Le projet de décret LCEN

, par antoine

Le projet de décret que le gouvernement s’apprêterait à publier entre les deux tours de l’élection présidentielle vient préciser le paragraphe II de l’article 6 de la LCEN qui dit que les prestataires de services internet doivent conserver « les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu » visible sur internet.

Le projet de décret innove sur 3 points :

 par rapport à la LCEN, il étend la notion d’identification aux pseudos, mots de passe, dates et
heures de connexion, etc

 par rapport à la LCEN, (quoi qu’affirmant s’appuyer sur elle), il crée un régime d’exception pour la conservation de données se rapportant au « terrorisme ».

 par rapport au décret du 24 mars 2006, il étend l’obligation aux « personnes mentionnées au 2 du I de l’article susvisé » (article 6 de la LCEN), c’est à dire à tous ceux qui « stockent des écrits, images... » qui sont visibles sur internet. Il est orienté « sites » alors que le décret du 24 mars 2006 était orienté « mail ».

Transposé au monde de la rue, le décret donnerait à peu près ceci :

 Votre tailleur a le devoir légal de coudre sur chaque vêtement qu’il vous vend, une étiquette bien visible mentionnant vos noms et adresse, ainsi que vos surnoms éventuels.
 Le maire de votre commune a le devoir de rémunérer des agents assermentés, postés à chaque carrefour, qui notent sur un calepin, les noms de tous ceux qui sont passés dans la rue, l’heure de leur passage et ce qu’ils y ont fait.
 Le maire doit ensuite garder ces calepins pendant 1 an, ou 3 ans si votre commune pourrait, d’une manière ou d’une autre être liée au terrorisme.

Pour illustrer le contenu de ce décret, on peut aussi prendre un exemple imaginaire.

Imaginons que vous vous appelez Don Diego, et que, sous le pseudonyme de « Zorro », vous avez créé le site « Todos por la liberdad ».
Un soir, après avoir trop écouté la musique planante que vous avez piratée sur internet, vous écrivez sur votre site « amis, jetons des tomates pourries au passage du cortège du Gobernador ».
Après avoir éteint la musique, pris d’un doute, vous relisez la Loi Prévention Délinquance, et vous vous apercevez que vous venez de commettre une incitation au « guet-apens » (article 44). Vous retirez la phrase.
Une semaine plus tard, vous recevez une lettre recommandé avec AR :
« Préfecture de Police de ... (votre domicile), sergent Garcia »
Le sergent Garcia veut savoir qui a écrit sur votre site « amis jetons des tomates... » et quand ?
Là, vous avouez : c’est moi, don Diego, dans la nuit du tant au tant.
Mais ce n’est pas cela que veut le sergent Garcia, il veut des preuves informatiques.
Manque ce chance, vous avez demandé hier à votre domestique muet Bernardo, de faire le ménage dans votre disque dur, car vous voulez faire de la place pour mettre les vidéos pirates que vous allez télécharger.

Irez vous en prison pour entrave à la LCEN ? 4 possibilités :

1) Vous vous auto hébergez. Là, vous avez détruit le moyen de vous identifier, c’est la prison direct + l’amende (il va falloir vendre l’hacienda)

2) Votre hébergeur a signé la charte « ensemble, contre la vie privée » crée par le Ministère de la Délation. Là, pas de problème, vous donnez ses coordonnées au sergent Garcia

3) Votre hébergeur n’a pas signé la charte. Vous priez pour qu’il respecte la LCEN malgré tout (le sergent Garcia lui aura écrit en même temps qu’à vous). Sinon, c’est la prison pour vous et pour lui.

4) Vous êtes hébergé par l’entreprise « wordbiztech.com » dont le siège social est aux îles Curcuma. Pendant que le Gobernador dénonce le Curcuma devant l’OMI (organisation mondiale d’internet), vous allez en prison.

Maintenant, imaginons que sur votre site « Todos por la liberdad », vous avez créé une rubrique ’exprimez vous’ où les internautes peuvent poster des messages.
Une nuit, pendant que vous êtes en train de dormir, un internaute qui signe du pseudo « Robin des bois », appelle, carrément à prendre d’assaut le palais du Gobernador.
C’est du TERRORISME . Au petit matin, votre hacienda est prise d’assaut par les hommes du FSG (Forzas Speciales d’el Gobernador). Dans la prison ou vous êtes emmené, le colonel Esponja vous demande : « qui est ’’Robin des bois’’ ? »

Là, trois possibilités.

1)Vous êtes un honnête citoyen : vous demandez la carte d’identité de tous ceux qui ’postent’ sur votre site (comment ? ce n’est pas le problème de la LCEN).

2)Vous n’avez pas demandé la carte d’identité de ’Robin des Bois’, mais vous « loggez » toutes les i.p. de ceux qui s’expriment sur votre site, et le col.Esponja le retrouve grace à son FAI.

3)’Robin des Bois’ a posté son message d’Ouralistan, Etat voyou d’Asie centrale dont les F.A.I. ne respectent pas les lois de l’OMI. Vous êtes incarcéré à vie pour complicité de terrorisme.

Maintenant, imaginons que vous êtes El Gobernador.
Vous venez de limoger le colonel Esponja parce que ’Robin des bois’ n’a pu être retrouvé en Ouralistan. Vous méditez en relisant les mémoires de Deng Xiaoping « Comment transformer une dictature communiste en dictature capitaliste ».
Puis vous avez l’illumination : la CHINE, bien sûr.
Demain, vous appellerez vos partenaires de l’Union Européenne pour préparer la prochaine Directive « a Safer Internet in a Safer Europe ».