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Jalons pour une Clarification des Debats sur l'Economie Sociale

Par Jacques Defourny* et Patrick Develtere **


Les sources de l'économie solidaire
Une approche globale de l'économie solidaire
L'économie solidaire dans les PED
Les acteurs de l'économie solidaire
Conclusion

Introduction

Les pistes de l'économie sociale sont de plus en plus souvent évoquées pour relever les grands défis contemporains, en particulier la crise de l'emploi et de l'État-providence dans les pays industrialisés et les problèmes liés aux ajustements structurels de la plupart des économies en développement. On attend de l'économie sociale qu'elle apporte une contribution substantielle à la résolution de ces crises, même si la manière de la désigner diffère grandement selon les pays. Dans les pays hispanophones, on parle habituellement d'"économie populaire", d'"économie du travail" ou encore d'"économie solidaire". Le monde anglo-saxon dira plutôt "économie ou développement communautaire" ("community development"). Dans les régions francophones et néerlandophones, on a recours aux termes d'économie sociale ou coopérative. Ces différentes terminologies ne sont pas totalement interchangeables mais elles font toutes référence à un large spectre de formes d'organisations qui reposent sur la solidarité et la coopération. D'une manière générale, c'est l'idée d'un "troisième secteur", aux côtés des secteurs privé et public traditionnels, qui est de plus en plus largement acceptée.

Nous allons privilégier ici la notion d'économie sociale, même s'il faut reconnaître qu'elle est souvent utilisée à tort et à travers. Il y a d'ailleurs un réel danger de la transformer en slogan de circonstance et d'en faire une baudruche qui se dégonflera une fois passé l'effet de mode.

Pourtant, l'économie sociale mérite aujourd'hui une attention toute particulière car son rôle est de plus en plus crucial dans les sociétés en mutation. C'est pourquoi, avant même de rechercher les moyens de la promouvoir, il importe d'en saisir les réalités actuelles tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les pages qui suivent.

Dans un premier temps, on replacera brièvement l'économie sociale dans une perspective historique afin de souligner les enjeux séculaires dont elle est porteuse.

Dans un second temps, on présentera le concept d'économie sociale tel qu'il s'est précisé au cours des deux dernières décennies. On mettra aussi en évidence les caractéristiques propres des différents types d'organisation et entreprises qui composent ce troisième grand secteur.

Une troisième partie visera à identifier le secteur de l'économie sociale dans les pays de l'hémisphère Sud: au-delà d'appellations très variées et d'une grande diversité d'activités, on verra qu'il existe bien des dynamiques spécifiques qui témoignent de l'émergence d'une véritable économie sociale.

On passera enfin en revue les différents acteurs qui interviennent dans le développement de l'économie sociale, en soulignant les facteurs qui conditionnent le succès de telles initiatives.

1. LES SOURCES DE L'ECONOMIE SOCIALE

1. Les fondements historiques de l'économie sociale

Même si l'économie sociale moderne a trouvé ses principales expressions au cours du 19e siècle, son histoire remonte aux formes les plus anciennes des associations humaines. On peut même dire que la genèse de l'économie sociale se confond largement avec une quête séculaire de la liberté d'association. Des corporations et des fonds de secours collectifs existaient déjà dans l'Égypte des Pharaons. Les Grecs avaient leurs "hétairies" pour se garantir une sépulture et pour l'organisation rituelle des cérémonies funéraires tandis que les Romains se groupaient en collèges d'artisans et en "sodalitia", associations plus politiques. Avec l'effondrement de l'Empire romain, ce seront les associations monastiques qui deviendront partout en Europe les refuges de l'associationnisme primitif autant que des arts, des sciences et des traditions: couvents, monastères, abbayes, prieurés, commanderies, chartreuses, ermitages, etc.

Au IXe siècle, les premières guildes apparaissent dans les pays germaniques et anglo-saxons, puis à partir du XIe siècle émerge la confrérie, groupement organisé de laïcs qui s'affirme en dehors des couvents pour répondre à des besoins pratiques d'assistance, d'entraide et de charité. Quant aux associations compagnonniques, elles se développent dès le XIVe siècle et, progressivement, elles s'assurent dans les métiers les plus qualifiés une certaine maîtrise du marché du travail.

En fait, la réalité associative de l'époque médiévale est très riche. Elle s'exprime sous des formes et des appellations multiples: confrérie, guilde, charité, fraternité, hanse, métier, communauté, maîtrise, jurande,... Et il semble bien que ces pratiques et formes associatives soient universelles: on pourrait citer les corporations alimentaires de la Byzance médiévale, les guildes post-médiévales du monde musulman, les castes professionnelles d'Inde ou encore les confréries d'artisans de l'Afrique primitive et de l'Amérique précolombienne.

Pourtant, ce foisonnement associatif ne doit pas faire illusion. En fait, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, un groupement volontaire ne peut exister en dehors de l'Église et de l'État que sous des formes précises dont les règles d'admission et de fonctionnement sont strictement codifiées. Cette vigoureuse mise sous tutelle s'accompagne de privilèges pour l'association qui devient alors une corporation d'État, une institution de l'ordre féodal. Cependant, en marge du monopole corporatif aux structures rigides et hiérarchiques, subsistent ou apparaissent de nombreuses formes associatives qui inquiètent le pouvoir et que celui-ci tente continuellement de réprimer, d'interdire ou de soumettre.

Au XVIIIe siècle, de nombreuses associations clandestines vont contribuer à diffuser les idées nouvelles qui seront reprises par la Révolution de 1789. Mais l'esprit de celle-ci est avant tout individualiste et la souveraineté de la Nation entre rapidement en opposition avec la liberté d'association: s'associer, c'est soit recréer des corps intermédiaires synonymes de privilèges comme auparavant, soit créer des foyers de contestation et de subversion qu'il faut réprimer au nom de l'intérêt supérieur de la Nation.

La liberté d'association commence néanmoins à percer dans plusieurs pays européens (Angleterre, Allemagne, Pays-Bas), et surtout aux États-Unis. En Belgique, la Constitution de 1831 reconnaît aux citoyens le droit de s'associer librement mais il faudra attendre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle pour que des lois offrent un cadre juridique aux formes d'associations (coopératives, mutualité, ASBL) qui composeront l'économie sociale moderne.

1.2. Le pluralisme idéologique de l'économie sociale

Avant même d'être légalement reconnues, de multiples initiatives de type coopératif et mutualiste naissent dans les pays occidentaux. Cet associationnisme ouvrier et paysan du XIXe siècle est inspiré par plusieurs courants d'idées qui marqueront tout l'itinéraire de l'économie sociale et qui soulignent son pluralisme politico-culturel depuis ses sources jusqu'à ses manifestations contemporaines:

a) Le socialisme associationniste joue un rôle fondamental avec les utopies des Fourier, Owen, Saint-Simon et autres Proudhon. Jusqu'en 1870, les penseurs du socialisme associationniste, qui promeuvent surtout les coopératives de producteurs, domineront même le mouvement ouvrier international au point que l'on identifie souvent socialisme et économie sociale. Karl Marx lui-même se montrera dans un premier temps favorable à la coopération. Mais ses thèses collectivistes vont progressivement l'emporter et une partie croissante du mouvement ouvrier niera à l'économie sociale une fonction centrale dans le processus de transformation de la société. Au mieux elle restera, comme pour Jean Jaurès, un moyen d'améliorer la condition des plus pauvres et de les éduquer, ainsi qu'un puissant outil pour rassembler des ressources et organiser la propagande au service du combat politique.

b) Le Christianisme social participe lui aussi au développement de l'économie sociale. Beaucoup d'initiatives naissent à partir du bas clergé et de communautés chrétiennes, mais au niveau de l'Église-institution, c'est surtout l'encyclique "Rerum Novarum" en 1891 qui traduit un encouragement à l'économie sociale. D'une manière générale, les chrétiens sociaux du XIXe siècle appellent de leurs voeux des "corps intermédiaires" pour lutter contre l'isolement de l'individu, tare du libéralisme et contre l'absorption de l'individu dans l'État, piège du jacobinisme. La valorisation de ces micro-structures en même temps que l'affirmation de l'autonomie des individus débouchent sur le concept de subsidiarité, qui implique que l'instance supérieure n'accapare pas les fonctions que l'instance inférieure, plus proche de l'usager, peut assumer. C'est notamment dans cette perspective philosophique que Raiffeisen fonde en Allemagne les premières caisses rurales de crédit.

c) L'école libérale comporte elle aussi une ouverture à l'économie sociale. Plaçant la liberté économique au-dessus de tout et récusant les ingérences éventuelles de l'État, elle se fonde surtout sur le principe du self-help. En ce sens, elle favorise les associations d'entraide parmi les travailleurs.

On pourrait encore citer d'autres courants de pensée comme par exemple le "solidarisme" de Charles Gide. Mais la leçon importante de cette énumération est bien que l'économie sociale moderne s'est forgée au carrefour des grandes idéologies du XIXe siècle et qu'aucune d'entre elles ne peut revendiquer une paternité exclusive.

2. UNE APPROCHE GLOBALE DE L'ECONOMIE SOCIALE

1. Les composantes contemporaines d'un troisième grand secteur

Reconnaissons d'abord l'ambiguïté terminologique de la notion d'économie sociale. La combinaison de deux termes aussi larges permet pratiquement à tout un chacun d'élaborer sa propre conception de l'économie sociale, en insistant plus ou moins sur le volet économique ou sur le volet social. A la limite, tout ce qui, dans l'économie, a une dimension sociale, et tout ce qui est économique dans le social, pourrait ainsi être qualifié d'économie sociale.

Pourtant, depuis plus de dix ans, c'est une conception bien plus spécifique de l'économie sociale qui s'affirme à l'échelle internationale. Même si les dénominations et les définitions peuvent varier d'un pays à l'autre, c'est l'existence d'un "troisième secteur" aux côtés du secteur privé à but lucratif et du secteur public, que l'on découvre ou redécouvre un peu partout en Europe, en Amérique du Nord, dans les économies de l'Est en transition et dans les pays de l'hémisphère Sud. Certes, ce tiers-secteur de l'économie sociale n'est pas séparé des deux autres par des frontières parfaitement définies et étanches, mais sa dynamique propre est suffisamment originale pour ne pas être confondue avec celles des autres.

De manière synthétique, on peut dire qu'il y a deux grandes façons, d'ailleurs complémentaires, de dessiner les contours de l'économie sociale.

La première approche que l'on pourrait appeler "institutionnelle" consiste à voir trois composantes essentielles dans l'économie sociale :

L'économie sociale inclut donc bien une large part de l'associatif avec des organisations de taille considérable, mais aussi de multiples petites associations, des ONG de coopération au développement, des entreprises d'apprentissage professionnel, des ateliers protégés, des écoles de devoirs, des restos du coeur, des mouvements de jeunesse, etc. Ces activités mobilisent d'ailleurs des moyens considérables (subsides, ressources financières propres, travail rémunéré ou bénévole, infrastructures, ...) pour la satisfaction de besoins souvent essentiels.

En fait, ces trois composantes de l'économie sociale sont loin d'être nouvelles. Au siècle passé déjà, les fondateurs des coopératives, des caisses de secours mutuel et de multiples autres associations faisaient référence à l'économie sociale comme à une alternative susceptible de corriger, voire de remplacer le modèle économique dominant dont le coût humain était très élevé. Inspirées et poussées par les mouvements ouvriers et paysans, ces réalisations d'économie sociale ont grandement contribué à forger le modèle de société de la plupart des pays industrialisés.

Les traits distinctifs de l'économie sociale

La seconde approche de l'économie sociale, plus normative ou éthique, consiste à souligner les traits qui sont communs à l'ensemble des organisations d'économie sociale, ou qui les rapprochent les unes des autres au-delà de leur grande hétérogénéité. Les tentatives faites pour dégager ces traits communs ont fait couler beaucoup d'encre. Néanmoins, depuis une dizaine d'années, on s'accorde à les situer dans la finalité des activités et dans les modes d'organisation interne des entreprises et organisations du troisième secteur.

En Belgique, on est allé assez loin dans cette deuxième approche tout en cherchant à la combiner avec l'approche institutionnelle. En effet, le Conseil Central de l'Économie a repris une définition formulée comme suit en 1990 par le Conseil Wallon de l'Économie Sociale (CWES):

"L'économie sociale regroupe les activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutualités et des associations dont l'éthique se traduit par les principes suivants:

1) finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit,

2) autonomie de gestion,

3) processus de décision démocratique,

4) primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus".(Conseil Wallon de l'Économie Sociale, 1990 et Conseil Central de l'Économie, 1990).

Avec la finalité de service, on insiste sur le fait que l'activité d'économie sociale est un service rendu aux membres ou à d'autres personnes et non un outil de rapport financier. Le dégagement d'éventuels excédents est alors un moyen de réaliser ce service mais non le mobile principal de l'activité.

L'autonomie de gestion vise principalement à distinguer l'économie sociale de la production de biens et services par les pouvoirs publics. En effet, les activités économiques menées par ces derniers ne disposent pas généralement de la large autonomie qui constitue un ressort essentiel de toute dynamique associative.

La démocratie renvoie au principe "un homme-une voix" (et non "une action-une voix") ou du moins à une stricte limitation du nombre de voix par membre dans les organes souverains. Elle souligne le fait que l'adhésion et la participation aux décisions ne peut découler principalement de la propriété d'un capital.

Enfin, le quatrième principe, la primauté des personnes et du travail, découle assez largement des précédents et, en ce sens, paraît moins essentiel. Il traduit surtout diverses pratiques propres aux coopératives (rémunération limitée du capital, répartition d'excédents sous forme de ristournes aux membres-usagers, ...).

De ces précisions conceptuelles, il ressort que l'économie sociale comprend à la fois des activités non marchandes menées dans le cadre d'associations et de mutualités, mais également des activités marchandes organisées par des sociétés coopératives ou encore par des associations dont l'activité commerciale est au service de l'objet social (par exemple des ateliers protégés ou des Magasins du Monde-Oxfam).

Enfin, il serait intéressant de pouvoir situer l'économie sociale par rapport à l'expression "social-profit sector" utilisée dans différents textes récents du Gouvernement belge. Si l'on se réfère aux organisations qui se sont fédérées sous cette appellation, on peut sans doute considérer que le secteur "social profit" recouvre la partie non-marchande de l'économie sociale mais aussi du secteur public. Quant à la notion de "non-profit sector", très répandue dans le monde anglo-saxon, elle correspond pour l'essentiel à la composante associative de l'économie sociale (à laquelle il convient d'ajouter les fondations, très nombreuses dans les pays comme les États-Unis).

2. Les mécanismes opérationnels de l'économie sociale

Tout en ayant quelques grands traits communs, les composantes de l'économie sociale ont chacune des mécanismes opérationnels qui leur sont propres.

3. Des chiffres impressionnants

Il n'existe aucune publication statistique régulière sur l'économie sociale, mais des travaux réalisés ces dernières années indiquent que ce troisième secteur représente entre 250.000 et 300.000 emplois (en équivalents temps plein) en Belgique. Si l'on veut évaluer l'ensemble des ressources humaines mobilisées par l'économie sociale, il faut aussi prendre en considération l'énorme masse de travail bénévole fourni au sein des associations : sur base de diverses enquêtes, on peut estimer que, mises bout à bout, les heures de travail prestées par tous les bénévoles en Belgique représenteraient l'équivalent de 100 000 à 130 000 emplois à temps plein (J. Defourny, 1992).

A l'échelle internationale, on ne dispose de données chiffrées que pour les organisations et entreprises de l'économie sociale qui sont d'une manière ou d'une autre reliées à des grandes structures fédératives. Ainsi, plus de 700.000 coopératives réparties dans une centaine de pays sont membres de l'Alliance Coopérative Internationale (ACI). Elles comptent ensemble environ 765 millions de membres coopérateurs (ACI, Rapport annuel, 1994).

En ce qui concerne les organisations de type mutualiste, l'Association Internationale de la Mutualité (AIM) rassemble plus de 110 millions de membres individuels, surtout en Europe, mais aussi en Amérique latine.

Enfin, pour les associations, les informations quantitatives sont encore beaucoup plus limitées: dans de nombreux pays, les réalités associatives ne disposent d'aucun statut juridique propre. Elles adoptent alors des statuts juridiques extrêmement variés ou gardent pour une large part un caractère informel. Quand elles bénéficient d'un cadre légal adapté à leurs spécificités, on peut évidemment les dénombrer plus aisément (en Belgique par exemple, on compte environ 90 000 ASBL et près de 4 000 ASBL naissent chaque année). Mais les données les concernant restent en général très fragmentaires. De grands travaux de recherche actuellement en cours à l'échelle internationale permettent toutefois d'avancer quelques chiffres à titre indicatif: dans sept grands pays industrialisés pris ensemble (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon et Hongrie), le secteur "non-profit" compte près de 12 millions d'emplois et le travail bénévole y représente l'équivalent de 4.7 millions d'emplois à temps plein (L. Salamon et H. Anheier, 1994).

4. Les nouveaux visages de l'économie sociale dans les pays industrialisés

Pour aider à visualiser le développement actuel du troisième secteur dans les pays industrialisés, on peut citer à titre d'exemples quelques expériences particulièrement significatives.

L'ECONOMIE SOCIALE DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT

Contrairement à ce qui se passe en Europe et Amérique du Nord, on ne peut pas parler pour l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine d'un renouveau de l'économie sociale, mais plutôt d'une émergence de ce secteur. Il en va de même pour les pays de l'ancien bloc de l'Est. En effet, les très nombreux efforts faits dans ces pays pour promouvoir ce type d'initiatives n'ont pas donné lieu jusqu'à présent au développement d'un véritable secteur d'économie sociale. Les raisons suivantes peuvent être avancées en guise d'explication:

Par contre, différents facteurs permettent de penser que nous assistons depuis cinq à dix ans - et aujourd'hui plus que jamais - à l'émergence d'une économie sociale. On constate en effet l'apparition d'une panoplie d'initiatives coopératives, mutualistes et associatives dans le sillage de mouvements paysans et ouvriers, de mouvements du secteur informel, de mouvements de développement communautaire ou de quartier. Ces initiatives ne concernent pas seulement des activités marchandes, mais également des activités non-marchandes. En outre, elles se développent pratiquement en dehors de toute intervention des pouvoirs publics.

Une terminologie variée mais des traits communs

Comme pour les pays de l'hémisphère Nord, le concept de l'économie sociale n'est pas univoque. Selon les traditions socio-culturelles, des appellations variées sont utilisées:

On peut dire que ces terminologies couvrent des réalités similaires et qu'elles sont dans un large mesure quasiment interchangeables. Elle se référent toutes à un large spectre de formes nouvelles d'organisation basées sur la solidarité et la coopération.

Ces initiatives sont variées et multiformes. Elles se situent aussi bien dans le secteur dit formel que dans le secteur dit informel. Au-delà de cette diversité, elles présentent néanmoins des caractéristiques largement communes:

Des secteurs d'activité très diversifiés

Les organisations de l'économie sociale se développent dans des domaines très divers qui correspondent à autant de défis majeurs dans ces pays: l'emploi, la santé, le crédit, l'agriculture, la pêche, l'habitat, etc.. Dans chacun de ces domaines, les initiatives prennent des formes organisationnelles variées dont voici quelques exemples:

Pour la création d'emplois:

Dans la santé:

Dans le domaine du crédit:

Dans l'agriculture:

Dans le secteur de la pêche:

Dans le domaine de l'habitat:

Une explosion de l'économie sociale difficile à chiffrer

A partir des rares recherches en la matière, des listes d'enregistrements tenues par certaines Administrations et de l'évolution des affiliations à des fédérations nationales et internationales de l'économie sociale, on peut sans aucun doute parler d'un développement remarquable de ce tiers-secteur. Ce phénomène est d'autant plus frappant qu'il coïncide avec le retrait de l'État ou des agences publiques dans le secteur social, médical, coopératif...

Il est évidemment très difficile de chiffrer ce foisonnement de l'économie sociale. Tout au plus peut-on se référer à quelques études et statistiques très éparses. Ainsi, une étude dans plusieurs grandes villes africaines signale que 85% à 95% de la population urbaine fait partie d'une association d'entraide. En Afrique toujours, le nombre de coopérateurs appartenant à une fédération nationale affiliée à l'Alliance Coopérative Internationale est passé de 11 553 000 en 1990 à 19 521 000 en 1994 (ACI, Rapports annuels 1990 et 1994). Au Zimbabwe, l'ORAP (Organization of Rural Associations for Progress) a été créée en 1980 dans le

Sud du pays et fédère actuellement plus que 50 000 familles réparties en associations paysannes et fédérations d'associations (B. Vincent, 1994). Créée en 1987, la Mutuelle des Travailleurs de l'Éducation et de la Culture du Mali (MUTEC) couvre aujourd'hui la totalité des travailleurs de ce secteur (8 500 personnes) en assurance de retraite, de décès et de soins de santé (BIT-ACOPAM, 1996).

En Jamaïque, le nombre de membres des caisses d'épargne et de crédit est passé de 197.000 en 1980 à 356.000 dix ans plus tard (P. Develtere, 1994). Dans la région de Santiago de Chile, le nombre d'ateliers coopératifs de production est passé de 151 en 1982 à 1625 en 1991 (M. Nyssens, 1994); celui des coopératives d'achat de 5 à 101 et celui des comités d'habitat de 44 à 120. En Argentine, les 3737 mutualités regroupent pas moins de 6 millions de membres (L. Verano Paez, 1994).

En 1992, la Grameen Bank au Bangladesh offrait ses services à 1 385 000 clients, soit à peu près 1 % de la population du pays. Elle fédérait 50 000 petites banques villageoises. En Thaïlande, la Credit Union League Limited (CULT) rassemblait 470 caisses locales et 100 000 membres après 20 ans d'existence. Enfin, la People's Rural Development Association du Sri Lanka a généré plus de 600 emplois depuis sa création en 1989 (B. Vincent, 1994).

L'articulation de l'économie sociale avec les autres secteurs

Il est évident que l'économie sociale dans les pays en développement ne fonctionne pas comme une île séparée du reste de l'économie. Dans une vision souple et dynamique du secteur, on peut imaginer plusieurs interfaces entre l'économie sociale et les autres sphères marchandes ou non marchandes de l'économie privée traditionnelle et de l'économie publique.

Ainsi, l'économie sociale a des interfaces avec différents secteurs:

LES ACTEURS DE L'ECONOMIE SOCIALE

Avant d'esquisser le rôle des divers acteurs impliqués dans le développement et la promotion de l'économie sociale, il importe d'insister sur une leçon fondamentale que l'on peut tirer de l'histoire de l'économie sociale: deux conditions ont presque toujours déterminé le succès des initiatives d'économie sociale.

Il y a d'abord une "condition de nécessité". C'est poussés dans le dos par une pression économique ou socio-économique que les gens se sont serré les coudes et ont mis sur pied des organisations de type coopératif, mutualiste ou associatif. En d'autres termes, l'économie sociale est avant tout une réponse à des besoins fortement ressentis par un groupe de personnes.

Il y a ensuite une "condition de cohésion sociale". L'économie sociale s'appuie toujours sur l'identité collective d'un mouvement social ou à tout le moins sur une communauté de destin. D'ailleurs, les coopératives et mutuelles les plus durables sont issues et ont été portées par des mouvements dont l'identité sociale ou culturelle est ou était très forte (cf. les Kibboutz, les caisses Raiffeisen, les coopératives basques de Mondragon, les mutuelles belges, ...).

Ces conditions sont également présentes dans de nombreuses initiatives d'économie sociale dans les pays en développement. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, la Grameen Bank répond à des nécessités impérieuses ressenties par les femmes participantes. D'autre part, celles-ci forment des groupes de caution solidaire et adhèrent à une série de principes concernant l'hygiène, l'éducation des enfants, les relations hommes-femmes, etc. Ces principes fonctionnent comme des repères communs d'un véritable mouvement social.

Si l'on veut promouvoir l'économie sociale et si l'on veut identifier le rôle propre de chacun des acteurs, il importe à tout moment de tenir compte de ces deux conditions. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous proposons de distinguer deux types d'acteurs: d'une part les acteurs de base, d'autre part les acteurs en appui.

Les acteurs de base

Les acteurs en appui

CONCLUSION

On a vu que tant au Sud qu'au Nord se manifeste un véritable foisonnement d'organisations qui ne peuvent être classées ni dans le secteur privé traditionnel, ni dans le secteur public. Par delà la diversité des statuts juridiques qu'elles peuvent adopter, elles sont généralement fondées sur une dynamique associative et traduisent à bien des égards des réactions de la société civile aux problèmes économiques et sociaux d'aujourd'hui.

Ce troisième secteur, souvent qualifié d'économie sociale au Nord, et aux appellations plus variées au Sud, représente par son dynamisme et son enracinement dans les communautés locales, un point d'appui essentiel pour la coopération au développement. Toutefois, il est difficile de cerner précisément ce troisième secteur, tant les réalités qu'il recouvre sont hétérogènes et parfois en interaction étroite avec d'autres sphères de l'économie, privées ou publiques, formelles ou informelles.

Sans prétendre avoir tracé des frontières nettes et étanches, nous avons cherché à débroussailler le terrain en clarifiant les concepts et en identifiant les principaux acteurs. Nous avons également souligné que, lors des grandes mutations des systèmes économiques en Occident ou ailleurs, le développement de l'économie sociale a toujours été lié à certaines conditions assez précises et qu'il importe de retenir ces leçons pour l'avenir.

En mettant en évidence ces différents éléments, nous espérons avoir fourni les bases nécessaires pour une appréciation aussi rigoureuse que possible des potentialités et des limites de l'économie sociale dans des contextes plus précis de la politique de coopération au développement.


ADA - ADA Dialogue, numéro 2, 1997

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