Qui
sont les acteurs de l'Internet et notamment les différents
types de fournisseurs intermédiaires, leurs intérêts
propres, leurs relations, etc. ? Qui dirige le Réseau
des Réseaux ? Début de réponse avec la
présentation de ces différentes forces, des différents
rôles qui s'y jouent et des variations de stratégie
qui en découlent.
Qui dirige
Internet ? A cette question, la réponse fournie est souvent
: personne. Evidemment, ce n'est pas tout à fait vrai.
Sur Internet comme ailleurs, il vaut mieux être riche
et blanc que pauvre et noir.
Il n'existe pas une Direction unique d'Internet : les différents
aspects du réseau sont contrôlés par des
organisations différentes, et souvent rivales. Cela assure
un certain pluralisme. Souvent, cette absence d'une Direction
unique, responsable de tout et capable de tout contrôler,
étonne et inquiète les nouveaux venus. C'est ici,
et pas dans les détails techniques sur le protocole TCP/IP,
que gît l'originalité d'Internet. C'est cette différence
de culture qui gêne tellement les habitués de la
structure hiérarchique. On entend des gens d'habitude
plus libéraux dire "Mais on ne peut quand même
pas laisser faire n'importe quoi". Mais si, on peut. L'Internet
fonctionne très bien sans une hiérarchie traditionnelle.
Cependant, l'Internet est loin d'être l'idéal anarchiste
concrétisé : de nombreux requins nagent dans ses
eaux, qui recherchent d'autres buts que le bien de l'humanité.
En France, un fournisseur d'accès Internet commercial,
filiale d'un fameux marchand d'armes, avait ainsi fait sa publicité
sur le thème de la défense de la liberté
et de la lutte contre la fascisme...
Les domaines et leur nom
La lutte entre les acteurs d'Internet est particulièrement
visible dans le cadre de la gestion des domaines (Voir encadré).
Les domaines sont à la base du nommage dans l'Internet.
Tout nom que vous trouvez dans une adresse, comme la partie
à droite du @ dans une adresse de courrier électronique
ou bien la partie entre le http:// et le / suivant dans une
adresse du Web est un nom de domaine. Ils sont gérés
hiérarchiquement. Le champ le plus à droite (les
champs sont séparés par des points) est le plus
proche de la racine. Il a deux lettres, identifiant un pays
("ca" pour le Canada, "ni" pour le Nicaragua,
etc.) ou bien trois lettres, identifiant un secteur d'activité
("com" pour le commercial, "org" pour les
ONG, etc.).
Les champs suivants (en allant de la droite vers la gauche)
sont de plus en plus spécifiques. Ainsi, dans l'adresse
de courrier "jean@chimie.u-strasbg.fr", le nom de
domaine permet de voir que l'on a affaire à un chimiste
de l'université de Strasbourg, en France.
Il est en général très intéressant
d'avoir son propre domaine : cela vous assure notamment un minimum
d'indépendance vis-à-vis du fournisseur. Si votre
association se nomme XYZ et votre fournisseur FAI, avoir une
adresse Web de type http://www.fai.ch/xyz/ vous fait dépendre
du fournisseur : si vous en changez, vous devrez prévenir
tous vos correspondants. Alors qu'une adresse de type http://www.xyz.ch
ne maintient aucun lien avec le fournisseur1.
Cela a un coût (un coût de mise en place initiale
plus un coût mensuel ou annuel) mais cela vaut la peine2.
Les domaines sont techniquement gérés par un mécanisme
nommé DNS (Domain Name System). Un des concepts essentiels
du DNS est la notion d'autorité. Avoir autorité
sur un domaine, c'est la possibilité de créer
des adresses dans ce domaine. Ainsi, si j'ai autorité
sur le domaine u-tachkent.tm3,
j'ai la possibilité de créer (ou non) des adresses
pour un serveur Web, pour du service de courrier dans cette
université, etc.
Le domaine le plus élevé, la racine, est actuellement
supposé être confié à un organisme
états-unien, l'ICANN4.
La gestion technique est confiée à la société
Verisign (qui a racheté Network Solutions, qui assurait
historiquement cette mission).
En dessous de la racine, l'ICANN délègue des domaines.
"fr" est délégué à une
organisation française, AFNIC (Association Française
pour le Nommage Internet en Coopération), "sn"
est délégué à l'université
Cheikh Anta Diop à Dakar, etc. Ces organismes ont à
leur tour autorité. Pour créer "enda.sn"
pour l'association Enda5,
il faut s'adresser au NIC (Network Information Center) sénégalais.
On peut alors recevoir une délégation et avoir
à son tour autorité sur un petit bout du grand
arbre des domaines.
Les domaines à trois lettres ("com" ou "org")
sont, depuis 2000, gérés par un mécanisme
plus complexe. Il existe, pour chacun d'eux, un registre qui
garde la liste de tous les domaines alloués. Verisign
est registre de "com", "net" et "org",
NeuLevel de "biz", etc. Mais la vente effective de
ces domaines est orchestrée par des bureaux d'enregistrement,
qui doivent être agréés par l'ICANN. Ces
bureaux, comme Gandi6,
vendent des domaines tout en payant Verisign ou NeuLevel pour
la tenue du registre. Chaque bureau d'enregistrement propose
des prix différents, et une politique différente
en ce qui concerne la propriété du domaine que
vous venez d'acheter. Lisez bien les contrats !
Ensuite, il y a, à nouveau, délégation.
"Eu.org", nom de domaine gratuit, est ainsi délégué
au groupe "Free DNS"7.
Qu'en est-il en pratique pour vous ? Cela veut dire que, pour
avoir votre propre nom de domaine, vous allez devoir (vous ou
bien un fournisseur qui accomplira cette démarche pour
vous) demander au NIC qui gère le domaine qui vous intéresse
de créer les adresses convoitées ou bien de déléguer
un domaine. Choisissez-le bien. S'enregistrer dans "com"
est, pour une association, une grosse erreur, puisque vous n'avez
pas d'activités commerciales. "org" ("eu.org"
si vous manquez d'argent ou bien si vous voulez soutenir cette
initiative) ou bien un domaine national est plus adapté.
Le nom de domaine étant l'élément le plus
stable de votre présence sur le Web, ce choix est crucial.
D'où une liste de recommandations. Prenez un nom facile
à mémoriser et à taper, et assurez-vous
que la personne qui effectue l'enregistrement met bien votre
association comme propriétaire du domaine (certains fournisseurs
peu scrupuleux se mettent comme propriétaire, ce qui
aidera à retenir un client qui voudrait partir) et au
moins une personne de l'association comme contact du domaine
(là encore, certains fournisseurs ne mettent que des
employés à eux comme contacts, alors que seuls
ces contacts peuvent modifier le domaine par la suite).
Chaque NIC a ses propres règles en ce qui concerne le
nommage. C'est ainsi qu'en France, AFNIC vous enverra dans le
domaine "asso.fr", seules les entreprises ayant droit
à être directement dans "fr". N'oubliez
pas, en outre, que la concurrence est rude et qu'une autre association,
quelque part dans un pays lointain, a pu demander le nom que
vous convoitez dans "org".
Les fournisseurs
Beaucoup d'intermédiaires sont présents sur Internet.
On les regroupe en général sous le terme de fournisseurs
(ou prestataires). Les différentes catégories
sont les suivantes :
- Le fournisseur d'accès est celui qui vous permet
d'accéder à Internet. Spécialisé
dans le grand public (et faisant une publicité vigoureuse
pour surnager au milieu de ses concurrents) ou bien orienté
vers l'utilisation professionnelle (avec des tarifs, et parfois
des services, supérieurs), c'est un domaine où
règne la concurrence la plus échevelée
et où il est difficile de s'appuyer sur des éléments
objectifs avant de choisir. On le désigne souvent par
le sigle FAI, Fournisseur d'Accès Internet.
Les fournisseurs d'accès utilisent eux-mêmes le
service d'autres fournisseurs d'accès plus gros (souvent
des filiales des gros groupes de télécommunications)
pour se connecter. Les gros se connectent entre eux, et c'est
cette interconnexion qui forme l'infrastructure de l'Internet.
(Voir fiche " Choisir
son FAI ").
- Le fournisseur d'hébergement possède
les machines sur lesquelles votre serveur web résidera.
Vous ne pouvez pas le laisser sur votre machine personnelle
: elle n'est pas connectée 24h/24 et, même si elle
l'était, le débit de sa ligne serait insuffisant.
Le fournisseur d'hébergement possède donc les
machines et les lignes adaptées et vous les loue. À
noter que la même entreprise peut avoir les activités
de fournisseur d'accès et de fournisseur d'hébergement.
Mais vous n'êtes pas obligé de choisir la même
pour ces deux tâches. La nature de l'Internet étant
d'être mondial, vous pouvez aussi être hébergé
à l'étranger. Cela peut être intéressant
pour des raisons financières ou politiques (si le pays
en question a des lois plus libérales que le vôtre,
au moins sur les sujets dont vous voulez parler)8.
- Le réalisateur de sites Web est une entreprise
qui va mettre en oeuvre votre site, selon vos indications. Les
sociétés qui font de l'hébergement ont
très souvent cette autre activité. Mais, contrairement
aux fournisseurs d'accès et d'hébergement, cet
intermédiaire n'est pas indispensable : vous pouvez réaliser
votre site vous-même.
(Voir fiches " Faire
réaliser son site Web " et " Concevoir
un site Web ")
Les enjeux économiques
Les fournisseurs présentés ci-dessus luttent pour
un gâteau dont la taille est inconnue9
mais dont les promesses sont nombreuses. Aussi, la lutte est-elle
rude. Les méthodes utilisées pour gagner des clients
varient : très souvent, on essaie de baisser les prix,
jusqu'à devoir abandonner, comme c'est arrivé
à la filiale Internet d'Havas. Il faut savoir qu'un abonnement
d'un fournisseur d'accès à 15 euros par mois ne
peut pas être rentable. À ce prix-là, il
est impossible de payer son personnel et ses machines. D'autres
voies sont donc explorées par les fournisseurs d'accès
pour être un jour rentables.
Pour gagner de l'argent, parfois, on essaie de se faire payer
par la publicité. Ailleurs, surtout chez les fournisseurs
d'accès, on compte sur le commerce électronique.
On se dit que les clients ne paient guère, mais qu'ils
formeront une clientèle toute trouvée pour les
futures boutiques virtuelles. Le responsable d'une société
qui distribue de l'accès Internet "gratuit"
répondait cyniquement à ceux qui lui affirmaient
que ce n'était pas une démarche économique
normale : "On ne fait pas payer les clients pour rentrer
dans le magasin".
Pour les fournisseurs d'hébergement, on compte encore
plus souvent sur la publicité. Les associations qui tombent
dans le panneau d'offres d'hébergement "gratuit"
voient souvent leur site orné de bandeaux de pub, du
plus bel effet si on réalise un site militant...
Seuls les réalisateurs de sites Web n'ont pas ce problème
: les tarifs pratiqués actuellement pour la réalisation
d'un simple site les mettent à l'abri du besoin.
La gratuité est un piège courant dans les offres
des fournisseurs. Je tiens donc à rappeler qu'elle est
surtout un argument commercial. Lisez bien les petites lettres
du contrat avant d'accepter une offre gratuite.
La distinction entre fournisseurs marchands et non-marchands
ne tient donc pas essentiellement au prix, elle est plutôt
dans le type de rapport qu'ils entretiennent avec les clients
ou membres : simples vaches à lait ou bien partenaires
?
Stéphane Bortzmeyer
Notes
et sites
1 - Cela ne signifie pas
que l'éventuel changement de fournisseur se fera sans
douleur mais cela en limitera les conséquences.
2 - Pour AFNIC, en France,
cela dépend de beaucoup de choses. Disons dans les 137
euros à la création. Mais c'est beaucoup moins
cher pour les .com ou .org. Conscient du caractère dissuasif
de ces prix, l'AFNIC, à l'été 2001, a lancé
une grande opération de promotion.... temporaire : il
faudra ensuite payer pour le renouvellement du domaine.
http://www.afnic.asso.fr/Procedures/couts.htm
3 - Université de
Tachkent au Turkménistan.
4 - L'ICANN :
http://www.icann.org
5 - Enda est une organisation
d'aide au développement.
6 - Gandi :
http://www.gandi.net
Pour approfondir le thème des noms de domaine, voir la
confession de Laurent Chemla, l'un des fondateurs de Gandi,
"Je suis un voleur" :
http://www.chemla.org/textes/voleur.html
7 - Si vous voulez avoir
votre propre nom de domaine, sans débourser un centime,
ou bien si vous n'êtes pas satisfait des règles
de nommage du domaine que vous convoitiez ("fr" est
très contraignant), vous pouvez obtenir un nom de domaine
en "eu.org" avec le minimum de formalités.
http://www.eu.org
8 - Et quelle gloire que
de marcher sur les traces de Voltaire ou de Diderot, qui se
faisaient éditer à Genève, Bruxelles ou
Londres pour les mêmes raisons !
9 - Pour l'instant, Internet
ne rapporte d'argent qu'aux fabricants de matériel et
aux gros opérateurs de télécom.
Les
noms de domaine et la loi
Propre à Internet, la question du nommage des sites
s'est peu à peu imposée comme l'une des grandes
problématiques juridiques du réseau.
Les juges ont déjà eu à se prononcer
sur un certain nombre d'affaires touchant au nommage et
à l'utilisation " abusive " d'une marque.
Ainsi, la société Danone a attaqué
le site " Jeboycottedanone.com " et a été
débouté. Même jugement pour l'Institut
Pasteur qui avait attaqué un particulier, créateur
du site Pasteur.net. En revanche, quand le cybersquatting
est avéré, les auteurs peuvent être
condamnés pour extorsion de fond. Ce fut le cas d'une
société qui avait déposé plusieurs
noms de domaine affiliés aux Trois suisses dans le
but de les revendre. Quant à l'affaire Vizzavi, elle
est exemplaire. Un particulier dépose le nom et la
marque. Vivendi avant d'ouvrir son portail baptisé
Vizzavi ne prend pas la peine de vérifier si le nom
a déjà fait l'objet d'un dépôt.
Résultat : la multinationale a payé au propriétaire
le droit de l'utiliser.
A.D. |