme "réveil" est quelquefois évoqué pour caractériser cette démarche, ainsi que le verbe espagnol "rescatar" : racheter, recapter, récupérer, revaloriser par un processus de rappel, de prise de conscience de ce qui existe mais est enfoui. Ce que l'on capte ainsi est souvent considéré sans valeur par les gens. Mais l'écoute attentive et respectueuse de leurs histoires, de leur Histoire, fait advenir une autre perception, valorisante, dynamisante.

Par ailleurs, ce travail sur l'histoire et cette réflexion sur les racines sont des moyens - s'ils sont utilisés avec sagesse - de relativiser l'interprétation donnée de la tradition par les fanatiques et par les dominants. En effet, ceux qui exercent le pouvoir ont tendance à présenter du passé une interprétation, voire une sélection, qui sert à justifier leurs privilèges. Quant aux nationalistes et aux intégristes (qu'ils soient hindous, chrétiens, musulmans ou simplement traditionalistes rabiques), leur attachement obsessionnel à une certaine idée de leur patrie ou de leur religion ne saurait être mieux contestée que par un regard plus éclairé.

Ce travail de récupération de la mémoire relève de la même exigence d'écoute attentive. Elle est, elle aussi, une méthode pour jouer au "miroir reconstituant". Elle impose à la recherche des exigences très précises. Il ne s'agit pas d'accumuler un savoir académique à destination des universités et aux fins de promotion professionnelle du chercheur. Il s'agit plutôt d'une recherche-action en ce sens que la recherche elle-même est une action et un "projet de développement". Il est à noter que l'expression "projet de développement" est à comprendre ici au sens premier, photographique, du terme (c'est-à-dire faire apparaître ce qui était obscur et "négatif") autant qu'au sens second (et plus usuel entre coopérants) de promotion. La réflexion est ainsi associée étroitement à la pratique. Elle vise le bien-être de communautés de base par l'éveil et l'auto-promotion. La règle d'or d'une telle recherche-action est que les gens sont et demeurent les propriétaires du savoir ainsi récupéré. Toute recherche doit être restituée aux gens qui en ont fait l'objet. Cette restitution est une des garanties de la valeur scientifique du travail accompli et la conséquence naturelle d'une science qu'on aura d'emblée voulu émancipatrice et engagée. Elle minimise le danger de voyeurisme. Car le but premier en est que les gens se voient eux-mêmes.

(S : Verhelst, FPH)


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