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Coups bas sur Cuba
Le paradis assiégé

Par Robert Garcia


"Le socialisme dans un seul pays" sur l'île rouge n'est pas celui que Lénine avait imaginé. Si le capitalisme triomphateur essaie d'asphyxier le laboratoire de l'égalitarisme, c'est moins pour des raisons idéologiques que pour hypothéquer l'avenir d'un "tigre" des Caraïbes.

"Vous savez pourquoi je continue à ne pas croiser les bras en cette période vraiment très spéciale? Et bien, je suis médecin, l'un de mes frères est ingénieur, l'autre est psychologue. Mes deux soeurs sont dans l'enseignement. Notre père était coupeur de canne. Sans la révolution, nous et nos enfants serions restés journaliers comme lui. Pour que la situation d'avant la révolution ne se reproduise pas, je suis prêt à bien des sacrifices. Mais pour vous dire franchement: même pour nous, résister aux corvées quotidiennes sous le blocus, ce n'est pas très évident."

Le médecin de l'hôpital Ciro Garcia, dans le quartier résidentiel de Miramar à La Havane, sait donc de quoi il parle lorsque, sous le portrait du Che, il explique au patient gringo la résignation presque fataliste de beaucoup de Cubains devant leur situation. Une "période spéciale en temps de paix" qui ressemble plus au siège de Sarajevo qu'à une ère de dépression économique.

Une période très spéciale

Avec l'écroulement du Comecon à la fin des années 80, le réveil de Cuba était le plus brutal imaginable. D'un jour à l'autre, 85% du commerce extérieur avaient volé en éclats. L'accord entre l'URSS et Cuba, concernant les livraisons massives de pétrole contre une reprise de quantités énormes de sucre, devenait caduc. Avant, le gaspillage de l'énergie sur l'île était de mise, puisque l'URSS fournissait à bas prix 13 millions de tonnes de pétrole par an. Du jour au lendemain, tout ce système de sécurité, sur lequel était basé l'Etat-providence cubain, s'écroula. Et le réveil était d'autant plus brutal que les stratèges cubains avaient omis de prévoir le scénario le plus pessimiste.

Carlos Tablada résume la plus grande erreur stratégique commise par les responsables cubains: "Nous aurions dû utiliser tous les crédits et toutes les ressources fournis par le bloc soviétique pour développer une structure économique, qui aurait réduit l'extrême dépendance du commerce extérieur que notre économie a héritée du capitalisme. Nous avons fait l'erreur de penser que l'URSS et le camp socialiste allaient exister à jamais. De cette façon, nous n'avons non seulement accepté notre dépendance de l'extérieur, mais nous avons même permis qu'elle se renforce."

Après l'effondrement du bloc soviétique, les Cubains sont donc forcés d'essayer la quadrature du cercle: réanimer une économie socialiste grâce aux mécanismes du marché, tout en sauvant les acquis d'un système social et éducatif, exemplaires, mais de fait démesurés par rapport à la productivité de l'économie qui devrait les garantir.

Le surréalisme quotidien

"Escuchame brother: fuck you tu bloqueo! pero entiendelo man tomalo como quieras, la politica no cabe en la azucarera." (Carlos Varela)

Contrairement à d'autres artistes critiques, l'idole du rock cubain, Carlos Varela, continue de vivre à Cuba, entre le succès populaire et des harcèlements bureaucratiques qui font de ses rares apparitions en public des célébrations de contestation. Les textes de ses chansons expriment un peu le sentiment général.

Si l'on ne va pas jusqu'à pardonner les erreurs historiques du régime, ni ses rigidités autoritaires, les alternatives ne paraissent pas pour autant attrayantes. Entre la peste du capitalisme et le choléra du socialisme tropical, les citoyens cubains, suffisamment conscientisés entre les slogans officiels et le matraquage des médias américains, semblent choisir de retarder aussi longtemps que possible l'avènement d'une ère d'incertitude. Et les jeunes, plus impatients, sont tentés, soit par une fuite vers les côtes de Floride ("allí pasa frío y aquí estaba aburrido"), soit par les nouvelles possibilités d'une économie duale sur l'île.

L'effondrement de l'économie a bien sûr eu des répercussions apocalyptiques sur la vie quotidienne de l'île "qui avait voulu créer le paradis" (Zoé Valdés). Pour la population cubaine, habituée à un train de vie qui, certes loin d'être luxueux, était tout de même confortable, la cure aura été radicale. La décadence est physiquement visible. Si en 1982, les Cubains d'un certain âge étaient souvent bien enveloppés, voire obèses, l'aspect physique actuel de la population prend une allure plutôt asiatique. La décadence est aussi greffée aux rues de la vieille Havane, qui avec ses édifices désaffectés ressemble plus à Sarajevo qu'à une perle des Caraïbes.

La libreta, ou carte de rationnement, par laquelle les familles peuvent se procurer à prix ridicule les vivres essentielles, s'est vue réduite du point de vue qualitatif et quantitatif. Bien que Viviana de l'institut cubain d'amitié avec les peuples croit devoir affirmer que les vivres distribués par le biais du carnet sont suffisants pour vivre, la réalité est que les rations de base sont insuffisantes pour se nourrir convenablement, mais arrivent juste à éviter les disettes.

De plus en plus, l'approvisionnement doit être fait sur les nouveaux "mercados agropecuarios" où les particuliers et les coopératives, qui entretemps gèrent 75% des terres, vendent aux citoyens, à des prix dits du marché, tout un éventail de produits agricoles. En élargissant l'offre de ces marchés, les autorités cubaines espèrent pouvoir faire baisser les prix. Jusque³là, la dynamique de ces marchés, ne suffit pas encore pour assurer un approvisionnement des citoyens à des prix acceptables. Un changement dans le menu habituel signifie toujours une forte entrave dans le budget familial.

Cette révolution dans la vie quotidienne a été suivie par une deuxième de taille. En admettant le dollar américain comme moyen de paiement courant, le régime cubain a légalisé un état de fait pour saper le marché noir. Mais il a couru le risque énorme de diviser la population en deux catégories: la moitié des Cubains ont directement ou indirectement accès aux dollars qui leur permettent d'acheter des biens de consommation inaccessibles avec des pesos. L'autre moitié se voit confinée à une offre limitée de produits vendus contre les pesos cubains.

Julio est un jeune travailleur dans une entreprise étatique. Le mot d'ordre de beaucoup de salariés du gouvernement peut être résumé comme suit: "le gouvernement fait comme s'il me payait et je fais comme si je travaillais". Ses 300 pesos mensuels ont sur le marché libre la valeur de 15 $US. Il a pourtant la chance d'avoir pu rafistoler une Chevrolet modèle 1952 avec les moyens locaux. L'engin est monumental. Pratiquement tout est cassé quelque part, mais avec une manipulation presque artistique, Julio réussit à la mettre en marche pour nous conduire de l'hôpital à l'hôtel à travers La Havane nocturne et pauvrement illuminée, comme en temps de guerre. Il prétend que pour lui la reprise économique est très peu sensible.

Pour certaines catégories de la population, le secteur touristique est nettement plus attrayant que des boulots de haut niveau, mais piètrement rémunérés. Ainsi, plus de 70% du personnel des grands hôtels de La Havane aurait une formation universitaire. Même si le nombre d'universitaires à Cuba est de plus de 500.000, employer cette main³d'oeuvre qualifiée comme femmes de chambre ou barmen, est toutefois une gageure économique. Les Cubains aiment relever le fait que peu de médecins ont abandonné leur boulot, ce qui montrerait le haut degré de responsabilité de ces cadres de la révolution sociale.

La résurgence des vieux fléaux

La conséquence la plus néfaste de la période spéciale est la résurgence des vieux fléaux que les révolutionnaires de la Granma avaient promis d'éradiquer définitivement. Ainsi, la prostitution à La Havane est devenue plus qu'apparente. Dès le début de soirée, les "jineteras" parcourent les artères principales en quête de riches touristes. Pour 20 $US le service, la prostitution commence à attirer les habituels de Bangkok vers les Caraïbes. On compte à La Havane déjà 6000 prostituées enregistrées, ce qui est bien peu par rapport aux 100.000 d'avant la révolution, mais les bases pour une mafia de la prostitution semblent jetées: "Las mujeres son un buen negocio, algunas andan solas y otras ya tienen un socio." (Carlos Varela).

Aussi, le marché noir commence à prendre des dimensions inquiétantes. Les touristes sont constamment entourés de camarades quelque peu louches, qui veulent leur refiler des cigares, des filles, voire des drogues. Si le régime tolère la prolifération de petits marchés artisanaux et admet de plus en plus l'initiative privée dans un éventail de métiers et de commerces, une plus grande libéralisation comporte toujours les risques d'un clivage accéléré de la société.

En 1995, 15% des familles cubaines contrôlaient 70% de l'argent en circulation ou déposé dans les banques: matière à réflexion sans doute. Parallèlement, le chômage officiel est monté de 3,4% en 1993 à 10% en 1996, les estimations cubaines parlent de 30% pour 1998!

L'écroulement de l'archipel socialiste et le blocus américain ont donc amené les structures sociales du pays au bord de la ruine. Dans d'autres pays latino-américains, des situations sociales bien moins aiguës ont conduit à des émeutes de la faim.

L'existence d'un appareil de contrôle et de répression performant n'explique pas que, mis à part une émeute limitée à La Havane en 1994, la contestation reste marginale. Une enquête objective réalisée par Gallup Costa Rica en 1994, au sommet du mécontentement, a donné des résultats étonnants: 76% des Cubains seraient satisfaits de leur conditions de vie, 58% pensent que les succès de la révolution prévalent sur ses échecs, 51% attribuent la responsabilité pour le déclin économique au blocus contre seulement 3% au régime politique. 50% de la population estiment que l'acquis premier de la société devrait rester l'égalité sociale, tout de même 38% préfèrent la liberté.

Contrairement aux présages de ses détracteurs, la révolution cubaine n'a donc pas sombré dans un collapsus total sans apport extérieur. Pour éliminer les derniers vestiges du socialisme, les Etats-Unis sont donc bien forcés de mettre du feu à la paille.

Si l'on voit avec quel esprit d'ouverture l'Occident triomphant a accueilli dans l'enceinte de son marché mondial et les états ex-socialistes et les dictatures affichant toujours le communisme (Chine, Vietnam,..), il y a lieu de se demander, si l'acharnement sur l'île rouge ne paraît pas être de la moutarde après dîner. Après tout, le danger émanant de Cuba est nul par rapport aux menaces -verbales- venant des intégristes islamiques et autres ennemis acharnés des yankees.

Domestiquer le tigre

Expliquer le fanatisme avec lequel les Etats-Unis s'acharnent à vouloir extirper définitivement le cancer du socialisme dans leur arrière-cour par le revanchisme idéologique, n'est peut-être pas aberrant, mais cette matrice n'est pas exhaustive.

Certes, vous avez un lobby très influent des anticastristes de la première heure qui ont transformé la ville de Miami en une copie de la Havane des temps bénis pour la pègre et la mafia. Le grand caïd est un multi-millionaire exilé, Mas Canosa. Son influence n'est pas négligeable, puisque outre ses excellents contacts avec les milieux de Washington, son affinité avec le nouveau premier ministre espagnol Aznar vient d'étendre la politique isolationniste jusque dans la politique commune de l'Union européenne.

Mais la logique impériale des USA ne comporte pas que des réflexes historiques ou des éléments émotionnels. Il ne faut pas oublier que les stratèges du Pentagone et de la Maison Blanche ne sont pas uniquement des nationalistes échauffés. Derrière les sursauts politiques, se cachent des instituts de recherche ultra-conservateurs qui analysent les tendances de la politique mondiale sur des bases très rationnelles, pour en tirer une stratégie à long terme qui profiterait au maintien de l'impérialisme américain (lire à cet effet les analyses pertinentes de Noam Chomsky).

Si l'on jette un coup d'oeil sur les rares pays, dits en voie de développement, qui ont tant soit peu réussi un décollage économique du cercle vicieux du sous-développement, il faut se rendre à l'évidence que ce ne sont ni la richesse en matières premières, ni l'apprentissage des leçons néo-libérales du FMI, ni l'ouverture tous azimuts au marché mondial qui sont les meilleurs atouts pour sortir du sous-développement.

Comme René Dumont l'a admirablement montré pour Taïwan ou la Corée du Sud, les préalables à un décollage économique sont d'une tout autre nature:

Si l'on applique ces préalables à l'Amérique latine, force est de constater que le régime de Cuba, avec toutes les réserves de mise - surtout pour ce qui est de la première condition de l'autosuffisance alimentaire, dont la réalisation a échoué jusqu'ici-, est pratiquement le seul pays d'Amérique Latine à pouvoir espérer un décollage économique, allant de pair avec une stabilité politique et sociale. On peut donc facilement s'imaginer que le "tiburon" américain regarde d'un oeil malveillant la possibilité d'une concurrence "déloyale" émanant du "caïman" devant les côtes de la Floride. Devoir tolérer l'émergence d'un "Taïwan des Caraïbes", est un cauchemar politique qui porte atteinte à toute une politique de domination vis-à-vis de l'arrière-cour sud que tous les gouvernements nord-américains ont pratiqué depuis 200 ans.

Les leçons de Robinson

Si les perspectives à long terme de Cuba ne sont peut-être pas des plus sombres (voir 1ère partie, GS 369), l'impasse actuelle exige des solutions à haute teneur de machiavelisme. Suite à l'application partielle de la loi Helms-Burton, la marge de manoeuvre est devenue extrêmement serrée. Parmi tous les personnages recontrés à Cuba, le camarade Ibrahim Ferradaz semble le plus confiant. Comme ministre des investissements étrangers, la tâche difficile, voire surréaliste, de "sauver le socialisme par le capitalisme" lui incombe pleinement. Comme de toute façon, il n'y a pas d'autre choix que celui de subir une mort lente ou de pratiquer une prudente ouverture vers le marché mondial, les états d'âme ne sont pas de mise. Evidemment, les nostalgiques de la révolution des barbus seront sidérés en lisant p.ex. les "Business Tips on Cuba", revue destinée aux investisseurs étrangers et dont le dernier numéro est consacré aux "zones franches et parcs industriels". Surviving Helms-Burton

Pas à pas, Cuba a ouvert son économie aux investisseurs étrangers. Les premières "joint-ventures" avaient été entamées dès 1987 avec des entreprises espagnoles du secteur touristique. L'objectif était de profiter du know³how des frères ibériques, pour préparer les attraits touristiques de l'île à un assaut iminent des touristes occidentaux, porteurs de devises précieuses. Le nombre de ces associations économiques, où l'Etat cubain possédait 51 pour cent, allait croître de 50 en 1992 à 260 en 1996. Une législation plutôt généreuse permet des investissements étrangers dans 34 branches de l'économie, avec l'exception de la défense nationale, de l'éducation et de la santé. Pas moins de 50 pays sont impliqués, les plus présents étant le Mexique, le Canada, l'Espagne, l'Italie, et dans une moindre mesure les Pays³Bas, la Grande³Bretagne et la France. En septembre 1995, le dernier amendement de la loi 77 sur les investissements étrangers permet même des participations étrangères à 100 pour cent et a même mené à la création de quatre zones franches, pouvant accueillir les capitalistes étrangers à des conditions particulièrement "libérales".

Carlos Lage, père de la réforme économique, l'a dit clairement lors de l'ouverture de la foire internationale de La Havane en 1994: "Nous vous offrons un pays stable, ouvert à des investissements étrangers cohérents et irréversibles. Par ailleurs, nous disposons d'une infrastructure économique adaptée et performante, d'un secteur productif en état de restructuration, visant à augmenter la productivité, ainsi qu'un peuple travailleur, prêt aux sacrifices et d'un haut niveau de formation. Vous trouverez une société où le terrorisme ou la drogue sont inconnus. Nous vous offrons une nation souveraine et un gouvernement honnête qui est incorruptible. Ainsi, les investisseurs étrangers pourront non seulement escompter de récolter des bénéfices légitimes, mais aussi de rencontrer la sympathie et le respect de notre peuple."

Cette stratégie économique hardie a tout de même permis aux dirigeants cubains de redresser le parcours incertain de leur bâteau ivre, dont le PIB avait diminué de 34 pour cent entre 1989 et 1993. Dès 1995, l'économie cubaine reprend une croissance de 2,5 pour cent, le taux atteignant 7,8 pour cent en 1996. Rien que le secteur du tourisme a progressé d'une manière spectaculaire: 70.000 touristes en 1982, un million pour cette année, deux millions escomptés pour l'an 2000.

Hélas, même à ce rythme de croissance, on est encore bien loin de revenir sur les glorieuses performances des années 80, qui, il faut le signaler, avaient certes permis de consolider les précieux acquis sociaux sans pour autant porter la consommation privée des citoyens à un niveau raisonnablement élevé. Les calculs optimistes parlent d'un retour au niveau de 1989 pour l'an 2005. Et encore faudra-t-il qu'il n'y ait pas crise institutionnelle majeure ni aggravation du blocus. Chaque hésitation dans les investissements étrangers constitue donc pour Cuba un signal d'alarme, chaque pas en avant, comme p.ex. la récente visite du ministre canadien des affaires étrangères, donne lieu à une certaine euphorie.

L'épée de Damoclès du régime cubain réside plutôt dans l'endettement important qui continue d'hypothéquer les perpectives de développement du pays. Même si depuis 1986 Cuba refuse de payer les anciennes dettes, le service de la dette est devenu très important. Les nouveaux investissements peuvent à première vue contribuer à une réduction de la dette, ils entraînent aussi de nouveaux besoins en importation, e. a. en énergie et en biens d'équipement et de consommation, qui réchauffent la spirale de la dette. Comme Cuba figure dans le ranking des pays fiables dans une des dernières positions, le pays doit payer des taux de crédits exorbitants entre 14 et 20 pour cent, sans parler des difficultés de bénéficier des crédits des institutions financières internationales. Il est donc de plus en plus aisé pour les créditeurs potentiels de lier de nouveaux crédits à des revendications politiques.

Dans son excellente analyse ("Kuba, Der lange Abschied von einem Mythos"), Hans-Jürgen Burchardt essaie de relativiser l'impact de l'ouverture sur le marché mondial. Il rejoint d'ailleurs les propos du ministre des investissements étrangers qui parle "d'aspect complémentaire à une stratégie de développement interne". Burchardt préconise au fait une stratégie de développement "associative-autocentrée" qui serait un juste équilibre entre une ouverture prudente et limitée vers le marché mondial et un recentrage sur une dynamique économique basée sur le marché intérieur. A cet effet, l'autosuffisance alimentaire serait un préalable crucial. L'auteur propose d'un côté de décentraliser et de rendre plus autonome la production et la distribution agricole par les coopératives et les particuliers afin de réduire considérablement les importations alimentaires. D'un autre côté, une partie de la production de canne à sucre, devenant de plus en plus invendable sur le marché mondial, devrait être reconvertie à de nouvelles fins ("Vom Exportschlager zum Ressourcenträger"): l'auteur pense en particulier à la production de papier, d'énergie ou de composantes biotechnologiques à partir de la bagasse de sucre. Les potentialités d'une conversion à une économie plus durable ne sont donc pas encore pleinement assumées.

Démocratie de forme ou de fond?

L'élément clef pour la levée du blocus américain et pour une politique d'ouverture de la part de l'Union Européenne reste apparamment la mythique "démocratisation politique". Espérant qu'une ouverture vers un sytème occidental avec plusieurs partis donnera lieu à un vide politique, qui serait rapidement rempli par des "partis" sponsorisés à grands frais par les milieux d'affaires de Miami, les Etats-Unis font de l'introduction du pluralisme politique -et du départ des frères Castro la question préalable à toute levée du blocus économique.

Le camarade Jorge Lezcano, responsable des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, ne l'entend pas de cette oreille. D'une lourdeur un peu brejnevienne, il explique l'existence d'un parti unique, non pas avec des arguments idéologiques, mais par une considération historique: de tous les temps, la vie politique cubaine a été déterminée d'une part par ceux qui aspiraient à une simple annexion par les Etats-Unis, à l'instar de Puerto Rico, et de l'autre par ceux qui se réclamaient de José Marti pour obtenir une souveraineté nationale absolue.

Pour Jorge Lezcano, le dichotomisme est simple: actuellement, la première catégorie se retrouve à Miami, les successeurs de Marti peuvent tous s'identifier au régime actuel, quitte à ne pas être forcément membres du parti communiste unique. Un éclatement du paysage politique donnerait lieu à un clivage artificiel de la société cubaine, ce qui entraverait sérieusement les efforts de redressement de l'économie.

L'argumentation contre une certaine ouverture politique est quelque peu boîteuse et semble plus résider dans la peur de voir le parti communiste être balayé par une marée populaire comme dans les autres pays de l'ex-Comecon. Il est parfaitement compréhensible que les responsables politiques ne veulent pas jouer le rôle ingrat d'un Modrow ou d'un Gorbatchov, contraints par l'histoire de préparer le terrain à une période de déstabilisation totale.

D'un autre côté, les arguments avancés par les Cubains contre une reconversion de la démocratie "populaire" vers la démocratie "représentative" ne sont pas dénudés de sens. D'abord, une opposition cohérente et sérieuse contre Castro est quasi inexistante. L'Eglise catholique, et plus récemment même le Pape, l'entend de la même oreille, puisqu'elle décline au conclave de l'opposition interne toute légitimité. Ensuite, en regardant d'un peu plus près le système dit "participatif" cubain, il faut admettre que malgré des déficits démocratiques évidents, les procédures de consultation populaire et de mise en question et de révocation à la base contiennent des éléments participatifs intéressants, qui font défaut à notre démocratie représentative, qui se limite de plus en plus à des batailles médiatiques et à de rares actes de consultation populaire.

Le président de l'Assemblée nationale, l'ex-ministre des affaires étrangères Ricardo Alarcon de Quesada, fait état de la caducité du modèle américain comme alternative au système cubain. Il oppose p.ex. les réunions de bilan, où les responsables politiques cubains doivent rendre compte plusieurs fois par an à leurs électeurs -au risque d'être révoqués-, aux rites des élections américaines: "N'oublions pas qu'à la réunion de bilan où la participation a été la plus faible, celle-ci était encore beaucoup plus élevée que la participation aux élections générales aux Etats-Unis, alors que c'est la seule et unique occasion de 'participer activement', une fois tous les quatre ans, dans ce pays qui se présente comme 'modèle' démocratique." (Cuba Socialista 1996, repris dans Solidarité Internationale 2/1996)

Toutefois, des concessions à la démocratie représentative semblent à moyen terme inévitables. Les réalistes parmi les responsables cubains aspirent à une sorte de "socialdémocratisation" du régime. Concilier l'économie de marché et les acquis sociaux en ces temps de la choléra libérale peut être une illusion ridicule. Mais cette approche constitue la seule voie alternative au retour de la situation des années 50. Et elle correspond aussi aux espoirs de la majorité des Cubains.

Les limites des concessions

Juan Antonio Blanco analyse de la manière la plus perspicace le sentiment schizophrène des Cubains: "Le mécontentement des Cubains avec leur situation actuelle n'implique nullement le désir d'un retour à la société pré-révolutionnaire. La majorité de la population peut être caractérisée comme 'conservatrice' et 'réformiste' à la fois. Ils aspirent à un système politique qui pourrait être plus pluraliste en opinions et plus participatif dans la prise de décisions, à une économie mixte qui pourrait rester sociale, mais venir à être gérée d'une façon plus démocratique et planifiée avec des instruments indirects, comme les salaires ou les impôts. Ils aspirent à une culture libertaire et de tolérance écuménique de la diversité ainsi qu'à un développement de modes de vie qui resteraient durables d'un point de vue écologique et économique.

Les mêmes personnes qui sont conscientes des inefficacités économiques et des attitudes intolérantes à Cuba, sont aussi conscientes des avantages comparatifs dans le domaine social dont ils continuent de bénéficier par rapport au reste de l'Amérique Latine". (Eight Points on US-Cuba Relations, 11/95) Si les prochaines -et dernières- années du régime de Fidel Castro aboutissaient à un plus grand pluralisme et une tolérance politique sans toucher aux acquis sociaux et politiques de la révolution, ce serait un sacré coup à la fois contre les aspirations hégémoniales des Etats-Unis et contre la logique de la mondialisation sous le joug d'un libéralisme laminateur. Face à l'impasse du libéralisme, qui inévitablement entraînera la plupart des pays du sud dans un nouveau marasme, beaucoup de pays du tiers monde continuent de suivre d'un oeil attentif l'évolution du régime castriste. A côté de sa valeur de symbole, le régime cubain est actuellement un laboratoire d'essai pour valider ou refuter le préjugé défavorable contre la transition possible d'un socialisme centralisé et autoritaire vers une démocratie sociale et une économie durable.

Voilà pourquoi le combat contre Fidel Castro et son île de Robinson est mené avec un tel acharnement, et c'est pour cette raison aussi que la solidarité avec Cuba dépasse la simple nostalgie des années de la révolution, mais est aussi un acte de résistance contre la mondialisation de l'économie exploitante et la fragmentisation des structures sociales. Quiconque milite au nord pour la sauvegarde des acquis sociaux contre l'assaut des dérégulateurs, ne peut point se permettre de laisser pour compte celles et ceux qui au sud mènent un combat bien plus difficile contre les nouvelles formes d'exploitation et contre l'éclatement de leurs sociétés.

Lesehinweise ³ zwei neuere Untersuchungen über die wirtschaftliche Transformation auf Kuba: Hans-Jürgen Burchardt: Kuba, Der lange Abschied von einem Mythos, Schmetterling³Verlag 1996 (extrem nuancierte Darstellung der wirtschaftlichen Transformation, mit einem äu×erst interessanten Ausblick und einer anregenden Kritik der Globalisierungstheorie); Anna Vollmann/ Werner Zahn: Kuba, vom Modell zurück zum Hinterhof, Distel-Verlag 1996 (etwas strenge, nostalgisch gefärbte Kritik der wirtschaftlichen Öffnung, doch hinsichtlich der Risiken des Kurswechsels äu×erst nützliche Überlegungen). (Der Artikel ist bereits im Grengespoun erschienen)


ASTM - Brennpunkt Drëtt Welt, numéro 164, avril 1997

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