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Analyse à la lumière d'expériences européennes


Imaginer un nouveau cadre juridique pour des associations proposant des services mêlant étroitement, pour répondre à des besoins sociaux repérés, la réalisation d'actes réputés "commerciaux" ou marchands à des actions non marchandes, reviendrait à les positionner de manière un peu plus claire entre l'économie de marché et le service public.

Dans différents domaines, en particulier celui du spectacle vivant, des analystes ou des professionnels ont, au cours de la dernière décennie, suggéré ou appelé de leurs vœux la création de "sociétés à but non lucratif" révélant la volonté d'acteurs de la vie socioéconomique locale de constituer des personnes morales se situant résolument sur ce secteur intermédiaire.

Aussi, sans prétendre "trancher" cette question, il nous semble utile d'en éclaircir et d'en préciser un peu les enjeux, à l'heure où le monde associatif, qui fêtera bientôt le premier centenaire de la loi de 1901, s'impose de plus en plus comme créateur d'emplois. Un nouveau statut doit-il simplement faciliter "techniquement" le développement d'un secteur de l'activité humaine, ou accompagner aussi des mouvements à caractère idéologique qui peu à peu s'imposent au sein de la société civile ?

À la lumière de cadres juridiques existant tant en France que sur d'autres États membres de l'Union européenne, qui chacun ouvre des pistes de réflexion particulières, nous nous efforcerons d'évaluer les principaux effets qu'une disposition législative devrait chercher à produire pour encourager le développement des initiatives culturelles de proximité.

Entre économie et volontariat, le cœur des associations balance

Adieu au marché

Ne pouvant réaliser des gains de productivité, les activités de services impliquant une relation humaine directe, interpersonnelle, entre le prestataire et le "consommateur", sont d'après la théorie économique vouées à disparaître.

Bernard Roux, dans son ouvrage L'Economie contemporain du spectacle vivant, commente les difficultés économiques actuelles de cette discipline. Dès les années 60 déjà, pour l'économiste américain William Baumol, "l'analyse économique indique que la disparition du spectacle vivant est possible". Quand la société industrielle crée des processus de croissance économique, où l'automatisation vient sans cesse augmenter la capacité des entreprises à réaliser des produits finis de qualité améliorée dans des délais toujours plus réduits, le spectacle vivant ne peut quant à lui suivre une telle évolution. "A la différence des travailleurs des industries, les artistes ne sont pas des intermédiaires entre les matières premières et les produits achetés." On ne peut automatiser la prestation de l'acteur ou du musicien, et toute modification de la quantité de travail intervenant dans la production va dans le même temps engendrer une diminution de sa qualité.

Dominique Leroy, dans L'économie des Arts du Spectacle vivant, renchérit sur cette thèse : "Les données et les résultats concernant la France confirment la thèse de Baumol dans son ensemble. L'hypothèse de la hausse rapide des coûts relatifs des représentations vivantes notamment, est totalement vérifiée, de même que l'incapacité pour ces établissements de réduire l'accroissement des déficits par une hausse suffisante des prix."

Il est évident, et confirmé par une lecture rapide de leurs comptes, que ces problèmes s'accentuent pour les "petites" salles de spectacle ou d'autres services culturels impliquant des relations interpersonnelles comme les ateliers de pratique artistique. Schématiquement, on pourrait dire que moins le nombre d'usagers (spectateurs, participants d'un atelier) placés en contact direct avec un artiste est important, plus le déficit de l'activité sera grand, et s'aggravera au fil du temps.

Il est clair également que plus l'activité cherchera à concerner un large public, en particulier personnes aux revenus peu élevés, plus les tarifs devront être diminués, et les déficits sur le strict plan économique seront encore augmentés.

Ce processus dépasse largement le champ du spectacle vivant pour concerner celui des services aux personnes : le maintien à domicile de personnes dépendantes, l'accueil et la garde d'enfants, le soutien à des parcours individualisés d'insertion sociale et professionnelle, les soins ou services à domicile, l'ouverture de lieux d'accueil, de rencontres, de débats et de convivialité, bref tout ce qui induit un contact direct de personne à personne, connaît, selon l'approche strictement économique, de plus en plus de difficultés à équilibrer ses budgets.

Bienvenues les solidarités

Les services aux personnes peuvent ouvrir des espaces de solidarités nouvelles dans la sphère locale. Pour mobiliser des partenariats et du bénévolat, l'association à but non lucratif est pour l'instant la structure la mieux adaptée.

Malgré ce problème économique majeur, on assiste à une démultiplication des projets dans ces champs d'activités sur l'ensemble du territoire, se construisant la plupart du temps dans le cadre associatif. En effet, le secteur commercial privé, soumis aux exigences de productivité et de rentabilité, recherche pour sa part une clientèle solvable voire à hauts revenus, et consacre par nécessité moins de temps à la mise en œuvre d'une relation de qualité avec les usagers. D'un autre côté, le secteur public et en particulier les collectivités locales ont moins de facilité que les "entrepreneurs associatifs" à adapter avec souplesse une offre aux réalités mouvantes de la demande.

Les associations sont en capacité de négocier des aides publiques et privées pour compenser les "déficits économiques" de leurs activités, et de mobiliser des contributions volontaires de bénévoles pour développer, grâce à cet apport, la "qualité relationnelle" du service offert.

Si les associations connaissent de bons résultats, c'est aussi parce qu'en leur sein une participation des usagers à la définition et l'organisation des services est possible. La notion de respect de l'usager y est importante, le service est construit pour lui et avec lui, un rôle d'acteur lui est généralement proposé.

Le secteur associatif, à l'intersection du marché et du service public, vient donc compenser les déficits respectifs de ces derniers en termes de création d'espaces de coopération et de participation proposés aux citoyens pour améliorer leur cadre de vie, qu'ils soient salariés, usagers ou bénévoles.

Cette dynamique est supposée, induite, facilitée par les statuts, grâce au principe de l'adhésion et surtout à la notion de "but non lucratif".

Cette dernière, en effet, confirme la gestion désintéressée voire le caractère philanthropique des actions entreprises, rassurant du même coup les partenaires de l'association et favorisant leur engagement pour participer au fonctionnement (personnes morales offrant des apports en numéraire ou en nature, et bénévoles).

La création éventuelle d'un nouveau cadre juridique doit donc selon nous tenir compte de deux grands axes de réflexion. Il s'agirait de faciliter les capacités des associations à :

Des commerces à but non lucratif ?

Un nouveau statut doit soutenir la consolidation économique d'activités marchandes "non rentables", grâce à des allégements fiscaux par exemple, mais aussi révéler et accompagner les mouvements de solidarité en germe dans la société civile.

Une contradiction récurrente est bien mise en exergue par différents commentateurs en ce qui concerne le spectacle vivant : vendre une place de spectacle est assimilable à un acte de commerce, c'est une activité marchande, et dans ce cas l'ensemble des recettes ne peut échapper à la TVA, y compris sur les subventions reçues ; et la structure, par voie de conséquence, ne pourrait échapper à l'impôt sur les sociétés et à la taxe professionnelle (voir à ce sujet le débat sur l'utilité sociale des associations culturelles dans la lettre Culture & Proximité n°2, en particulier l'intervention de Thierry Lucas).

Les responsables associatifs alors se posent la question : pourquoi recevoir des subventions et en reverser une part importante à l'État ? Et si l'association est sujette aux mêmes prélèvements qu'une société commerciale, pourquoi ne pas créer une structure commerciale, qui, bien que n'ayant pas pour objet de faire du profit, rassurera banquiers et autres partenaires privés en identifiant clairement les fondateurs-actionnaires et les responsables de la gestion ?

Mais le statut commercial ne peut convenir car, même si dans les textes rien ne les en empêche, les pouvoirs publics financent difficilement des structures dites "à but lucratif", considérant qu'il s'agirait là d'une redistribution des richesses de la nation à des groupes de personnes poursuivant des intérêts privés. De plus, les sociétés commerciales n'offrent pas un cadre satisfaisant pour favoriser des contributions bénévoles, lesquelles peuvent s'avérer un élément déterminant du maintien de l'activité et de la qualité du service offert.

Voulant éclaircir leur situation, des porteurs de projets créent des structures à double face, c'est-à-dire réalisent un montage où l'activité se voit gérée en partie par une association, en partie par une société commerciale. C'est le cas de cafés-musiques qui feront gérer la partie "café" par une SARL, les concerts par une association. L'effort pour séparer les activités marchandes des activités non marchandes est réel, mais incomplet, puisque la diffusion de spectacles vivants est en elle-même assimilable à une activité commerciale, sans parler de la complexité de la gestion de deux structures qui en réalité exercent leurs activités propres en un même lieu et parfois en même temps...

Pour rompre la quadrature du cercle, l'idée de la création d'un nouveau statut a été maintes fois évoquée sans pour autant voir le jour. Ainsi note Bernard Roux : "Depuis des années, un certain nombre de propositions ont été faites en vue de créer un statut juridique adapté à des entreprises telles celles du spectacle vivant, commerciales par nature mais dont la finalité n'est ni la rentabilité, ni la distribution des bénéfices."

Si ces propositions ont la plupart du temps pour objectif de faciliter des mesures d'allègement de la fiscalité pour ces "nouvelles entreprises", elles n'ont pas, à notre sens, suffisamment pris en compte le désir exprimé par de nombreux citoyens de participer à des mouvements de solidarité, et notamment, pour le sujet qui nous concerne plus particulièrement, de contribuer à l'animation de lieux de convivialité et de rencontres autour de l'expression artistique et culturelle.

L'enjeu d'un nouveau statut ne se situe pas uniquement sur le plan technique de la réduction des déficits économiques, mais aussi sur celui, plus idéologique, de la nécessité d'accompagner des mouvements citoyens de coopération et de solidarité.

Dans cette perspective, nous proposons d'élargir le débat à partir du mouvement des coopératives, qui est né sur la base d'une préoccupation de cet ordre.


OPALE - Culture et Proximité - numéro 4

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