Cette page est une version archivée le 02 avril 2006 du site/annuaire horizon local de Globenet.
Ce site est maintenant fermé; il n'est plus tenu à jour, les informations peuvent être datées ou erronées,
et le seront de plus en plus au fil du temps. Et les formulaires sont désactivés.

L'Europe des armes …

Par Pascale Junker


La multiplication des conflits internes, depuis la chute du mur de Berlin, est devenue la cause principale de déstabilisation des Etats et de crises humanitaires. De tous les pays, les pays africains sont les plus touchés, les victimes étant à 90% des civils. L'Union européenne, qui représente entre 30 et 40% des ventes d'armes dans le monde, doit jouer un rôle d'avant-garde en moralisant le commerce des armes. Le Luxembourg est lui aussi concerné: en tant que place financière et en tant que membre de l'Union européenne.

Le Cercle de Coopération des ONGD s'associe à la campagne européenne, soutenue par 600 ONG à travers l'Europe et visant à renforcer le code de conduite européen en matière de transferts d'armes, actuellement en discussion au Conseil.

Prévention des conflits et commerce des armes

Une présentation du code de bonne conduite sur le commerce des armes

Bien que le Luxembourg ne soit pas directement visé par une codification des exportations européennes d'armement, la détention et le commerce des armes sur le territoire du Grand-Duché étant soumis à une législation stricte, la question concerne cependant autrement les citoyens luxembourgeois. En effet, actuellement se forge à Bruxelles, sous l'initiative de la présidence britannique du Conseil des Ministres de l'Union européenne, un code européen de conduite en matière de commerce des armes. Cependant les attentes soulevées par le projet britannique, reprenant lui-même l'élan de 1991 lorsque les Douze adoptèrent, au lendemain de la guerre du Golfe, une vague liste non contraignante et impraticable de huit critères relatifs aux exportations d'armes, risquent d'être déçues.

En effet, le chemin de l'initiative certes louable des Anglais, soutenus par la France, est pavé de nombreux obstacles et réticences. Les pays producteurs d'armes considèrent que l'armement et, a fortiori, la défense relèvent de leur souveraineté et de la confidentialité et que les concessions qu'ils sont prêts à faire dépendent de leur interprétation de ces notions. Dans le climat post-guerre froide d'une industrie de la défense en crise, ces pays, sensibles au risque de perte d'emplois, se livrent souvent, entre eux et avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine, à une lutte commerciale et à une course aux parts d'un marché de plus en plus tendu.

En regardant de plus près, on se rend compte que cinq des dix premiers fournisseurs d'armement dans le monde sont européens (dans l'ordre: la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suède). Ainsi, il n'est pas étonnant que des troupes européennes ou alliées se soient trouvées confrontées à des armes produites dans leurs propres pays, comme cela était le cas lors de la guerre du Golfe en 1991 ou lors des opérations de maintien de la paix en Somalie, au Rwanda ou en Bosnie. Dans la même catégorie d'aberrations, il faut classer le fait que la France et la Belgique ont livré des armes légères à l'armée burundaise avant et pendant le génocide au Rwanda en 1994. A en croire des sources informées, la Belgique est devenue une plaque tournante du trafic internationale d'armes et d'autres formes de soutien militaire vers le Burundi, des équipements provenant essentiellement d'Europe de l'Est. Le Royaume-Uni et les Pays Bas ont exporté des armements vers l'Indonésie, alors que le Portugal et l'Italie soumettent ce pays à un embargo en raison de ses lacunes en matière de respect des droits de l'homme. La France a livré des Mirages 2000 au Pakistan, et des frégates en Arabie Saoudite, pays pourtant connus pour leurs violations des droits de l'homme... Ces exemples devraient illustrer la nécessité d'une harmonisation de la politique européene des exportations d'armes.

Le projet de code européen sur le commerce des armes est un début d'harmonisation. L'enjeu en est multiple. Il s'agit de moraliser le commerce des armes. Le code devrait idéalement déterminer dans quelles conditions une licence d'exportation d'armes devrait être octroyée, sous quelle forme la situation des droits de l'homme dans le pays destinataire devrait être prise en considération, de quelle manière les Etats membres seront amenés à respecter le refus de licence d'exportations exprimé par l'un de leurs partenaires, quelles règles devront prévaloir pour la consultation entre Etats membres et pour l'implication des parlements nationaux et du Parlement européen dans la décision de fourniture d'équipements.

Selon plusieurs ONG et mouvements d'opinion, le projet de code européen ne donne pas une réponse satisfaisante à ces questions. Pour cette raison et afin de sensibiliser les décideurs, Amnesty International, BASIC, Oxfam et Saferworld ont rédigé un papier de recommandations, adressé au Conseil des Ministres de l'Union européenne.

Le code européen et les recommandations des ONG

L'octroi d'une licence d'exportation

Les critères européens actuellement en vigueur prévoient qu'un gouvernement n'accordera pas de licence d'exportation d'armes, s'il y a un risque clairement identifiable que cette exportation puisse être utilisée dans des opérations de répression interne. Pour les ONG, il faudrait dresser une liste explicite et exhaustive des situations de non-respect des droits de l'homme pour lesquelles une interdiction d'exportation d'armes seraient de rigueur (génocide, exécutions sommaires, torture, détentions en violation du droit international ou bien absence de poursuite judiciaire pour cause de violation des droits de l'homme, absence d'organes impartiaux veillant au respect des droits de l'homme ...) Le code européen devrait être élargi pour inclure des notions telles que l'utilisation potentielle de l'équipement militaire, l'intimidation des civils, les infractions au droit de la guerre, le recours à la force afin de faire appliquer la loi, ... Aucune dérogation ne devrait être accordée lorsque les destinataires peu fiables commandent ces équipements à des fins de protection des forces de sécurité ou lorsque l'achat minerait sérieusement les finances du pays destinataire. Par ailleurs, une présomption de refus de fourniture d'armes devrait être émise au cas où les dépenses militaires du pays-client dépasseraient celles consacrées aux domaines de la santé et de l'éducation, sauf si la sécurité de cet Etat est sérieusement menacée. Le code devrait affirmer que les licences d'exportation seront refusées dès qu'une vente éventuelle pourrait avoir un effet déstabilisateur sur une région donnée.

Ainsi les ONGs appellent à plus de rigueur et à une approche systématique lors de la rédaction de ce code de bonne conduite qui devrait être plus normatif, détaillant les circonstances précises dans lesquelles des licences doivent être refusées.

Les mécanismes de consultation et d'application

Pour ce qui est des mécanismes de consultation et d'application, le système européen actuel brille par son incohérence. Les ONG sont d'avis que le refus d'un Etat membre d'accorder une licence d'exportation ne soit court-circuité par un autre Etat membre se substituant à lui pour honorer le contrat de vente d'armes.

Déclaration de refus et contrôle parlementaire

Selon les ONG, le délais pour déclarer un refus devrait être ramené à 10 jours (au lieu de 30 à 60 actuellement) et ce uniformément pour l'ensemble de l'UE. La déclaration de refus devrait spécifier le genre de technologies refusées et contenir des informations sur le destinataire final. Afin d'assurer un contrôle efficace de haut niveau, les quinze Etats membres devraient se consulter en cas d'intention de refus, afin d'établir et d'adopter une liste commune de destinations et utilisateurs finaux sensibles. Cette liste, ensemble avec la liste nationale des autorisations et des refus d'exportation, devrait être communiquée pour vérification et approbation aux Parlements nationaux . Les Etats membres devraient donc s'accorder pour déclarer, à intervalle régulier, la totalité de leurs exportations d'armes. Au niveau des Quinze cette transparence se traduirait par une fusion des comptes-rendus nationaux en un registre annuel des exportations et des refus d'exportation européenne d'armes, transmis pour discussion au Parlement européen. Un pas supplémentaire à franchir serait aux yeux des ONG celui d'une consultation anticipée, antérieure à l'octroi d'une licence ou à la déclaration de refus, des Parlements nationaux et du Parlement européen. Similairement, les transferts de fonds liés à la vente d'armes devraient être inclus dans ces registres, afin de renforcer l'emprise de l'administration sur la pratique du blanchiment d'argent .

Appliquées simultanément, ces dispositions fourniraient un système complet et rendu public de contrôle parlementaire sur les exportations d'armes et assureraient la transparence lors des prises de décision gouvernementales relatives à ces exportations.

Armes légères

Hormis les sept catégories d'armes conventionnelles, répertoriées par le Registre des armes conventionnelles des Nations unies , la liste de contrôle harmonisée devrait dorénavant inclure les armes légères (armes personnelles de petits calibres, petite artillerie, mines, munitions) les plus utilisées dans les conflits internes et régionaux actuels, ainsi que les équipements paramilitaires ou de police et les biens à double usage utilisés pour la torture ou la répression interne.

Armes interdites

En ce qui concerne les armes interdites, les Quinze doivent également prendre des mesures pour inclure dans les dispositions du Code, l'interdiction portant sur la fabrication, la vente, l'achat, la promotion, le courtage et la publicité, d'équipements destinés à la torture, la répression interne et à l'exécution de la peine de mort (p.ex. mines antipersonnel, armes à laser aveuglant, balles dum-dum et autres armes interdites en vertu du droit international...)

Les dispositions concernant l'utilisation finale

Selon Amnesty international, BASIC, Oxfam et Saferworld, les procédures actuelles qui établissent et surveillent l'utilisation finale des armes au sein de l'UE sont déplorables. Le recours à de faux certificats de destination finale n'est pas rare. Les exemples tel que celui d'une entreprise britannique ayant exporté des canons au Singapour, qui à son tour, les a réexportés vers l'Iran, illustrent comment des exportateurs peu scrupuleux peuvent enfreindre les garanties de destination finale. A cet égard le réseau de systèmes nationaux de contrôle et de certification gagnerait en efficacité s'il était remplacé au niveau de l'Union par un mécanisme européen de suivi des exportations d'armes, dont le but serait d'éviter que ces dernières ne soient pas détournées à des fins illégales ou réexportées. Des enquêtes devraient être conduites dans les pays destinataires et les gouvernements des Quinze devraient agir sur base des allégations avancées par les ONG internationales mettant au jour le détournement d'équipement militaire.

L'application de l'embargo

Ce qui vaut pour la liste commune de contrôle et le registre européen des exportations d'armes, devrait aussi valoir pour l'application de l'embargo. La liste adoptée par les Quinze reprenant les embargos communs est inadéquate. Elle devrait être complétée par tous les biens, technologies et services repris par la liste de contrôle de l'UE et elle devrait être appliquée dans tous les territoires nationaux des Etats membres ainsi que dans les territoires qui en dépendent .

Le contrôle du courtage

Le trafic illégal d'armes est souvent lié aux activités de marchands intermédiaires. Afin d'éviter que les systèmes européens de contrôle ne soient court-circuités, il importe d'endiguer les activités des agents de courtage qui profitent souvent de l'extra-territorialité afin de vendre des armes à partir de pays tiers. A cette fin, aucun acteur gouvernemental ou non gouvernemental, au sein d'aucun Etat membre, ne devrait être dispensé de l'obligation de solliciter une licence d'exportation.

Le statut du code de conduite européen

Il est peut réaliste de croire que les gouvernements vont signer un acte contraignant. Cependant il importe que le code soit adopté sous une forme juridiquement contraignante pour les Etats membres, qui devraient l'intégrer dans leur législation nationale afin qu'une norme légale régisse dorénavant les décisions européennes en matière d'exportations d'armes. Cet instrument juridique pourrait le cas échéant être flanqué d'une institution sous forme d'une Agence européenne de Contrôle des Exportations d'Armes.

L'Union européenne a donc un rôle à jouer dans la limitation et le contrôle des exportations d'armes. Sur la toile de fond de la célébration du 50ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, l'Europe devrait montrer l'exemple en adoptant un Code éthique de la vente d'armes, lançant ainsi une dynamique qui devrait idéalement aboutir à la mise en place d'instruments de contrôle adaptés à la période d'après-guerre froide, telle qu'une Convention internationale sur le commerce des armes et un Registre des Nations unies sur toutes les armes.

Prévention des conflits

Mais au-delà des procédures juridiques et des traités, des actions complémentaires paraissent nécessaires afin de limiter la prolifération des armes. En effet la prévention des conflits ne tient pas uniquement à la limitation des exportations d'armes. Elle est vaine si elle n'est pas accompagnée, dans les pays en voie de développement, d'un soutien à la démocratie, (protection des civils par l'Etat, éducation à une culture de la paix, création d'institutions permettant de résoudre le conflit par la négociation, participation de la société civile, échanges d'experts ...) et de la collecte et destruction des stocks d'armes. De plus, selon les ONG, les pays industrialisés devraient inclure des programmes de micro-désarmement, de déminage, de formation des forces de sécurité et de soutien juridique dans leurs projets de coopération au développement, en même temps qu'ils doivent organiser la reconversion de leurs industries d'armement afin qu'elles puissent se passer d'exportations suspectes et douteuses.

Peut-être cette campagne européenne de sensibilisation sera-t-elle couronnée d'autant de succès que celle ayant abouti au Traité d'Ottawa, interdisant les mines antipersonnel ...

Pour le Cercle de Coopération des ONGD

Pascale Junker


ASTM - Brennpunkt Drëtt Welt, juin 1998

Pour plus d'information, contacter : Action Solidarité Tiers Monde
39, rue du Fort Neipperg - L-2230 Luxembourg
Tél: 00352/ 400 427; Fax: 00352/ 40 58 49
Email: citim@ci.ong.lu


| Sommaire |

Horizon Local 1997
http://www.globenet.org/horizon-local/