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Sécurité alimentaire et développement de l'agriculture en Afrique de l'Ouest

Le modèle européen de politique agricole peut-il s'y appliquer? : Questions pour un débat

Par M.Buisson et M.Guglielmi, I.S.A.R.A. Lyon, le 30 juin 1995


En réponse à la crise actuelle des agricultures et plus globalement des sociétés africaines, s'affrontent des positions relativement tranchées. Celle de la Banque Mondiale, bien que légèrement amendée et fortement critiquée (H. Delorme et al., 1995) reste encore dominante dans les faits. Elle est confrontée à l'affirmation ancienne, mais renouvelée et renforcée, de la nécessité d'une solide protection de l'agriculture et de l'alimentation comme condition d'un réel développement (Cf. B. Hervieu dans ce numéro). Cette dernière position s'appuie sur les critiques des Programmes d'Ajustement Structurel (P.A.S.) dans leur conception et leurs modalités de mise en oeuvre, et sur le succès des modèles de développement de certains pays asiatiques ou encore de la Politique Agricole Commune européenne (P.A.C.).

Ce débat trouve une nouvelle actualité avec la création de l'O.M.C. (une protection reste-t-elle possible ?), la dévaluation du franc C.F.A., les interrogations sur les rôles et les capacités de la plupart des Etats africains.

Mais les conditions du succès des modèles de développement de l'agriculture sous protection forte, de la P.A.C en particulier, doivent être rappelées et confrontées à la situation des pays de l'ouest africain, pour dégager les enseignements à en tirer, mais aussi les exigences en découlant, dans le contexte actuel, pour la Communauté Internationale.

LE MODELE EUROPEEN OU L'INTENSIFICATION SOUS PROTECTION

La plupart des grands pays d'Europe, hormis l'Angleterre qui a longtemps bénéficié de sa suprématie commerciale et militaire de grande puissance coloniale, ont été protectionnistes en matière agricole jusqu'à la seconde guerre mondiale. D'autres, tels la Hollande et le Danemark, de taille plus faible, se sont plutôt spécialisés en production animale, important des produits végétaux et exportant des produits animaux sur les marchés des pays voisins en cours d'industrialisation.

A partir de la signature du traité de Rome en 1957, a été mise en place sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, une politique agricole commune protectionniste, visant à assurer la sécurité des approvisionnements, la régulation des prix, l'accroissement de la productivité agricole par la modernisation et le progrès technique, l'intégration de l'agriculture aux économies nationales.

Les objectifs majeurs du modèle européen : gains de productivité pour une augmentation de la production, régulation des prix.

En même temps qu'émergeait au sein de la paysannerie une couche de producteurs familiaux modernistes qui allait devenir l'interlocuteur quasi-exclusif des pouvoirs publics, ceux-ci mettaient en place un ensemble de dispositifs destinés à permettre des gains de productivité du travail agricole, résultant à la fois d'une augmentation des surfaces par travailleur et des rendements par hectare et par animal. Il fallait en effet à la fois libérer la main d'oeuvre nécessaire à la croissance industrielle et approvisionner à prix décroissants une population non agricole de plus en plus nombreuse.

Ainsi, furent progressivement mis en place une politique des structures, des soutiens (subventions, prêts bonifiés) aux investissements, des services de développement d'ailleurs largement confiés à la profession agricole organisée, et un système de régulation des prix. Ce dernier revêtait une grande importance. Concernant avant tout les produits dont l'offre et la demande de court terme étaient peu élastiques par rapport aux prix (produits alimentaires de base : céréales, lait, viande bovine), il s'agissait d'éviter de trop fortes fluctuations de prix préjudiciables bien sur aux acheteurs, mais aussi et surtout aux producteurs : difficile en effet de se lancer dans une modernisation impliquant des investissements amortissables sur plusieurs années sans un minimum d'assurance quant aux prix de vente.

La protection aux frontières était subordonnée à cette exigence de relative stabilité des prix, cette dernière étant en effet impossible à assurer sans amortisseur entre les prix mondiaux et les prix intérieurs.

Cette politique n'avait donc nullement de vocation exportatrice sur les marchés des pays tiers. L'Europe avait alors un degré d'auto-approvisionnement largement inférieur à 100 % pour les grands produits de base. Les restitutions aux exportations n'étaient conçues que pour permettre d'écouler des surplus momentanés et faibles sur le marché mondial. Quant aux exportations françaises, elles étaient principalement destinées aux marchés intérieurs européens (allemand, italien, puis anglais, espagnol).

Les conditions externes et internes de réalisation du modèle européen

Ce processus s'est déroulé dans un contexte international déterminé : la paix en Europe, des échanges internationaux qui étaient encore peu intenses en regard des productions intérieures, des écarts de productivité agricole relativement faibles à l'échelle mondiale, des protections tarifaires encore importantes ( ), un système monétaire international de parités fixes. Les Etats avaient alors une marge de manoeuvre autonome incomparablement plus forte qu'aujourd'hui. H. Delorme (1995) souligne que "l'accord du GATT à Marrakech en interdisant aux pays en développement les politiques de soutien des prix internes, les prive de fait du droit à la politique agricole".

A l'intérieur, le rôle conjoint d'Etats efficaces et de Professions agricoles organisées (le cas de l'Italie est a contrario révélateur) a été déterminant dans la négociation, l'élaboration et la gestion de ces politiques. L'intervention sur les marchés elle-même ne s'est pas faite directement sur les prix sortie d'exploitation, mais sur les prix sortie des entreprises de collecte (négociants, coopératives, groupements de producteurs (2)), ce qui signifie un appareil de mise en marché structuré, partout présent et des filières organisées.

Grace une croissance forte, l'industrie était capable à la fois d'absorber et d'attirer la population d'enfants d'agriculteurs quittant la terre, et de fournir les facteurs de production nécessaires à la modernisation et l'accroissement de productivité de l'agriculture ; la richesse créée et distribuée par les économies nationales était suffisante pour rémunérer correctement les produits agricoles et alimentaires et pour dégager les ressources publiques destinées au soutien de l'agriculture.

Enfin les pays européens étaient riches d'une population de familles agricoles, soit propriétaires de la terre, soit pouvant l'exploiter de façon durable, du sein de laquelle allait (notamment en France) émerger une couche d'entrepreneurs familiaux modernistes porteurs de l'idéologie du progrès technique pour progressivement structurer l'ensemble de la profession.

CE MODELE PEUT-IL S'APPLIQUER EN AFRIQUE DE L'OUEST ?

L'agriculture a encore dans cette partie de l'Afrique un rôle essentiel à jouer dans le développement économique et social par sa contribution dans trois grands domaines : la fourniture de devises, l'équilibre socio-géographique de la population et de l'emploi, la sécurité alimentaire. Ce rôle exige "un taux élevé de croissance agricole, tout en faisant participer un maximum de la population rurale à cet effort" (K. Cleaver, 1993, p. 25)). Mais

Des éléments de réponse à ces questions peuvent sans doute être trouvés dans un système fort de régulation et d'intégration régionale. Mais par rapport aux conditions de réalisation du modèle européen, l'Afrique sub-saharienne connaît de grandes difficultés sur les cinq plans essentiels à la réussite d'un tel modèle.

1. Au plan des échanges extérieurs, les conditions actuelles sont particulièrement défavorables :

2. Dans cette situation de dépendance alimentaire, particulièrement forte en zone sahélienne, se sont, à l'intérieur de la zone, développés ou tout au moins maintenus, malgré les politiques des Etats et la mise en place d'organisations régionales (Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest, ...), d'importants flux d'échange, souvent illicites, entraînant une véritable "intégration régionale par le bas" (Solagral, 1991).

Les échanges régionaux par le passé ont surtout été le fait de la conjonction d'opportunités économiques artificielles et de l'existence de réseaux commerciaux transnationaux à base ethnique qui ont permis d'exploiter pleinement ces opportunités. Le commerce régional basé sur de réelles différences d'avantages comparatifs est resté minime au regard de ces flux" (S. SNRECH, 1994, p. 50).

De plus, l'irrégularité de la production (les sécheresses peuvent d'une année sur l'autre diviser par deux le disponible alimentaire dans la zone sahélienne - Cf. Solagral, Op. Cit.), ainsi que des approvisionnements, renforcent ces modes d'échange non régulés par les Etats.

L'importance des échanges lointains et la faible intervention publique dans le commerce régional handicapent fortement tout projet de régulation forte, en particulier dans un cadre régional. Cette situation est ainsi très différente de celle de l'Europe des Six à la fin des années cinquante.

3. Les Etats sortent affaiblis par leur propre échec politique et technique et par leur remise en cause par les bailleurs de fonds, ainsi que dans certains cas par la société civile. De même, "... les politiques agricoles sont en fait déterminées par des aides extérieures et en particulier par la Banque Mondiale" (M. Griffon, 1990, p. 33).

Même si leur échec n'est pas aussi total que le dit la Banque Mondiale, notamment dans le domaine de la commercialisation de produits agricoles (E.H. Freud, 1993,), la faiblesse des Etats, à la fois par faible légitimité et par sous-capacité des administrations, douanières en particulier, constitue un handicap important pour le développement d'une politique d'intervention. En effet l'amélioration de la sécurité et de la transparence des marchés , que seule la puissance publique peut faciliter, jouent un rôle essentiel dans la mobilisation des acteurs.

4. L'agriculture est mal intégrée à une économie globale qui elle-même fonctionne à deux niveaux , l'économie "moderne" et l'économie "populaire" (S SNRECH, 1994 p. 6).

De plus, le faible niveau des ressources naturelles et leur dégradation forte dans certains secteurs est aggravé par une situation foncière très problématique avec notamment développement de l'appropriation privée échappant au droit traditionnel et surtout mobilisant de façon improductive une partie de l'épargne (M. GRIFFON, 1990 p. 32). Plus globalement, cette situation foncière réduit le dynamisme des producteurs.

L'hétérogénéité de peuplement et de ressources entre zones sèches et humides, combinée à l'existence de deux secteurs aux modes de fonctionnement très différents voire antagoniques, handicape lourdement la mise en oeuvre d'un projet de développement susceptible de mobiliser la majorité des producteurs et des organisations.

Bien qu'en progrès depuis une décennie, les organisations paysannes ou interprofessionnelles sont peu présentes - en dehors de quelques secteurs organisés de longue date ou plus récemment. Elles peuvent donc pour l'instant difficilement jouer un rôle fort de mobilisation et de structuration.

5. Tout projet de développement agricole se heurte enfin aux faibles capacités de l'économie à fournir :

POUR ASSURER L'INDISPENSABLE DEVELOPPEMENT, DONNER DU TEMPS ... ET DES MOYENS A L'AFRIQUE

Même mis en place progressivement, autour des produits alimentaires amylacés (C. Delgado, 1994 p. 25), le double mouvement de renforcement d'une part des outils de régulation au bénéfice de l'agriculture, d'autre part de l'intégration régionale, est certes exigeant pour les sociétés et les Etats africains. Il l'est aussi et peut-être davantage encore pour la Communauté Internationale.

L'intégration régionale apparaît en effet comme un "préalable à une croissance durable" dans le cadre d'une stratégie modeste et en partie contradictoire...." (S. Snrech, 1994 p. 32-33). En effet, "... le régionalisme, peut mieux que les démarches nationales, maximiser les intérêts nationaux" (H. Delorme et al., 1995). Cette intégration doit par ailleurs s'appuyer sur un renforcement des politiques impliquant les Etats et les acteurs économiques, et ce dans les différentes composantes (macro-économiques, sectorielles et territoriales) de ces politiques. Elle doit prendre en compte à la fois les conditions du commerce intra-zone pour les produits vivriers, et ceux de l'accès aux marchés mondiaux pour les autres.

Ces orientations exigeantes et difficiles, ne pourront être appliquées et produire les effets attendus que si la Communauté Internationale change radicalement de politique vis a vis de ces pays. La très faible compétitivité des produits africains et le faible niveau des prix supposent que les pays du Nord acceptent d'en soutenir les exportations en volume et en prix (niveau et régularité), y compris en aidant moins leurs propres producteurs. De plus, le Nord doit permettre au pays du Sud de soutenir chaque fois que nécessaire leurs prix internes.

Les Instances internationales devront aussi appuyer cette démarche régionale alors que la Banque mondiale y est jusqu'ici, au moins dans les faits, opposée à travers les politiques d'ajustement structurel. Il faudrait aussi que l'O.M.C. intègre ce projet de protection des agricultures africaines, antinomique avec l'accord conclu à Marrakech.

"Mais à qui revient le pouvoir d'organiser les réductions d'incertitude" (G. de Bernis, 1995).

Références bibliographiques


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