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Pour une stratégie de développement technologique

Par Adama BERTHE, Chercheur Malien


Comment construire des pôles de développement technologique à partir du bricolage et du copiage ?

Repenser la formation et asseoir l'évolution technique sur le savoir-faire local, constituent des facteurs de réussite comme en Tunisie et à Madagascar, à l'orée de l'indépendance.

Nul ne peut affirmer que le bricolage et le copiage constituent la réponse principale à la plupart des besoins de la population des pays en voie de développement. Il ne s'agit là que d'une hypothèse qui restera valable tant que se posera le problème du développement des Tiers-Mondes.


DES THEORIES INOPERANTES POUR LE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE.

Le but de ce bref rappel théorique n'est pas de rajouter à l'anarchie théorique mais de préciser la grille à partir de laquelle lire les propositions. Globalement, les thèses du transfert de technologies peuvent être classées en 3 écoles :

DU CONCEPT DE TRANSFERT AU CONCEPT DE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE.

Le transfert de technologie quelle que soit la forme sous laquelle on l'envisage sous-entend une idée de générosité. Elle suppose que le détenteur de technologie accepte de transmettre pour des raisons humanitaires ses recettes à d'autres. Or chacun sait que le savoir-faire technologique, supposé être un patrimoine commun, a rarement été l'objet d'une telle diffusion.

Autant de raisons qui conduisent à préférer à ce premier concept celui de "stratégie de développement technologique". En effet, ce terme suppose une identification des fins, des moyens, des démarches qui sont propres à favoriser à la fois une appropriation et une autonomisation du savoir-faire technologique. C'est de ce point de vue que les bricoleurs et les copieurs requièrent un intérêt indéniable. Qu'on se rappelle ces horlogers, ces réparateurs de motos, d'automobiles, ces récupérateurs qui fabriquent des chaussures, des marmites, des ceintures, des entonnoirs... etc... à partir des déchéts de l'industrie moderne ; ces cordonniers, ces forgerons etc... qui reproduisent presque à l'identique des objets fabriqués par l'industrie moderne : sacs, charrue, pièces détachées de camions. Toute cette population dynamique et ingénieuse, a acquis un savoir-faire bien adapté aux besoins et au pouvoir d'achat local et ce, en dehors de l'institution scolaire. Elle détient ainsi tout un pan de la plupart des économies sous-développées.

Le bricolage et le copiage recouvrent donc surtout le secteur informel urbain et celui des métiers traditionnels. Mais quelle que soit l'adaptation de ces activités aux besoins de leurs sociétés respectives, elles resteront à un stade artisanal tant qu'elles seront réduites à n'être que des simples réponses à des conjonctures difficiles et ne bénéficieront pas d'une attention soutenue de la part des autorités publiques.

DES ACTIVITES INFORMELLES AU DEVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE

Pour faire de ces activités le tremplin d'un développement technologique, deux axes de réflexion sous forme d'hypothèses de travail, sont à mener.

Repenser la formation technique

Dès l'accession à l'indépendance les autorités politiques de la plupart des pays Africains ont pensé qu'il suffisait que l'Institution scolaire fabrique des diplômés correspondant aux différents secteurs de développement pour s'approprier les technologies de pointe et provoquer ainsi un décollage économique immédiat. Dans cette perspective, le développement technologique par son efficacité devait faire disparaître les métiers traditionnels. Aujourd'hui, un constat d'échec peut-être dressé. Au Mali par exemple, de nombreux diplômés de diverses spécialités et de tous les niveaux sont au chômage : ingénieurs, techniciens supérieurs, contremaîtres, médecins etc... sur fond de grave crise économique.

De l'autre côté, les bricoleurs et les copieurs se sont multipliés, réussissant tant bien que mal à s'adapter aux situations actuelles. L'impuissance des techniciens des pays en voie de développement à assurer à leur pays le décollage tant attendu est sans conteste largement imputable aux pesanteurs économiques, mais à y réfléchir la part de la formation paraît être une piste intéressante à explorer.

Les autorités politiques des pays du Sud avaient à choisir selon deux options pour la formation des techniciens. La première était de tenir compte des acquis du système d'éducation traditionnel. Le principe fondamental de cette éducation,- qui a connu aujourd'hui une certaine évolution - comme le rappelle Abdou Moumouni(4), est d'être intimement liée à la vie sociale. L'itinéraire professionnel était dans la plupart des cas tout tracé. Le jeune homme apprenait le métier de son père qui l'avait lui-même appris du sien. Ce système a permis d'accumuler un stock d'expériences techniques et a produit les artisans dont la société avait besoin : forgerons, cordonniers, tisserands, sculpteurs, etc... Et il n'est nullement absurde de penser que ce sont les survivances de ce système qui entretiennent aujourd'hui le génie du bricolage et du copiage.

La seconde option choisie par la quasi totalité des dirigeants quelles qu'aient été leurs choix politiques, procède de l'idée que la technique est unique. Elle connaîtrait une évolution linéaire qui va d'une phase sous-évoluée et archaîque à une phase évoluée qui n'est à son tour qu'un moment du processus par lequel la technique se perfectionne infiniment. Dans ces conditions le point de départ est de reconnaître la suprématie occidentale et d'axer les formations pour une appropriation de ce modéle.

Cette approche conduit à ignorer les capacités professionnelles locales considérées comme inefficaces et socialement dévaluées et à privilégier la formation technique théorique au détriment de la mise au point d'outils de production.

Il serait intéressant de mener une étude comparative entre les ouvriers recrutés dans le secteur traditionnel et, ceux sortis, des centres de formation quant à l'efficacité de leur travail.

A priori, nous penchons à croire que le résultat d'une telle étude serait à l'avantage des premiers. L'observation a prouvé une nette supériorité des ouvriers formés sur le tas face aux diplômés des écoles formelles. Ces derniers n'ont aucune compréhension du produit fabriqué, encore moins d'initiative par rapport à la pratique du métier.

Créer des pôles de développement technologique à partir du bricolage et du copiage

Selon la proposition de F. Perroux( ), la constitution de pôles de développement est une action innovatrice qui se caractérise par une démarche sélective dont la finalité est de dégager des produits qui s'accompagnent de l'invention de nouvelles techniques. Le garant de la perennité d'un tel processus est comme le soutient USHER ( )le caractère cumulatif du développement constituant un champ technique donné (par exemple, la mécanique où il y a un corps de savoir établi et communément accessible dont les mécaniciens qualifiés sont collectivement dépositaires ( ). Il est vrai que cette approche théorique a servi d'abord à analyser le développement technique des pays industrialisés, qui s'est effectué dans un contexte différent de celui observé dans les pays du Sud.

Dans le premier cas le développement technologique s'est déroulé dans un contexte où les pesanteurs extérieures avaient peu d'influence. Alors que dans le second cas il s'agit de s'approprier et d'adapter des technologies développées par les sociétés occidentales. Il n'en demeure pas moins que cette théorie constitue le dénominateur commun à tous les systèmes techniques. C'est sur cette base et sous réserve de choisir la stratégie qui convient à chaque cas, que nous pensons que toute appropriation et adaptation technologique passent par des pôles de développement choisis en fonction de leur compétitivité et de leur potentiel d'effets d'entraînement. Une telle proposition ne constitue nullement une découverte. Certains pays l'ont expérimenté sur le terrain.

SUR LE TERRAIN

La politique artisanale de MADAGASCAR

Un premier exemple qui nous servira d'illustration est l'étude de Willy LEONARD ( ) relative à la politique artisanale de Madagascar. Cette expérience s'est déroulée en deux périodes. La première est celle de la première République 1960-1975.

L'idée générale était de transformer les patrons artisans en industriels grâce à l'aide et à l'encouragement de l'Etat afin d'enclencher un processus de développement technologique.

A cette fin, les gouvernements successifs ont regroupé les artisans dans des exploitations coopératives en mettant en place tout un dispositif :

La seconde période est celle de la seconde République : à partir de 1975. La politique Marxiste-Leniniste proclamée assigne à l'artisanat des objectifs qui passent par les phases suivantes : expansion, modernisation technique, assainissement (1ère phase), coopératisation progressive (2ème phase).

L'échec de ces politique est lié à quatre raisons principales :

  1. Ne sachant pas comment réaliser le couplage entre l'artisanat autochtone et la volonté de modernisation, les objectifs de cette politique ont été formulés dans des termes trop vagues.
  2. Il est apparu que non seulement l'Etat n'a pas su établir une règle de jeu entre le secteur artisanal et le secteur industriel de façon à protéger le premier, mais aussi il n'a pas tenu compte des conditions du marché dans le choix des bénéficiaires de crédit artisanal.
  3. Il y a aussi la part de ce qu'on pourrait appeler le biais de l'instabilité politique. Entre 1960 et 1975 trois régimes politiques se sont succédés chacun remodelant l'expérience selon sa sensibilité propre.
  4. En créant des exploitations coopératives de façon bureaucratique, sans juger de leur positionnement par rapport aux autres acteurs économiques, l'Etat a paralysé l'activité artisanale.

Au-delà de la technologie, c'est la reproduction de schéma étranger d'organisation de la production qui est en cause.

L'artisanat, support de l'industrialisation en TUNISIE

Un autre schéma consiste à constituer des pôles de développement les plus larges possible en les enracinant dans les techniques autochtones.

Cette dernière alternative qui emporte notre adhésion a été rarement adoptée. Elle est généralement considérée comme passéiste et folklorique. Parce qu'on perd généralement de vue que le développement de l'artisanat peut constituer une étape de l'industrialisation. Pierre JUDET ( ) nous rapporte des exemples qui confortent cette hypothèse :

1er exemple : "J'avais eu l'occasion... de visiter des artisans du Sahel qui, à Ksibet, se mettaient à fabriquer, à l'étonnement de leurs concitoyens des métiers à tisser à partir d'acier de récupération... J'ai eu également l'occasion de découvrir ces forgerons de Sfax, les frères Jamoussi, qui produisaient araires et outils traditionnels mais également des

maachas conçues traditionnellement pour la traction animale et qu'ils avaient eux-même adaptées au tracteur..."

2ème exemple : "Sfax, (Tunisie) est traditionnellement une ville d'artisans : bijoutiers, ferroniers, artisans de la chaussure et du bois... Qui aurait parié à la fin des années 1950 ou bien au cours des années 1960 sur un avenir industriel Sfaxien autonome ?... Or Sfax en quelques années, s'est couverte d'usines, non pas transplantées cette fois, mais autochtones".

3ème exemple : " J'ai rencontré, en 1983 un maître artisan tanneur qui était à la tête d'un atelier désuet où il traitait peaux de chèvres et de moutons suivant des procédés transmis de père en fils. Sachant son activité menacée il ne s'est pas contenté de transmettre à ses héritiers savoir-faire et recettes. Il a envoyé ses fils en Europe. Ils sont tous les trois ingénieurs et techniciens du cuir, diplômés de gestion ;

... ils ont entrepris de transformer l'atelier de l'intérieur en substituant des produits chimiques modernes aux produits de traitement traditionnel ; en installant graduellement quelques machines modernes depuis la préparation des peaux brutes jusqu'au glaçage des peaux tannées. Ils ont d'abord conservé les bâtiments anciens afin de réserver les capitaux disponibles à la modernisation des circuits de production et à l'élévation de la qualité du produit. La construction de nouveaux bâtiments achèvera la mue industrielle. Il apparaîtra alors au grand jour qu'un atelier artisanal Sfaxien s'est transformé en unité industrielle de plein exercice, trois industriels et un manager ayant succédé à leur père artisan traditionnel".

Les conditions d'une industrialisation réussie

Cependant le passage d'une industrie à forte intensité de main d'oeuvre à une industrie à forte intensité de capital ne se fait pas automatiquement. En effet, il faut d'abord savoir constituer une base technique solide qui n'anéantisse pas la structure artisanale.

Chris GERRY ( ) rapporte le cas du Sénégal où l'Etat a participé à cette entreprise d'anéantissement.

"Avec l'arrivée de BATA, qui s'est assuré le monopole de l'approvisionnement du cuir, les producteurs locaux ont été contraints de renoncer à utiliser le cuir pour employer les matières synthétiques... Aujourd'hui, la plupart de ces petits artisans fabriquent des babouches presque uniquement en vinyl importé des pays de la CEE".

Ensuite, il faut être capable d'élaborer une stratégie de développement industriel apte à emprunter et à filtrer ce qui vient des pays du Nord. Les nouveaux pays industrialisés (Singapour,Taiwan, Hong-Kong, Corée du Sud), à quelque différence près, constituent à ce sujet des cas édifiants.

Il est vrai que ces pays qui ont une position géographique forte sur le plan du commerce international, ont bénéficié d'une aide Américaine et d'investissements étrangers importants, héritant souvent d'une bonne infrastructure... Il est tout aussi vrai que l'industrialisation rapide qu'ils ont connue n'a été possible que grâce à la conjugaison d'un savoir-faire et d'une stratégie d'industrialisation souple et pertinente.


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