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LES MIGRANTS, ACTEURS DE LA SOLIDARITE INTERNATIONALE


Tout au long de l'année 1996, le CRID et ses associations membres ont mené une réflexion sur les "migrations et le développement durable". Le résultat a fait l'objet d'une publication du mEme nom en décembre 1996. Les changements politiques intervenus en 1997 laissaient penser que les recommandations émises par les Organisations de Solidarité Internationale pou-vaient désormais être entendues. Depuis, le doute s'est installé. Le projet annoncé d'une nouvelle politique de coopération (avec un volet codéveloppement), la tournure prise par les ré-cents débats sur la nationalité, l'accueil et le séjour des étrangers, la teneur du rapport Weil, amènent le CRID à réaffirmer un certain nombre de principes auxquels il reste attaché.

La logique du rapport Weil.

Le chapitre 4 de ce document contient des propositions visant à "attirer" les intellectuels et les éventuels investisseurs du Sud. Sans rentrer dans une étude critique détaillée à laquelle incite ce texte, il convient cependant d'en dénoncer l'esprit général. Il prone l'amélioration des conditions d'accueil des étrangers les plus qualifiés ou les plus fortunés et la multiplication des barrières à l'entrée des indésirables. Il s'agit aussi de "se débar-rasser", en les dotant d'un pécule lamentable, des pauvres et des non qualifiés.

Toutes les mesures proposées se coulent avec facilité et sans la moindre réticence dans le contexte de compéti-tion économique mondialisée, que l'on prétend remettre en cause par ailleurs.

UNE COOPERATION DE PEUPLE A PEUPLE

Pour les ONG du CRID, une politique de coopération visant à favoriser le développement de sociétés au Sud doit reposer sur la participation directe des popula-tions ici et là-bas. Mais le rôle accru de la société civile, garante de démocratie, n'est acquis ni au Nord, ni au Sud dans ce domaine.

Au Nord, les associations de citoyens participent encore très peu à la définition des orientations et des budgets de la coopération internationale. L'Etat est omnipré-sent. Les associations sont également marginalisées dans la coopération décentralisée ou organismes publics et collectivités territoriales sont prépondérants.

Au Sud, les associations de citoyens ont aussi du mal à s'imposer. Les maigres ressources sont plutôt dirigées vers les institutions exercant le pouvoir public, l'armée et la police notamment, que vers les institutions de service public, éducation, santé, urbanisation, etc. qui garantissent normalement l'égalité des droits entre citoyens.

Une voie réaliste de consolidation des Etats garants de la protection sociale passe par un soutien accru aux mouvements associatifs et syndicaux. Ce sont eux principalement qui sont acteurs de la construction d'une organisation sociale et qui défendent les droits, à partir des besoins concrets des populations. Il ne s'agit pas de se substituer à des services publics défaillants mais de contribuer à leur réforme et au contrôle de leur fonctionnement.

La coopération Nord-Sud s'inscrit dans un contexte de déséquilibres considérables et ceci ne doit pas occulter les principes qui doivent la guider : la réciprocité, la symétrie et la parité. Ignorer ces derniers au nom du réalisme c'est accepter le maintien de relations de domination et d'exploitation incompatibles avec la visée de codéveloppement.

COOPéRER AVEC LES IMMIGRéS

Historiquement, l'émigration a toujours été un facteur de développement, comme le démontre l'histoire des sociétés européennes et de la société francaise. Dans les pays industrialisés, des populations étrangères venues de pays du Sud se sont établies en réponse à une de-mande de travail régulier aujourd'hui en voie d'extinc-tion. Depuis leur arrivée, elles ont mené des actions de coopération pour le développement, ne serait-ce qu'à travers les transferts matériels et financiers considéra-bles qu'elles réalisent en direction de leur pays d'origine .

Cependant, il faut savoir que toute migration est une lourde perte pour les pays d'origine. Elle les prive de la partie la plus dynamique de leur population car, con-trairement aux idées répandues, les pays riches n'ac-cueillent pas "la misère du monde" mais les plus solides et les plus audacieux. La perte est d'autant plus lourde lorsque ces personnes ne peuvent ou ne veulent rentrer et mettre leur dynamisme et les compétences acquises durant l'émigration au service de leur pays. Les transferts financiers qu'ils opèrent ne sont jamais qu'une forme de compensation. Beaucoup s'installent, font venir leur famille proche et limitent peu à peu leurs envois, privant les pays d'origine de ressources financières et matérielles nécessaires.

A tous les niveaux (local, régional, national, européen) les politiques publiques de coopération Nord-Sud doivent tenir compte de cette situation et favoriser le déve-loppement des relations économiques et cultu-relles établies par ces populations entre le Nord ou elles vivent désormais et le Sud dont elles proviennent.

Changer les politiques publiques

L'association des immigrés dans les politiques publi-ques d'aide au développement reste limitée à quelques opérations quasi expérimentales et qui doivent plus à la bonne volonté de quelques uns qu'à la mise en oeuvre de réelles orientations politiques. Pourtant la générali-sation de telles alliances entre pouvoirs publics et société civile pourrait enrichir considérablement le contenu et l'efficacité des pratiques d'aide publique au développement.

Pour permettre cette insertion de la coopération "avec les immigrés" dans la politique francaise de coopé-ration au développement, il faut avant tout reconna”tre leur rôle "d'acteurs de la coopération et de la solidarité internationale". Il faut aussi et entre autres, des aména-gements significatifs dans le domaine de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France.

Intégration

L'intégration n'est pas le problème des immigrés, c'est celui de la société francaise. Si on souhaite que la "machine à intégrer" francaise continue de fonctionner, c'est l'ensemble de la société qui doit prendre le relais de la part importante de la solidarité internationale assumée actuellement par les immigrés, car le tarisse-ment de l'immigration, combiné avec le processus d'intégration, lui impose de reprendre cette responsabilité en direct.

L'adoption du comportement socio-économique domi-nant amène le travailleur étranger à quitter un mode de vie atypique qui lui permettait d'épargner (célibat, fru-galité, vie communautaire). Il transfère donc moins de fonds vers son pays d'origine. Pour ne pas remettre en cause cette intégration, la société d'accueil doit au moins compenser le "manque à gagner" qui résulte de cette évolution.

D'autre part, l'intérêt que conservent la plupart des immigrés pour leur pays d'origine, loin d'être une trahison vis à vis du pays d'accueil, est au contraire une chance pour une société francaise ouverte sur le monde.

Au regard de ce qui précède, les axes d'une politique de coopération enrichie de l'apport des immigrés se dis-cernent aisément :

- accompagnement et renforcement de l'activité des associations d'immigrés qui jusqu'ici étaient isolées,

- développement de nouvelles approches dans lesquel-les les immigrés joueront un rôle spécifique et reconnu,

- garantie, par le droit international, du droit des migrants.

Les modalités de collaborations pouvoirs publics-immi-grés ne pourront être déterminées que par des débats entre les partenaires, qu'il est urgent d'engager.

Des migrants "coopérants"

Il est possible d'envisager une politique à grande échelle de "migrants-stagiaires", concertée avec les pays d'origine. Elle consisterait à accueillir, pour une durée longue (quelques années) des candidats à l'ap-prentissage des techniques et des pratiques du Nord à tous les niveaux et dans tous les domaines. A la fin de la période de stage, l'emploi au pays serait garanti par l'attribution (de préférence collective) de capitaux pro-ductifs (machines, stocks de matières premières, fonds de roulement) pour la mise en oeuvre des activités économiques dans lesquelles les stagiaires ont été formés.

D'autre part, en raison de leur héritage culturel, les migrants pourraient être des agents efficaces de la coopération Nord-Sud, tant dans le secteur public (assistance technique, coopération scientifique et cultu-relle) que dans le secteur privé des échanges économiques (agents commerciaux, personnel expatrié temporairement...).

Adapter les législations

Une politique de coopération "avec les immigrés du Sud" n'est pas envisageable si la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France n'intègre pas l'idée de réciprocité. Si on considère les immigrés comme des expatriés, tout comme les experts et techniciens du Nord qui travaillent dans les pays du Sud, ils devraient avoir droit aux égards dont les "coopérants" bénéficient en général dans les pays du Sud.

On ne peut concevoir le développement de relations de coopération réciproques qu'entre des personnes qui considèrent que "tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit" et qui opèrent dans un contexte institutionnel gouverné par cette idée générale.

Circulation

Il est paradoxal d'accepter de fait la circulation de mar-chandises et de capitaux et de refuser celle des personnes. Si coopérer, c'est agir ensemble, cela exige une grande liberté de mouvements. Cela devrait conduire à l'application du principe de réciprocité des régimes (documents transfrontières, statuts de résident étran-ger,...) lorsqu'il permet de se rapprocher de la règle qui, du point de vue des droits fondamentaux, est la liberté d'aller et de venir.

A titre d'illustration, la loi ne devrait pas exiger un visa pour l'entrée en France des ressortissants des pays qui n'en exigent pas pour l'entrée des Francais. Il convient de rappeler, à ce sujet, la campagne menée par les Ligues des Droits de l'Homme Européenne et Africaine, pour la suppression des visas de moins de trois mois pour l'entrée en Europe.

Séjour

La reconnaissance de la participation des immigrés au développement et à l'enrichissement de la société francaise doit se traduire par la réduction des obstacles au plein exercice juridique de leur "bicitoyenneté", citoyenneté de fait ici et citoyenneté de coeur là-bas. Il s'agit d'abord de leur permettre largement l'exercice du droit de vote et d'éligibilité, de faciliter l'accès à la nationalité franaise (et nous déplorons que le droit du sol n'ait pas été rétabli dès la naissance).

En matière de séjours temporaires, il faut étendre le statut d'étudiant à des étrangers qui suivent des formations professionnelles de longue durée s'inscrivant dans des projets ou le transfert des savoir-faire est essentiel et doit débuter dans le contexte du Nord, par exemple tous les métiers de la conception et de la gestion des réseaux urbains : eau, énergie, transports.

Aide au retour

L'aide au retour peut être un dispositif spécifique d'une politique de coopération, à condition de répondre au choix et aux aspirations de certains migrants. Elle concerne ceux qui n'ont pas l'intention (ou la possibilité) de s'établir définitivement au Nord. Elle doit alors s'ins-crire dans des programmes de développement concus en concertation avec les intéressés et les pouvoirs publics des pays d'origine. Alors seulement, il s'agit de codéveloppement. Par contre, les pseudo "aides au retour" conues comme un moyen "humanisé" de contraindre les étrangers indésirables à retourner dans leur pays ne sont ni acceptables ni même efficaces.

En aucun cas, les droits individuels ne peuvent être subordonnés à des considérations collectives.

LA MAîTRISE DES FLUX MIGRATOIRES

Si les ONG du CRID sont porteuses de propositions sur une politique de coopération avec les immigrés, dans la réciprocité et le long terme, elles refusent de s'inscrire dans la politique dite de "maitrise des flux migratoires" essentiellement répressive.

Pour les Associations, il s'agit d'un faux problème. Après avoir connu un boum dans l'après guerre, le nombre des étrangers en France est stabilisé depuis 1975, et est à peu près le même qu'en 1931. Les régularisations de 1982 n'ont pas créé "d'appel d'air", puisqu'en 1990, il y avait 3,6 millions d'étrangers contre 4 millions en 1974. Actuellement, environ 2,2 millions d'étrangers sont issus de pays pauvres, soit 3,8 % de la population francaise. On est loin du phénomène "invasif" dont certaines harangues démagogiques et parfois racistes, nous menacent .

Malheureusement, ces propos qui entretiennent dans le public une peur diffuse de l'étranger, amènent également des hommes politiques respectables, piégés par l'impact de ce discours irrationnel à essayer d'y trouver des réponses rationnelles.

Le développement, antidote à l'immigration à long terme.

Il est bien démontré que le sous-développement et la domination font partie des causes majeures des flux migratoires et qu'il est important de s'y attaquer. Mais il est faux d'en tirer la conclusion que pour tarir l'émigration, il suffit d'en développer les régions d'origine. L'expérience prouve que le développement d'une région se traduit dans un premier temps par une accélération de l'émigration. Ce n'est qu'assez longtemps après que l'arrêt des migrations intervient.

Pour les ONG du CRID, l'intérêt du codéve-loppement n'est pas remis en cause, mais sans liberté de circulation, les accords de coopération décentralisée et de partenariat (qui, malgré leurs difficultés, sont des tentatives prometteuses) risquent d'être vidés de leur contenu. Les discours sur ce sujet peuvent devenir pervers. On part du codéveloppement qui lie coopération et immigration, et on peut arriver à l'interdiction de l'immigration, au prétexte que l'on s'occupe des causes !

De plus, certaines allégations mensongères laissent entendre que le processus du développement est déjà à l'oeuvre et qu'il "suffit" de l'intensifier dans les zones qui sont traditionnellement des foyers d'émigration. Ce n'est pas ce que James Gustave Speth, administrateur du PNUD, déclarait au Monde du 11 octobre 1996 :

[...] près de 1,6 milliard d'individus vivent plus mal qu'au début des années 80,

[...] l'écart entre les plus riches et les plus pauvres a augmenté. Au début des années 60, il était de 1 à 30 entre les 20% les plus riches de la planète et les 20% les plus pauvres. Aujourd'hui, il est de 1 à 60 [...].

[...] en Afrique subsaharienne [...] il faudra des décennies pour regagner le terrain perdu [...].

[...] Entre 1992 et 1994, [l'aide publique au développement] a chuté de 25% dans une indifférence remarquable.

Présenter le développement comme illusoire rempart contre les phénomènes migratoires c'est prétendre que les émigrants sont seulement chassés de chez eux par la misère. Cet argument évacue le rôle essentiel d'appel des économies dominantes et des reflets de la société de consommation.

D'autre part, le développement est une procédure à long terme, alors que dans l'esprit de ses zélés promoteurs, la ma”trise des flux migratoires est urgente.

De toute facon, la généralisation (improbable) à 8 milliards d'habitants de la planète des niveaux de vie actuels du Nord implique une consommation globale de ressources désormais rares (eau et air purs) ou non renouvelables (hydrocarbures, minerais) qui est physiquement impossible, même si le Nord, par extraordinaire, acceptait de modérer sa croissance.

La compensation financière.

La contribution des pays riches pour déclencher et soutenir un réel processus de développement économique n'est jamais évoquée ni, a fortiori, évaluée quantitativement. Or, selon une estimation du Rapport Mondial sur le Développement Humain, PNUD, 1992, :

un développement économique produisant les mêmes effets que les envois de fonds d'un seul travailleur émigré nécessite un investissement de 70 000 à 160 000 F selon les pays.

En d'autres termes, rien que pour maintenir le statu quo, il faudrait consacrer au développement local une aide publique de 100 000 F pour chaque travailleur immigré reconduit. Ou encore, pour prévenir l'émigration de 1 000 travailleurs d'une région donnée du Sud, il faudrait contribuer aux investissements dans cette région à hauteur de 100 millions de francs. Cet ordre de grandeur est à comparer aux 5 millions de francs du programme franais d'aide à la réinsertion des migrants.

Fin de l'appel à la main d'oeuvre étrangère ?

On peut constater, dans les pays du Nord, une réduction drastique du travail humain dans les activités de production, par substitution d'automates et autres processus informatisés. Cette "révolution informa-tionnelle", dont les travailleurs étrangers ont été les premières victimes, n'autorise aucune hypothèse de besoin de main d'oeuvre étrangère supplémentaire dans l'avenir. Le seul contexte dans lequel les entreprises du Nord pourraient y recourir de nouveau, serait celui d'un ultra libéralisme, avec dérèglementation du marché du travail, négation des législations sociales, etc..

En tout état de cause, les régulations à base répressive n'ont aucune chance de fonctionner. S'il n'y a pas de travail disponible, pas besoin d'importer de main d'oeuvre, donc inutile de légiférer. S'il y a déréglementation totale, c'est le marché qui assurera la régulation de l'offre et de la demande de travail étranger.

Pour le CRID, la politique de coopération a pour objectif le développement équitable des sociétés du SUD dans un esprit de partenariat et de réciprocité et, en aucun cas ne peut servir de prétexte pour se débarrasser des migrants indésirables.

Le CRID tient à réaffirmer des valeurs d'humanisme et les droits de la personne que les contraintes économiques, sociales et politiques tendent à faire oublier : l'égalité fondamentale de tous les hommes, le droit à une vie décente, le droit à la liberté d'aller et venir, les règles du droit d'asile et de la protection des réfugiés, les droits de l'enfance. Pour le CRID, il est inadmissible de jouer sur les inquiétudes nées de la "crise" pour se servir comme d'épouvantails de "la ma”trise des flux migratoires", la "lutte contre l'immigration clandestine", tout comme "le problème de l'immigration" d'ailleurs. Le CRID revendique la tradition universaliste de la France et la richesse - humaine, culturelle - d'une société plurielle.

CRID - Décembre 1997

Ce texte est soutenu par la très grande majorité des ONG du CRID.


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