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Le massacre de 23 paysans qui luttaient pour obtenir un bout de terre à cultiver

Brésil: payer la terre de son sang

Quelques-uns possèdent d'énormes territoires. Des millions n'ont même pas un lopin à eux. La question n'est pas neuve au Brésil, mais elle est d'actualité...

Par Véronique Kiesel


La lutte des paysans sans terre brésiliens a probablement fait une nouvelle victime: le ministre de l'Agriculture brésilien, Eduardo Andrade Vieira, vient de démissionner de ses fonctions. Même si ses collaborateurs affirment que ce départ n'a rien à voir avec le massacre de 23 paysans survenu la veille dans l'Etat de Para, au nord du Brésil, la coincidence est pourtant troublante. Mercredi en effet, une page rouge sang de la lutte des paysans pour obtenir des terres à cultiver a été écrite: un millier de personnes manifestaient sur une route provinciale qu'elles avaient bloquée, réclamant l'expropriation d'une grande "fazenda".

Voulant rétablir la circulation, des policiers ont ouvert le feu sur les manifestants, qui ne brandissaient alors que des pierres. Vingt-trois morts furent relevés, certains totalement défigurés par les rafales de mitraillette, la plupart abattus de plusieurs balles dans le dos ou la nuque.

L'histoire des conflits agraires au Brésil est longue, et la liste des victimes aussi on estime qu'un millier de paysans, de syndicalistes ou d'avocats les défendant ont été tués en 10 ans, et ce en toute impunité mais on n'a jamais compté tant de victimes en un seul incident.

Les promesses du président

A la source du problème: le cortège infini de paysans ne disposant même pas d'un lopin de terre à cultiver. Combien sont-ils? Les estimations varient, de 1 à 12 millions, mais d'après le Mouvement des sans-terre (MST), 4,8 millions de familles réclament une terre.

Quand il menait sa campagne électorale, le président brésilien Fernando Henrique Cardoso avait promis une réelle réforme agraire qui devait avoir fourni, au terme de son mandat, en 1998, des terres à 280.000 familles. A la fin de l'an dernier, le gouvernement a annoncé que 42.746 d'entre elles avaient obtenu ce qu'elles voulaient. Selon le MST, le chiffre exact n'est que de 12.263...

Quoi qu'il en soit, le problème est énorme et pas près d'être résolu. Et pourtant, le Brésil est loin d'être surpeuplé, ce géant (8,5 millions de km2) occupant plus de la moitié de l'Amérique du Sud, avec seulement 160 millions d'habitants. Mais là plus encore que dans d'autres pays, la distribution des terres est totalement inégalitaire. Sur les 376 millions d'hectares de terres cultivables enregistrés, la moitié appartient à 49.000 propriétaires. Les 20 plus puissants d'entre eux possèdent 20 millions d'hectares, soit autant que 3,3 millions de petits propriétaires. Des multinationales étrangères ont par ailleurs acquis 36 millions d'hectares, souvent sous-utilisés.

Pour contrer ce déséquilibre, la réforme agraire, décidée par une loi datant de 1850, n'a jamais été réellement appliquée, à cause d'influents groupes de propriétaires.

Par ailleurs, la procédure légale d'appropriation de la terre est particulièrement lente. Une terre non exploitée peut théoriquement être cédée à quelqu'un d'autre. Mais il suffit que le grand propriétaire y déménage quelques tètes de bétail pour que la procédure s'arrète, les tribunaux étant traditionnellement en faveur des possédants. Et il n'est pas rare de voir une famille réinstallée attendre 8 ans, dans l'incertitude, ses nouveaux titres de propriété.

Les paysans sans terre en ont donc eu assez d'attendre et son passés à l'action. Actuellement, près de 40.000 familles sont installées dans 170 campements précaires, partout dans le pays, réclamant des terres et, selon la Commission Pastorale de la terre, liée à l'Eglise, chacun de ces campements est un véritable baril de poudre. De plus, les invasions de grandes propriétés se multiplient: chaque semaine, de nouvelles occupations sont annoncées. Beaucoup se sont déroulées de façon pacifique, mais de plus en plus, les esprits s'échauffent: les pauvres avancent, pioche à la main, tandis que les propriétaires lèvent des milices pour se protéger.

L'ouverture du marché brésilien jadis cadenassé, aux importations étrangères, notamment agricoles, a encore compliqué les choses: 500.000 emplois agricoles auraient été perdus depuis 1990. C'est autant de paysans sans terre en plus.

Le massacre de mercredi contribuera peut-être à faire bouger les choses: Le fait qu'il n'y ait pas eu de victimes parmi les policiers montre clairement qu'il y a eu massacre, éditorial vendredi l'influent "Jornal do Brasil". La tuerie semble avoir enfin réveillé le gouvernement de l'inquiétante léthargie dans laquelle il était plongé. Le président de la République a qualifié le massacre "d'intolérable". Accélération en vue? (Source: Le Soir, 20.04.1996)


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