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Les femmes et la réduction du temps de travail

Par Anne-Marie Grozelier


A la veille de la conférence nationale sur les salaires, l'emploi et le temps de travail Renault faisait le forcing pour signer un accord sur le développement du temps partiel dans l'entreprise, tandis que de son côté le CNPF rappelait son rejet catégorique de l'idée même de réduction généralisée du temps de travail.

Il est clair qu'aujourd'hui le patronat s'accommode fort bien du temps partiel. Voilà une revendication qui du camp des salariés, est passée dans celui des employeurs qui le célèbrent désormais comme l'instrument idéal de la flexibilité et de la productivité. N'est-ce pas pour eux la meilleure des parades pour contrebattre la réduction collective du temps de travail ? Plus il y aura d'individualisation des horaires et de temps partiel plus on s'éloignera des conditions pour mettre en place une réduction générale du temps de travail. Le temps partiel, surtout quand il est contraint, garantit la flexibilité maximale des salaires sans entraîner de contreparties pour les salariés comme pourrait le prévoir un accord collectif de modulation des horaires.

Le développement accéléré du temps partiel en France qui explose littéralement depuis ces dernières années illustre les changements actuels du monde du travail. En 1982, moins de 10% des actifs travaillaient à temps partiel. En 1995 cette proportion atteignait 16%. Et on nous annonce que dorénavant l'essentiel des créations d'emploi se fera sous cette forme. Déjà, les deux tiers des créations nettes d' emplois correspondent à des emplois à temps partiel. Contraint ou soi-disant choisi le temps partiel est le principal responsable de l'accroissement de la pauvreté parmi les jeunes et les femmes.

Avec cette évolution la France voit également disparaître une de ses spécificités, laquelle tenait à la structure de l'emploi féminin et qui, dans le passé avait permis aux femmes de ne pas rester cantonnées dans les emplois subalternes mais d'accéder à un éventail plus large de postes de responsabilité.

En effet, les femmes, en France, se trouvaient dans une situation assez exceptionnelle. Elles se distinguaient de la plupart des autres pays européen en ayant le taux de temps partiel le plus bas d'Europe avec un taux de fécondité et un taux d'activité parmi les plus élevés, dépassées seulement, pour les taux d'activité, par les Scandinaves et les Britanniques qui par ailleurs détenaient les records du travail à temps partiel. Par leur comportement les Françaises ont ainsi montré que contrairement aux stéréotypes elles entendaient mener de front vie personnelle et vie professionnelle et participer à part entière au monde du travail.

Au total c'est près de 29% des femmes actives qui travaillent aujourd'hui à temps partiel alors que la proportion d'hommes reste infime, 5% des actifs. Et quels emplois ? des emplois peu ou pas qualifiés ou dont la qualification n'est pas reconnue, dans le tertiaire, les services aux particuliers et aux entreprises, le secteur de l'éducation, de la santé, de l'action sociale, des administrations, du commerce etc. Les employés à temps partiel sont à 92% des femmes. Depuis la création des emplois familiaux, c'est l'une des raisons de l'essor du temps partiel, on voit même apparaître des emplois de quelques heures par semaines, source d'une nouvelle pauvreté. A l'évidence, la progression du temps partiel se calque sur les secteurs à dominantes féminines. Dans le même temps, cette forme de travail reste extrêmement rare dans les postes de responsabilité. L'accès au statut de cadre est difficilement compatible avec des horaires réduits, surtout lorsque le marquage social l'assigne à assurer un temps de présence considérable dans l'entreprise. Le statut de temps partiel constitue une forme particulière d'emploi, qui dévalorise subrepticement les positions sociales de ceux et plus encore de celles qui y sont assujettis dans l'entreprise. Il structure la définition des qualifications, l'évolution du statut et des filières professionnelles ainsi que les critères de rémunération. Pour accéder à un poste plus qualifié ou pour avoir une promotion il faut avant tout "passer à temps plein". Le temps partiel avant même de définir un horaire de travail définit un statut d'emploi.

Le temps partiel joue donc aujourd'hui un rôle de révélateur des multiples transformations et tensions que connaît le monde du travail et plus largement la société : ce qui longtemps avait été un "choix" des salariés s'est transformé en une limitation imposée par l'entreprise : basculement de la dimension collective vers les approches individuelles, mesure du travail, dimension collective ou individuelle de la réduction du temps de travail, définition contractuelle et collective des salaires, redistribution des gains de productivité.

Car tout change dès lors qu'on passe de l'évaluation individuelle du temps de travail à son évaluation collective. Ainsi pour une même durée de travail, par exemple 32 heures hebdomadaires, des salariés peuvent appartenir à l'un ou l'autre statut, selon qu'un accord a ramené l'horaire collectif à 32 heures (avec généralement négociation d'une compensation partielle ou totale des salaires) ou qu'un salarié est embauché directement sur un horaire de 32 heures. A la limite, ce même salarié travaillant sur un statut à temps partiel pourra, s'il est employé, par exemple, dans la grande distribution effectuer, par le jeu des heures complémentaires plus d'heures effectives qu'un salarié "à temps complet". On voit là combien sont arbitraires les notions de temps partiel et temps complet. Le temps de travail et le contrat qui le fixe à temps plein ou à temps partiel, sont au centre d'un marchandage social qui définit le statut des salariés et du même coup distingue les hommes des femmes, les jeunes des moins jeunes, les qualifiés des non qualifiés.

Si le temps partiel connaît aujourd'hui un développement accéléré c'est aussi qu'il participe de deux logiques qui se conjuguent et se renforcent. D'une part les logiques de gestion des entreprises qui ont découvert dans le temps partiel la flexibilité idéale et qui en font un des axes de leur politique de gestion de la main d'oeuvre. D'autre part, celle des partis politiques et des pouvoirs publics, qui cherchant désespérément des solutions au chômage en viennent à le considérer comme un moyen d'organiser le partage du travail tout en prétendant favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Cette conception se retrouve dans les programmes des principales formations politiques toute tendance confondues. Alors que l'objectif affiché de la loi quinquennale comme d'ailleurs de tous les promoteurs du temps partiel, était de faciliter la conciliation de la vie professionnelle avec d'autres activités, notamment familiales, les contraintes imposées par l'exigence de disponibilité se sont plutôt accrues sur les salariées en raison des impératifs de flexibilité des entreprises.

Ce modèle dans lequel les contrats à temps partiels restaient très limités et qui, à ce titre avait permis aux Françaises d'accéder au monde du travail dans des conditions moins défavorables que leurs voisines européennes est aujourd'hui mis à l'index et dénoncé de tout bord. La France est accusée de retard par rapport à la moyenne européenne. Michel Godet n'hésite pas à écrire "en France le travail à temps partiel est insuffisamment développé.On est loin encore des trois femmes sur cinq travaillant à temps partiel aux Pays-Bas. C'est toute l'Europe qui ferait bien de s'inspirer de l'école flamande".

Or ce sont les mêmes qui se lamentent sur le développement de la pauvreté, de la précarité et de l'exclusion, sans reconnaître la contradiction dans laquelle ils s'enferment. Car c'est le développement même du temps partiel, ainsi que le souligne le rapport du Conseil économique et social adopté en janvier 1997, qui contribue à accroître les disparités de salaires entre sexes et également entre générations. En effet, la concentration du travail à temps partiel sur des qualifications faibles ou insuffisamment reconnues abaisse le niveau des rémunérations. Préconiser l'augmentation des contrats à temps partiel, prôner sur ce chapitre la voie hollandaise revient finalement à accentuer l'appauvrissement d'une marge grandissante de la population salariée.

La plupart des emplois à temps partiel créés depuis quinze ans, et plus encore récemment sous l'impulsion des exonérations de charges, l'ont été en effet dans des métiers peu qualifiés, peu payés et insuffisamment reconnus.

Va-t-on laisser s'élargir le clivage entre les deux logiques à l'oeuvre dans la répartition du travail ? D'un côté, des collectifs de travail, à forte dominante masculine, peuvent entrer par la grande porte dans la négociation avec les employeurs, obtenir leur part des gains de productivité et imposer un cadre global ou inscrire la réduction du temps de travail. De l'autre, de manière moins visible, des individus isolés, principalement des femmes, sont encouragés à signer des contrats de temps partiel et à accepter des réductions de salaires a due proportion. Serait-ce là une façon inattendue d'opposer les règles du "masculin pluriel" au "féminin singulier" ? Cette nouvelle grammaire ne nous plaît pas.


Ailes

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Horizon Local 1997
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