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Quelques pas dans l'histoire d'une ONG africaine de terrain

Par Pila Sallaberry, CIMADE *


Comment renforcer la société civile des PVD ?
Faut-il soutenir directement des groupes de base ou appuyer plutôt des organisations intermédiaires ?
Pour les opérateurs de la CIMADE, le choix n'est pas dans l'appui exclusif aux uns ou aux autres mais doit se fonder sur une analyse fine du type de relations établies entre l'organisme destinataire et la population.


Les organisations de solidarité internationale affichent parmi leurs objectifs, le renforcement de la société civile des pays où elles interviennent. Dans la mise en oeuvre de cette finalité, une des questions qui revient sans cesse est celle du choix du destinataire du soutien.

Il est clair que pour la Cimade, l'appui à l'émergence et au renforcement d'opérateurs de développement à profil associatif, a une place de choix dans son action de solidarité internationale. Elle a ainsi appuyé et même suscité, dans le Tiers-monde, la création de plusieurs ONG à portée nationale (1). Mais cette orientation générale n'exclut pas le soutien direct à des groupes, que se soit en ville ou à la campagne.

Au Sud, ce choix ne va pas sans poser de problèmes. "Certaines ONG "vampirisent" les paysans dans notre pays en captant à leur profit toute l'aide internationale" affirment des responsables villageois. Mais d'autres catégorie sociale disent avec la même vigueur : "Les ONG du Nord, au lieu de prétendre faire du "basisme", devraient se remettre à nous, intellectuels du pays, qui connaissons notre peuple."

En fait le facteur de détermination porte sur la question : les organisations soutenues favorisent-elles ou non le renforcement de la société civile et si oui, avec qu'elle démarche ?

En réalité, il n'y a pas de recette miracle comme l'enseigne l'exemple du PIP (Programme Intégré de Podor) au nord du Sénégal. L'histoire de ce programme montre que suivant les phases, les choix peuvent être divers.

EN QUETE D'UN INTERLOCUTEUR CIVIL

Dès sa naissance, le PIP a été conçu comme un programme de développement intégré - concept assez nouveau à l'époque. Ses objectifs initiaux était d'allier des actions dans les domaines de l'hydraulique, de la santé, de l'agriculture, de l'élevage, du stockage et de la transformation des produits vivriers. Non "organisation de base", le PIP n'est pas non plus une émanation de celles ci. Il appartient à la catégorie des "organisations intermédiaires de conseil ou d'appui", celles qui sont appelées, en Amérique Latine, organisations de "troisième degré", pour les distinguer de celles de premier degré (ou groupes de base) et de celles de deuxième degré (élues par les groupes de base).

Dès l'origine du programme, la question de la mise en forme de la relation avec la population s'est posée. Faute de trouver une instance médiatrice dans la zone, le PIP a donc commencé par travailler avec l'administration sénégalaise, seul interlocuteur possible. Cependant pour ne pas rester dans ce tête à tête et rompre rapidement avec le risque de travailler avec des paysans "aussi prompts à demander des réalisations qu'à bouder leur entretien", le PIP à inciter à la création d'un interlocuteur associatif inter-villageois.

Le rêve prend forme avec la création de "Diokéré Endam" ( ) en mai 1977, lors d'un séminaire de délégués de villages à Ndioum. Les objectifs de cette association, où sont représentés tous les échelons du département au village, sont des plus classiques et des plus vastes : renforcement des relations entre toute la population du département, étude et participation aux projets, recherche des financements, suivi et entretien des réalisations du PIP, sans oublier "la libre expression des populations dans son sein".

Avec 14.000 membres cotisants (!) en 1980, elle est l'organisation paysanne de développement tant attendue, capable de devenir le relais du PIP auprès des villages.

LA DIOKERE ENDAM, UN ESPACE INTERMEDIAIRE QUI DEVIENT ENJEU DE RECUPERATION

Quelques années plus tard l'enthousiasme n'est plus de mise. L'association Diokéré Endam n'a pas réussi à dépasser les clivages antérieurs et traduit un équilibre délicat de pouvoirs. "... Il est apparu que des choix ont été faits par influence et que chacun tend à satisfaire son arrondissement. D'où une tendance à répartir les projets selon la division administrative, par arrondissement, et non selon les besoins réels. Par exemple, s'il y a réalisation de huit puits, la Diokéré Endam proposera d'en creuser deux par arrondissement, par souci "d'équilibre", même si certains arrondissements sont relativement mieux pourvus que d'autres. Les rapports qui s'établissent entre les membres du Bureau Départemental et les adhérents villageois peuvent donc être caractérisés comme des rapports de clientélisme. Le discours tenu par les membres du bureau est significatif: "nous avons demandé pour vous", "nous vous avons donné", "adhérez à la Diokéré Endam, vous bénéficierez de ...", en retour leur pouvoir de représentation est conforté" ( ).

Pour la Cimade, le constat est amer. "On constate combien il est difficile de sortir du système politique et social dominant et de créer un autre modèle basé, non pas sur l'assistance, mais sur la participation de chacun. C'est dans des actions mobilisant de villages entiers, comme la construction de digues de protection, que s'établit une dynamique à la base." ( )

C'est l'échec, résultat inattendu d'une visée positive ; les villageois restent aussi passifs que par le passé, malgré le nombre mirobolant d'adhésions à Diokéré Endam. L'association est un écran entre le PIP et les populations, elle est l'exemple d'un espace intermédiaire devenant lieu de récupération. Le souvenir de cet échec hante jusqu' aujourd'hui la mémoire de tous ceux qui ont suivi le Programme Intégré de Podor et les porte à la prudence sur les structures dont l'objet est de toucher les populations.

L'APPROCHE VILLAGE, LES VILLAGEOIS CESSENT DE BOUDER

L'expérience acquise bénéficiera à la nouvelle équipe (1983-1985) qui donne naissance à un PIP de deuxième génération : elle se tourne résolument vers les villageois et entretient des rapports réservés avec toutes les instances qui dépassent "le socle du village". Diokéré Endam est progressivement mise de côté. Cependant, elle ne renie pas le passé, notamment en s'appuyant sur les réalisations du PIP première génération, par exemple la maille de 50 puits et 10 forages. "Si le PIP a pu trouver un nouvel élan c'est bien parce que les réalisations précédentes avaient permis de maintenir la vie dans la région." ( )

Mais le diagnostic sur la situation de la zone est différent : on ne parle plus de désorganisation des villages, bien au contraire, l'existence de leur organisation traditionnelle est prise en compte et le dialogue direct avec les villageois est engagé ; la langue de communication est impérativement la langue locale.

Une nouvelle approche, dénommée "approche village", émerge. Toute proposition, d'où qu'elle vienne, est soumise à l'ensemble du village qui en discute jusqu'à arriver à un accord. A l'encadrement rapproché de l'agent de développement se substitue l'écoute.

Les résultats ne se font pas attendre, de 4 jardins en 1981 on monte à 370 en 1985 ( ), les groupes porteurs en sont les femmes et les jeunes, organisés par classes d'âge.

En 1985, l'alphabétisation en langue locale commence dans 5 centres tests. Dès cette même année, 14 villages se réunissent dans une fédération, la Fedde Bamtaaré Tooro, pour s'épauler et organiser la reprise du programme après l'action du PIP. Comme pour les jardins, les centres d'alphabétisation font tâche d'huile. En 1991, 22 centres autonomes fonctionnent et la fédération démarre des activités en vue de dégager les ressources financières nécessaires à la poursuite de cette activité.

Le PIP ne cherche plus la participation des villageois : il participe à leurs projets. Il facilite plus qu'il n'encadre. Mais cette démarche peut le mener loin et trouble parfois nos préjugés occidentaux, comme par exemple ainsi que l'écrit Thierno Aliou Ba : "sans tambour ni tam-tam, le PIP mène une action de développement humain avec les groupements féminins, avec le consentement des hommes... (Les femmes) ont appris ce que personne ne peut leur retirer : la connaissance et la maîtrise d'une démarche, puzzle pour les actions qu'elles entreprendront beaucoup plus sans nous qu'avec nous." ( )

NOUS AVONS MANGE LES MOUTONS ENSEMBLE

La récupération guette au Sénégal tout acteur qui émerge. Il y a ceux qui rentrent dans le jeu et font carrière et ceux qui font le dos rond et résistent. Le refus par la dérobade est un classique de l'analyse du comportement des paysans africains face aux différents pouvoirs. "Quand les deux tendances du parti socialiste sénégalais ( ) sont venues nous demander notre appui - dit un jeune villageois - nous nous sommes séparés en deux groupes exactement pareils en nombre, et chaque groupe a donné son appui à une tendance. Un groupe a reçu deux moutons, l'autre a reçu de l'argent. Avec l'argent et les moutons nous avons fait une fête, tous ensemble."

La langue en premier lieu mais aussi l'appropriation de savoir faire, la construction de solidarités nouvelles de proximité apparaissent dans ce contexte comme autant d'atoûts. Les fonctions principales des organisations intermédiaires sont de contribuer à redonner confiance à la population dans sa capacité à gérer ses propres ressources et à l'accompagner dans la maîtrise de nouvelles connaissances pour faciliter l'émergence d'acteurs sociaux forts ayant la capacité de négocier les conditions de son développement.

L'IMPERATIF DES GARDE-FOUS ET LES LIMITES DE LA NOTION D'INTERMEDIATION

Toutes les ONG locales soutenues par l'aide internationale, acquièrent, de ce fait, une autonomie considérable par rapport à leur environnement, notamment par rapport aux demandes des organisations villageoises ( ).

Se prévalant de cette autonomie relative et de leur capacité, notamment financières, de réponse aux demandes, elles peuvent parfaitement jouer un rôle d'intermédiaire, sans pour autant contribuer au renforcement de la société civile comme le montre Diokéré Endam. Il est clair que tant qu'il y aura des besoins élémentaires et pressants, et qu'aucune autre alternative ne sera en place, les ONG ne manqueront pas de "clients".

Pour dépasser cette situation d'intermédiation passive, les ONG doivent entreprendre une longue marche d'écoute, comme nous l'avons vu avec le PIP en veillant à ne pas s'empêtrer dans la mêlée politique partisane.

A long terme, la présence ou non de relations dynamiques entre les ONG et la population locale est un bon indicateur.

C'est pourquoi la mise en place de garde-fous est un impératif. Lesquels ? Le PIP troisième génération se laisse envahir par la population organisée. Est-ce le bon chemin ? Le temps et les villages nous le diront.

En braquant les projecteurs sur les relations ONG/populations nous risquons de cacher que les ONG, en tant que telles, font aussi partie de la société civile. Par exemple, les ONG brésiliennes, réfugiées pendant des années derrière les "bénéficiaires", se découvrent un poids propre et entendent en jouer. C'est une évolution générale en cours dans le Tiers-monde, qui mérite beaucoup d'attention.


En 1955, la CIMADE, appelée par la paroisse protestante de Dakar, envoyait des équipiers au Sénégal. C'est le commencement du Centre de Bopp encore en activité à Dakar. Très rapidement en porte-à-faux avec la paroisse, les équipiers de la CIMADE mettent en place une association locale dont ils sont aussi membres, le Service Oecuménique d'Entraide (SOE). Pourtant ce n'est que vers 1963 que quelques Sénégalais commencent à s'intéresser à la vie du Centre. Lors de la grande sécheresse le SOE fait appel à la CIMADE et un programme d'urgence débute dans le département de Podor, avec le soutien de plusieurs ONG oecuméniques européennes. En 1974 l'association est complètement sénégalisée et en 1985 elle change de nom pour devenir l'Union pour la Solidarité et l'Entraide (l'USE). Formée majoritairement par des forces vives dakaroises, laïque et a-politique, elle réunit des compétences certaines en matière de développement et fait partie du CONGAD (collectif d'ONG sénégalaises). Elle vient de recevoir l'adhésion de plusieurs centaines de paysans.


.Le PIP travaille dans le nord du Sénégal, dans les départements de Podor et de Matam. L'équipe permanente, basée en Ndioum est constituée de 12 personnes avec des compétences professionnelles précises. Dans les villages, où ils habitent en permanence, 53 moniteurs et monitrices d'alphabétisation et de promotion féminine, choisis, indemnisés et encadrés par le PIP jouent un rôle de plaque tournante.

Mis en place lors de la grande sécheresse au début des années 70, le PIP n'a jamais interrompu sa présence sur le terrain. Cette continuité historique, au delà des erreurs et des tâtonnements, lui a permis de tisser des relations de confiance mutuelle avec les villageois.

Trois générations de PIP se succèdent entre-elles. La première a été tournée vers des réalisations, la deuxième a mis met l'accent sur le travail avec les villages et a impulsé une dynamique de recherche-action qui se traduit par "l'approche village", le passage du don au prêt (subventionné) et la formation comme élément principal ; la troisième, celle qui émerge maintenant, voit l'investissement lent mais sûr du Programme par les paysans du Nord du Sénégal ainsi que leur participation à l'association de tutelle, l'Union pour la Solidarité et l'Entraide (USE). Un comité local de suivi du PIP, avec des représentants des associations inter-villageoises se met en place. La formation permanente est son fer de lance.

.Le PIP a à son actif, un nombre impressionnant des réalisations : 202 banques de céréales, 89 puits neufs, 100 puits réparés, 15 puits forages, 18 groupes moto-pompes, 38 moulins et décortiqueuses, 16 parcs de vaccination, 5 maisons d'éleveurs, 20 digues de protection, 145 centres d'alphabétisation, 56 centres de promotion féminine, 28 cases de santé communautaires, 378 jardins villageois, etc.


CIEDEL

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