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L'eau, c'est la vie

Par Natascha Farenzena et Eva Larchevèque


Mali

Les effets pervers d'une politique mal-menée de forage intensif

Que l'abandon du nomadisme au profit de la sédentarisation ait des conséquences néfastes est un lieu commun. Théoriser sur les effets dévastateurs d'une telle politique reste inutile si rien n'est concrètement proposé. Relancer le nomadisme ou tenter d'enrayer son renoncement est insuffisant et souvent inopérant. Sans prôner le retour à une inexistante époque idéale et sans tomber dans une condamnation aveugle de cette fin de siècle, l'adaptation au nouveau mode de gestion de la vie quotidienne doit se faire progressivement.

Un processus de sédentarisation mal-sain
Le délaissement du nomadisme peut ne pas être catastrophique si les individus concernés se voient proposer d'autres opportunités de gestion de l'espace (semi-nomadisme ou sédentarisation totale), des structures adaptées, des formations professionnelles et se révèlent capables de l'intégrer dans leur système en y appliquant leurs propres règles sociales toutefois modelées en fonction de l'élément extérieur.

Au Mali, ou les nomades, repartis sur les 2/3 du pays, représentent 10% de la population, les grandes sécheresses de 1969-73 et 1984-86, ont accéléré le processus de sédentarisation déjà institué sous la colonisation. Etats, institutions internationales, intergouvernementales et ONG ont saisi l'opportunité climatique et politique pour appuyer la nécessité de la sédentarisation et tenter de la structurer.

En 1988, on comptabilisait 288 sites de sédentarisations reconnus dans les régions de Gao et de Tombouctou qui regroupent à elles seules près de 80 % des nomades maliens. Chez les Touaregs, la prolifération de ces sites soulève des problèmes d'infrastructures techniques et économiques qui vont s'accroître au fil des années. Il semblerait cependant que peu d'ONG procèdent à une réelle étude de cas, prenant en compte tous les facteurs nécessaires à une sédentarisation correcte. Dommages environnementaux et humains à long terme sont rarement soulevés.

Sédentarisation: Au début était la colonisation
Très succinctement, nomadisme et territoire sont les deux notions permettant de définir une aire touarègue. Si le territoire se définit par rapport à ce qui le rend viable (eau, pâturages,...), le nomadisme, en tant que gestion particulière de l'espace, reste pour l'instant le meilleur garant contre les dégradations écologiques et la désertification. La remise en cause du territoire perturbe donc l'équilibre fragile de l'écosystème.

Cette modification territoriale a débuté sous la colonisation. Le tracé des frontières a eu de lourds échos tant sur le plan humain qu'écologique. Les nomades ont alors vu leurs territoires mutilés puis remaniés par le développement et les différentes formes d'exploitations du milieu naturel (agriculture, exploitation des sols, ...). Lors de l'indépendance, les Etats ont conservé le découpage territorial. Le regrettable processus de sédentarisation est largement entamé, heureusement pas partout et pas pour tous les nomades et on ne peut, de toute façon, plus revenir sur les jours d'antan. Dans ce fâcheux contexte, irrémédiable de surcroït, il semble fondamental et essentiel de se pencher sérieusement sur une évaluation exhaustive de la situation, de la vie et de la culture de ces nomades ou semi-nomades, afin d'y répondre par un développement adapté et fécond afin d'assurer sa pérennité et celle des pasteurs-nomades.

L'implantation de puits et ses effets pervers
Les solutions trop occidentales sont transposées et greffées dans un tout autre contexte. Les institutions essaient aujourd'hui d'adapter le développement à l'environnement, mais le facteur humain et social est encore systématiquement négligé. En analysant l'exemple de l'implantation massive de puits dans la zone sahélienne, on constate que les projets élaborés par certains organismes d'aide au développement, manquent au préalable d'études sérieuses, et risquent de se révéler plus dommageables qu'opportuns.

Avec celui du forage intensif effectué par la quasi-totalité des ONG et autres organismes implantés dans le Nord du Mali, nous tenterons de montrer les conséquences humaines, sociales, économiques, politiques et écologiques dans l'organisation sociale des Touaregs.

Les Touaregs connaissent trois structures permanentes ou temporaires d'approvisionnement en eau : la mare, le puits et le puisard. La différence entre puits et puisards est d'envergure. Le puisard est un trou creusé d'un diamètre relativement petit et peu profond. L'eau recherchée se trouve à faible profondeur et le méhariste peut sans technique ni structure particulière extraire l'eau. Le puisard, creusé en quelques heures avec une gamelle, est généralement abandonné et tarit rapidement. Certains, plus profonds, peuvent être creusés à la surface d'une mare asséchée. Ils sont toujours dispersés de façon anarchique sur simple décision individuelle. Par contre, le puits est un point d'eau permanent. Souvent plus large, plus profond, destiné à durer dans le temps, il nécessite des techniques adaptées afin d'exhaure l'eau. Autrefois prise à l'échelle de la confédération, la décision d'implanter un puits permanent et cimenté était une délibération grave, économique, politique et sociale. Aujourd'hui, elle devrait l'être également et nécessiter une étude exhaustive au préalable.

Conséquences humaines, sociales, économiques, politiques et écologiques
Que les forages à gros débit aient des répercussions désastreuses sur la préservation de l'environnement devrait être de nos jours une évidence. La construction des puits permanents provoque une forte densité humaine et animale dans un milieu déjà fragile. Le piétinement du sol, tout comme l'utilisation excessive des ressources naturelles jusqu'à anéantissement irrémédiable sur des dizaines de kilomètres de pâturage, en sont les résultats évidents.

Cette concentration humaine et animale autour des points d'eau entraîne également une exploitation anarchique des pâturages. Le territoire se définissait traditionnellement par rapport aux éléments permettant son accès, c'est-à-dire l'eau et les parcours d'exploitation. Il existe deux stratégies suivant les saisons : pendant la saison sèche, les Touaregs font paître les animaux près des points d'eau et s'éloignent sur les territoires interconfédéraux pendant la saison d'abondance, l'hivernage. Il s'agit donc de garder une exploitation rationnelle et contrôlée des pâturages, afin d'arrêter le processus de dégradation des ressources écologiques. Implanter un puits dans une zone de pâturage saisonnière inadaptée désorganise ainsi le parcours nomade.

L'organisation politico-spatiale des fractions touarègues peut se trouver également perturbée. L'aire politique touarègue est repartie selon l'appartenance à une tente, à un groupe de filiation, ... une fraction (jadis confédération). La "fraction-mère" attribue des droits d'usage et d'exploitation qui sont attribués en prévision des conditions climatiques de l'année et de l'afinité entre les différentes fractions. Les frontières entre aires d'usupature de grandes fractions sont perméables sans pour autant être incertaines. Entre les territoires existent des bandes frontalières que l'on peut désigner comme espaces interconfédéraux.

Les puits étaient installés soit sur une ligne de jonction entre territoires de fractions liées politiquement soit dans cette zone interconfédérale; ils servaient alors à une collectivité étendue sans qu'il y ait dispute entre fractions pour un point d'eau. Les affrontements meurtriers du 3 janvier 1998 à Tin-Doudou entre les fractions d'Ifergoumissen et de Chamanamas ont eu comme un des éléments déclencheurs un puits installé dans une zone commune. L'organisation spatiale politico-économique des nomades n'est certainement pas aléatoire et doit être analysée avant de consolider un puits.

Au niveau humain, l'exemple du point d'eau peut sembler dérisoire pour certains, mais se doit d'être évoqué. Les Touaregs ont codifié certaines règles d'évitement existant entre individus proches se devant respect. Ces codes de respect s'étendent aux familles, aux clans, aux tribus,... etc. Si les Ouilleminden (fraction de chefferie) installent momentanément le bétail autour d'un point d'eau, la fraction suivante, ayant un lien particulier ou de préférence avec ces derniers, ne peut amener ses animaux à ce même point d'eau. Ils sont alors obligés de continuer leur chemin car ces prohibitions leur défendent d'user de cette même eau. Ce fonctionnement structurel existant entre différentes fractions affiliées, doit être connu afin de bien saisir l'importance des points d'eau et l'organisation des sociétés nomades.

L'agir irréfléchi des ONG
Les réguliers conflits autour des points d'eau permanents pourraient être résolus par une implantation intelligente de ces points d'eau qu'installent les ONG actuellement de manière irréfléchie. Quels sont les paramètres stratégiques et statistiques élaborés par les ingénieurs hydrauliques, avant de bétonner un point vital du monde nomade? Malheureusement souvent calculé sans prendre en compte la structure et l'organisation de ces sociétés, et sans considérer un savoir local et séculier, le facteur humain et social est systématiquement négligé!

L'introduction inutile de techniques sophistiquées pour exhaure l'eau se greffe à des difficultés déjà trop nombreuses qui seraient pourtant faciles à contourner. L'acquisition co¹teuse de ces matériaux et leur nécessaire entretien sont souvent négligés car étrangers aux Touaregs. Le matériel est généralement abandonné dès les premières difficultés. Les techniques de traction sont d'une part inconnues des populations, et d'autre part, nécessitent des moteurs à gas-oil.

Des méthodes traditionnelles de traction, avec puisette et jeu de poulies tiré par une bête de somme, semblent des solutions trop simples (ou pas assez co¹teuses) pour des problèmes apparemment complexes.

Ce savoir endogène, souvent le plus efficace, au niveau humain, technique et écologique, est facilement assimilable car les matériaux locaux sont sur place et les techniques connues et maîtrisées. Cette installation serait moins onéreuse et se transmettrait plus facilement.

En analysant la simple implantation d'un point d'eau durable dans la société touarègue, on s'aperçoit vite qu'une intervention d'apparence banale peut avoir des conséquences désastreuses sur les facteurs humains sociaux, économiques, politiques et écologiques.

L'autosatisfaction prime avant tout
On est alors en droit de se demander d'ou vient cette volonté obsessionnelle qu'ont les organismes d'aide, de creuser des puits à tort et à travers la bande sahélienne et ce, avec une autosatisfaction époustouflante. Il en est de même avec l'autre manie du sempiternel maraîchage aux conséquences toute aussi dramatiques, qui pourrait être le sujet d'une prochaine analyse critique.

Quand les organismes occidentaux et autres abandonneront-ils enfin l'ambition titanesque de féconder le désert, en cessant ces micro-projets florissant au Sahel, comme l'aménagement des terrains, le forage de nouveaux puits, pour se tourner vers un réel échange avec l'Afrique, à travers les réseaux coopératifs et la mise en place de circuits d'échanges locaux et inter-régionaux ; pour enfin rendre aux populations concernées la responsabilité et la gestion de leur espace et de leur temps ? !

Que l'on ait besoin d'eau pour vivre est une évidence toute commune. Mais qu'il faut pour cela fertiliser tout le Sahel nous semble dérisoire, surtout si l'extraction de l'eau doit se faire au détriment de la vie sociale des nomades.


ASTM - Brennpunkt Drëtt Welt, numéro 176 - Septembre 1998

Pour plus d'information, contacter : Action Solidarité Tiers Monde
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Tél: 00352/ 400 427; Fax: 00352/ 40 58 49
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Horizon Local 1997
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