Cette page est une version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet.
Ce site est maintenant fermé; il n'est plus tenu à jour, les informations peuvent être datées ou erronées,
et le seront de plus en plus au fil du temps. Et les formulaires sont désactivés.

Le développement local et l'économie sociale: deux éléments incontournables du nouvel environnement sociale

Par Benoît LÉVESQUE, professeur UQAM


PLAN DE L'EXPOSÉ

INTRODUCTION

- composantes de l'environnement externe
- le nouvel environnement a été fabriqué par nous

1- ÉMERGENCE D'UN NOUVEAU LOCAL

1.1 Le local dans l'ancien environnement
1.2 Le local dans le nouvel environnement

2.ÉMERGENCE D'UNE NOUVELLE ÉCONOMIE SOCIALE

2.1 Toute économie est sociale
2.2 La nouvelle économie sociale

CONCLUSION

Nécessité d'un fort investissement dans la démocratisation


INTRODUCTION

Dans le cadre d'un atelier consacré à l'environnement externe, on m'a demandé de traiter plus spécifiquement du développement local et de l'économie sociale. Dans cette visée, je voudrais montrer que le développement local (ler point) et l'économie sociale (2e point) sont devenus plus importants qu'auparavant. Pris isolément, ils ne constituent pas un nouveau modèle de développement mais, dans la nouvelle conjoncture, ils représentent des éléments incontournables pour repenser l'avenir et sans doute la démocratisation économique. C'est pourquoi je tenterai également montrer, en conclusion, comment le développement local et l'économie sociale ne sauraient s'épanouir sans un fort investissement dans la démocratisation de l'économie. Mais, avant de m'engager sur ces sujets, il m'apparaît nécessaire de faire deux remarques préliminaires: la première sur les diverses composantes du nouvel environnement externe, la seconde sur les facteurs ayant contribué à la production de ce nouvel environnement.

En premier lieu, l'environnement externe s'est transformé radicalement au cours des deux dernières décades. Par environnement externe, nous entendons un ensemble de transformations qui touchent des réalités aussi différentes que celles de

1- la mondialisation et la constitution de blocs régionaux (ex. CEE, ALENA, etc.),
2- la reconfiguration de l'État (aussi bien dans l'économique que dans le social),
3- la modernisation sociale et technique des entreprises (nouvelles formes de gestion et nouvelles technologie d'information),
4- la nouvelle économie qui repose entre autres sur des investissements dans l'immatériel et la connaissance,
5- la financiarisation de l'économie,
6- la pauvreté et l'exclusion,
7- la nouvelle vision du monde et des valeurs.

Chacun de ces éléments mériterait d'être examiné pour lui-même(2). Pour le moment, il nous suffira de mentionner que ces divers éléments sont reliés entre eux pour former système. On peut faire l'hypothèse qu'ils constituent les composantes d'un nouveau modèle de développement, sans doute en émergence. Un modèle où l'on retrouve une nouvelle vision du monde, un nouveau système de production, un nouveau système de services publics, une nouvelle division du travail entre pays, un nouveau mode de régulation, de nouveaux rapports entre le mondial-national-local, de nouveaux rapports entre le social et l'économique. Il va de soi que ce nouveau modèle ne pourra s'épanouir sans le support d'un bloc social de sorte que l'hypothèse de trajectoires nationales contrastées demeure encore pertinente, notamment lorsqu'il est question d'économie sociale et de développement local.

En deuxième lieu, ce nouvel environnement ne vient pas du ciel et donc n'est pas complètement externe. Il est le résultat des rapports sociaux et de décisions politiques à diverses échelles. Nous avons tous contribué à sa fabrication aussi bien à travers la remise en question de l'ancien environnement qu'à partir de la recherche de nouvelles solutions. De ce point de vue, le nouvel environnement a été fabriqué en deux temps: dans un premier, la crise des années 1975-1985, les blocages de l'ancien modèle de développement prédominaient de sorte que la remise en cause des acquis occupait le devant de la scène, il était alors très difficile d'entrevoir clairement les contours du modèle à venir; dans un deuxième temps, celui des années 1985 à aujourd'hui, les expérimentations vers un nouveau modèle se sont multipliées et certaines d'entre elles ont même été reconnues par l'État de sorte qu'elles se diffusent maintenant à l'échelle de la société. Autrement dit, les années 1980 ont été caractérisées en gros par la remise en question de la production de masse (et donc de la grande entreprise et des hiérarchies privées) et de l'État comme hiérarchie publique et comme expression quasi exclusive de la solidarité sociale. General Motors et l'ex-URSS sont des exemples de rigidité institutionnelle qui ont empêché sans doute différemment l'innovation et l'adaptation dans un contexte de changement rapide. Ces institutions ont également été incapables de répondre aux demandes sociales des travailleurs et des usagers pour une plus grande participation ou pour une démocratisation sans oublier une plus grande qualité de vie. Par ailleurs, les années 1990 montrent bien que le nouvel environnement résulte en grande partie de décisions politiques et économiques: consolidation d'ententes régionales (continentales), délocalisation de la production, réduction des déficits budgétaires des États, etc.

En somme, le nouvel environnement tel qu'il se présente à nous à la fin des années 1990 a bel et bien été fabriqué par les rapports sociaux et donc par une diversité d'acteurs dont le poids est évidemment inégal. Le mouvement coopératif comme les autres mouvements sociaux a également contribué à la fabrication de ce nouvel environnement qui nous apparaît maintenant externe. Les tendances lourdes qui constituent ce nouvel environnement, ne sont pas encore complètement rigidifiées de sorte que des inflexions et des modifications sont sans doute encore possibles mais le simple retour au "passé glorieux" ne l'est plus. En ce sens, les enjeux portent maintenant moins sur les blocages de l'ancien modèle, celui de l'après-guerre, que sur les mutations vers un nouveau modèle ou une nouvelle configuration (recherche de nouvelles règles). De ce point de vue, l'environnement externe actuel constitue sans doute une menace pour les acquis des années 1945-1975 mais il offre également de nombreuses opportunités, de nouvelles possibilités d'intervention et de réalisation. Ainsi, les intervenants socio-économiques sont maintenant moins portés à la déprime comme dans les années 1980 qu'à un épuisement résultant de sollicitations de plus en plus nombreuses qu'offrent, par exemple, le développement local et l'économie sociale. En somme, il existe toujours des problèmes sérieux mais les problèmes ne sont plus les mêmes comme en témoignent aussi bien l'exclusion sociale que l'appauvrissement d'une partie de plus en plus importante de la population.

1-ÉMERGENCE D'UN NOUVEAU LOCAL

Lorsqu'on pense au développement local, au moins deux constats doivent être faits. Le premier constat: le développement local devient plus important dans le nouvel environnement que dans l'ancien et cela malgré la mondialisation et une perte de pouvoir des États-nations. Le deuxième constat: le local dont il est maintenant question est un nouveau local, différent de l'ancien non seulement du point de vue du territoire mais également du point de vue des liens sociaux. Si ces deux constats sont corrects, le développement local offre des opportunités intéressantes pour repenser les rapport entre l'économie et le social. C'est ce que je voudrais montrer rapidement.

1.1 Le local dans l'ancien modèle de développement

Dans le modèle de développement mis en place au cours de la période 1945-1975, le local(3)  n'était pas très important du point de vue du développement économique et social. La notion de territoire renvoyait principalement au national et par suite au régional alors que le local avait une connotation traditionnelle et donc était de peu d'intérêt comme vecteur de changement social. La régionalisation qui se fit en grande partie au dépend du local, consista à prendre en compte les spécificités régionales pour l'administration des affaires publiques et pour l'implantation de la grande entreprise. Ainsi, la régionalisation a d'abord consisté à créer des régions dites administratives (1966-1967) qui se sont données des missions de planification régionale. L'objectif avoué était de lutter contre les disparités régionales, de moderniser les infrastructures et de créer des pôles régionaux. À cette fin, on a assisté à une certaine déconcentration de l'appareil de l'État, à la mise sur pied de conseils régionaux de développement (CDR), de conférences administratives régionales (CAR), etc. Cette régionalisation était portée par une vision sectorielle qui reproduisait celle des divers ministères à l'échelle des régions: conseil de la culture, conseil du loisir, conseil du tourisme, conseil de l'environnement, etc. D'où d'ailleurs le terme de "régionalisme fonctionnel". Si l'on considère le développement social, la régionalisation a également été marquée par une régionalisation des services collectifs notamment dans le domaine de l'éducation et de la santé. Enfin, l'échelle locale, celle des municipalités, n'a été touchée qu'indirectement mais négativement, soit par le déplacement de certaines activités locales vers les capitales régionales. En somme, la régionalisation fut avant tout une opération de déconcentration de l'appareil de l'État même si certaines responsabilités ont été décentralisées.

Pour cette période des années 1960-1975, la vision du développement qui s'en dégage, est celle d'un développement du haut vers le bas, d'un développement dont les objectifs sont ceux de la standardisation, de l'uniformisation, de l'accès universel, du mur à mur. Les grandes entreprises dans le domaine de la production et des services partageaient également cette vision, d'où le terme de production de masse. L'innovation et la recherche sont appropriées par les grandes entreprises et les États qui s'entourent d'experts de plus en plus nombreux créant ainsi une technostructure qui a sa propre logique de développement. Comme pour les collectivités locales, les unités locales (ex. usines) des grandes entreprises dépendent de décisions centralisées. Selon cette vision, le local ne peut pas être un lieu d'innovation et de développement puisqu'il est toujours sous le contrôle des élites traditionnelles.

Tableau 1: L'ancien local (1960-1975) et le local de contestation (à partir de 1970).

1) Local traditionnel (1960-1975):

- territoire: la paroisse, le village, la municipalité, la collectivité locale
- cohésion culturelle forte: valeurs communes, contrôle social voire coercition
- acteurs: élite traditionnelle et élus municipaux
- fonction: un local d'entretien (routes, aqueduc, etc) et non de développement
- instruments: subventions directes et fiscalité

2) Local de contestation (1970-1985):

- territoire: associations de villages environnants, situation économique commune
- fonction: prise en main du développement économique local;
            actions de mobilisation, actions spontanées;
            souvent en opposition au conseil municipal
- cohésion: nouvelle vision du développement:
           - développement à partir du bas,
           - développement intégré, intersectorialité
           - formules associatives et ouverture sur l'économie sociale
- acteurs: comité de citoyens, tables de concertation, leaders
            nouvelle élite, groupes sociaux et communautaires (ex. JAL,
            CDEC)
- instruments: plan de développement, fonds de développement

Bien que non valorisé dans les années 1960-1975, le local ne disparaît pas pour autant. Il subsiste sous deux formes: d'abord, sous une forme ancienne en déclin; ensuite, sous une forme contestataire, surtout à partir du début des années 1970. Le tableau 1 présente ces deux formes de local. Le local traditionnel se définit par un territoire relativement restreint, le village ou la paroisse, et par des fonctions d'entretien plutôt que de développement. Animé par l'élite traditionnelle et par les élus municipaux, le local traditionnel n'est effectivement pas propice à l'innovation puisque la préoccupation première de l'élite traditionnelle est de maintenir les valeurs communes: l'innovation est vue comme une manace à la stabilité. Ce local traditionnel sera de plus en plus vécu comme contrainte. C'est dans ce contexte qu'apparaît le local de constestation dans les années 1970.

Le local de contestation remet en question le modèle de développement fordiste ou keynésien qui tend alors à s'imposer. Dans un premier temps, il s'oppose au déplacement de la population rurale vers les pôles dits de développement" (d'où l'expression d'un local de contestation) comme en témoignent les Opérations dignités apparues dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Dans un deuxième temps, il propose un développement dit local et un aménagement intégré des ressources comme le révèle bien l'expérience du JAL, expérience de développement local réunissant trois villages du Témiscouata: Saint-Juste, Auclair et Lejeune (JAL). Le local de contestation met de l'avant une vision nouvelle du développement qui part d'en bas, soit les initiatives locales, les entreprises communautaires et de ce qu'on appelle aujourd'hui l'économie sociale. Dans ce cas, le territoire déborde celui de la paroisse pour regrouper un ensemble de collectivités locales qui partagent une situation économique comparable. Les acteurs à la base de la mobilisation locale appartiennent à une nouvelle élite en alliance avec une partie de l'ancienne élite devenue également contestataire. Enfin, les mobilisations visent à donner à la population concernée de véritables instruments de développement, d'où l'expression de développement par le bas.

En somme, dans le modèle de l'après-seconde-guerre, le local traditionnel était appelé à disparaître alors que l'intervention de l'État national dans l'économie supposait la mise en place de régions administratives où prédominerait la déconcentralisation. Cette vision centralisatrice et bureaucratique était en cohérence avec la façon dont fonctionnaient les grandes entreprises capitalistes et publiques de l'époque. Le nouveau local que nous appelons le local de contestation apparaît comme une remise en question de ce modèle de développement et de participation. Ce "local de contestation" questionne donc les programmes mur à mur, la standardisation tous azimuts, la non prise en considération des différences et l'absence de démocratisation. De cette période, il existe évidemment des acquis à maintenir, telles la réduction des écarts de niveau de vie, l'amélioration des conditions de travail, la modernisation des infrastructures et des secteurs traditionnels (agriculture,forêt), la redistribution, etc. Toutefois, les limites de ce modèle de développement ont été mises en lumière par les mobilisations pour une véritable régionalisation et pour un développement local, y compris dans les territoires les plus défavorisés.

1.2 Le local dans le nouveau modèle de développement

Dans les années 1980 et surtout 1990, le nouveau local reprend la plupart des traits caractérisant le local de contestation mais cesse d'être contestataire puisqu'il sera de plus en plus reconnu comme partie intégrante du nouveau modèle de développement où le mondial et le local occupent le devant de la scène. Cette reconnaissance du local se fera en deux temps: d'abord, comme solution au problème des collectivités en déclin (1980 à 1990); ensuite, comme élément essentiel d'un nouveau modèle de développement (1990 à nos jours). Si le local de contestation des années 1970 pouvait être présenté comme une alternative (et pour certains, un pas vers le socialisme), celui des années 1990 ne peut plus l'être puisqu'il est identifié comme composante d'un nouveau modèle de développement capitaliste appelé à devenir dominant. En revanche, ce nouveau positionnement du local ouvre un espace nouveau d'intervention et d'action pour une démocratisation économique.

À partir du début des années 1980, le développement local apparaît donc comme solution pour des collectivités locales dont la situation est quasi désespérée. Cette prise de conscience s'effectue un peu partout dans le monde. On assiste alors à l'émergence d'une multitude d'initiatives locales en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest. L'OCDE reconnaît l'importance de ces initiatives locales comme solution intéressante pour répondre aux problèmes de collectivités en déclin. Au Canada, nous aurons des programmes d'initiatives locales (ex. les PIL) dans les années 1970 puis des programmes orientés vers le développement local à partir du début des années 1980. Ces programmes sont alors réservés aux collectivités les plus défavorisées. Relevons entre autres:

1981: le programme fédéral, ADEL (Aide au Développement Économique Local)
1983: le programme fédéral, CLÉ (Croissance Locale de l'Emploi)
1984: les premières Corporations de développement économique communautaire (CDEC), montréalaises
1984: les premières Corporations de développement communautaire (CDC)
1986: le programme fédéral d'aide au développement des collectivités (PADC) avec les Comités d'aide au développement des entreprises (CADC et les Centres d'aide aux entreprises (CAE) qui donneront les SADC.

Enfin, le Conseil économique du Canada publie en 1990 une étude, La relance locale, où il mentionne que le développement local réussit souvent là où l'État et la grande entreprise ont échoué. La recette proposée est celle du développement par le bas: territoire local, diagnostic de la situation, plan de développement, mobilisation des ressources individuelles et collectives. Les contestataires sont en quelque sorte reconnus et invités à siéger à des tables de concertation. Le gouvernement québécois découvre également les avantages du local sur le régional comme en témoignent la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (1979) et la création des MRC qui seront chargées de l'élaboration de schémas d'aménagement. Les MRC se doivent d'assumer la concertation des municipalités locales et la consultation de la population. La MRC se veut une "région d'appartenance" et notamment un espace cohérent pour les acteurs socio-économiques. Il faudra cependant attendre les années 1990 pour que le gouvernement québécois fasse un pas de plus en reconnaissant le développement local pour l'ensemble des collectivités, quelque soit leur niveau d'activités et de développement, et non plus seulement pour les collectivités en difficulté.

Le début des années 1990 est également marqué par une nouvelle redéfinition de la régionalisation dont les instances reçoivent des budgets et des responsabilités nouvelles. Il s'agit de la réforme Picotte pour les régions, de la réforme Côté pour la santé et de la réforme de la formation de la main d'oeuvre (1992: CRCD et SAR; 1992: RRSSS remplace des CRSSS; 1992: Sociétés régionales de la main d'oeuvre, SQDM) qui marquent un pas dans le sens d'une décentralisation. En même temps, le développement local est aussi reconnu pour toutes les collectivités locales (et non seulement pour les seules collectivités en déclin), à partir par exemple des Fonds locaux d'investissement (FIL) qui permettent aux MRC de s'intéresser au développement économique et à la création d'entreprises (ce qui ne va pas sans tensions entre les villes et les banlieues au sein entre autres de l'UMQ et entre les villes moyennes et les petites municipalités au sein de l'UMRC). En 1997, la Politique de soutien au développement local et régional confirme les CRD qui intègrent les divers conseils spécialisés (CRLoisir, CRCulture et CREnvironnement, etc) mettant fin ainsi à l'approche sectorielle du développement régional. On assisterait ainsi à l'émergence d'un "régionalisme politique" différent du régionalisme fonctionnel comme le sont la déconcentration et la décentralisation. Cette politique met également sur pied les Centres locaux de développement (CLD) dont le territoire est en gros celui des MRC. En somme, les MRC deviennent en quelque sorte le territoire privilégié d'intervention pour le développement économique local.

Les CLD ont pour mission: 1) de mettre sur pied un guichet multi-services à l'entrepreneuriat, porte d'entrée pour entrepreneurs locaux et 2) d'élaborer toute stratégie locale liée au développement de l'entrepreneuriat et des entreprises, incluant les entreprise de l'économie sociale. Comme les SADC, les CLD sont formés de représentants de groupes socio-économiques (syndicaux, communautaires, patronaux) et d'élus. De ce point de vue, les CLD s'inspirent plutôt du modèle contestataire des CDEC (Corporation de développement économique communautaire) que du modèle des CDE (Corporation de développement économique) ou des commissariats industriels mis sur pied par certaines municipalités et villes. Ces différences sont importantes en termes de légitimité et de représentativité de même que dans la façon d'arrimer l'économique et le social. Si le nouveau local est bel et bien celui des MRC(4), ces dernières ne sont pas les seules appelées à penser le développement local. En effet, le conseil d'administration des CLD est formé à la fois de représentants élus (non exclusivement municipaux) et de représentants de groupes sociaux, d'acteurs collectifs dont ceux de l'économie sociale.

Tableau 2: Le nouveau local, un local de concertation (1980-1990)

Territoire:

- le nouveau local: périmètre de solidarité basé sur l'association des anciennes collectivités locales ou d'anciens quartiers dans les grandes villes
- un local qui relève de l'intermunicipal: environ 20 municipalités
- un local à géométrie variable: CLSC (143), MRC
(5) (95), SADC (55), CLD (104), CLE, Commissions scolaires régionales

Interventions:

- moins spontanées et plus institutionnelles
- plan de développement et planification stratégique
- soutien institutionnel aux initiatives entrepreneuriales et de développement économique

Acteurs locaux:

- des élus municipaux et provinciaux
- des non-élus: représentants patronaux, syndicaux et de groupes communautaires et de femmes
- ouverture sur l'économie sociale

Instruments:

- gouvernance locale
- fonds de développement
- plan de développement
- conseil et soutien à la création d'entreprises et d'associations socio-économiques

Le nouveau local reprend la plupart des caractéristiques du local de contestation mais s'en distingue dans la mesure où il est devenu un local de concertation qui implique entre autres des représentants d'élus. De plus, à la différence des premières CDEC, ce nouveau local est reconnu par l'État et tend donc à s'institutionnaliser comme le révèle bien la mise sur pied des CLD et des CLE(6). Il faut aussi ajouter que le local de concertation se définit moins par rapport à l'ancien modèle de développement comme le faisait le local de contestation que par rapport à un nouveau modèle de développement où les enjeux portent aussi bien sur la mondialisation que sur le développement durable. Par ailleurs, la revalorisation de l'échelle locale offre plusieurs avantages du point de vue de la démocratisation. Ainsi, le nouveau local permet une prise en main des services par les populations directement concernées, il réduit l'éloignement et éventuellement la bureaucratie. De plus, la revalorisation du local est en cohérence avec un système de production et des entreprises qui misent sur la flexibilité et l'intégration, sur la rapidité de réponse à la demande, sur la culture d'entreprise, sur le zéro stock, le just in time, etc. En somme, la proximité des fournisseurs, l'implication des travailleurs, la différenciation... poussent à une redécouverte du local, voire à sa revalorisation. Enfin, la redéfinition du local s'accompagne d'une redéfinition non seulement des rapports entre l'économique et le social mais également de leur contenu respectif. Il faut également reconnaître que le nouveau local présente également des risques de marginalisation accrue pour des territoires incapables, sans aide extérieure, de se reprendre en main pour opérer un virage plus favorable. Dans cette visée, la revalorisation du local ne saurait mettre fin à la redistribution que seul l'État-Nation est en mesure d'assurer pour le moment.

2. ÉMERGENCE D'UNE NOUVELLE ÉCONOMIE SOCIALE

Pour bien apprécier la place de l'économie sociale dans le nouvel environnement externe, nous procéderons en deux temps: dans un premier, nous montrerons que toute économie est sociale et que ce rapport entre l'économique et le social varie selon les modèles de développement; dans un deuxième temps, nous expliquerons ce que nous devons entendre par économie sociale.

2.1 Toute économie est sociale

Toute économie est sociale, y compris dans l'entreprise capitaliste. Toute économie est sociale dans son input comme dans son output. Du point de vue de l'input, l'entreprise capitaliste ne fonctionne pas seulement à partir de capitaux, de mises sous contrat de travailleurs, d'achats de machines et de matières premières, etc. En effet, il tombe sous le sens que l'entreprise ne peut fonctionner correctement si les travailleurs n'offrent pas, ce qui ne peut s'acheter, leur coopération et leur engagement au travail. De même, la production capitaliste ne peut être performante dans un environnement chaotique. En somme, le "social" entendu comme lien social et comme capital social(7) entre à pleine porte dans l'entreprise capitaliste de sorte que la valeur ajoutée est également composée du travail domestique, de la formation préalable des travailleurs, du potentiel de coopération, de la qualité des infrastructures, etc. De ce point de vue, toute économie, y compris l'entreprise capitaliste, est sociale. En revanche, il faut ajouter que par définition l'entreprise capitaliste ne reconnaît pas cette dimension sociale, ni d'ailleurs l'État comme en témoignent les diverses comptabilités dite nationales. Dans un cas comme dans l'autre, l'économie est réduite au marchand. De plus, dans les entreprises capitalistes, le pouvoir est réparti sur la seule base de la participation au capital-actions.

Tableau 3: Toute économie est sociale:

Comme input (implicitement reconnue) pour la production d'un bien ou d'un service:


- la cohésion sociale
- la coopération
- la participation, la créativité, l'imagination
- l'engagement au travail
- le capital social
- la formation et compétence (savoir faire, savoir être)
- l'environnement

Comme output (habituellement non reconnue):

- l'emploi, sécurité d'emploi, création d'emploi, etc.
- le développement local et régional
- le développement durable
- l'équité salariale (H et F) et autres
- la qualité de vie
- la santé et sécurité au travail

Toute économie est également sociale du point de l'output. En effet, outre les biens et les services qu'elle produit, l'entreprise capitaliste crée également de l'emploi, contribue au développement économique, affecte aussi bien la qualité de vie des travailleurs que celle des citoyens des collectivités environnantes. En somme, toute économie, toute entreprise, produit du social positivement ou négativement. À nouveau, cette dimension sociale de l'économie n'est reconnue ni par les économistes qui parlent d'externalités pour caractériser certaines des conséquences sociales de la production capitaliste, ni par les entrepreneurs eux-mêmes lorsqu'ils évaluent la performance de leur entreprise à partir exclusivement de ratios provenant du bilan financier. Enfin, les entreprises ne reconnaîtront leurs responsabilités sociales quant aux externalités que dans la mesure où elles seront contraintes par les mouvements sociaux de la faire. Cette reconnaissance ne se fera habituellement que sous la pression externe et à partir de la réglementation de l'État. Comme nous le verrons, l'économie sociale offre une autre façon de reconnaître la dimension sociale de l'économie.

Enfin, l'économique et le social seront définis différemment selon le modèle dominant de développement. Comme nous le suggèrent les économistes des conventions, dans le modèle de développement de l'après-guerre, celui des années 1945-1975, le social tend à être synonyme de redistribution et d'accès universel à des services dispensés par l'État (Thévenot, 1994). En somme, l'État providence tend à monopoliser la gestion du social. Dans cette visée, le social représente une dépense. Par ailleurs, l'économique tend pour sa part à être réduit à la grande entreprise, à la production industrielle et à la production de masse. Cette conception du social et de l'économique forme ce qu'on appelle le cercle vertueux keynésien. Ainsi, la redistribution comme la sécurité du revenu et les assurances collectives alimentent une demande solvable des biens de consommation pour une industrie orientée de plus en plus vers la production de bien de consommation (de masse).

Tableau 4: le social et l'économie

Années 1945-1975:

Le social est défini comme problèmes sociaux et renvoie donc à l'État-providence et
à la redistribution (le social représente une dépense)

L'économique: la grande entreprise
                       la production standardisée
                       le salaire direct et indirect
Cercle vertueux keynésiens: les dépenses sociales constituent une demande solvable

Années 1980-1990:

Le social représente un actif, un capital social, un potentiel de cohésion sociale de sorte qu'il renvoie à la communauté, à la proximité, à la famille, à la réciprocité, etc.

L'économique: le marché, le financier, la mondialisation

* le social comme dépense sociale ne disparaît pas pour autant mais est repoussé vers la sphère privée (notamment dans le néolibéralisme)

Avec l'ouverture des marchés, ce cercle vertueux devient vicieux: la redistribution cesse de constituer un débouché. Pour des industries qui s'orientent de plus en plus vers la conquête de marchés extérieurs, la redistribution devient exclusivement un coût susceptible d'affecter la compétitivité. Dans un tel contexte, la cohésion sociale et le capital social sont redécouverts d'autant plus que l'exclusion sociale et professionnelle s'impose comme des problèmes que ni les entreprises, ni les États ne sont en mesure de résoudre. Une nouvelle conception également de l'économie est en émergence. Dans un contexte de turbulence et avec l'arrivée des nouvelles technologies d'information, le marché transmet plus rapidement les signaux que les hiérarchies qui révèlent alors leur lourdeur et leur limite en termes d'innovation. Le monde financier se soumet en quelque sorte le monde industriel. L'économie en vient à être de plus en plus définie par le marché et notamment par le monde financier. L'économie devient ainsi soumise au court terme de sorte que le social devient incontournable.

Ainsi, les entreprises les plus branchées sur le marché font appel, plus que jamais auparavant, au social comme par exemple à la culture d'entreprise et à l'engagement des employés. De même la revalorisation du local favorise une mobilisation des ressources sociales à travers les relations de proximité. À l'échelle locale, il est aussi plus facile de faire une lecture plus exacte des conséquences sociales de l'économie. Si le néolibéralisme reconnaît implicitement que l'économie est sociale dans son input, il refuse en revanche très explicitement de reconnaître la dimension sociale de son output. Ce refus a des effets pervers puisqu'en ne reconnaissant pas que l'économie est sociale dans son output, l'idéologie néolibérale décourage la mobilisation volontaire d'inputs sociaux tout en l'instrumentant et donc en contribuant à son érosion. Enfin, lorsque l'entreprise capitaliste reconnaît le social c'est plus souvent qu'autrement sous la forme du paternalisme ou encore de la philanthropie (ex. les fondations privée). Pour sa part, le néolibéralisme tend à ne reconnaître explicitement comme sociale que l'économie informelle et le travail domestique qui sont alors considérés comme complètement étrangers à l'économique. En somme, si l'économie est plus que jamais sociale dans son input et dans son output, la reconnaissance de cette double dimension n'est pas acquise pour autant.

2.2 La nouvelle économie sociale

Si toute économie est sociale, il n'y a que l'économie dite sociale qui reconnaisse explicitement la dimension sociale de l'économie. Cela se traduit non seulement par l'affirmation de valeurs de solidarité et d'entraide mais également par l'adoption de règles qui influent sur la répartition du pouvoir et des surplus. Comme l'économie sociale est plus que centenaire (Gueslin,1998), il est possible d'identifier plusieurs générations d'entreprises et d'associations qui reconnaissent la dimension sociale de l'économie. La nouvelle économie sociale tend à désigner les entreprises et les associations qui sont apparues pour répondre à la crise de l'ancien modèle de développement ou encore pour s'inscrire dans le nouveau modèle. De ce point de vue, l'ancienne économie sociale, celle qui a émergé depuis la fin du siècle dernier jusqu'au début des années 1970, est également appelée à se renouveler sous peine de disparaître avec l'ancienne économie.

Comme je m'adresse à un auditoire qui connaît bien certaines composantes de l'économie sociale, je n'insisterai que sur son ampleur et sur la difficulté de synergiser toutes ses composantes. Cette difficulté provient entre autres du fait que l'économie sociale au Québec n'est pas pleinement consciente de son ampleur et de sa force et qu'elle n'a pas de lieu comparable au Conseil de la Coopération du Québec pour favoriser une telle prise de conscience et éventuellement un maillage plus serré même si le Chantier de l'économie sociale à travers son Comité d'orientation constitue une amorce intéressante de ce point de vue. Dans cette visée, il me semble important de bien voir que trois types d'organisations passablement différentes sont impliquées d'une façon ou d'une autre dans l'économie sociale. Il s'agit principalement 1) des associations et des entreprises produisant des biens et des services, 2) des regroupements sectoriels et territoriaux et des groupes de services et 3) des mouvements sociaux. Voyons très brièvement chacune de ces trois composantes.

Les entreprises et les associations relevant de l'économie sociale sont celles qui se donnent des règles leur permettant de reconnaître la dimension sociale de l'économie, aussi bien dans leur input et que dans leur output. Cet ensemble est formé de plus de 3000 entreprises coopératives et de plus de 5000 associations produisant des biens ou des services. À cela, il faut ajouter un certain nombre de sociétés à capital-actions contrôlées par des entreprises d'économie sociale. Certaines conventions d'actionnaires peuvent favoriser un arbitrage relativement serré entre la rentabilité financière et la rentabilité sociale, soit à partir de droits de véto sur la redistribution des profits, les emplois, le développement régional, etc. À cette échelle, il existe une diversité non seulement de statuts juridiques mais également de pratiques qui vont explicitement dans le sens de l'économie sociale. Dans un environnement relativement hostile, ces entreprises et associations ne sauraient s'épanouir sans regroupements, soit sur la base du secteur d'activité (fédérations ou réseaux), soit encore sur la base du territoire (CCQ, CDR, CRES).

Enfin, les initiatives d'économie sociale sont généralement portées, au moins au moment de leur naissance, par des mouvements sociaux qui ont comme spécificité de défendre une vision de la société voire un projet de société. Lorsqu'on assiste à une vague de nouvelles entreprises et de nouvelles associations, cela n'est généralement possible que parce que les mouvements sociaux sont impliqués. Dans cette visée, la nouvelle économie sociale a comme caractéristique relativement spécifique d'être portée par une sorte de coalition de mouvements sociaux. Ces mouvements sociaux sont plus diversifiés que jamais auparavant. Il s'agit principalement du mouvement communautaire, du mouvement des femmes, du mouvement écologique, du mouvement syndical, du mouvement coopératif, du mouvement nationaliste et j'en oublie. Ces divers mouvements sociaux ont des priorités qui ne sauraient être confondues mais ils ont en commun d'affirmer que toute l'économie doit être sociale et d'avoir un préjugé favorable à tout projet qui se définit explicitement comme relevant de l'économie sociale. En somme, l'implication des mouvements sociaux dans l'économie constitue un élément central du nouvel environnement externe. Pour cette raison également, l'économie dite sociale a beaucoup plus de poids en termes d'influence que son seul poids économique qui est par ailleurs sous-estimé.

On comprendra dès lors qu'un des enjeux est de renforcer cette influence pour faire en sorte que les projets de la nouvelle économie sociale se développent sans renoncer pour autant à la transformation de l'ensemble de l'économie capitaliste et publique. Dans cette visée, on peut avancer que l'ancienne économie sociale comme la nouvelle ont tout intérêt à travailler en alliance. Le lien entre la nouvelle économie sociale et les mouvements sociaux est indispensable si l'on ne veut que cette nouvelle économie ne dérive pas vers l'économie informelle ou encore vers le secteur privé pour les activités pouvant trouver une demande solvable. Autrement dit, sans cette liaison avec les mouvements sociaux, la nouvelle économie sociale risque de conforter un modèle néolibéral.

Conclusion

Que retenir dans le cadre d'un exposé à des chefs de file du mouvement coopératif? Au moins trois conclusions s'imposent. En premier lieu, l'émergence d'un nouveau local devrait interroger le mouvement coopératif comme toute entreprise coopérative et regroupement coopératif. Comment suis-je positionné par rapport au local? Est-ce que pour mon organisation, le local est l'ancien local ou le nouveau local? Même dans la foulée du nouveau local, les entreprises et les associations doivent se demander si leur contribution va effectivement dans le sens d'une meilleure liaison entre le social et l'économique? dans le sens d'une démocratisation de l'économie? Autant de questions dont les réponses ne peuvent être données une fois pour toute, y compris pour une entreprise dite d'économie sociale.

En deuxième lieu, la nouvelle économie sociale nous interpelle sur la nature même de l'économique et du social. De ce point de vue, les règles formelles qui supposent la reconnaissance de la dimension sociale de l'économie, sont sans doute des acquis mais demeurent insuffisantes pour répondre à la vision nouvelle qui alimentent les expérimentations. Plus largement, l'ancienne économie sociale et la nouvelle doivent se positionner par rapport au modèle de développement en émergence. Mon entreprise et mon association s'inscrivent-elles dans l'ancien modèle de développement, modèle qui faisait peu de place à la démocratie dans l'organisation du travail comme dans la définition des besoins? s'inscrivent-elles dans un modèle néolibéral voire ultra-libéral en vertu duquel l'économie devrait se réduire au marché et l'économie sociale se réduire à l'économie informelle? s'inscrivent-elles dans un modèle misant sur une société plus juste et équitable, dans un modèle ouvert au développement durable? Comme chef de file, suis-je convaincu que ces choix sont les meilleurs, y compris pour mon organisation? Concrètement, qu'est-ce que j'envisage comme intervention pour que ces choix deviennent réalité? En somme, les convictions pour nécessaires qu'elles soient, sont également insuffisantes.

En dernier lieu, les deux éléments de l'environnement que nous avons retenus, le développement local et l'économie sociale, laissent bien voir que la démocratie devient l'enjeu central. L'importance de la démocratisation est d'autant plus forte que la crise du modèle de développement était en partie causée par l'absence de démocratie et de participation (administration bureaucratique des services collectifs par des experts et organisation tayloriste du travail). Dans une société donnée, la démocratie est s'organise d'abord à partir de la souveraineté populaire et donc à l'échelle de l'État-Nation. Bien que constituant la base de nos systèmes politiques, la démocratie ne saurait être réduite à la seule démocratie libérale et à la seule démocratie politique. Les sociétés modernes sont composées sans doute de citoyens et d'individus mais également de groupes sociaux, de collectifs, de communautés locales et culturelles, etc... En conséquence, il va de soi que les droits individuels reliés à la citoyenneté doivent être complétés par la reconnaissance de droits collectifs. De ce point de vue, certains politicologues ont reconnu la complémentarité et la nécessité de ces deux formes de démocratie que constituent la démocratie libérale et la démocratie sociale (Schmitter, 1992; Thériault, 1995).

Dans le développement local et l'économie sociale, ces deux formes de démocratie sont indispensables si l'on veut avancer sur deux pieds. Dans une assemblée générale d'une entreprise d'économie sociale, les membres doivent sans doute décider sur la base d'une personne, un vote conformément à leur intérêt individuel mais ils doivent également être invités à débattre pour identifier ce que pourrait constituer l'intérêt collectif et donc invités à prendre en considération le long terme voire les externalités. Seule la démocratie peut donner tout son sens au développement local comme à l'économie sociale et éviter ainsi que le social ne soit simplement instrumenté par l'économique comme le font la plupart des entreprises capitalistes. Une démocratie ouverte au débat permet un apprentissage collectif qui enrichit ainsi le capital social et qui permet de relever le défi de l'économie de marché sans pour autant instrumenter le social au profit exclusif de l'économique. Concrètement, la démocratie dans une coopérative forestière, dans une caisse populaire ou d'économie, dans une garderie, dans une coopérative de solidarité, dans une SADC, un CLD, une CRES ne va pas de soi? Ainsi, dans le développement local, la planification stratégique relève-t-elle des seuls experts ou représente-t-elle une occasion, pour tous les membres du conseil d'administration, de s'approprier des orientations en fonction des intérêts collectifs et même de l'intérêt général? De même, les fonds locaux sont-ils des instruments contrôlés exclusivement par des commandités ou au service d'orientations définies dans le cadre d'un processus démocratique? On l'aura compris, l'intérêt collectif est une construction sociale que ne peuvent réaliser isolément les membres d'une association: il faut donc consacrer beaucoup de temps pour débattre et construire ces références communes et ces schémas cognitifs qui sont indispensables pour faire les choses autrement et mieux. De ce point de vue, la démocratisation sociale, y compris dans le cadre de la proximité et de l'économie sociale, ne saurait progresser sans d'importants investissements et sans en faire une priorité.

NOTES

1 Conférence des chefs de file du mouvement coopératif. Conseil de la coopération du Québec, Québec, 13 novembre 1998.

2  Ces éléments ont été analysés par le CIRIEC Canada. Voir à ce sujet sur le site du CIRIEC, Les tendances lourdes: http://www.unites.uqam.ca/ciriec/.

3  Le local traditionnel était constitué principalement de la municipalité au plan politique et de la paroisse au plan religieux. Aujourd'hui, il faut reconnaître que le local s'est complexifié comme l'a bien montré Marc-Urbain Proulx (1998) qui distingue justement quatre grandes composantes du territore, soit la société civile (ex. association et famille), la communauté politique (ex. les municipalités), le secteur privé (ex. les entreprises) et l'État (ex. bureaux et agences).

4 Pour le développement local, 80 MRC ont des SOLIDE. La fonction des MRC consiste entre autres: 1) à l'aménagement du territoire; 2) à l'évaluation foncière; 3) à la gestion des déchets. Par ailleurs, les CLD ont comme spécificité le soutien à l'entrepreneuriat alors que les CLE doivent offrir les services de main d'oeuvre. Les services de santé relèvent des régies régionales et le transport et les équipements scolaires des commissions scolaires. L'intégration est loin d'être complète.

5  Ainsi, 40 MRC ont environ 25,000 de population.

6  Les CLE relèvent du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Suite à une entente avec Ottawa sur la main d'oeuvre, le gouvernement du Québec intègre les services comme le placement et la formation professionnelles (hormis l'assurance-emploi), les mesures actives comme l'insertion et les mesures passives comme la sécurité du revenu.

7  Plus souvent qu'autrement, le social est défini par les problèmes sociaux engendrés bien souvent par le développement économique (Bartoli, 1996). Nous proposons une définition plus positive du social comme ensemble des rapports et liens sociaux et donc également comme capital social.

BIBLIOGRAPHIE:

BARTOLI, Henri (1996), L'économie au service de la vie. Crise du capitalisme. Une politique de civilisation, Grenoble, Presses universitaires de Grenobles, 496 p. (Voir entre autres le chapitre 1: Intégrer l'économique et le social).

COTÉ, Serge (1998) "Délestage tapageur ou décentralisation tranquille", in Roch Côté (Sous la dir.), Québec 1999, Montréal, Fides-Le Devoir, pp. 341-350.

GUESLIN, André (1998), L'invention de l'économie sociale. Idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du XIXe siècle, Paris, Economica, 1998 (2ième édition), 430 p.

FAVREAU, Louis et Benoît LÉVESQUE (1996), Développement économique communautaire. Économie sociale et intervention, Québec, PUQ, 230 p.

LAVILLE, Jean-Louis et Renaud SAINSAULIEUR (Dir) (1998), Sociologie de l'association. Des organisations à l'épreuve du social, Paris, Desclée de Brouwer, 402 p.

LÉVESQUE, Benoît (1997)., "Démocratisation de l'économie et économie sociale", in G. Laflamme, P.-A. Lapointe et alii (sous la dir.), La crise de l'emploi. De nouveaux partages s'imposent, Québec, PUL, 1997, pp.87-123.

LÉVESQUE, Benoît et Lucie MAGER (1995), "L'institutionnalisation des nouvelles dynamiques de concertation locale et régionale au Québec: les acteurs sociaux à la recherche d'une stratégie gagnante", in Alain-G. GAGNON ET Alain NOEL (Sous la direction), L'Espace québécois, Montréal, Québec/Amérique, 1995, pp. 135-170.

LÉVESQUE, Benoît, KLEIN, Juan-Luis, FONTAN, Jean-Marc et Danière BORDELEAU (1996), Systèmes locaux de production: réflexion-synthèse sur les nouvelles modalités de développement régional/local, Montréal

MORIN, Richard (1998), La régionalisation au Québec. Contexte historique. Montréal, IFDEC, 48 p.

PIORE, Michaël (1995), Beyond Individualism. How Social Demands of the New Identity Groups Challenge American Political and Econmic Life, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 216 p.

PROULX, Marc-Urbain (1998), "Le rôle des territoire dans l'économie-monde", in Marc-Urbain PROULX (dir.), Territoire et développement économique, Paris et Montréal, L'Harmattan, pp.107-128p.

PUTNAM, Robert (1992), Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, NJ: Princeton University Press.

SCHMITTER, P.C. (1992), "Interest Systems and the Consolidation of Democracies", dans A.G. MARKS et L. (dir.), Reaxaminimg Democracy, Londres, Sage Publication, pp. 156-181.

THERIAULT, Joseph-Yvon (1995), "La démocratie coopérative a-t-elle un avenir?. dans M.-T. SEGUIN (Dir.), Pratiques coopératives et mutations sociales, Paris, L'Harmattan, 1995, pp. 47-58.

THEVENOT, Laurent (1994) "Nouvelles figures du compromis", B. EME et J.-L. LAVILLE (dir.), Cohésion sociale et emploi, Paris, Desclée de Brouwer, 247-256.

VAILLANCOURT, Yves et Jean-Louis LAVILLE (1998), "Les rapports entre associations et État: un enjeu politique", in La Revue du M.A.U.S.S. semestrielle, Paris, No 11, pp.119-135.


Ciriec

Pour plus d'informations, contacter:
Ciriec
Secrétariat du CIRIEC-Canada
Université du Québec à Montréal
C.P. 8888, succ. Centre-Ville
Montréal, Québec - H3C 3P8
ciriec-canada@uqam.ca


| Sommaire |

Horizon Local 1997 - 2001
http://www.globenet.org/horizon-local/